LA RUSSIE MAL-AIMÉE

par Luc Beyer de ryke

Lautre soir à l’Académie du Gaullisme on se serait cru revenu aux temps de l’Alliance francorusse. L’invitant, Jacques Dauer et l’invité Andreï Gratchev, l’ancien conseiller de Gorbatchev, rivalisèrent. Il n’y a pas plus russe que le premier, pas plus français que le second. Le thème de la soirée, la qualité de l’orateur avaient attiré du monde. Chacun s’interrogeait et interrogeait Andreï Gratchev. La Russie est-elle d’Europe ou d’Asie ?

 

 D’entrée de jeu, le conférencier se refusait à une réponse abrupte. Tout au long de l’Histoire « chaque génération offrit sa réponse ». Lorsque la Russie était soviétique s’est ajoutée une dimension idéologique. « Nous étions antiaméricain, anti-chinois, davantage qu’anti-européen ». Gorbatchev parla de « Maison commune ». Il renonçait à tenter d’user « de l’Europe comme d’un levier antiaméricain. Par contre, il entendait l’utiliser comme un outil agissant sur la transformation intérieur de la Russie ». C’était un adieu à l’idée d’une « finlandisation « de l’Europe. Elle devait au contraire se muer en acteur efficace.

 

Gorbatchev et François Mitterrand s’étaient entendus là-dessus à Latché. Gorbatchev a été interrompu… Par l’éclatement de l’Union soviétique. Et plus encore par la faillite représentée par la politique de l’Occident à l’égard de la Russie. Andreï Gratchev s’y attarda longuement. Avec conviction et, avouons-le, sachant convaincre… Il déplore la nouvelle glaciation entre l’Occident et la Russie. La « Maison commune » se construit. Sans la Russie !

 

Une Russie encline à céder à nouveau aux tentations asiatiques. Dans quel état intérieur se trouve-t-elle ? Totalitaire ? Non. Démocratique ? Pas davantage. Gorbatchev voulait accomplir une synthèse. Son aspiration le portait à conserver la responsabilité sociale de l’URSS alliée au dynamisme de l’économie de marché.

 

Qu’en est-il aujourd’hui ? La Russie connaît un capitalisme sans freins ni limites, sans remords, aggravé par la bureaucratie et la corruption. L’Empire s’est disloqué. Ses républiques ont pris le large Lorsque Wladimir Poutine est arrivé, à la fois fils du KGB et… de la pérestroïka, il s’est offert à l’Occident. Il a renoncé aux bases en Asie centrale, à celles de Cuba et du Vietnam. Il a « ouvert » le Caucase.

 

Comment en a-t-il été récompensé ! Les Américains sont sortis du traité anti-missile qui consacrait la parité entre les É.-U. et la Russie. Il y eut ensuite la Serbie, l’Irak, le Kosovo. Quant à l’Europe, elle s’interroge pour savoir si la Turquie doit ou non devenir membre de l’Union. De la Russie, il n’en est pas question… Reste que la Russie dispose du gaz et du pétrole. C’est de l’or liquide. La Russie de Poutine ne doit plus rien à lOccident. Elle pourrait même y investir mais on lui préfère… Mittal. Pis. L’OTAN, que l’on pouvait croire mort avec la guerre froide, s’étend vers l’Est. L’atlantisme pour le monde occidental équivaut-il à la fin de l’Histoire? On fait valoir à la Russie qu’elle pêche contre les Droits de l’Homme. Ils sont malmenés en Tchetchénie.

 

Certes. Davantage, ou moins foulés aux pieds que les Américains à Guentanamo, à Cuba ou à Abou Graïb en Irak ? Et l’Europe ? Ou se situe son pouvoir de décision ? Est-elle consultée sur les implantations des bases U.S. à l’Est ? Que répond-on lorsque la Pologne acquiesce aux intentions américaines… à condition que l’Ukaine et la Lituanie fassent partie de l’OTAN ? Revenons au bon sens plaide Andreï Gratchev. « À défaut d’entente cordiale, il conviendrait de conclure un mariage de raison. Profitable pour la deux parties. »

 

L’ancien conseiller de Gorbatchev analyse avec lucidité l’état actuel de la Russie. « Le régime est drogué par le gaz et le pétrole. Mais la société est fragile. Les anciennes républiques qui, naguère, bénéficiaient de la gratuité de l’éducation et des soins en sont revenues à un passé féodal. La société russe est moins protégée contre les excès du capitalisme que les pays occidentaux. C’est tout le problème du capitalisme post-communiste. Ainsi la société chinoise vit-elle une fracture sociale qui dépasse celle décrite par Dickens ! »

 

Comment résumer la Russie ? Par une image. Celle d’un aigle bicéphale. « Il regarde dans les deux directions mais il ne vole pas. » Et avec humour, Andreï Gratchev, très applaudi, conclut en se demandant si le successeur de Wladimir Poutine, Medvedev, deviendra un tsar ou tsarévitch ? « Dans l’opéra de Boris Goudounov le tsarévitch s’appelle Dimitri. Comme Medvedev. »

 

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