COMPTE-RENDU DU
DÎNER-DEBAT DU 28 FEVRIER 2008
En présence de Monsieur Pierre MAILLARD
Ambassadeur de France
Ancien conseiller diplomatique du Général de GAULLE
LES GRANDS
PRINCIPES
D'UNE POLITIQUE
ETRANGERE DE LA FRANCE
Par Christine ALFARGE
Aujourd'hui, l'académie du
gaullisme rend un vibrant hommage à “Son Excellence” Monsieur Pierre MAILLARD,
Ambassadeur de France, ancien conseiller diplomatique du Général de GAULLE,
nous lui sommes gré de sa présence parmi nous car il représente un témoignage capital
de ce que fut la politique étrangère de la France à l'époque du dernier héros
de notre Histoire.
Fidèle à l'ambition du Général de
GAULLE de voir rayonner la France dans le monde tant sur le plan diplomatique
que sur le plan culturel, Monsieur l'Ambassadeur Maillard souhaite évoquer les
principes généraux de la diplomatie qui selon lui, sont oubliés actuellement et
sembleraient déterminer les prises de position à venir et si possible dans un
avenir proche de la diplomatie française et sur quelle base ces prises de
position doivent se fixer.
Auparavant, il énumère ce qu'il
appelle les perversions conceptuelles dans lesquelles nous sommes plongées
concernant un certain nombre de problèmes graves. Les perversions
conceptuelles, c'est-à dire la manière dont sont posés les problèmes de façon
générale pas seulement pour la diplomatie française mais pour les autres aussi,
donc les concepts qui inspirent les prises de position des uns et des autres et
des responsables d'Etat.
La dégénérescence du concept de
Nation.
Il y a globalement de nos jours
une dévalorisation volontaire, une dégénérescence relative du concept de nation
qui est elle-même le fruit de la mondialisation et de la primauté acquise par
le facteur économique, par le facteur politique dans la vie du monde et dans la
conception des particuliers, d'où résulte une atténuation de frontière, la
notion de frontière n'est plus bien venue, on la considère comme ringarde et on
a tendance à faire de même de la notion de souveraineté. Tous ceci sont des concepts
qui tendent à être oubliés aujourd'hui dans une perspective post-nationale.
La notion de solidarité.
Il existe une sorte de
dévalorisation de solidarité, les nations sont plus ou moins solidaires les
unes des autres, il ne faut pas s'en étonner car on assiste à une perversion de
cette notion de solidarité qui tente à devenir une source de sujétion,
c'est-à-dire non pas de solidarité réellement voulue et consentie mais de
sujétion. De quoi est fabriquée aujourd'hui la solidarité, par quelle manifestation
politique se traduit-elle ? Essentiellement le multilatéralisme, ce que
fabriquent les agences innombrables de l'ONU qui touchent à toute sorte de
problèmes et établissent pour les sujets importants, sociaux, humanitaires,
environnementaux, de bonnes solidarités qui correspondent au lien des Nations
entre elles et ce que les Nations peuvent souhaiter de faire en commun. Une
autre manière dont se situe ce déficit de solidarité, ce sont des notions
nouvelles de groupement de la communauté internationale, on dirait que l'on ne
peut plus agir si ce n'est par rapport à la communauté internationale dont on
définit très mal la nature qui tend à se substituer comme motivation de telle
ou telle prise de position des nations individuelles. Mais qu'est-ce que la
communauté internationale ? Jamais la Chine ni le Proche-Orient ni la Russie
naturellement n'y sont inclus, c'est en
fait la communauté atlantique. Il y a une dérivation de cette notion de
solidarité qui est devenue une sujétion et le bon côté de la solidarité
disparaît à côté du mauvais côté lié à
la sujétion.
L'esprit de croisade.
Il est fondé sur un certain
nombre de principes idéologiques, par exemple ce que monsieur l'Ambassadeur
MAILLARD appelle le droit de l'hommisme, il explique
que l'on ne parle plus que de faire des choses en fonction des droits de
l'homme,” j'ai beaucoup de respect pour les droits de l'homme, mais çà ne
peut pas être une incitation permanente et çà ne peut pas être surtout l'objet d'une croisade étant donné que les
droits de l'homme sont sans doute une conception très respectable qui se réfère
à notre civilisation, à notre passé mais nullement à un pays comme la Chine ou
dans une certaine mesure à la Russie et aussi dans d'autres régions du monde
comme l'Afrique. Les droits de l'homme c'est vraiment une vision de la vie
sociale et des droits de l'individu qui est extrêmement caractéristique d'une
histoire, d'une civilisation spécifique, la notre dont on fait un usage
d'autant plus pénible et excessif qu'il prend la forme d'une croisade.”
La qualification des états prend
maintenant des aspects moraux, pourquoi parle-t-on d'états voyous ? Il n'y a
pas d'états voyous, chaque état poursuit ses objectifs. Cette
pseudo moralisation de la vie internationale est surprenante et surtout masque
une profonde hypocrisie en réalité, de même que la diplomatie que l'on appelle
la diplomatie compassionnelle c'est-à-dire que l'on regrette des choses qui
n'ont rien à voir avec l'état d'esprit d'aujourd'hui et cela paraît justifier
des prises de position tout à fait hors de propos sur tel ou tel problème
notamment la colonisation.
La justification de la force, que
l'on met curieusement en parallèle avec cette notion de moralisation évoquée
précédemment, c'est-à-dire faussement moralisatrice, en même temps on ne cesse
de proclamer que finalement c'est la force qui doit trancher et que la force
justifie même des notions qui paraissaient totalement aberrantes autrefois,
c'est-à-dire la guerre préventive qui a été proclamée comme une chose souhaitable.
La force n'est pas en soi une motivation acceptable bien qu'aujourd'hui elle
soit très en vogue, mais en plus quand elle prend la forme d'une guerre
préventive en fait d'une agression caractérisée non seulement justifiée mais
préventive, c'est très grave. Les préoccupations moralisatrices des droits de
l'homme justifient maintenant une autre notion non moins grave, c'est-à-dire
une ingérence qui est la négation de la souveraineté et le droit des peuples à
exister par eux-mêmes car elle devient maintenant une chose plus ou moins
admise pratiquée par de nombreux états mais aussi par des ONG en intervenant
notamment dans des pays sous des prétextes humanitaires ou autres.
La question du droit des
minorités.
Autrefois on l'admettait à bon
droit, maintenant ce droit des minorités est devenu un droit de cessession, on vient d'en avoir une belle illustration dans
l'affaire du Kosovo où le droit des minorités est devenu un droit de cessession et chacun sait ou peut prévoir les conséquences
qui peuvent en résulter dans l'avenir non seulement dans les Balkans mais
ailleurs au profit d'autres minorités qui pourraient elles aussi revendiquer un
bouleversement des frontières au nom de ce principe et ceci doit être souligné
aussi comme une déviation.
Maintenant, quelle politique
étrangère pour la France ?
En premier lieu, il convient de
définir les principes qui devraient inspirer notre activité diplomatique en
général et donc nos actions à l'égard du monde moderne. Un monde moderne qui
a connu des bouleversements
considérables qui ne remettent pas en cause les principes fondamentaux comme
ceux que nous a légués le Général de GAULLE et qui constituent le socle de
notre diplomatie aujourd'hui.
Principe d'une diplomatie conséquente, la non-dépendance.
Il serait ambitieux de dire
indépendance après ce qui a été dit sur les solidarités inévitables que
comportent actuellement la vie des états entre eux compte tenu aussi des
conséquences de la mondialisation que l'on ne peut pas révoquer d'un coup de
baguette magique mais néanmoins compte tenu des solidarités inévitables, il y a
une exigence fondamentale qui s'appelle la non-dépendance, c'est-à-dire la
capacité d'actions autonomes et de réactions autonomes. D'abord la
non-dépendance est une exigence morale, ce n'est pas seulement une exigence
politique. Tout être humain, toute société pour exister doit exister dans un
système de non-dépendance sinon elle n'a pas d'existence, c'est donc une sorte
de revendication existentielle comme disait le Général de GAULLE aux personnes
qui l'embêtaient par leur discours trop nombreux “ Commencez donc par
exister” car on n'existe pas s'il y a dépendance automatique, il y a
solidarité sans doute dans certain cas pour certains problèmes, solidarité
géographique soit d'un autre ordre par exemple solidarité à l'égard du problème
de la planète d'aujourd'hui. IL ne faut pas confondre ce qui est légitime
dans la solidarité avec ce qui est illégitime dans la dépendance. Ce
problème se pose évidemment pour nous par rapport aux Etats-Unis parce que nous
sommes installés en fonction des liens économiques intenses qui se sont noués
et accrus par la mondialisation entre les Etats-Unis, l'Europe et la France en
particulier, évidemment il n'est pas facile de surmonter cet état de choses.
Mais la non-dépendance doit être primordiale et doit s'appliquer si possible
dans une certaine mesure au domaine économique mais surtout au domaine
politique, c'est à dire à tout ce qui pourrait encore être dans nos
prérogatives et rentrer dans le cadre de nos possibilités, en y opposant cette
crainte fatale et stupide de l'isolement, dès l'instant que nous ne faisons
plus les choses qui ont l'assentiment soit de la communauté internationale soit
de l'Occident soit des Etats-Unis. Rappelons-nous l'affaire de l'Irak qui nous
a valu au contraire un surcroît d'autorité, un surcroît d'approbation dans
d'innombrables secteurs du monde entier et non pas l'isolement. Il faut donc
admettre que ceci est primordial et en faire un objectif essentiel difficile de
diplomatie à un moment où on voit de nouveau s'installer un processus assez clair de subordination
donc de rapprochement notamment avec les Etats-Unis mais ceci peut valoir aussi
à l'égard de la nouvelle superpuissance qu'est la Chine qui n'a pas la qualification de l'autre mais qui
quand même ne doit pas créer des sujétions. Naturellement parler de
non-dépendance n'exclut pas des alliances pourvues qu'elles soient
conditionnées par des vraies nécessités ce qui pose actuellement le problème de
l'alliance atlantique car elle avait un but précis, c'était le danger réel de
l'Union soviétique à l'époque mais aucune alliance n'est éternelle dans
l'histoire des peuples, personne ne peut être contre certaines alliances
circonstancielles à un moment donné il est normal que toute alliance soit
révisable.
La notion d'intérêt
Cette notion d'intérêt est
importante et parfaitement méconnue puisque dans beaucoup de cas la diplomatie française n'a
pas pour objectif principal l'intérêt de la Nation.
Pourquoi les intérêts ? Ce sont
des intérêts de tout genre, multiples, il y a des intérêts économiques évidents
par exemple il est normal que l'on s'occupe de nos importations et de nos capacités à gagner des marchés, il
est indispensable que l'on s'occupe de notre approvisionnement en matières
premières que ce soit le pétrole ou autre chose et que ce soit devenu un
élément important dans notre diplomatie. Il y a aussi des intérêts culturels
importants, il serait normal que l'on se préoccupe un peu plus du sort de la
langue française qui est gravement menacée c'est aussi un intérêt primordial
pour notre influence à l'étranger. Mais ces intérêts n'empêchent pas comme on
paraît le croire l'importance que continuent à revêtir certains intérêts
politiques, à ce titre Monsieur l'Ambassadeur MAILLARD veut souligner “Nous
avons une tendance à nous accommoder très bien d'une diplomatie mercantile
c'est-à-dire pourquoi fait-on des visites à l'étranger, des visites très
officielles, avant tout pour décrocher des contrats importants, ce n'est pas
sans importance mais il y a d'autres préoccupations qui restent importantes
dans la vie internationale et pour les intérêts de la France qui soient des
intérêts politiques, heureusement çà existe aujourd'hui car on ne peut pas dire
qu'il n'y ait pas un intérêt politique pour la France à s'occuper un peu plus qu'elle ne le fait
d'une manière autonome des problèmes du Proche-Orient, ce n'est pas tellement
pour la vente, de même pour l'Afrique il y a des intérêts politiques actuellement
importants qui devraient rester au centre de nos préoccupations et pas
seulement des histoires de contrat qu'elle que soit l'importance certaine. Je
citerai encore un mot du Général que chacun devrait connaître peut-être, comme
à un conseil des ministres, un des ministres c'était Monsieur Pisani, disait
“nos amis américains pensent ceci, pensent cela ”le Général le reprend
immédiatement “Monsieur le ministre, un grand pays comme la France n'a pas
d'amis, il n'a que des intérêts” c'est exactement vrai et çà résume tout le
problème.”
Assurer la sécurité du territoire
face aux menaces.
A côté d'autres institutions
officielles, le but de la diplomatie est d'assurer ou contribuer à assurer la
sécurité du pays d'une manière importante préalablement à toute intervention
militaire ou de la force face à des menaces éventuelles. Le problème des menaces est difficile à évoquer
aujourd'hui car elles se sont largement diversifiées et sont moins perceptibles
qu'elles ne l'étaient quand il y avait à côté de nous la menace allemande ou
pendant la guerre froide. On n'a vécu pendant des siècles avec des menaces à
nos frontières. Maintenant les menaces sont plus subtiles plus
diversifiées différentes et donc
difficiles à explorer et à contrer. La notion de menace ne s'étend pas
seulement au domaine militaire mais aussi à d'autres domaines comme la grave
menace sur le potentiel du pays provenant de la mondialisation, des opérations
d'OPA sur un certain nombre de secteurs essentiels. IL y a des menaces
également sur le plan culturel, la menace concernant la langue française qui
touche à tout un patrimoine intellectuel. Il faut mettre en relief
l'insuffisance de la vision militaire. Beaucoup de ces menaces et probablement
la menace que l'on appelle menace islamique ne ressort pas vraiment du domaine
militaire, elle est plus subtile, d'une autre nature exigeant d'autres
solutions que l'on doit traiter pas seulement par les armes mais par telle ou
telle mesure et surtout par la diplomatie qui peut reprendre son rôle.
A ce stade on peut se demander si
ces menaces sont globales ?
IL y a une tendance actuellement et l'Ambassadeur
MAILLARD veut souligner ce point car il est capital, à globaliser les menaces
de même qu'on globalise les concepts sur un certain nombre d'autres sujets,
autrement dit la menace serait toujours
à voir par un ensemble d'autres pays mais pas un seul, elle ne serait pas
rapportée à un pays mais elle serait
toujours rapportée à un ensemble, dans ces conditions la liberté et la
sécurité du monde en seraient gravement affectées.
Un autre problème subsiste, les préoccupations
idéologiques qui nous renvoient à
l'esprit de croisade évoqué précédemment et qui tend à devenir une
norme, par idéologie que faut-il entendre ? Non pas des valeurs éternelles de
civilisation de notre pays ou de tel ou tel autre qui sont le droit des valeurs
humanistes, il s'agit de préoccupations purement idéologiques qui concernent
des objectifs précis liés à des doctrines politico-sociales où l'on considère
que la démocratie par exemple justifierait telle ou telle croisade et ce n'est
pas seulement une hypothèse. Le Général de GAULLE a toujours rejeté l'idée de
croisade. Derrière la diplomatie se cache maintenant un nouveau thème, la
diplomatie morale mais ce n'est pas la diplomatie qui doit faire de la morale,
ce n'est pas son rôle, d'autant plus que tous ces concepts idéologiques sont
vécus très différemment par les autres peuples.
Le sens des réalités.
La condamnation des préjugés et la compréhension réelle
des peuples et de leur histoire sont déficientes à l'heure actuelle. IL y a là
aussi une espèce d'insuffisance dans ce que représente la spécificité des
peuples et leur passé. IL faudrait mettre au premier plan l'utilisation et la
connaissance de l'histoire et de la géographie malheureusement ce sont des
choses qui sont maintenant méconnues.
La notion de grandeur inspirée par le Général de Gaulle.
Il y a dans ce mot de grandeur beaucoup de choses mais il
n'y a sûrement pas une affirmation de
puissance, la France n'est plus au temps de Louis XIV ou de Napoléon 1er. Le
Général de GAULLE avait une très vive conscience des limites du pays en tant
que puissance matérielle ceci ne l'empêchait pas d'exercer une sorte de
rayonnement moral, un rayonnement de civilisation et la nécessité pour la
France de se placer hors de toute sujétion au lieu du carcan que nous faisons
autour de nous alors que nous devons avoir le souci en permanence d'un rôle
mondial. Le Général de GAULLE disait “ Toute ma vie, je me suis fait une
certaine idée de la France. Le sentiment me l'inspire aussi bien que la raison.
Ce qu'il y a, en moi, d'affectif imagine naturellement la France, telle la princesse des contes ou
la Madone aux fresques des murs, comme vouée à une destinée éminente et
exceptionnelle. J'ai d'instinct l'impression que la Providence l'a créée pour
des succès achevés ou des malheurs exemplaires.”
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