Les rapports de la CNUCED des années 2011, 2012, 2013 et 2014
sur les investissements dans le monde révèlent :
l'ampleur et la vive progression des flux d'investissements
directs à l'étranger (IDE) avec la mondialisation :
- partis de 208 milliards de dollars (Mds $) en 1990, les «
entrées » totales d'IDE dans les pays de destination se sont élevés jusqu'à 1
900 Mds $ en 2007: la grande crise les a fait reculer à 1 452 Mds en 2013,
- parallèlement, les « sorties » d'IDE des pays investisseurs
sont montés à 1 411 Mds en 2013 ;
les montants colossaux des « stocks »
accumulés d'IDE, qui ont atteint 26 300 Mds $ dans les pays investisseurs et 25
500 Mds dans les pays de destination ;
le poids considérable des filiales
étrangères des firmes transnationales, illustrés en 2013 par une Valeur ajoutée
de 7 490 Mds $ (10 % du PIB mondial) un montant total d'actifs de 96.620 Mds,
des exportations de biens et de services de 7 720 Mds (le tiers des exports
mondiaux) et 70,7 millions d'emplois. Et il ne s'agit ici que des filiales
étrangères, sans leurs « maisons mères » avec leurs filiales dans les mêmes
pays qu'elles.
Le groupe des pays avancés (USA, Japon et pays d'Europe) a
été le plus grand « investisseur » à l'étranger. Prises ensemble, les sorties
d'IDE de ces pays pendant les seules six dernières années, de 2008 à 2013, ont
été de 6 210 Mds $. C'est 2.150 Mds de plus que les IDE entrés sur leurs
territoires (données CNUCED).
Ces sorties nettes de 2.150 Mds ont bénéficié surtout aux
pays en développement et émergents (PED), qui ont enregistré pour 1.800 Mds
d'entrées nettes d'IDE. Parmi ces pays, ceux de l'Amérique latine, avec près
750 Mds, et d'Asie (surtout de l'Est et du Sud-est), avec 700 Mds, se sont taillés les parts des lions.
Indéniablement, les transnationales des pays avancés ont œuvré
à la croissance des PED. Elles les ont préférés à leurs pays d'origine (on
ne peut pas parler de Patries) pour investir. Elles ont joué contre leurs
camps.
Ce sont les transnationales d'Amérique du Nord dont les
sorties nettes d'IDE ont été les plus fortes, 525 Mds $ sur les trois dernières
années, montrant l'appétit d'expansion à l'étranger des USA. Pour l'Union
européenne (UE), la différence entre les sorties, 1.073 Mds et les entrées, 952
Mds, est nettement plus faible. Et les mouvements d'investissements entre les
pays membres y sont importants.
Au classement des pays d'entrées d'IDE en 2013, on
trouve dans l'ordre: la Chine (y compris Hong-Kong), avec 201 Mds, les USA,
avec 188 Mds, la Russie, avec 79 Mds, le Brésil et Singapour, avec 64 Mds. Dans
les 20 premiers se trouvent 7 pays de l'UE.
Dans les vingt premiers pays de sorties des IDE, après les
USA, avec 312 Mds, se trouvent le Japon, avec 136 Mds, la Suisse, avec 60 Mds,
et l'Allemagne avec 58 Mds, ainsi que huit autres pays de l'UE.
La France n'est dans aucune de ces deux catégories. Déjà
repliée sur elle-même... même à l'intérieur de l'UE ?
Des transnationales et des marchés
financiers aux pouvoirs disproportionnés sur l'économie mondiale
En trente ans, le nombre des multinationales a été multiplié
par dix et était de 82.000 en 2011. Elles avaient déployé 790.000 filiales dans
le monde. Les 4/5 de celles-ci étaient originaires des pays avancés, et pour
1/3 américaines. Elles réalisaient les 2/3 du commerce international (source: ubiwiki).
« Bienvenue au Réseau qui contrôle les entreprises dans le
monde: le supra-gouvernement mondial des entreprises. » C'est la traduction du titre de
l'article d'Andrew Gavin Marshall, chercheur indépendant basé à Montréal, posé
sur le site truth-out-org/news
le 07 février 2013. Il donne des précisions sur les « transnationales » les
plus puissantes et leurs pays de résidence.
En 2010, parmi les 150 plus grandes « entités » économiques
du monde, 58 % étaient des transnationales et non des États. La plus grosse, «
l'Américaine » Wal-Mart, avait un chiffre d'affaires supérieur aux PIB de
171 pays.
Parmi les 50 plus grosses transnationales se trouvait une
vingtaine de sociétés financières. Nos trois « françaises »: Total (11e), AXA
(25e) et BNP PARIBAS (30e) faisaient partie des 50.
Dans le cercle mouvant des dix premières françaises en 2010,
on trouvait aussi GDF Suez, Carrefour, Crédit Agricole, Société Générale, GDF,
Peugeot et BPCE.
Certains se réjouiront de voir de telles « stars françaises »
au firmament. Qu'ils regardent leurs investissements en France et les emplois
créés et les comparent à ceux effectués par elles à l'étranger.
L'article précité présente des conclusions d'une étude
géante, publiée en 2011, de trois chercheurs de l'Institut Fédéral de
Technologie de Zurich. Utilisant une base de données portant sur 37 millions de
sociétés et d'investisseurs dans le monde, elle a porté sur les relations entre
43.060 transnationales, incluant les participations en capital les liant. Elle
a « identifié un relativement petit groupe de compagnies, principalement des
banques, qui a un pouvoir disproportionné sur l'économie mondiale ».
80 % du CA total du réseau des 43.060 transnationales était
réalisé par un noyau de 1.318 sociétés ayant des liens avec plusieurs autres
sociétés.
Une « super entité » de 147 sociétés très étroitement liées,
imbriquées, avec des participations croisées, réalisait, à elle seule, 40 % du
CA de tout le réseau.
Ce qui, notaient les auteurs, mettait
aussi en évidence la fragilité d'un système qui, en cas de détresse de l'un de
ses membres, pouvait aisément se propager à l'ensemble.
L'article cite aussi Roger Altman, ex secrétaire adjoint au
Trésor dans l'Administration de Bill Clinton, qui, en décembre 2011, mettait
l'accent dans le Financial Times sur la puissance et le danger que
représentaient des marchés financiers qui « agissaient comme un
supra-gouvernement ». Ils sont capables de débloquer des situations devant
lesquelles des régimes bien établis sont impuissants. Leur influence réduit
celles que peuvent avoir des organismes internationaux comme le FMI. Pour lui, «
Si l'on excepte les inutilisables armes nucléaires, ils sont devenus la plus
grande puissance du monde ». Ils jouent un nouveau rôle politique que l'on
n'arrêtera pas. Et les gouvernements réfractaires n'ont qu'à bien se tenir.
Gare aux représailles, aux attaques spéculatives dévastatrices, en terme de chômage en particulier.
Irréfutables, ces diagnostics confirmaient déjà en 2011 que
les transnationales et les marchés financiers étaient devenus d'inséparables et
de redoutables acteurs économiques et politiques qui, selon les circonstances,
pouvaient être concurrents des états « souverains », pouvaient, délibérément ou
non, les soutenir ou les faire plonger. Les Grecs et les Russes ne contrediront
pas.
Au cours des deux dernières décennies, ils ont joué de
concert à orienter des ressources financières des pays avancés vers
l'investissement dans les pays en développement les plus dynamiques,
contribuant ainsi au « rééquilibrage » que nous observons, et au ralentissement
de l'économie européenne. Dans la « logique » actuelle du système, aucun
changement ne semble devoir être attendu... si ce n'est une accélération des
IDE de sociétés asiatiques et du Moyen Orient vers des « cibles »
judicieusement choisies, notamment en vue d'implantations et d'associations
rentables durables, non sans captations de technologies, il va sans dire.
Et, dans la galaxie des transnationales, on peut s'attendre à
voir celles natives d'Amérique et d'Europe bousculées laisser une place
rapidement croissante aux asiatiques, chinoises en particulier. Jusqu'à devenir
dominante dans 10, 15 ou 20 ans ? Avec quelles conséquences ?
Une frénésie de traités de libre-échange
et de partenariat attisée par un vent froid soufflant depuis les USA
Libéraliser, promouvoir le commerce et les investissements
sont plus que jamais des solutions miracles. Même dans nos pays socialistes ou
socialo démocrates ! Avec ce seul slogan : « la concurrence fait baisser les
prix, pour le bien de tous, pour plus de consommation et de croissance ». Il
faut se libérer de toutes les contraintes, limitations, régulations et autres «
digues protectrices » que pourraient dresser les
États. Après les « performances » jugées insuffisantes de l'OMC, la
multiplication tous azimuts des traités y pourvoit sans désemparer. Des traités
« bilatéraux » de libre échange et de partenariat foisonnent, mais aussi des
accords « régionaux », « transocéaniens », « intercontinentaux », se font, se
défont et se refont. Certains ne demandent qu'à devenir de véritables Unions
régionales. Dans cet enchevêtrement, il semble, paradoxalement, que pays et
unions cherchent à « se protéger » en s'associant et en s'ouvrant davantage au
sein d'ensembles toujours plus vastes.
Les USA supportent mal de perdre la suprématie économique au
profit de la Chine et de ses voisins. Leur alliance avec le Canada et le
Mexique au sein de l'ALENA (ou NAFTA) leur paraît sans doute insuffisante
pour enrayer le déclin (relatif). Alors, voilà de nouveau propulsé sur les
rails le projet de Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement
(TAFTA) entre les USA et l'UE. Avec un super marché commun géant à la
clé. Autre avantage du TAFTA, il empêcherait un éventuel rapprochement entre
l'UE et la Russie, cette dernière étant toujours vue comme une ennemie par les
américains et leur bras armé multinational, l'OTAN.
De l'autre côté, pourquoi ne pas mettre en place un « cordon
sanitaire » autour de la Chine en Asie et aux bords de l'océan Pacifique à
l'aide d'un Accord de partenariat Transpacifique (TPP)
qui aurait aussi le mérite d'ouvrir davantage des marchés orientaux tout en
étendant l'influence des USA.
Ces « démarches » ne se déroulent pas sur des terrains
vierges. Elles viennent perturber des relations déjà complexes et des traités
existants, en négociation ou en projet. De plus, elles provoquent inévitablement
la contrariété et des réactions de défense de la part de la Chine et de la
Russie.
Dans le rapport 2011 de la CNUCED sur l'investissement dans
le monde, on pouvait déjà lire : « Le régime des accords internationaux d'investissement
(AII) est à la croisée des chemins. Avec près de 6.100 accords, de
nombreuses négociations en cours et de multiples mécanismes de règlement des différends,
il est presque devenu trop vaste et trop complexe aussi bien pour les
gouvernements que pour les investisseurs, et pourtant il ne suffit toujours pas
à couvrir toutes les relations bilatérales possibles en matière
d'investissement (il faudrait 14.100 accords bilatéraux supplémentaires)... Les
débats sur l'orientation future du régime des AII et ses incidences sur le
développement ne font que s'intensifier ». De quels « débats » s'agit-il?
Derrière les aimables euphémismes de la CNUCED, une certaine incompréhension
semble percer.
À propos du TAFTA entre les USA et l'UE, la CNUDED relève
dans son rapport 2014 que les entrées d'Investissements directs à l'étranger
(IDE) ont reculé avec la crise dans ces Unions de 56 % à 30 % du total mondial
entre 2007 et 2013. Pourquoi et comment l'Accord va-t-il restaurer
l'attractivité des deux "géants"???
De l'autre côté, le projet d'Accord de partenariat transpacifique (TPP) veut associer douze pays
(actuellement), les USA, le Canada, le Mexique, le Chili, le Pérou,
l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon, Brunei, la Malaisie, Singapour et
le Vietnam. Les liens recherchés vont au-delà du libre-échange sur les plans
économique et politique. Les négociations sont âpres. Plus encore que le TAFTA,
le TPP est accusé de faire le lit des transnationales.
Il est à noter que les douze futurs membres déclarés du TPP
font tous déjà partie des vingt et un adhérents de l'APEC. Cette
Association de Coopération intergouvernementale Asie-Pacifique a été créée en
1989 afin de faciliter la croissance économique, la coopération, les échanges
et l'investissement. Elle est basée sur des engagements non contraignants. Une
réunion des membres de l'APEC a lieu chaque année. La dernière s'est tenue à
Pékin en novembre 2014. En plus des douze pays précités pressentis pour le TPP,
elle comprend: la Corée du Sud, l'Indonésie la Thaïlande, les Philippines,
Hong- Kong, le Taipei chinois, la Chine et la Russie.
Plus ancienne, l'Association des Nations d'Asie du Sud- Est (ASEAN),
née en 1967, compte dix pays membres depuis 1999: l'Indonésie, la Malaisie, les
Philippines, Singapour, la Thaïlande, Brunei, le Laos, le Vietnam, la Birmanie
et le Cambodge. Elle négocie actuellement un Accord de Partenariat Économique
Régional intégral (RCEP) avec six autres pays qui ont signé avec elle
des Accords de libre-échange (ALE). Ces pays sont: l'Australie, la Chine,
l'Inde, le Japon, la République de Corée et la Nouvelle-Zélande.
Comment tous ces accords peuvent-ils être rendus «
compatibles » et que changeront-ils ? Ne sont-ce, en
réalité, que des pas désordonnés et des tentatives de « géostratégies »
alambiquées se neutralisant les unes les autres, qui vont finalement,
à moyen ou long terme, aboutir à des
règles mondiales communes ou harmonisées, comme le désirent les groupes
internationaux... ou, la plupart des pays désirant conserver à l'abri de la
concurrence (loyale ou non) certains marchés ou secteurs jugés stratégiques, à
de nombreux inextricables « cafouillages ».
Pour le moment, l'Amérique latine n'a été touchée par ces
grandes manœuvres qu'avec l'adhésion de deux longs riverains du Pacifique, le
Chili et le Pérou. Tous deux sont dans l'APEC. Le Chili a aussi souscrit au
projet de TPP. Il faut dire que le MERCOSUR, créé en 1991, a été le
troisième marché intégré au monde, après l'UE et l'ALENA. En font partie le
Brésil, l'Argentine, le Paraguay, l'Uruguay et le Venezuela. Depuis 2004, le
Mercosur prévoit de fusionner avec la Communauté andine des nations (CAN)
qui, elle- même, comprend la Bolivie, la Colombie et le Pérou, et aussi
d'intégrer le Chili, Guyana et le Suriname. Une grande Union de l'Amérique
latine en gestation ?
En Europe et en Asie, les jeux ne sont pas faits pour tout le
monde. Au sommet de l'APEC du 11 novembre, Poutine a proposé d'étudier la
création d'une Zone de libre-échange d'Asie-Pacifique Est. Du côté de l'Europe,
il a indiqué le 7 décembre (voir : ria.ru) qu'il voudrait mettre en place une
zone de libre-échange entre l'UE et l'Union Economique Eurasiatique (UEEA).
Cette dernière, qui sera lancée le 1er janvier 2015 comprend la Russie, la
Biélorussie, le Kazakhstan et, depuis le 14 octobre, l'Arménie. Le Kirghizstan
a annoncé son intention d'adhérer.
L'Europe aurait intérêt à ne pas prendre cette proposition à
la légère. Les ressources de la Russie et de ses partenaires sont considérables.
Par leur complémentarité, UE et UEEA, tireraient profit de leur mise en valeur
ensemble. Pour sa part, le traité transatlantique (TAFTA) est un miroir aux
alouettes pour eurobéats craintifs. Les USA et leurs
puissantes transnationales resteront surtout des concurrents économiques, mieux
introduits.
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