par Jacques MYARD,
L'attaque de la Turquie contre les Kurdes, combattants contre
Daech, à la faveur du retrait américain du Nord de la Syrie, suscite, à juste
titre, l'ire et la réprobation de nombreux pays et révèle une Turquie
belliciste à la surprise de certains.
Toutefois, celles et ceux qui connaissent l'histoire et
surtout l'histoire récente des interventions de la Turquie en Syrie ne sont
guère étonnés par l'action d'Erdogan qui poursuit, en réalité, depuis des
années, la même politique à l'égard de la Syrie.
Le Frère musulman Erdogan est toujours motivé par une double
volonté :
- Eliminer les mouvements kurdes hostiles et en lutte armée
contre le gouvernement turc, et notamment le PKK qu'il qualifie de terroriste;
- Propager l'idéologie des Frères musulmans tant en Turquie
qu'au Proche et Moyen-Orient ainsi qu'en Europe.
En 2010, j'ai effectué une mission parlementaire en Syrie; avec d'autres députés, j'ai rencontré le gouverneur
d'Alep. A l'époque régnait une lune de miel entre Damas et Ankara;
l'avenir semblait radieux entre les deux pays.
Tous deux envisageaient de créer un marché commun qui aurait
été étendu à tout le Proche-Orient.
Lors de ma visite à Damas, en février 2015, j'ai interrogé le
ministre des affaires étrangères syrien, Walid al Mouallem,
sur les raisons du divorce turco-syrien et de l'hostilité croissante entre les
deux pays.
Walid al Mouallem m'a donné une
explication qui mérite d'être rappelée :
Au début de la guerre civile, Erdogan est venu à Damas
rencontrer Bachar al-Assad et lui aurait demandé de
prendre des Frères musulmans dans son gouvernement.
Bachar al Assad aurait refusé au motif que les Frères
musulmans, à ses yeux, sont des terroristes et que la Syrie est un Etat laïc.
Erdogan aurait répliqué : " Dans ce cas, tu vas avoir
des problèmes ".
Il ne faut pas oublier qu'à l'époque, Morsi,
Frère musulman, est au pouvoir au Caire, et le vétéran Ghannouchi, autre Frère
musulman, à Tunis.
La Syrie laïque constitue alors une sorte de cadenas qui
empêche de reconstituer l'empire Ottoman sous la houlette des Frères musulmans.
Il s'agit là d'une pensée profonde d'Erdogan qui rêve de
retrouver le prestige du Grand turc, dont la Turquie garde toujours la
nostalgie.
Ce qui est certain, c'est que la Turquie a choisi son camp
contre Damas et soutenu de nombreux mouvements islamistes.
Ses liens avec Daech sont avérés et documentés par de
nombreux faits : à Mossoul la Turquie a obtenu la libération sans difficulté de
ses agents consulaires alors que la ville était aux mains de l'Etat islamique.
La vente du brut de l'Etat islamique à 15 $ le baril par
camion a permis à Daech de trouver les capitaux pour se maintenir, c'est
indubitable !
On peut également citer le rapatriement en Turquie des
reliques de SOULEÏMANE SHAH, père de la dynastie ottomane, en février 2015,
dont le tombeau était dans une petite enclave dans le nord de la Syrie, région
aux mains de Daech;
L'opération de rapatriement s'est déroulée sans anicroches
...
Citons enfin les déclarations du chef du MIT, service secret
turc, selon lequel ses services ont envoyé aux islamistes en Syrie plus de 1400
camions d'armes. Les dirigeants du journal kemaliste Cumhuriyet qui publia l'information en février 2015 furent
immédiatement incarcérés.
Les objectifs de la Turquie d'Erdogan sont dès lors très
clairs et obéissent à une logique établie de longue date : la Syrie doit être
une zone d'influence d'Ankara, voire sous son contrôle, et si, de surcroît, les
Kurdes du PKK y trouvent refuge, Ankara se doit d'intervenir !
Cette situation est très dangereuse et nous oblige à reconsidérer
nos relations avec la Turquie.
La marge diplomatique vis-à-vis de la Turquie, qui est
toujours membre de l'OTAN mais achète des S400 russes, est étroite, il serait
en effet maladroit de pousser la Turquie dans une alliance avec la Russie.
De plus, la Turquie possède en Europe des colonies qu'Erdogan
choie en permanence en leur demandant de rester turques à part entière. Ces
Turcs, pour beaucoup d'entre eux, sont sous l'influence de l'idéologie des
Frères musulmans, notamment en Allemagne.
Vont-ils agir massivement pour soutenir la Turquie ? C'est
possible.
Une chose est certaine : la politique française et
occidentale est une totale faillite en Syrie;
l'ouverture de nos frontières à l'immigration turque l'est tout autant !
Nous allons le payer cher !