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L’ESPRIT DE RÉSISTANCE
Hommage à Aimé Césaire et Germaine Tillion
par Gilles Bachelier
En cette époque de présidence bling bling, caractérisée par le culte sans pudeur de l’argent-roi, de la politique spectacle
et de l’individualisme forcené, tout cela au mépris du peuple, de la solidarité
envers les plus démunis et de la justice sociale, les disparitions simultanées
de deux personnalités exceptionnelles : Aimé Césaire le 17 avril 2008 et
Germaine Tillion le 19 avril 2008 ont rappelé à nos
compatriotes qu’il existait d’autres valeurs bien plus essentielles que les
fausses valeurs factices et clinquantes du fric et de la frime, données aujourd’hui en exemple
à notre jeunesse par Nicolas Sarkozy, le pouvoir politique et une grande partie
des médias. Aimé Césaire et Germaine Tillion dont les
longues vies ont traversé le XXe siècle et entamé le début du XXIe siècle ont
été l’un et l’autre, tout au long des péripéties souvent tragiques de l’histoire,
des combattants exemplaires de la dignité humaine. Face à l’oppression et à l’injustice,
ils ont incarné l’esprit de résistance. Ils ont oeuvré
inlassablement pour la liberté, l’égalité et la fraternité de leurs semblables.
Au-delà de l’hypocrisie des
hommages officiels, ils méritent de rester dans la mémoire collective comme des
consciences morales auxquelles chacun d’entre nous peut et doit se référer pour
trouver des repères et une inspiration pour l’avenir. À l’instar du Général de
Gaulle, ils ont honoré notre pays et c’est pourquoi nous sommez fiers d’être
leurs compatriotes.
Aimé Césaire, issu d’une famille
martiniquaise de sept enfants, après de brillantes études au lycée
Louis-Le-Grand et a l’école Normale supérieure ou il noua une amitié
indéfectible avec Léopold Senghor, consacra sa vie a un combat à la fois culturel
et politique : émanciper et redonner leur dignité aux Noirs depuis longtemps
opprimés et humiliés. En forgeant le concept de négritude, il redonna la fierté
de leurs origines et de leurs racines tant à ses compatriotes descendants d’esclaves
antillais et guyanais qu’aux peuples colonisés d’Afrique. Il ne cessa de lutter
sans relâche contre le racisme le colonialisme et pour l’égalité. Député de la
Martinique et maire de Fort-de-France pendant plus de cinquante ans, il fut,
après la dernière guerre, l’un des principaux artisans de la
départementalisation des Antilles, jusque là simples colonies. Privilégiant
toujours le caractère universel et non racial ou communautariste de son combat,
il disait : « je suis de la race de ceux qu’on opprime » ou encore « ma
bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la
liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir. »
Le poète surréaliste André Breton
qui fut un ami d’Aimé Césaire a dressé de lui un ce magnifique portrait : « Aimé
Césaire est un Noir qui est non seulement un Noir mais tout l’homme, qui en exprime
toutes les interrogations, toutes les angoisses, tous les espoirs et toutes les
extases et qui s'imposera de plus en plus a moi comme le prototype de la
dignité. »
Germaine Tillion incarne elle aussi le même combat
universel pour la liberté et pour la dignité. Ethnologue, élève de Marcel Mauss
et de Louis Massignon, elle étudia dans les années trente l’ethnie berbère des
Chaouias dans le sud algérien et se prit de passion pour ce pays et ses
habitants auxquels elle resta
attachée toute sa vie. De retour en
France, elle assista à la débâcle de 1940. Répondant à l’appel du Général de
Gaulle, refusant la défaite et l’occupation nazie, elle s’engagea aussitôt dans
la Résistance où elle fit preuve d’une activité débordante au mépris du danger,
devenant le chef du réseau de résistance du Musée de l’Homme, se spécialisant dans le
renseignement et l’évasion des prisonniers jusqu’à son arrestation en août 1942
et sa déportation au camp de concentration de Ravensbrück. Sa mère
Émilie, elle-même résistante fut
également déportée et gazée en 1945. Au retour des camps, elle devint
historienne de la Déportation et de la Résistance puis retourna en Algérie en 1954,
participant a la création de centres sociaux au service
de la population la plus démunie. En 1957, elle rencontra clandestinement le
chef rebelle Yacef Saadi et joua avec courage un rôle
d’intermédiaire actif pour tenter de mettre fin tant aux exécutions capitales
de rebelles algériens qu’aux attentats terroristes commis par le FLN. Elle s’efforça
des deux côtés de préserver des vies, de dénoncer des atteintes à la dignité humaine
et l’usage de la torture pour atténuer les horreurs de la guerre et préserver
les chances d’un avenir meilleur.
Fervente gaulliste, elle fit bénéficier
le Général de Gaulle, de retour au pouvoir, de son expérience de l’Algérie et
de ses nombreux contacts pendant toute cette période tragique. Dans une lettre ouverte
à Simone de Beauvoir, publiée en 1964, elle définissait ainsi la finalité de
son action : « Il se trouve que j’ai connu le peuple algérien et que je l’aime. Il se
trouve que ses souffrances, je les ai vues avec mes propres yeux et il se
trouve qu’elles correspondent en moi à des blessures. Il se trouve enfin que
mon attachement à notre pays a été, lui aussi, renforcé par des années de
passion. C’est parce que toutes ces cordes tiraient en même temps et qu’aucune
n’a cassé que je n’ai ni rompu avec la justice pour l’amour de la France ni
rompu avec la France pour l’amour de la justice. » Après la guerre d’Algérie,
Germaine Tillion continua de s’intéresser au sort de
ce pays tout en se consacrant à l’enseignement et à des missions scientifiques
de terrain.
Elle s’engagea dans de nombreux
combats en faveur des migrants, des minorités, des exclus et contre l’asservissement
des femmes. Cette grande résistante, cette humaniste engagée,
cette patriote éclairée, cette gaulliste de toujours, cette femme
extraordinaire qui avait dit « je pense de toutes mes forces que la justice et la vérité comptent plus
que n’importe quel intérêt politique » reste un exemple et une référence pour nous tous. Puisse notre jeunesse s’inspirer
d’Aimé Césaire et de Germaine Tillion dans ses
nécessaires combats de demain pour changer le monde et tout d’abord notre pays.
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