SI NOUS PARLIONS DISSUASION? Christine Alfarge - Académie du gaullisme

Académie du Gaullisme
Président Jacques Myard
Secrétaire générale Christine ALFARGE
Président-fondateur Jacques DAUER
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SI NOUS PARLIONS DISSUASION?   
« Le génie de la France, c’est  d’éclairer l’univers tout en gardant les mains libres  
    et son indépendance pour être fidèle à elle-même. »  
   Charles De Gaulle
       
par Christine Alfarge,
La politique étrangère de la France était l’une des préoccupations majeures du général De Gaulle. Il avait à l’esprit en permanence que la France devait acquérir et conserver l’autonomie de ses décisions politiques conformément à ses intérêts propres, décidant en toute liberté de ses actions. L’une des conditions nécessaires à cette autonomie des décisions politiques résidait dans la capacité d’assumer par ses propres moyens la défense de son territoire contre les agressions militaires directes menaçant les intérêts vitaux de la nation, de fait, le choix de la dissuasion nucléaire s’imposait durablement.
« Son obstination à faire de notre pays une puissance nucléaire ne s’explique pas seulement par la volonté politique et militaire de disposer des armes les plus puissantes mais aussi parce que ces armes, mieux que tout, assurent le succès d’une stratégie de dissuasion, donc de paix. » écrivait Pierre   Messmer.
L’élaboration de la stratégie française de   dissuasion nucléaire.
À partir de l’année 1954, la Revue de Défense nationale permettra aux militaires favorables au domaine nucléaire de convaincre l’opinion publique et d’expliquer de façon pédagogique les enjeux politiques et militaires de la stratégie nucléaire. Dès 1956, les généraux Gallois et Ailleret seront les premiers militaires proches des milieux politiques à élaborer la stratégie nucléaire en elle-même et c’est le général Girardot qui suggérera le choix d’une stratégie française de représailles contre tout agresseur dont le principe sera retenu par la future politique militaire de la Ve République. De Gaulle s’occupait très peu des questions techniques de la dissuasion nucléaire, il aborda plus les questions de politique extérieure globale et comment utiliser la force de dissuasion dans un contexte d’ensemble. La pensée du Général de Gaulle concernant la politique militaire résultait d’une doctrine cohérente qui s’était déjà concrétisée dans les années 1949-1955. Son discours de Pont-Saint-Esprit le 9 novembre 1951 dessine sa conception politique et militaire qui sera sa feuille de route dès son arrivée au pouvoir. Son but suprême était de redonner à la France un statut de puissance et un rôle incontournable notamment redevenir la première puissance militaire en Europe.
Il condamnait le projet de « Communauté européenne de Défense » (la CED) qui prévoyait l’institution d’une armée européenne sous une autorité supranationale. Au regard de l’histoire, rappelons-nous qu’après son départ en 1946, le Général de Gaulle était intervenu dès 1951 contre ce projet de Communauté européenne de défense. Il n’acceptait pas le principe de l’abandon de l’autonomie de la défense de la France au bénéfice de quiconque.
En avril 1954, le Général de Gaulle énoncera les fondements de la politique extérieure et militaire qu’il mettra en œuvre après 1958-1959, comme Président de la Vème République : « dégager la France de sa soumission aux Alliés, pour lui rendre avec une défense nationale, sa liberté d’action, c’est-à-dire son indépendance, et en faire à nouveau une puissance au moyen d’un armement nucléaire approprié à ses  ressources. »
La France dans L’Otan en 1956-1958
Avant le retour au pouvoir du Général, la France manifeste déjà des réticences vis-à-vis de l’Otan, elle se voit reléguée au second plan de l’organisation. La solidarité de l’Alliance atlantique se fissure au moment de la crise de Suez entre la France et ses Alliés qui par ailleurs ne voient pas d’un très bon œil sa nouvelle doctrine stratégique géopolitique, euro-africaine insistant sur l’unité de la défense occidentale en Europe, Afrique, de l’Atlantique jusqu’à la Méditerranée orientale. Au regard de ces profonds désaccords, le gouvernement français de l’époque a même menacé de revoir la position de la France au sein de l’Alliance bien avant l’avènement de la Ve République.
Cette politique marquera les prémices de celle que mènera le général De Gaulle à partir de l’été 1958 à l’égard de l’Alliance atlantique, et pour doter la France d’un armement nucléaire. La période de 1958 à celle de la fin 1962 sera influencée par la guerre en Algérie puis par la paix et l’indépendance de ce pays. Tant que dura le conflit algérien, le général De Gaulle ne put mener une grande politique à l’extérieur. À partir de 1963 jusqu’à la fin de 1965, la France se désengage progressivement de ses obligations de partenaire de l’Otan soutenant une querelle autour du projet des forces multilatérales intégrées et de la stratégie nucléaire de l’Otan.
Lors d’une rencontre entre le général De Gaulle et Macmillan à Rambouillet quelques jours avant le Conseil des ministres du 19 décembre 1962, ce dernier dit au général que la Grande-Bretagne est décidée à conserver sa force nucléaire nationale, qu’il est déçu par l’attitude des   États-Unis et n’est absolument pas opposé à ce que nous fassions notre propre force nucléaire, mais il souhaiterait que nous coordonnions nos efforts et nos stratégies. Le général De Gaulle lui répond : « Nous ne   pouvons qu’être d’accord pour coordonner, dès lors que nous sommes indépendants. ».
La dissuasion conçue par la stratégie française devait empêcher tout agresseur à passer à l’action, par la menace de représailles nucléaires visant ses populations et ses centres économiques vitaux. Cette force de représailles n’avait pas pour but la puissance afin d’attaquer la première mais elle était conçue comme une riposte graduée et une protection efficace par rapport aux résultats recherchés, et non aux forces de l’adversaire si puissant soit-il. Selon Pierre Messmer : « D’une   façon générale, l’autonomie est nécessaire pour que la France ne soit pas entraînée là où elle ne voudrait pas aller, elle est utile pour permettre des   initiatives, le moment venu. Elle serait paralysée par une intégration des forces françaises dans un ensemble où elles ne relèveraient plus du commandement national. C’est pourquoi De Gaulle avait été farouchement   opposé à la CED, dans les années cinquante, et est sorti du commandement intégré de l’OTAN, dans les années soixante. »
La stratégie du général De Gaulle est une stratégie de paix.
C’est donc à son retour en 1958 que le général De Gaulle décida de tout mettre en œuvre pour doter la France de l’arme qui déciderait de la guerre ou de la paix. Lors d’une allocution prononcée le 3 novembre 1959 à l’Ecole militaire devant les membres de l’Institut des hautes études de défense nationale, il s’exprimait : « il faut que la   défense de la France soit française ». Toute la politique de défense nationale du général en découlera pendant son temps aux responsabilités alors que certains milieux civils et militaires souhaitaient ardemment une défense   intégrée au niveau européen. Il affirmera : « le système de l’intégration a vécu » et annoncera dans la foulée, la constitution d’une force de frappe atomique française, dite « de dissuasion ».
Le 13 février 1960, la première bombe atomique française explose au Sahara, cet évènement changera complètement la politique de défense de la France devenant intouchable. Il ne serait plus question à l’avenir de faire la guerre force contre force en Europe, la bataille de chars lourds ne serait plus envisagée, personne ne prendrait le risque de représailles nucléaires sur son propre territoire.
La stratégie gaulliste est une stratégie de moyens.
Ce qui inspirait le général De Gaulle dans son action extérieure comme dans sa vision historique de la France, était la certitude que la seule réalité, dans l’histoire et les sociétés, c’est la nation. La politique étrangère gaullienne est avant tout celle de la légitimité. Durant ses onze années à la tête de l’État entre 1958 et 1969, le général De Gaulle base en premier sa stratégie diplomatique sur l’indépendance, c’était la clé de voûte de la pensée gaulliste. D’où la nécessité de posséder une force de frappe nucléaire, quitter le commandement intégré de l’Otan et exprimer une voix différente, refusant la confrontation des blocs, tout en restant fidèle à l’Alliance atlantique et à l’Occident. Cette ligne se situe dans le contexte de la guerre froide afin de lutter contre l’hégémonie des USA et de l’ex URSS. Cela n’empêcha pas la France de s’émanciper de la tutelle américaine tout en restant son allié lors de la crise de Cuba en 1962. Sur son action internationale, le général De Gaulle écrivait dans ses « Mémoires d’espoir » : « Il   est indispensable que ce que nous disons et ce que nous faisons, le soit indépendamment des autres. »
La force française de dissuasion est un des aspects stratégiques de la politique militaire du Général de Gaulle, devenue un instrument politique déterminant pour soutenir la politique extérieure en défendant les intérêts de la France. « Son objectif est de construire, d’organiser, d’entretenir des forces suffisantes pour protéger la France contre une agression, d’où qu’elle vienne, menaçant ses intérêts vitaux et pour respecter ses engagements internationaux. Projet qui engage irrévocablement le pays tout entier et non seulement ses armées sur une voie nouvelle, pleine d’embûches, l’armement nucléaire. » écrivait Pierre Messmer.
Pendant le conseil des ministres du 19 décembre 1962, Couve de Murville rend compte de la réunion du Conseil de l’Otan à Paris : « Les Américains veulent augmenter la participation des Européens en forces conventionnelles. Pour ce qui est des forces nucléaires, ils ont fait allusion à une force atomique   multilatérale. » Après le Conseil, De Gaulle décide de préparer   une conférence de presse au 14 janvier 1963 dans laquelle il souhaite traiter entre autres la question sur les accords des Bahamas lorsqu’ils seront connus à l’issue de la conférence de Nassau du 21 décembre 1962 et celle de la position française vis-à-vis de la force multilatérale devenue pour lui un thème essentiel. Sa prudence légendaire allait encore une fois lui donner raison, l’Angleterre avait finalement accepté la proposition américaine signant l’accord de Nassau avec le président Kennedy.
 Les Américains proposent à la France un accord semblable de coopération nucléaire, la force multilatérale, mais De Gaulle décline l’offre américaine avec les formes, pour lui, c’est une question technique et une question de principe : « Il n’y a pas de rapport entre la situation de la Grande-Bretagne et la nôtre … Notre défense est la condition même de notre politique.
Elle doit rester la nôtre. Il ne s’agit pas pour   nous de nous doter d’une force équivalente à celle des Américains et des Russes. Nous ne sommes pas dans le domaine des armes conventionnelles, mais dans le domaine de la dissuasion. La question n’est pas de se hisser au même niveau que celui d’en face. La question est de représenter une capacité de représailles suffisante pour le faire renoncer à l’agression. ».
La force multilatérale avait pour but de limiter le nombre de puissances militaires, et d’établir dans l’Otan un contrôle central américain sur les armes atomiques. Le général Gallois pensait que « le renforcement de l’intégration militaire au sein de l’Otan, constituait une réponse à l’armement nucléaire de la France », ce qui explique en partie la décision du général De Gaulle de se retirer le 7 mars 1966 du commandement militaire intégré de l’Otan. La possession par la France d’un armement nucléaire national lui permettait par ses propres moyens de devenir une puissance atomique et d’assumer ses responsabilités politiques et stratégiques.
Quelle stratégie nucléaire française après De Gaulle ?
Une stratégie nationale, celle de la France, est par nature autonome. Concernant l’arme nucléaire, notre autonomie de décision est inaliénable, on n’imagine pas que le président de la République y renonce ni pour ceux qui viendront après lui. Basée essentiellement sur la force de dissuasion nucléaire, la politique française de défense nationale engagée dès   les débuts de la Vème République demeurera inchangée avec tous les successeurs du général De Gaulle, malgré les évolutions du contexte international. « Les successeurs à l’Elysée du général De Gaulle, sans réaffirmer publiquement cette politique « tous azimuts » n’y ont jamais renoncé. » écrivait Pierre Messmer. De 1960 à 1980, les réalisations françaises au niveau de la force nucléaire sont très significatives, telles les forces aériennes stratégiques composées de Mirage IV, les missiles balistiques, les armes nucléaires tactiques et le développement de la force océanique stratégique décidé par le général De Gaulle depuis mars 1968. En 1978, la construction d’un sixième sous-marin nucléaire nommé l’Inflexible, sera ordonnée par le Président Giscard d’Estaing.
Les énormes progrès de l’armement nucléaire français positionnent la France à la troisième place des puissances nucléaires, derrière les États-Unis et l’URSS, mais avant la Grande-Bretagne. Le général De Gaulle, par son choix du nucléaire, a permis la construction d’une gigantesque infrastructure concernant l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques, il a réussi à obtenir la reconnaissance des Alliés et le statut pour la France de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies parmi les cinq puissances nucléaires déclarées lui permettant de peser sur les relations internationales.
« La stratégie gaulliste tire sa force de sa parfaite cohérence avec la politique étrangère. » écrivait Pierre Messmer. S’il existe un domaine où il doit y avoir un consensus national, c’est bien celui de la Défense garante de la souveraineté nationale, du développement technologique, scientifique, de notre protection sur l’ensemble du territoire français.
Aujourd’hui la dissuasion nucléaire et les moyens de la mettre en œuvre ne doivent en aucun cas être remis en cause car il serait   périlleux pour notre avenir d’opposer des contraintes budgétaires à la souveraineté nationale. Pierre Messmer qui fut Ministre des Armées du 5 février 1960 au 22 juin 1969, écrivait : « J’ai approuvé et exécuté sans état d’âme la stratégie gaulliste, au début de confiance et presque les yeux fermés. Peu à peu, au contact des réalités internationales, mes yeux se sont ouverts, et j’ai appliqué les directives du général De Gaulle avec d’autant plus de détermination que ma confiance était renforcée par les certitudes que l’expérience m’avait apportées. Il ne s’agit pas d’imiter ce qu’il a fait mais d’appliquer à des situations nouvelles ses principes, qui n’ont pas vieilli. »
  
La dissuasion nucléaire est permanente.
  
               *Christine ALFARGE Secrétaire générale de l'Académie du Gaullisme.
               

© 01.03.2023

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