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LES LANGUES RÉGIONALES
SONT LES ARMES ET LES OTAGES
DE L’ORDRE ETHNIQUE
par Yvonne Bollmann,
auteur de « La Bataille des langues en Europe » (Bartillat, 2001)
Le 22 mai, l’Assemblée nationale a introduit la
reconnaissance des langues régionales dans le projet de réforme de la
Constitution. Lors du débat qui a précédé le vote, il fut décidé que ce serait
non pas dans son article 2, où le français est défini comme « la langue de la
République », mais dans l’article 1er. Cela n’est pas sans conséquences.
Langues régionales, territoires et « minorités »
Le président de la commission des Lois, Jean-Luc Warsmann, a affirmé que « notre logique n’est évidemment
pas d’opposer le français aux langues régionales, mais (…) de compléter
l’article premier de la Constitution en vue d’affirmer que ces langues appartiennent
au patrimoine de la France ». Le garde des sceaux a de son côté estimé «
logique » de les mentionner « dans l’article 1er, qui spécifie que la
République est décentralisée, plutôt que de sembler les opposer au français à
l’article 2 ».
Mais le rapport ainsi établi entre
décentralisation et langues régionales accentue le caractère « régional » de
celles-ci et donc, pour reprendre les termes du député Claude Goasguen, le « critère géographique » qui en est, à côté du
« critère linguistique », l’une des deux composantes. Tout cela ne serait que
pléonasme si ce rapprochement ne renforçait pas l’effet de territorialisation
des langues dites régionales et de leurs locuteurs. On peut voir dans « La clef
», l’atlas ethno-linguistique publié en 1998 par le
peintre Ben Ben VAUTIER, [1], jusqu’où peut mener un
tel processus, quand langue est synonyme d’ethnie.
Il y a dans cet ouvrage, pour chaque pays, un «
tableau des compositions ethniques » indiquant « le nombre de locuteurs ou
d’individus originaires de chaque communauté linguistique vivant sur le
territoire de l’Etat analysé ». Dans sa préface, Ben signale que « les tableaux
des populations de ce livre distinguent les minorités territoriales et
minorités non territoriales ». Pour la France, les « minorités territoriales »,
dites « ethnies », sont chez lui au nombre de huit : les Français (59% de la
population), les Occitans, les Alsaciens-Mosellans, les Basques, les Bretons,
les Corses, les Flamands, les Catalans ; seuls les « Français » ne parlent
qu’une langue, le « français littéraire et dialectal » ; les langues
mentionnées pour les autres sont d’abord leur propre dialecte, puis leur
français régional, et enfin le français.
Et puis il y a les « minorités non territoriales
», dites « autres minorités », que seraient, par ordre décroissant de leur part
dans la population, les Berbères, les Arabes, les Portugais, les Juifs, les
Afro-Antillais, les Arméniens, les Tsiganes ; pour eux tous aussi, le français
figure en dernier, après la langues (ou les langues) de leur « communauté
linguistique » ; les Anatoliens, les Est-Asiatiques, les Africains noirs, qui
suivent dans la liste, n’ont pas le français comme langue ; quant aux 3% d’ «
Autres », ils parlent des langues « diverses ». Les citoyens français non classés
comme « Français » dans ce tableau en deux parties apprécieront, tout comme
ceux censés être moins chez eux en France que d’autres.
L’écriture d’enfant de l’artiste Ben ne laisse pas
transparaître la cruauté dans la ségrégation qu’implique son classement en «
minorités territoriales » et « minorités non territoriales ». Il ne s’agit pas,
écrit-il, « de voir dans cette distinction un refus de reconnaître le droit des
minorités non territoriales de ne pas être chez elles sur le territoire de
l’Etat analysé, mais comme une indication montrant que ces communautés
possèdent ou devraient posséder (ex : pour les Gitans) un territoire mère en
dehors du territoire de l’Etat en question ». Les droits à leur culture, leur
langue, leur religion des « communautés étrangères vivant sur le territoire
d’une autre ethnie » existent « sous forme de chartes de droits pour les
minorités », telles que les ont rédigées « le Conseil de l’Europe et les
Nations Unies ». Voilà bien l’esprit de la charte européenne des langues régionales
ou minoritaires, contraire au principe de l’égalité devant la loi de tous les
citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion !
Lors du débat à l’Assemblée nationale, Jean-Luc Warsmann a déclaré que la mention des langues régionales
dans la Constitution « ne serait pas créatrice de droits nouveaux, en
particulier celui d’exiger la traduction des documents administratifs », et qu’
« elle ne vise pas à permettre à des groupes ou à des particuliers de poser une
quelconque revendication ». C’était une façon de rappeler la séance du 7 mai ;
le ministre de la culture et de la communication avait alors affirmé que dans
le domaine des médias, de l’enseignement, des activités culturelles, des
autorités administratives, des services publics, « la France va en fait bien
au-delà des objectifs de la charte européenne des langues régionales ou
minoritaires », et que « le gouvernement ne souhaite pas s’engager dans un
processus de révision constitutionnelle pour ratifier (cette) charte ».
Certains, toutefois, ne l’entendent pas de cette
oreille. Le député Jean-Jacques Urvoas a dit que
l’amendement sur les langues régionales s’impose, car « à défaut la loi
annoncée par Madame Albanel rencontrerait des
obstacles », et il a reconnu que « grâce à cet amendement, nous levons un
obstacle à l’épanouissement des langues régionales » ; mais il a ajouté que «
la loi prévue ne suffira pourtant pas à l’assurer », ce qui sonne comme une
invitation à ratifier la charte des langues. Claude Goasguen
a certes rappelé que l’amendement sur les langues régionales « n’a rien à voir
avec la Charte, dont la ratification suppose un acte indépendant de toute
stipulation constitutionnelle » ; cela n’a pas empêché Françoise
Olivier-Coupeau, député du Morbihan, présidente du groupe d’étude sur les
langues régionales au Parlement, de saluer aussitôt son adoption, et de le
présenter comme « un premier pas, qui autorisera juridiquement la ratification
par la France de la charte européenne des langues régionales ».
La FUEV/UFCE applaudit
Le même 22 mai s’est ouvert à Pecs (Hongrie), pour
trois jours, le 53ème Congrès des Nationalités de la FUEV/UFCE (Föderalistische Union Europäischer
Volksgruppen/Union Fédéraliste des Communautés
Ethniques Européennes). Les participants ont salué les bonnes nouvelles en
provenance de Paris, cette décision par laquelle la France venait de « poser un
jalon sur le chemin considéré comme difficile vers la définition de droits
collectifs pour les minorités dans l’UE » (Frankfurter
Allgemeine Zeitung du 28 mai 2008). La FUEV/UFCE, qui a son siège dans le
Schleswig-Holstein, est l’un des maîtres d’œuvre de la charte des langues. Lors
de ce congrès, elle a fait savoir qu’elle avait obtenu le statut d’observateur
au sein du Comité d’experts sur les questions relatives à la protection des
minorités nationales (DH-MIN) du Conseil de l’Europe ; la présidente de ce
comité d’experts, Judit Solymosi,
était d’ailleurs présente à Pecs, où elle a tenu un discours de bienvenue.
Au congrès de la FUEV/UFCE, il y avait aussi parmi
les intervenants le socialiste hongrois Csaba Tabaidi, président de l’Intergroupe Minorités nationales
traditionnelles, régions constitutionnelles et langues régionales du Parlement
européen. Le 18 mai 2006, lors d’une réunion avec les représentants de la
commission langues et cultures régionales de l’Association des régions de
France et du Comité français du bureau européen des langues moins répandues
(EBLUL-France), il avait souhaité, dans une déclaration, que la France «
ratifie la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, signe et
ratifie la Convention cadre européenne sur les minorités nationales, ratifie le
Protocole 12 à la Convention européenne des droits de l’homme, lève ses
réserves sur l’article 27 du Pacte des droits civils et politiques et l’article
30 de la Convention des droits de l’enfant », et qu’elle « reconnaisse
pleinement le droit à l’existence des citoyens et peuples qui la composent dans
leur spécificité, notamment à travers un système d’éducation, des médias et un
espace public permettant l’expression normale de leurs langues, l’enseignement
de leurs cultures et de leurs histoires » ; il avait également interpellé « les
Etats, et l’Union européenne sur l’urgence des mesures à prendre et sur leur
devoir d’ingérence » en la matière.
Dans un discours rapporté par une newsletter de la
FUEV/UFCE, qu’il a prononcé lors de la présentation en juin 2007, au Parlement
européen, d’un ouvrage sur les "Sources internationales des droits des
minorités nationales et ethniques", Hans-Gert Pöttering a dit vouloir mettre l’accent tout
particulièrement, durant son mandat de président de cette institution
européenne, "sur les droits des minorités et le dialogue
interculturel" ; il a renvoyé au travail de l’Intergroupe présidé par Csaba Tabaidi, et en cautionne
donc aussi les conclusions relatives à la France. L’ouvrage en question a été
présenté avec le parrainage de la présidente du Parlement hongrois, Katlin Szili, qui a rencontré
lors d’une réception, le 23 mai, les participants du congrès de Pecs.
Mais pour l’actuel président du Parlement
européen, ce n’est là qu’une étape dans la mise en œuvre d’un projet plus
vaste. La revue Europa Ethnica, dont le titre est un
programme en soi, et qui est étroitement liée à la FUEV/UFCE, a publié en 1989
la proposition de résolution « sur un droit européen des Volksgruppen
» présentée en juillet 1984 par quarante-deux eurodéputés. Sous leur plume, le
Parlement européen s’y déclarait entre autres « partisan du droit à
l’autodétermination des peuples », en l’occurrence des « peuples » à caractère
ethnique, et « demandait à la Communauté européenne de faire le nécessaire pour
que tous les Européens puissent l’exercer ». Parmi les signataires, il y avait
Hans-Gert Pöttering, député
au Parlement européen depuis 1979, et son président depuis le 16 janvier 2007 ;
il ne semble pas avoir renoncé aux convictions qui étaient les siennes en 1984.
La France doit se garder de tels « protecteurs ».
Couleurs
Par un curieux hasard, les quais de la station de
métro Assemblée nationale sont l’ « écho visuel » de ce qui s’est déroulé dans
l’institution dont elle porte le nom : leurs murs sont couverts ces jours-ci
d’affiches jaune-rouge-noir. La station étant placée sous le signe de la
politique, le regard qui l’embrasse se met au diapason, et on peut donc y voir
aussi bien les couleurs de l’Allemagne que celles de la Belgique. Dans l’un et
l’autre cas, ça tombe juste : l’Allemagne, par charte des langues interposée,
était bien présente souterrainement lors du débat qui a eu lieu à l’Assemblée
nationale ; pour casser des pays concurrents, elle se sert aujourd’hui de
l’arme des langues régionales, et du soutien à de prétendues minorités ; avec
l’aide consciente ou involontaire de nos députés, elle risque de parvenir à ses
fins chez nous. Quant à la Belgique, ce champ clos où s’affrontent les langues,
elle préfigure le sort qui attend la France si nous laissons le processus
entamé aller jusqu’à son terme.
L’effet d’écho voulu pour cette installation
artistique n’a jamais dû coïncider à ce point, depuis qu’elle existe, avec les
questions en débat à l’Assemblée nationale. Il s’agit d’une œuvre de l’artiste
Jean-Charles Blais, qui a été chargé en 1991 d’aménager cette station pendant
dix ans, puis à nouveau pour dix ans à partir de 2003. Au début, il a, selon
ses propres termes, conçu ce projet comme « un programme de milliers d’affiches
imprimées en sérigraphie qui constitueraient une frise d’une extrémité à
l’autre de la station. Ce serait une machine à composer des images qui, sur des
fonds passant du rouge au vert, du jaune au bleu, au noir, s’additionneraient,
et par l’ordonnancement d’un réaffichage périodique produirait un espace en
perpétuelle transformation ».
Dans cet « environnement qui se métamorphose », le
décor change tous les 15 du mois. La totalité des affiches ont été imprimées en
une fois et stockées chez l’afficheur de la RATP au début de chacune des deux
périodes de dix ans ; l’ensemble que donnent en ce moment le jaune, le rouge et
le noir n’a donc pu être conçu pour aller avec une actualité parlementaire
précise. Mais l’artiste, lui, est considéré comme à l’unisson avec le «
mouvement breton ». Il figure dans l’ouvrage des éditions ArMen
« 111 Bretons des temps modernes », dont la couverture rappelle le drapeau
breton : sur fond noir, le « 111 » apparaît sous la forme de trois bandes gris
foncé et de trois bandes blanches ; « à défaut de Bretagne », l’auteur de sa
préface évoque l’endroit où se cacherait ce « pays » : « les limbes d’un
‘inconscient collectif breton’ ». Les limbes ont parfois l’allure d’une station
de métro.
Interrogé dans la revue « arearevue)s( » de mars 2007, à propos de cette œuvre, sur « la
stratégie du souple », qui fait son chemin « face à la stratégie du stable, du
solide », Jean-Charles Blais a répondu qu’ « un dispositif souple marche mieux
qu’un environnement rigide, karcherisable, anti-effraction ».
C’est tout en souplesse, sans panzers, sans
troupes d’occupation, en se servant des langues régionales, que l’ordre
ethnique cherche cette fois à s’introduire et à se répandre en France. Il est
encore temps d’empêcher cela.
10.06.2008
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