PEUT-ON CROIRE À L’ALLEMAGNE ?
par Christine Alfarge,
« Il y a toujours un
impérialisme allemand, la question de fond qui demeure ».
En
1954, le Général de Gaulle déclarait dans une conférence de presse : « La
réunification des deux fractions en une seule Allemagne, qui serait entièrement
libre, nous paraît être le destin normal du peuple allemand, pourvu que
celui-ci ne remette pas en cause ses anciennes frontières et qu’il tende à
s’intégrer un jour dans une organisation contractuelle de toute l’Europe, pour
la coopération, la liberté et la paix ».
Récemment, le
journal allemand Der Spiegel a titré : « La France, l’Allemagne en
mieux », intention ou diversion ? L’avenir nous le dira. Cependant,
au regard de l’histoire, il faut rappeler les ambitions hégémoniques de
l’Allemagne visant en particulier la France et l’Europe toute entière, dès la
première mondiale. De 1914 à 1918, l’Europe et une partie du monde s’engagent
dans la première guerre totale de l’histoire. Chacun des pays belligérants
mobilise des moyens militaires et industriels énormes pour remporter la
victoire.
En juin 1914,
l’archiduc François-Ferdinand est assassiné à Sarajevo en Bosnie-Herzégovine.
La mort brutale de l’héritier du trône de l’Empire austro-hongrois servira de
détonateur à un conflit devenu mondial par des alliances conclues des décennies
plus tôt entre les grandes puissances européennes.
Sur fond de
nationalisme exacerbé, de fortes tensions provoquées par des rivalités
stratégiques, politiques, économiques, coloniales, cette guerre trouve ses
origines dans la volonté hégémonique de certains pays. Puissance économique de
premier plan, l’Allemagne souhaite s’étendre à l’est et renforcer sa présence
en Afrique et en Asie, l’Empire austro-hongrois sur les Balkans et la grande
Russie du Tsar Nicolas II sur un Empire ottoman moribond. Il n’aura pas fallu
plus d’un mois après le meurtre de François-Ferdinand pour que s’installe la
machine macabre des différentes coalitions en jetant plus de soixante millions
d’hommes dans la bataille.
En août 1914,
l’Allemagne viole la neutralité de la Belgique et du Luxembourg avant de
pénétrer dans le Nord-Est de la France. Après plusieurs semaines de
progression, les soldats allemands subissent un coup d’arrêt avec la
contre-offensive de la Marne en septembre 1914. Les troupes allemandes ne
parviennent pas à percer le front et creusent des tranchées pour éviter de
reculer davantage.
Cette guerre
qui ne devait durer que quelques mois se fige pour se poursuivre pendant plus
de quatre ans. Le 11 novembre 1918, l’Allemagne vaincue signera un armistice
avec la France à Rethondes. La Première Guerre mondiale aura causé la mort de
10 millions de personnes, dont 1,4 million de français tombés dans la Somme ou
à Verdun.
Un certain
capitaine De Gaulle.
Au regard de l’histoire, l’attitude du général De Gaulle vis-à-vis de
l’Allemagne fut de comprendre ce qu’était l’adversaire. Outre sa connaissance
pour la langue allemande, la littérature et la philosophie, il approfondira
cette connaissance en captivité à Ingolstadt pendant la première guerre
mondiale à travers son ouvrage « la discorde chez l’ennemi »
qui paraîtra en 1924 sur fond d’observation des forces mais aussi de certaines
faiblesses de ce pays. Le général De Gaulle se livrera à la fois à un
hommage au peuple allemand vaillant et à ses chefs avec leur audace et
leur esprit d’entreprise, des critiques envers les militaires notamment le
manque de coordination dans le commandement allemand évoquant de manière
détaillée la déroute du peuple allemand lors de la défaite en été et en automne
1918.
Mais le général De Gaulle
était lucide et ne se faisait pas beaucoup d’illusions sur ce qu’il adviendrait
pour la France après la victoire de 1918. Dès le 1er mars
1925, il publia dans la Revue militaire française un article dans
lequel, il insistait sur la fragilité de la frontière nord-est de la France et
sur l’obligation de contenir une nouvelle agression allemande en renforçant un
certain nombre de places. Il savait que la Reichswehr (la force de défense du
Reich) était toujours vaillante et de nombreux allemands souhaitaient une
guerre de revanche. En mars 1929, il prit note que l’Allemagne avait des
projets d’annexion de l’Autriche, d’invasion de la Pologne et de récupération
de l’Alsace-Lorraine. Dès l’année 1933, le général De Gaulle n’avait plus aucun
doute sur les desseins du nouveau régime incarné par Hitler.
Son ouvrage
« Vers une armée de métier » publié en 1934, traduisait les
convictions qui s’étaient forgées dans son esprit pendant ces dernières années.
En voici quelques lignes « Car, entre Gaulois et Germains, les
victoires alternatives n’ont rien tranché ni rien assouvi. Parfois, épuisés par
la guerre, les deux peuples semblent se rapprocher, comme s’appuient l’un sur
l’autre des lutteurs chancelants. Mais, sitôt remis, chacun se prend à guetter
l’adversaire. Une pareille instabilité tient à la nature des choses…
L’opposition des tempéraments avive cette amertume. Ce n’est point que chacun
méconnaisse la valeur de l’autre et ne se prenne à rêver, parfois aux grandes
choses qu’on pourrait faire ensemble. Mais les réactions sont si différentes,
qu’elles tiennent les deux peuples en état constant de méfiance ».
A l’avenir,
le général De Gaulle ne doutait pas qu’une crise nouvelle inciterait encore une
fois, les allemands vers Paris. Dans son livre, il développait toute sa théorie
de la nécessité de grandes unités blindées et motorisées, basées sur le progrès
technique et scientifique afin d’empêcher que le destin de la France ne soit
définitivement scellé par l’agression venant de l’Est et du Nord. Hélas, il
avait prévu la tragédie de 1940 pour laquelle il jettera toutes ses forces dans
la bataille de la libération de la France.
Qui peut comprendre son époque à part
celui qui connait de quoi le passé l’a faite ?
Aujourd’hui, c’est dans cet esprit que les
jeunes générations sont loin d’imaginer combien il a fallu de courage et de
persévérance au général de Gaulle pour que la considération de la France en
tant que nation soit au cœur des décisions face aux autres Etats. Pas question
pour le chef du gouvernement provisoire de laisser le destin de la France se
décider sans elle par les « Trois grands », Angleterre, Etats-Unis,
Russie, lors d’une rencontre à Yalta. Il saisira cette occasion exceptionnelle
pour montrer aux dirigeants qu’il n’était pas acceptable de compter sans la
France, cette mise à l’écart était insupportable pour le général de Gaulle. La notion de déclin n’est pas et n’a jamais été dans l’ADN de la
France, n’en déplaise à ceux qui veulent le penser.
La résistance, matrice
de la nation.
Quel sort serait réservé à la France
résistante, meurtrie par autant d’abandons que de trahisons ? Nul doute
que sans la clairvoyance du général de Gaulle qui savait que la liberté de
notre pays dépendait d’une totale reconnaissance de notre nation, nous n’aurions
jamais pu retrouver notre rang en nous hissant parmi les grandes puissances
siégeant au Conseil de sécurité des nations-unies.
« On n’intègre pas les peuples
comme on fait de la purée de marrons » disait Charles De Gaulle.
À Aix-la-Chapelle, le 22 janvier 2019, cinquante-six ans
après le Traité franco-allemand signé par le général De Gaulle et Konrad
Adenauer, les dirigeants des deux pays signaient un « Traité de
coopération et d’intégration » s’appuyant à priori sur le socle du Traité
du 22 janvier 1963.
Que contenait le Traité
franco-allemand du 22 janvier 1963 ?
Ce traité prévoyait une coopération étroite entre les deux
pays dans les domaines de la défense, de l’éducation et de la jeunesse. Il
instituait des cadres de rencontres et prévoyait la périodicité de ces
rencontres. Dans chaque pays, une commission interministérielle devait suivre
les progrès d’une telle coopération. De même étaient prévues des consultations
préalables en politique étrangère, notamment concernant les affaires traitées
au sein de l’Otan. Le général De Gaulle affirmait avec force et
détermination « le droit et le
devoir des puissances européennes continentales d’avoir une défense nationale
qui leur soit propre. Un grand Etat ne pouvait confier son destin à un autre
Etat. »
Que souhaitait le général de Gaulle au
regard de l’Europe ?
Il est primordial de rappeler que le général De Gaulle a
toujours pris des décisions ayant le souci de préserver l’indépendance de la
France, n’excluant pas le respect des alliances mais attaché au prix de la
liberté de son pays et sa vocation d’éclairer l’univers. « Tout système qui consisterait à transmettre notre souveraineté à
des aéropages internationaux serait incompatible avec les droits et les devoirs
de la république. » disait-il.
C’est lui, le résistant, artisan de la paix, qui va tendre
la main pour symboliser la réconciliation franco-allemande. Evènement rare, il
invitera le chancelier Konrad Adenauer, première personnalité officielle à être
reçue dans sa maison familiale de Colombey-les-Deux Eglises. Le 14 septembre
1958, par ce geste historique, le général De Gaulle assume ce choix
personnellement en disant : « La
construction européenne portera sur des coopérations dont nous avons toujours
besoin pour le progrès. »
L’entente des deux principales puissances continentales
européennes permet de constituer la base d’une coopération politique de
l’Europe des Six complétant le Marché commun. Réunis à Paris le 10 février
1961, les Chefs de gouvernement sont d’accord pour organiser une coopération
politique en créant une commission avec à sa tête Christian Fouchet. Pour
certains, la vision d’une structure fédérale dirigée par un seul gouvernement
va bon train. Le 19 octobre 1961, la commission Fouchet rend un rapport qui ne
fait pas l’unanimité des présents. Il propose dans la ligne du général une
structure indépendante de l’ingérence américaine alors que les cinq autres
veulent restés fidèles aux engagements pris dans le cadre de l’Otan,
sous-entendu qu’ils souhaitaient une défense coordonnée et que rien ne soit
changé pour les trois communautés existantes (Communauté charbon acier, Euratom
et CEE-Marché commun) alors que le texte prévoyait leur centralisation.
L’essentiel, ne jamais céder.
Il n’était pas question d’intégration mais d’entente et de
coopération permanente entre les six. Malgré quelques concessions sur le
deuxième rapport Fouchet le 18 janvier 1962, le général n’aurait jamais cédé
sur l’essentiel, l’indépendance d’une structure politique européenne vis-à-vis
des Etats-Unis ou de l’URSS, appelée la politique de la troisième voie.
Il disait « Il
vaut mieux l’indépendance qu’un marché commun vassalisé. Et même s’il fallait
choisir entre l’indépendance et le Marché commun, il vaudrait mieux
l’indépendance que le Marché commun. »
S’efforçant de resserrer les liens avec l’Allemagne, le
général De Gaulle savait qu’une entente était indispensable à tout projet sur
le continent. L’insertion d’un préambule dans le traité du 22 janvier 1963 à la
demande du Bundestag stipulant que celui-ci ne portait en rien préjudice à la
loyauté du gouvernement fédéral vis-à-vis de l’Otan, fut ratifié le 16 mai 1963
par le parlement allemand. La crainte de l’Allemagne était d’assurer sa
sécurité, bien que ni l’Amérique, ni la France ne s’étaient engagées à utiliser
leur armement nucléaire stratégique pour défendre l’indépendance de
l’Allemagne.
Pourquoi signer un nouveau
traité de coopération et d’intégration en 2019 ?
En quoi défendrait-il, voire renforcerait-il notre
souveraineté comme certains le prétendent ? Grâce au choix du général De
Gaulle, la dissuasion nucléaire assure à la France la souveraineté nationale,
un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies depuis 1945.
L’Allemagne qui n’a pas fait le choix du nucléaire veut servir ses intérêts
actuels à travers le Traité d’Aix-la-Chapelle.
On est en droit de se demander pourquoi l’Allemagne lorgne toujours
sur le Conseil de sécurité des Nations unies en proposant que la France cède
son siège permanent à l’Union européenne ? En novembre 2018, Olaf Scholz, ministre
des Finances, s’exprimait ainsi lors d’un discours sur l’avenir de l’Europe à
Berlin « Si nous prenons l’Union
européenne au sérieux, l’UE devrait également parler d’une seule voix au sein
du Conseil de sécurité des Nations unies… A moyen terme, le siège de la France
pourrait être transformé en siège de l’UE. »
Bien qu’une telle décision ne soit pas à l’ordre du jour,
faut-il rappeler que le Conseil de sécurité compte cinq membres permanents
dotés d’un veto, la France, les Etats-Unis, la Russie, la Chine, le
Royaume-Uni, leur conférant une influence tant sur la paix que la sécurité sur
la scène internationale. Ils doivent cependant se mettre d’accord en votant sur
toutes les décisions du Conseil de sécurité. Aucun membre ne peut prendre
d’initiative sans en référer aux autres, si tel était le cas cela nuirait
fortement à la diplomatie des Etats et contraire à leurs intérêts.
Chapitre 2 article 3 du Traité
d’Aix : Paix, sécurité et développement.
« Les deux Etats approfondissent
leur coopération en matière de politique étrangère, de défense, de sécurité
extérieure et intérieure et de développement tout en s’efforçant de renforcer
la capacité d’action autonome de l’Europe. Ils se consultent afin de définir
des positions communes sur toute décision importante touchant leurs intérêts
communs et d’agir conjointement dans tous les cas où ce sera possible. »
Pourquoi faudrait-il converger seulement avec les visions
et besoins allemands ? L’Allemagne est dans une logique d’intégration à tout
prix avec la France, pour assurer sa propre sécurité. L’article 4 stipule « Ils
se prêtent aide et assistance par tous les moyens dont ils disposent, y compris
la force armée, en cas d’agression armée contre leurs territoires. »
Il est aisé de comprendre que l’Allemagne nous envie notre
dissuasion nucléaire et notre autonomie militaire en Europe.
Selon l’article 8 du Traité d’Aix Chapitre premier :
Affaires européennes « Les deux
Etats s’engagent à poursuivre leurs efforts pour mener à terme des négociations
intergouvernementales concernant la réforme du Conseil de sécurité des Nations
Unies. L’admission de la République fédérale de l’Allemagne en tant que membre
permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies est une priorité de la
diplomatie franco-allemande. » Pourquoi la France, remet-elle sur la
table la question de la réforme du conseil de sécurité, alors que de toute
évidence, elle a le plus à perdre dans cette réforme.
Au regard de l’histoire, la place de la France est
incontestable grâce au général De Gaulle et son habileté légendaire pour
rétablir la position de la France dans le concert des nations afin d’obtenir ce
siège permanent au Conseil de sécurité, face à Roosevelt, Churchill et Staline
qui avaient même penser y installer le Brésil à l’époque. Cependant, ce n’est
pas la seule clé possible, la répartition pourrait se faire en tenant compte de
la géographie, de la démographie ou de l’économie.
Dans son discours prononcé le 19 septembre 2023 devant
l’Assemblée générale de l’ONU à New York, le chancelier fédéral Olaf Scholz
s’est notamment exprimé sur la réforme des Nations-Unies. Selon lui : « Les
Nations-Unies doivent refléter la réalité d’un monde multipolaire, à ce jour,
elles ne le font pas assez. Cette situation n’est nulle part aussi flagrante
que dans la composition du Conseil de sécurité » dit-il. Olaf Scholz
préconise : « Des négociations sans parti pris sur une
réforme de l’ONU, aucun pays ne devrait bloquer ces négociations en formulant
des exigences trop élevées ».
En attendant une telle réforme, l’Allemagne entend
assumer ses responsabilités de membre non permanent du Conseil de sécurité en
lançant toutefois un appel pour que sa candidature soit soutenue en 2027/2028.
Quoi qu’il en soit les Français sont très attachés à
leur indépendance et la souveraineté nationale parce qu’elle ne se divise pas.
La question d’un siège permanent attribué à l’Allemagne est cependant évoquée
en permanence. Alors, la France veut-elle s’effacer au profit de l’Allemagne,
ce n’est certainement pas le sens de l’histoire !
*Christine ALFARGE Secrétaire générale de l'Académie du Gaullisme.
© 01.10.2023