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SECTE
ET ERREUR
par
Voltaire
Je
suis un être extrêmement paresseux et de plus, on m’a enseigné à ne pas «
réinventer la poudre ».
Alors
puisque l’actualité met les sectes à la une, j’ai demandé à mon ami Voltaire ce
qu’il en pensait.
Dois-je
dire que je partage son avis ? En tous cas il l’exprime bien mieux que je
n’aurais su le faire.
Daniel
Trouillot.
Toute secte, en quelque genre que ce puisse être,
est le ralliement du doute et de l’erreur. Scotistes, thomistes, réaux,
nominaux, papistes, calvinistes, molinistes, jansénistes, ne sont que des noms
de guerre. Il n’y a point de secte en géométrie; on ne dit point un euclidien,
un archimédien. Quand la vérité est évidente, il est impossible qu’il s’élève
des partis et des factions. Jamais on n’a disputé s’il fait jour à midi. La
partie de l’astronomie qui détermine le cours des astres et le retour des
éclipses étant une fois connue, il n’y a plus de dispute chez les
astronomes.
On ne dit point en Angleterre: « Je suis
newtonien, je suis lockien, halleyen » pourquoi ? Parce que quiconque a lu ne
peut refuser son consentement aux vérités enseignées par ces trois grands
hommes. Plus Newton est révéré, moins on s’intitule newtonien; ce mot
supposerait qu’il y a des antinewtoniens en Angleterre. Nous avons peut-être
encore quelques cartésiens en France; c’est uniquement parce que le système de
Descartes est un tissu d’imaginations erronées et ridicules. Il en est de même
dans le petit nombre de vérités de fait qui sont bien constatées. Les actes de
la tour de Londres ayant été authentiquement recueillis par Rymer, il n’y a
point de rymériens, parce que personne ne s’avise de combattre ce recueil. On
n’y trouve ni contradictions, ni absurdités, ni prodiges; rien qui révolte la
raison, rien par conséquent que des sectaires s’efforcent de soutenir ou de
renverser par des raisonnements absurdes. Tout le monde convient donc que les
Actes de Rymer sont dignes de foi.
Vous êtes mahométan, donc il y a des gens qui ne
le sont pas, donc vous pourriez bien avoir tort. Quelle serait la religion
véritable, si le christianisme n’existait pas ? C’est celle dans laquelle il n’y
a point de sectes; celle dans laquelle tous les esprits s’accordent
nécessairement. Or dans quel dogme tous les esprits se sont-ils accordés ? Dans
l’adoration d’un Dieu et dans la probité. Tous les philosophes de la terre qui
ont eu une religion dirent dans tous les temps : « Il y a un Dieu, et il faut
être juste. » Voilà donc la religion universelle établie dans tous les temps et
chez tous les hommes. Le point dans lequel ils s’accordent tous est donc vrai,
et les systèmes par lesquels ils différent sont donc faux. « Ma secte est la
meilleure », me dit un brame. Mais, mon ami, si ta secte est bonne, elle est
nécessaire; car si elle n’était pas absolument nécessaire, tu m’avoueras qu’elle
serait inutile : si elle est absolument nécessaire, elle l’est à tous les
hommes; comment donc se peut-il faire que tous les hommes n’aient pas ce qui
leur est absolument nécessaire? Comment se peut-il que le reste de la terre se
moque de toi et de ton Brama ? Lorsque Zoroastre, Hermès, Orphée, Minos, et tous
les grands hommes disent : « Adorons Dieu et soyons justes », personne ne
rit;
mais toute la terre siffle celui qui prétend qu’on
ne peut plaire à Dieu qu’en tenant à sa mort une queue de vache, et celui qui
veut qu’on se fasse couper un bout de prépuce, et celui qui consacre des
crocodiles et des oignons, et celui qui attache le salut éternel à des os de
morts qu’on porte sous sa chemise, ou à une indulgence plénière qu’on achète à
Rome pour deux sous et demi. D’où vient ce concours universel de risée et de
sifflets d’un bout de l’univers à l’autre ? Il faut bien que les choses dont le
monde se moque ne soient pas d’une vérité bien évidente. Que dirons-nous d’un
secrétaire de Séjan, qui dédia à Pétrone un livre d’un style ampoulé, intitulé :
La vérité des oracles sibyllins, prouvée par les faits ?
Ce secrétaire vous prouve d’abord qu’il était
nécessaire que Dieu envoyât sur la terre plusieurs sibylles l’une après l’autre;
car il n’avait pas d’autres moyens d’instruire les hommes. Il est démontré que
Dieu parlait à ces sibylles, car le mot sybille signifie conseil de Dieu. Elles
devaient vivre longtemps, car c’est bien le moins que des personnes à qui Dieu
parle aient ce privilège. Elles furent au nombre de douze, Car ce nombre est
sacré. Elles avaient certainement prédit tous les événements du monde, car
Tarquin le Superbe acheta à une vieille, pour cent écus, trois de leurs livres.
Quel incrédule, ajoute le secrétaire, osera nier tous ces faits évidents qui se
sont passés dans un coin à la face de toute la terre? Qui pourra nier
l’accomplissement de leurs prophéties ? Virgile lui-même n’a-t-il pas cité les
prédictions des sibylles ? Si nous n’avons pas les premiers exemplaires des
livres sibyllins, écrits dans un temps où l’on ne savait ni lire ni écrire, n’en
avons-nous pas des copies authentiques ? Il faut que l’impiété se taise devant
ces preuves.
Ainsi
parlait Houttevillus à Séjan. II espérait avoir une place d’augure qui lui
vaudrait cinquante mille livres de rente, et il n’eut rien. « Ce que ma secte
enseigne est obscur, je l’avoue, dit un fanatique; et c’est en vertu de cette
obscurité qu’il faut la croire; car elle dit ellemême qu’elle est pleine
d’obscurités. Ma secte est extravagante, donc elle est divine: car comment ce
qui paraît si fou aurait-il été embrassé par tant de peuples, s’il n’y avait pas
du divin ? C’est précisément comme l’Alcoran, que les Sonnites disent avoir un
visage d’ange et un visage de bête; ne soyez pas scandalisé du mufle de la bête,
et révérez la face de l’ange. » Ainsi parle cet insensé; mais un fanatique d’une
autre secte répond àce fanatique: « C’est toi qui es la bête, et c’est moi qui
suis l’ange. » Or qui jugera ce procès ? Qui décidera entre ces deux énergumènes
? L’homme raisonnable, impartial, savant d’une science qui n’est pas celle des
mots; l’homme dégagé des préjugés et amateur de la vérité et de la justice;
l’homme enfin qui n’est pas bête, et qui ne croit point être
ange.
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Secte et erreur sont synonymes. Tu es
péripatéticien, et moi platonicien; nous avons donc tous deux tort; car tu ne
combats Platon que parce que ses chimères t’ont révolté; et moi je ne m’éloigne
d’Aristote que parce qu’il m’a paru qu’il ne sait ce qu’il dit. Si l’un ou
l’autre avait démontré la vérité, il n’y aurait plus de secte. Se déclarer pour
l’opinion d’un homme contre celle d’un antre, c’est prendre parti comme dans une
guerre civile. Il n’y a point de secte en mathématiques, en physique
expérimentale. Un homme qui examine le rapport d’un cône et d’une sphère n’est
point de la secte d’Archimède; celui qui voit que le carré de l’hypoténuse d’un
triangle rectangle est égal aux carrés des deux autres côtés n’est point de la
secte de Pythagore. Quand vous dites que le sang circule, que l’air pèse, que
les rayons du soleil sont des faisceaux de sept rayons réfrangibles, vous n’êtes
ni de la secte d’Harvey, ni de celle de Torricelli, ni de celle de Newton; vous
acquiescez seulement à des vérités démontrées par eux, et l’univers entier sera
à jamais de votre avis.
Voilà le caractère de la vérité; elle est de tous
les temps; elle est pour tons les hommes; elle n’a qu’à se montrer pour qu’on la
reconnaisse; on ne peut disputer contre elle. Longue dispute signifie : « Les
deux partis ont tort. »
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