La droite paye pour avoir oublié le gaullisme, - Académie du gaullisme

Académie du Gaullisme
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Secrétaire générale Christine ALFARGE
Président-fondateur Jacques DAUER
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La droite paye pour avoir oublié le gaullisme,
le peuple, et l'État"
Entretien avec Arnaud Teyssier



L'abandon de la question sociale, la conversion au néolibéralisme, une décentralisation mal pensée, et l'adhésion sans réserve à une Europe fédérale ont conduit à l'écartèlement de la droite de gouvernement entre le macronisme et le lepénisme, explique l'historien Arnaud Teyssier. Qui rappelle la sentence prémonitoire de Philippe Séguin : « Un jour, le front républicain mettra Le Pen à 40 % ».
Marianne : La victoire d'Emmanuel Macron est-elle celle de la stabilité, voire d'un certain conservatisme, comme l'affirment plusieurs observateurs?
Arnaud Teyssier: Ce vote – tout le monde l’a bien perçu – a été dominé par un sentiment d'inquiétude, et même d'angoisse, bien plus large et général que le seul effet de la mobilisation un peu rituelle contre « l’extrême droite ». La crise internationale et le Covid, la crainte de remous économiques graves en cas de victoire de Marine Le Pen, ont eu un effet profond sur la société, et c’est aussi, en ce sens, une victoire très « conservatrice » pour le président sortant, comme en témoignent l’importance du vote massif des « seniors » en sa faveur, ainsi que celui des grandes métropoles. L’atmosphère qui avait entouré l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, et qui était placée sous le signe de son livre Révolution (XO, 2016) était tout autre, même si, loin de toute vague de réel enthousiasme, la distribution des cartes avait été très prosaïquement modifiée par le retrait de François Hollande et les conséquences médiatiques de « l’affaire Fillon ».
« Une stabilité pour soi, désengagée de tout projet collectif. »
Il y a donc, de la part d’une partie de notre société bien lotie ou vieillissante, une aspiration à la stabilité, mais une stabilité pour soi, désengagée de tout projet collectif. La France qui travaille ne s’y retrouve que minoritairement. Car cette apparente stabilité dissimule de plus en plus mal les multiples fractures plus profondes – notamment générationnelle, entre actifs et non-actifs –, mais également les inégalités qui se creusent entre les différentes composantes du territoire français – expression que je préfère à celle, plurielle, « de territoires » – et qui traduisent, en réalité, un véritable éclatement de la communauté nationale bien plus qu’une chatoyante diversité... La sociologie électorale de la dernière élection présidentielle confirme de manière éclatante les analyses désormais classiques – même si les angles pris par ces auteurs sont parfois différents – de Christophe Guilluy, Jérôme Fourquet, Jean-Pierre Le Goff, Marcel Gauchet.
Que reste-t-il de la droite politique?
Le système mis en place dès 2017 par Emmanuel Macron – qui repose sur une synthèse du néolibéralisme et de la gauche sociétale – devrait finir d’absorber sans trop de difficultés les restes du dispositif institutionnel de la droite. Je parle bien du dispositif institutionnel, des formations partisanes, des élus, ceux du moins qui ne disposent pas de position de repli local. Mais l'électorat, c’est autre chose: il est parti très largement chez Marine Le Pen, et chez Éric Zemmour. Le problème historique de la droite apparaît très clairement dans cette élection : elle a totalement perdu le peuple, en tout cas une partie de la société qui ne se résumait pas à la bourgeoisie urbaine, alors que le grand projet du gaullisme a toujours été de rassembler bien au-delà de ces frontières. C’était le projet de la Libération, du Rassemblement du peuple français à la fin des années quarante et au début des années cinquante, que de Gaulle a voulu revitaliser lors de son second mandat, à partir de 1965, avec la participation dans l’entreprise et la création des régions.
« La droite s'est mise à "tirer dans le tas" »
Ce projet n’était pas encore abandonné lorsque Jacques Chirac a créé le RPR en 1976: il y avait toujours lidée de « rassembler ». Puis la gauche est venue en 1981, avec sa première phase, courte mais très doctrinale, marquée notamment par le train des nationalisations et l’explosion des transferts sociaux. Lorsque la droite est revenue au pouvoir, en 1986, elle s’est mise à copier servilement – encore que très partiellement dans les faits – la politique de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne et celle de Ronald Reagan aux États-Unis, mais en se trompant de cible idéologique: visant au démantèlement de l’étatisme mitterrandien, elle sest mise en réalité à « tirer dans le tas », à renier l’État séculaire, l’État gaullien, l’État régalien, mais aussi l’État social des origines, qui préexistaient au mitterrandisme et formaient la substance même de la Ve République. Une partie de la haute fonction publique s’est même laissée subvertir par cette approche, pendant que le parti socialiste lui-même, dans une conversion aussi rapide que désordonnée, amorçait dès 1985 un même reniement de ses propres convictions.
« Un jour, le front républicain mettra Le Pen à 40 %. » Philippe Séguin
Pendant toutes les années quatre-vingt-dix, Philippe Séguin a tonné, littéralement, contre cette conversion erratique et suicidaire, soutenant qu’il fallait arrêter de « dégaulliser » la droite et le RPR, préserver la dimension sociale, rassembleuse et patriote du gaullisme, sans bien entendu renoncer aux réformes de structure qui ont toujours été au cœur de la Ve République. Sinon, il n'y aurait plus de rassemblement, mais seulement une droite classique qui tendrait inéluctablement à se confondre avec le centre. C’est très exactement ce qui s’est produit avec la création de l’UMP, puis de LR, qui ont fini par se fondre dans un ensemble informe, au centre de la politique française.
La prédiction de Séguin s’est accomplie, lui qui annonçait dès 1991 (vous apprécierez la précision jusque dans les chiffres): « Un jour, le front républicain mettra Le Pen à 40 % ». En expliquant que les partis, en ne proposant qu’une seule et même politique économique, sociale, européenne, et en rejetant leur propre électorat en déperdition au nom d'arguments moraux ronflants et sonores, allaient perdre le peuple et la droite authentiquement de tradition gaullienne. Pourtant, Séguin refusait clairement toute alliance avec le Front national, il était ontologiquement attaché à des principes qui, pour lui, se confondaient avec le gaullisme et n’étaient pas assimilables par les dirigeants de l’extrême droite. Mais il voyait le cadavre, nourri par tant de non-dits et de reniements, grossir inéluctablement au fond du placard, selon une progression géométrique, comme dans la pièce de Ionesco, Amédée ou comment s’en débarrasser. Aujourd’hui, le cadavre a même dépassé les 40 %!
C’est donc le chiraquisme qui a tué la droite?
Oui, incontestablement. Avec l'abandon de la question sociale, avec la conversion (seulement partielle dans les faits) au néolibéralisme, la relance sans réflexion ni bilan préalable d’une décentralisation mal pensée, et l'adhésion sans réserve – et sans réelle conviction pourtant – à l’objectif d’une Europe fédérale. Ajoutez la perte de confiance dans la capacité à réformer et à moderniser le pays, un certain fatalisme. Une perte de confiance dans la France et au fond une piètre image des Français, accusés – c’est bien commode – d’être trop conservateurs.
*Propos recueillis par Etienne Campion Publié dans Marianne le 29/04/2022


© 01.05.2022

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