Le Colonel Passy
Le maître espion du général de Gaulle
par Olivier Cariguel,
André Dewavrin, alias colonel Passy, fut l’un des compagnons de la première heure du général De Gaulle, esseulé à Londres en juin 1940. Son entretien d’embauche, glacial, lui laissa « une effroyable impression ». Jeune polytechnicien de 29 ans, officier d’active parlant anglais, il se vit confier la mission de monter ex nihilo les services de renseignement de la France libre. Tout était à créer. Sans expérience en la matière, il réussit à inventer le futur Bureau central de renseignements et d’action (BCRA) et figure à ce titre « parmi les quatre ou cinq hommes sans qui, aux côtés du général de Gaulle, la France libre n’aurait pas été ce qu’elle fut », jugea Jean-Louis Crémieux-Brilhac.
Spécialiste des services secrets gaullistes, Sébastien Albertelli côtoie depuis plus de vingt ans le colonel Passy au fil de ses recherches. Pionnière, sa biographie fondée sur des archives inaccessibles mais amputée de l’apport des archives personnelles de Passy, que sa famille lui interdit à la dernière minute d’utiliser, explique comment et pourquoi cet homme au parcours éclatant et dramatique eut une carrière brisée en 1946.
Contraint de démissionner sur injonction du chef du gouvernement Félix Gouin, inquiet de la puissance des services secrets trop liés au général de Gaulle, Passy va essuyer ce que l’on a appelé « l’affaire Passy ». Elle l’obligea à se retirer définitivement des affaires publiques. Incarcéré à Thionville et à Metz, il payait deux fautes lourdes, démontre Sébastien Albertelli, qui tord le cou aux légendes nombreuses sur l’affaire.
Il avait d’abord dissimulé à son successeur des fonds spéciaux alimentant une caisse noire, au prix de manipulations comptables. La crainte d’une invasion de la France justifiait la constitution de cette réserve au cas où il faudrait reprendre le combat sous la bannière gaulliste. Son tort fut de n’en avoir rien dit. Deuxièmement, on lui reprocha une utilisation de ces fonds pour « réaliser personnellement une spéculation ».
A-t-il « mangé la grenouille », selon une expression surannée en vogue à l’époque ? L’opprobre jeté sur son nom ne fut symboliquement levé qu’en 2022, lorsqu’il fut donné à une place de Neuilly-sur-Seine, où il vivait depuis la Libération et où il a été inhumé. Tardive reconnaissance pour un « grand serviteur de l’État ».
© 01.03.2023