« Les partis peuvent disparaître,
les institutions restent »
par Christine Alfarge,
« Le général De Gaulle, en s’en allant, laissait deux choses aux Français, une allure de grandeur et des institutions » écrivait Jean d’Ormesson.
Octobre 1962, renversé par une motion de censure, Georges Pompidou dénonce "le règne des partis". À l’approche du référendum sur l’élection présidentielle au suffrage universel le 28 octobre et des législatives les 18 et 25 novembre, il met en garde contre les dérives parlementaires et l’instabilité politique.
« Cette Constitution, De Gaulle l’avait longtemps mûrie. Dès ses premiers contacts avec la vie publique, après la Grande Guerre et surtout durant son séjour au secrétariat général de la Défense nationale, il a pris conscience des graves inconvénients de la dépendance complète du pouvoir exécutif par rapport au législatif. Les présidents du Conseil des ministres, c’est-à-dire les chefs de gouvernement se trouvaient alors à la merci d’un mouvement d’humeur ou d’impatience d’une poignée de parlementaires à obtenir des portefeuilles. » expliquait Pierre Lefranc lors d’un entretien.
Actuellement, s’agit-il d’une décomposition politique ?
C’est une question qui soulève à la fois l’aspect institutionnel et démocratique. Jamais depuis la fondation de la Vème République l'élection présidentielle n'a été aussi décisive. Face à une croissance économique insuffisante, la persistance du chômage, la stagnation du pouvoir d’achat, la montée en puissance de la violence urbaine, une menace terroriste omniprésente, une dette publique de 3400 milliards d’euros, la position de la France dans l’Union européenne et sur la scène internationale, un choix déterminant pour notre pays se dessine, soit la France sort de l'histoire ou elle renoue avec la croissance et le plein-emploi répondant aux sollicitations de la mondialisation et l’exigence des citoyens vis-à-vis du pouvoir.
Décomposition ou non, il faut une analyse institutionnelle.
Presque soixante-sept ans après sa fondation, la Vème République est en crise. « S’agissant des affaires publiques, c’est le pain quotidien de ceux qui gouvernent. Les hommes d’État doivent aimer les tempêtes de l’Histoire, et toujours, plutôt que d’attendre et de subir, créer l’événement » écrivait Pierre Messmer. Etablie en 1958 par un état souverain et centralisé, la Constitution de la Vème a de plus en plus de mal de s’accommoder de la démultiplication des niveaux de décision. A-t-elle atteint le point limite de son dysfonctionnement ?
« Notre Constitution est à la fois parlementaire et présidentielle, à la mesure de ce que nous commandent à la fois les besoins de notre équilibre et les traits de notre caractère » disait le général De Gaulle.
En reprenant la question de la Constitution de la Vème République qui connaît une rupture majeure depuis 1958, il existe trois phases dans l’évolution de nos institutions :
Une République gaullienne, parlementariste avec un gouvernement se référant à l’article 20 de la Constitution :
« Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation.
C’est bien ce que le général De Gaulle a toujours su incarner, pour la politique, il laissait le premier ministre et les ministres gouverner.
Après ce tour présidentialiste, l’Elysée s’est mis à diriger très directement, sous François Mitterrand tout remontait à la présidence, des affaires partisanes comme des affaires de moindre importance.
La troisième phase voit l’entrée de l’oligarchie, le passage à l’euro, le quinquennat changeant l’équilibre institutionnel, un super premier ministre, nous n’avons plus de président, des premiers ministres chefs de cabinet, une responsabilité politique qui n’est pratiquement pas reconnue en France, un pouvoir institutionnel perçu au service de l’image et non de l’action.
Il est urgent de tirer les conséquences de l’instauration du quinquennat.
Dans son discours de 2005, Jean-Pierre Chevènement s’exprimait ainsi : « La Constitution de 1958 prétendait instaurer un parlementarisme rationalisé. La pratique a débouché sur un régime présidentiel déséquilibré. L’adoption du quinquennat a abouti à une concentration des pouvoirs encore accrue. Pour revaloriser le rôle du Parlement, il faut aller dans le sens d’un régime présidentiel rationalisé, où le Premier ministre et le gouvernement seront nommés par le Président de la République et ne procéderont plus d’une majorité parlementaire (…) mieux vaut aller dans le sens d’un régime présidentiel en faisant procéder la nomination du Premier ministre et de son gouvernement du Président de la République, et en supprimant l’article 49-3 de la Constitution qui permet l’adoption d’un texte de loi, sauf adoption d’une motion de censure par l’Assemblée nationale. Comme il faut éviter que le système ne se bloque, le droit de dissolution (à la disposition du Président de la République) et la motion de censure du Parlement à l’égard du gouvernement seraient maintenus comme deux soupapes de sécurités.
Mais la Constitution dans cette hypothèse, devrait prévoir que l’un comme l’autre, en cas de conflit, soient renvoyés simultanément devant le suffrage universel. Ainsi le Président de la République et le gouvernement d’une part et le Parlement d’autre part seraient-ils incités à coopérer et le peuple serait assuré de trancher les conflits en dernier ressort. Les pouvoirs de contrôle du Parlement pourraient ainsi être renforcés. Ce ne serait pas une VIème République, mais une Vème rééquilibrée. »
C’est par l’exemple et la cohérence qu’on arrive à convaincre.
Aujourd’hui, il faut recomposer les rapports entre les citoyens mais aussi les rapports de pouvoir et les rapports économiques. On peut le faire de différentes manières par des propositions nouvelles. Dans toutes les périodes de l’Histoire, la remise en cause des valeurs fut toujours combattue au nom des libertés individuelles ou collectives. À son époque le général De Gaulle disait : « La politique, quand elle est un art et un service, non point une exploitation, c’est une action pour un idéal à travers des réalités »
Aujourd’hui, la réflexion est différente, recréer l’homme que notre temps cherche à détruire est la vraie question. La notion du droit, celle de l’association, de la résistance collective se sont effacées dans la population. Qu’est devenu ce temps où les français parlaient aux français à la radio de Londres en organisant autour du général De Gaulle les prémices d’une résistance sans faille, tous unis pour lutter contre l’ennemi, chacun ayant le devoir de servir son pays et la lourde responsabilité en son âme et conscience de ce qui pouvait advenir aux autres.
Les démocraties sont confrontées aujourd’hui, pour la deuxième fois de leur histoire à une crise de croissance. La première eu lieu après la Première Guerre mondiale. Le suffrage universel voyait s’installer des régimes parlementaires inefficaces tandis que la société était déchirée par l’antagonisme entre classes sociales. La conséquence de cette crise fut l’arrivée des totalitarismes dans les années 1930. Mais après 1945, les démocraties libérales étaient parvenues à surmonter la crise par un cycle de réformes profondes tant sur les plans politique, administratif que social.
Aujourd’hui, la deuxième crise résulte surtout de l’approfondissement du libéralisme, qui s’exprime par un individualisme de masse. La démocratie a mis en avant l’exercice des droits individuels plutôt que la maîtrise collective. Désormais la souveraineté de l’individu a remplacé la souveraineté du peuple.
Alors souvenons-nous des propos clairvoyants du général De Gaulle : « Ce qui nous réunit, c’est cela même qui remplit l’âme de notre peuple, soucis pour la France menacée, volonté de surmonter les périls, espérance à la pensée que la nation va sortir du marasme affreux où les partis la tiennent enlisée, suivre enfin la route du salut ».
L’économie matrice de toute la société.
L’économie occupe tout le débat politique sans espace de pensée. Dans l’esprit des gens, il n’y a plus d’ailleurs. L’idée de la soumission est ancrée et mortifère pour le pays. Ce qu’on prend pour une crise uniquement morale, est une crise de la morale qui nous rappelle l’existence du devoir et des interdits, généralisée à tous les comportements des agents sociaux et économiques.
Cette crise démocratique correspond notamment à une accélération du processus d’effondrement généralisé de la croyance. Après la croyance en Dieu, c’est la croyance en l’argent qui a servi de valeur refuge, mais le système n’est-il pas en train d’atteindre sa limite. Les épargnants n’ont plus confiance dans le système bancaire, les banques elles-mêmes ne se font plus confiance. Naturellement le manque que chacun ressent individuellement, emporté par un inconscient collectif où tout peut devenir facile dans un monde où la spéculation entretient la paresse, se traduit aujourd’hui par un sentiment de crainte et de peur. Les gens qui attendaient une profusion de richesses, sont maintenant confrontés à eux-mêmes et au fonctionnement d’une société plus juste et plus équitable. La bulle financière dont les épargnants attendaient de façon illimitée, qu’elle distribue une richesse qui n’avait pas été produite, réfléchissent aujourd’hui sur un avenir devenu de plus en plus incertain et la réalité qui s’impose est celle qu’on ne peut créer de la richesse sans la produire. Certains économistes plaident pour une « démocratie économique » visant à renforcer les prérogatives du politique sur l’économique afin de réorienter les choix économiques de manière à ce qu’ils satisfassent les besoins sociaux.
Une première réflexion porte notamment sur la reconnaissance de la nature partenariale de l’entreprise qui ne doit pas être gérée dans l’intérêt exclusif de ses actionnaires, mais dans l’intérêt collectif des parties prenantes, à commencer par les salariés. La deuxième réflexion est de modifier les modalités de gestion de l’épargne retraite et de l’épargne salariale et créer un fonds public d’épargne. Il s’agit dans les deux cas de peser sur les pratiques financières en « socialisant » une partie du capital boursier.
« Quand on aura détruit toutes croyances, inculqué le refus de tout ordre social et de toute autorité, sans rien proposer en échange, rien ne servira, en présence d’une humanité désorientée et livrée inéluctablement à la domination des forces les plus aveuglément brutales, de s’écrier : « Nous n’avons pas voulu cela ! » écrivait Georges Pompidou.
L’autre aspect est l’organisation sociale.
La raison doit être remise au goût du jour, la société ne peut retrouver un sens que dans un cadre collectif. Seul l’État peut fixer ce cadre instaurant des lois et des règles de fonctionnement, notamment dans le monde financier. Le rôle de l’État consiste également à fixer des orientations, des priorités et de s’y tenir. L’intérêt général doit guider les politiques.
Une démocratie de la défiance.
La démocratie ne se limite pas à sa dimension électorale, même si dans toutes les sociétés démocratiques contemporaines, on a pu constater une hausse très caractéristique du taux d’abstention du milieu des années 1970 à la fin des années 1990. Il ne faut pas interpréter ce retrait citoyen comme une désaffection des citoyens mais plus comme une mutation de la citoyenneté qui s’organise surtout autour d’un principe de défiance. Car si le citoyen se rend moins souvent aux urnes, il est davantage présent dans des actions de pétition, de manifestation, de solidarité qui traduisent son implication dans la société.
Ce n’est donc pas en termes de désaffection qu’il faut juger cette situation mais plutôt en termes de redéploiement de l’activité citoyenne. La défiance peut être démocratique en manifestant les exigences des citoyens vis-à-vis du pouvoir, mais garantit-elle cependant la vitalité de la démocratie. Cet emballement de la défiance représente une caractéristique majeure du monde politique aujourd’hui et s’exprime à travers ce que l’on peut appeler le populisme, force de dénigrement, de dénonciation, de dévalorisation de la sphère politique. Les citoyens ne sont pas moins intéressés par les affaires de la cité mais cela se manifeste différemment.
Comment retrouver plus de confiance ?
Même si la démocratie participative répond localement à une forte demande sociale en regroupant les nouvelles formes d’implication des citoyens dans les décisions tels que les conseils de quartier, elle est insuffisante pour renouveler à elle seule la démocratie. Il faut donc mettre en œuvre un ensemble de réformes pour restaurer la confiance des citoyens dans le système politique, et aussi un effort à mener pour argumenter et donner plus de lisibilité à l’action politique.
Reconstruire le sens de l’action politique est une exigence démocratique afin de rendre visibles les arbitrages à faire, les conflits à gérer, les décisions à prendre. Dans le fonctionnement de la démocratie, la connaissance sociale joue un rôle fondamental pour insuffler des éléments nouveaux de discussion et de réflexion. Il faut également organiser l’exercice de la responsabilité politique qui est faible en France, ce que les citoyens ressentent fortement. Le propre de la politique, c’est que le pouvoir se renforce quand il accepte de se remettre en cause. C’est seulement à partir de ces trois éléments que la confiance des citoyens dans leurs institutions pourra être restaurée.
Sans la défense des souverainetés nationales, que deviendraient les idéaux de la résistance enracinés dans l’histoire française, la France combattante du général De Gaulle à Londres ou sur le territoire national avec Jean Moulin inspirant les grandes réformes de la Libération ?
Par des moments forts de notre histoire, la fin de la IIIème République, la défaite de 1940, la France libre, l’organisation du gouvernement provisoire à la Libération, le début de la IVème République, nous sommes les héritiers d’un état restauré par Charles De Gaulle pour notre liberté. Il n’y a jamais eu de plus belle ambition que celle du général De Gaulle pour le redressement de la France, pour l’honneur de la France. Celui qui a toujours su s’adapter aux circonstances, façonnera la Vème République par la primauté présidentielle, le concours direct du peuple contre les partis politiques avec pour toile de fond les référendums et l’élection présidentielle au suffrage universel.
Les institutions sont pour toujours notre socle commun !
*Christine ALFARGE Secrétaire générale de l'Académie du Gaullisme.
© 01.10.2025