LA
BELGIQUE : UN MOULE QUI N'A PAS LA FRITE
Par
Denis GRIESMAR
Il
est indiscutable que l'objectif de l'entreprise idéologique qui se cache
sous le nom d'Europe est de détruire les nations.
Et
chacun d'en relever ici ou là les symptômes, qui abondent.
Cependant,
à l'observateur muni d'un peu de culture historique, il apparaît essentiel de ne
point se tromper de diagnostic sur une question aussi apparemment triviale qu'en
réalité mal connue : le problème "belge".
Une
curieuse malédiction semble toucher une région dont les frontières semblent
parsemées d'écriteaux "Interdit de penser"...
Existerait-il
donc, à 300 km de Paris, une tribu gauloise folklorique dont l'unique occupation
serait de s'empoigner, de se bagarrer pour un oui, pour un non, sous le regard
diversement amusé ou consterné de ses voisins ?
Peuplé
de personnages truculents et grotesques, ce pays ne serait que prétexte à
blagues éculées, au point de rendre inaudible tout discours sérieux sur
l'origine d'un divorce... qui était, en réalité, programmé dès le
début...
Reprenons.
Au commencement était la Gaule, et Jules César nous dit que "de tous les peuples
de la Gaule, les Belges sont les plus braves"... Oui, mais.
1)
Il s'agit bien de la Gaule, et de tribus gauloises. Point de Flamands à
l'horizon.
2)
Les plus braves des Gaulois sont ceux qui ont résisté le plus longtemps
au divin Jules : les Bellovaques, habitants du
Beauvaisis, sous leur chef Correus, Belges parmi les
Belges...
3)
Car la Belgique n'est en réalité que la Gaule du Nord. Et sa capitale est
Durocortorum (Reims)...La Belgica n'a ni plus, ni moins de réalité que la
Lyonnaise.
Nulle
prédestination "pirennique" ou "belgicaine"
là-dedans...
Arrivent
les invasions germaniques, qui s'arrêtent, en gros, aux forêts. Et la
future frontière linguistique variera dès lors fort peu, suivant une ligne
horizontale de Maëstricht à Dunkerque.
Mais
sur les ruines de l'Empire romain se constituent comtés et duchés, villes et
principautés ecclésiastiques, chevauchant ou débordant ladite
frontière.
C'est
le traité de Verdun, qui, pour faire des parts égales entre princes
germaniques, en taillant dans la chair de la chair, est à l'origine de
tout.
La
Francia occidentalis, première dénomination de notre
pays, se voit séparée de provinces de langue et de culture romanes, tandis que,
curieusement, la Flandre, où se parlent majoritairement des dialectes
bas-allemands, relève du roi de France.
Tour
de passe-passe supplémentaire : la Lotharingie passe à l'Est... On ne dénoncera
jamais assez la nocivité de ces règles de dévolution carolingiennes, qui
font bon marché de la réalité, à fortiori des voeux,
des populations...
Les
rois de France mettront mille ans à faire leur "pré carré"... Succès presque
complet. Sauf, justement, là...
La
Guerre de Cent Ans retarde notablement le processus de l'unité française.
L'Angleterre cherche à remuer le couteau dans la plaie, et favorise, tant
qu'elle peut, l'aventure bourguignonne...
Période
d'horreurs sans nom, de massacres et d'épidémies, de guerre civile
quasi-permanente.
Après
Charles V et Charles VII, Louis XI est un grand rassembleur de
terres.
Son
règne sera cependant marqué par une erreur, une seule : il fait confiance, une
fois... à Charles le Téméraire, se retrouve otage, et obligé de marcher contre
Liège...
Après
l'échec de la tentative du "Grand Duc d'Occident", la région allant de l'Escaut
à l'Ardenne est offerte en gage à l'empire du moment. On assiste à ces
dévolutions extraordinaires qui donnent les "Pays-Bas espagnols"...
lesquels, amputés de leurs provinces du Nord, deviennent plus tard
autrichiens...
Il
est extrêmement curieux que personne, aujourd'hui, ne s'arrête sur le caractère
aberrant de cette situation...
Peut-être,
si l'Ancien Régime avait duré plus longtemps, aurions-nous assisté à
l'apparition de Pays-Bas danois, mongols, mexicains... Toujours plus absurde
!
En
réalité, il s'agit bien du résultat précaire d'un certain équilibre de forces en
Europe, et les ennemis de la France - au premier rang desquels l'Angleterre -
veillent, avec acharnement, à maintenir le couteau dans
la plaie...
Notons
que la France a perdu la Flandre - elle en regagnera une partie, principalement
la Flandre romane, sous Louis XIV.
Notons
également que la principauté de Liège, relevant nominalement du Saint-Empire
romain germanique, dispose en fait d'une large autonomie. Elle représente, en
surface, un bon tiers de la "Wallonie" actuelle, et les habitants de cette
"Petite France de Meuse" se sentent en réalité Français.
Mais
le caractère pervers du statut de ces provinces se révélera toujours à l'heure
du danger : en 1636, encore, les Espagnols sont sur la Somme, devant Corbie,
comme les Allemands en 1914...
"Eh,
quoi", disait, scandalisé, le bon roi Henri IV, "Paris frontière ?"
A
la fin du règne de Louis XIV, la menace est toujours là - arrêtée juste à temps,
à Malplaquet et à Denain...
Arrive
la Révolution. Les Wallons sont partie prenante, participent à la Fête de la
Fédération, s'intègrent avec enthousiasme à la République. La Wallonie actuelle
comprend les départements de l'Ourthe (chef-lieu Liège), de Sambre-et-Meuse
(chef-lieu Namur), de Jemmapes (chef-lieu Mons), le sud du département de la
Dyle (chef-lieu Bruxelles), et le département des Forêts (dont le chef-lieu est
à l'époque Luxembourg).
En
Flandre, l'accueil est moins enthousiaste. Les Flamands tirent dans le dos des
soldats de Napoléon en retraite - cela deviendra une habitude...
Les
Wallons, eux, se trouvent arrachés contre leur gré au reste de la France après
Waterloo.
Car
l'Angleterre, et la Sainte Alliance, veulent construire un rempart contre la
France : le Grand Royaume des Pays-Bas, préfiguration du Benelux, dans lequel,
par précaution, on arme des forteresses : garnison hollandaise à Bouillon,
prussienne à Luxembourg...
Cependant,
il est bien difficile de nier le caractère français de la Wallonie, qui
regroupe des Picards, des Lorrains et des Champenois, en-dehors des Wallons
proprement dits...
Quel
caractère "national" différencierait Tournai de Lille, Mons de Valenciennes,
Chimay de Rocroi, Bouillon de Sedan ?...
Aucun
historien ne remarque que, alors que le principe des nationalités est dénié à la
France, en ce qui concerne la Wallonie, il est appliqué à la Prusse, avec
l'extraordinaire cadeau qui lui est fait de la Rhénanie - contre le voeu des habitants !
Si
l'on regarde la carte de la frontière française du nord-est en 1815, deux choses
ont changé par rapport à 1789 : la disparition de la principauté de Liège, et
l'installation de la Prusse sur le Rhin, ce qui lui donne les bases d'une
formidable puissance industrielle et militaire...
Pendant
cette période, les Hollandais commencent à vouloir néerlandiser les pays wallons
: ce sera l'une des causes de la révolution de 1830.
Car
en 1830, la Belgique se soulève. Notons que la bourgeoisie flamande est,
elle aussi, francophone.
Premier
souhait du peuple : redevenir Français. Premier
veto britannique.
Solution
de repli : au moins, avoir un prince français - un fils de Louis-Philippe.
Second veto britannique...
L'Angleterre
va chercher un prince de Saxe-Cobourg-Gotha, qui n'a rien à voir
avec la choucroute, et qui ne parle qu'allemand...
Curieuse
dynastie : et pourquoi pas Mamelouk-Chulalongkorn-Monomotapa ?...
Au
fond, la vraie devise de la Belgique n'est pas "L'Union fait la
Force" - démentie quotidiennement, car la Flandre, nation sans Etat en devenir,
puise dans le romantisme allemand les traits d'un éveil, légitime par certains
côtés, fort douteux par d'autres... - mais bien "Faute de grives, on mange des
merles"...
Mais
les Wallons, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, vont se lancer, avec un
succès extraordinaire, dans l'aventure industrielle. Le sous-sol est riche, les
hommes sont entreprenants.
Et,
du coup, la bourgeoisie locale devient anglophile, et cherche à légitimer
l'existence du pays. C'est alors qu'est engagée l'extraordinaire entreprise
idéologique de réécriture de l'Histoire, sous la direction de l'historien Henri
Pirenne et de quelques autres, inventant au besoin des faux (la charte d'Albert
de Cuyk) pour essayer de prouver que la
Belgique avait préexisté de tous temps... A coups de libertés communales
(mais il existe aussi des beffrois gothiques à Douai, à Compiègne, à Dreux, à
Orléans, à Aix-en-Provence...), à coups de références bourguignonnes (qui
seront reprises, sur un mode douteux, par les "collaborateurs" des deux Guerres
mondiales...)
Au
moins le pays connaît-il une merveilleuse floraison, non seulement économique,
mais aussi intellectuelle et artistique... en langue française. Citons
simplement Emile Verhaeren, Maurice Maeterlinck... Tout cela est bien
connu.
En
1914, Joffre est dans la situation d'un général en chef qui a déjà perdu
une grande bataille... avant qu'un seul coup de fusil n'ait été tiré. Il est
tout de même extraordinaire qu'aucun historien ne le remarque ! Si la Wallonie -
car c'est la Wallonie qui est stratégique ; il faut savoir lire une
carte... - avait été française alors, pas de plan Schlieffen ! Pas
d'invasion allemande ! Toute l'armée française sur les Hautes Fagnes, couvrant
les forts de Liège ! Pas de bataille calamiteuse de Charleroi !
Pas de bataille de la Marne - mais une bataille du Rhin.
Il
aurait fallu à l'Allemagne, soit se mettre un adversaire supplémentaire sur les
bras, la Hollande, et prêter facilement le flanc à une contre-attaque, avec des
lignes démesurément étirées, et la barrière de l'Escaut... soit tâcher de forcer
à travers la trouée d'Arlon - qu'il n'aurait pas été au-dessus des forces
de militaires même moyennement doués de fortifier solidement.
Il
n'est donc pas exagéré de dire - ce qui n'infirme en rien le
caractère extraordinairement sympathique de la très grande majorité des "Belges"
- que l'existence même de la "Belgique" aura coûté à la France des
centaines de milliers de morts dans les deux Guerres mondiales...
Aucun
historien ne nous le dit...
Mais
l'Angleterre savait ce qu'elle faisait. Simplement, préparant, elle aussi "la
guerre d'avant", elle n'avait pas davantage vu venir la Prusse que, de
nos jours, les Etats-Unis n'ont vu l'Iran derrière l'Irak...
Car
le plus extraordinaire, dans tout cela, et le moins bien compris, est ceci : la
"Belgique" du XIXème siècle préfigure l' "Europe" des XXème et XXIème
siècles !
Oui,
si l'on veut, "la Belgique est le laboratoire de l'Europe". Mais dans un
sens tout différent de celui qu'on croit...
Reprenons
: un assemblage, un collage, un bricolage de nations ou morceaux de nations
diverses - assemblage, donc, impuissant par construction... et objectivement au
service de la puissance anglo-saxonne dominante du moment. L'Angleterre au
XIXème siècle, les Etats-Unis aujourd'hui.
L'"Europe"
d'aujourd'hui n'est qu'une grosse Belgique impuissante et paralysante.
Etonnez-vous...
Reprenons
le cours de l'Histoire. Déjà, au tournant des XIXème et XXème siècles, le député
Jules Destrée disait au roi Léopold II "Sire, il n'y a pas de
Belges".
Et
au nord, la Flandre, jusqu'alors divisée en dialectes divers, prend conscience
de son caractère de nation sans Etat, et demande à être administrée en
néerlandais.
Au
début des années 1930, l'université de Gand est néerlandisée, ce qui
n'est que justice - mais, parallèlement, tout enseignement en français est
interdit dans la ville, manifestation de revanche hargneuse et intolérance
récurrente... qui vise à marginaliser les Francophones de Flandre,
qualifiés de "Fransquillons" et progressivement privés de tous droits
linguistiques, au mépris des principes démocratiques.
Après
la remilitarisation de la Rhénanie par Hitler, Léopold III dénonce l'alliance
française. Après avoir envoyé un télégramme à l'occasion de l'anniversaire du
Führer, il masse la moitié de son armée face à la frontière
française...
En
1940, une grande partie des troupes flamandes déserte... quand elle ne tire
pas dans le dos de ses "frères d'armes" wallons...
La
collaboration, si elle compte les rexistes de Léon Degrelle en Wallonie, est
nettement plus répandue en Flandre. Outre la chanson de Jacques Brel, on en
trouvera l'écho dans le film de Delvaux, "Femme entre chien et
loup".
Les
Allemands libèrent immédiatement les prisonniers flamands, et gardent les
wallons jusqu'à la fin de la guerre, accentuant ainsi le déséquilibre
démographique...
On
connaît par ailleurs les projets de Roosevelt tendant à constituer un Etat
tampon entre la France et l'Allemagne - prélevé uniquement sur la substance
française, et regroupant l'Alsace-Lorraine, la Wallonie et le nord de la
France...
En
1945, le Congrès national wallon, réuni à Liège, demande spontanément la réunion
à la France... avant de se rallier, in fine, à une solution fédérale qui
se révélera illusoire.
Lorsque
Léopold III veut remonter sur le trône, la Wallonie tout entière s'insurge :
c'est la fameuse "question royale".
Les
Wallons auront gain de cause. Ce sera la dernière fois.
Car
la Flandre, usant et abusant d'une "majorité" automatique - car résultant du
tracé des frontières - accapare les investissements, accentuant la crise
qui se profile en Wallonie. Le port de Zeebrugge, l'aéroport de Zaventem,
sont nationaux belges lorsqu'il s'agit de les payer, et nationaux flamands
lorsqu'il s'agit d'en tirer profit...
Mais
les Wallons, dans leur grande majorité, restent encore attachés - pour combien
de temps ? - à une Belgique qu'ils ont longtemps considéré comme leur pays... mais qui ne l'est plus
vraiment...
Depuis
M. Leburton, aucun Premier ministre n'a été
Wallon...
Et
les Français, de leur côté, sous-informés, n'ont pas vu le passage de la
Belgique à la België-Belgique, puis à la
Belgium - dont la diplomatie s'exprime en
anglais...
Ils
n'ont d'ailleurs jamais bien compris la nature d'un pays longtemps gouverné en
français, mais contre la France - car toujours obligé de justifier de sa "non
francité", réelle ou supposée.
Au
fond, dans l'Histoire, la Belgique n'aura jamais été un principal, mais
un accessoire, défini par rapport à la France.
Le
déséquilibre économique actuel entre les deux parties du pays résulte de causes
bien connues, mais auxquelles le régime belge est incapable de
s'attaquer.
La
Flandre refuse la solidarité élémentaire que constitue la Sécurité Sociale - ce
qui suffit à démontrer qu'il y a en Belgique, non pas une,
mais deux nations...
Et
la Flandre se barricade derrière des frontières linguistiques depuis 1963 -
frontières qui enferment Bruxelles dans un carcan, au mépris des réalités
humaines, et linguistiques, d'une agglomération à plus de 85 %
francophone.
Face
à une Flandre qui sait ce qu'elle veut, la Wallonie peine à trouver une
stratégie. Les Wallons semblent atteints d'une sorte de "syndrome de Stockholm"
collectif. Le réveil sera rude. Il n'a pas encore commencé pour
tout le monde.
Face
à cette situation, que peut la France ?
La
menace militaire n'est plus aussi directe. Cependant, il n'est pas
difficile d'imaginer qu'une Wallonie plombée par la dette, incapable de
satisfaire aux critères de Maëstricht, serait la proie de l'Empire : base
américaine étendue, en échange de la reprise de la dette par un panier de
banques, par exemple...
De
Gaulle avait fort bien vu la situation. La France ne peut, ni ne veut, annexer
une population contre son gré, évidemment. Mais cette situation de l'opinion
wallonne peut évoluer assez vite. Lors des grandes crises, des guerres, des
grèves des années 1960, on a vu surgir des drapeaux bleu-blanc-rouge, entendu la
Marseillaise...
La
Wallonie est aujourd'hui otage de la Flandre, mais peut-être plus pour
longtemps.
Il
revient simplement à notre pays de faire savoir, discrètement mais clairement,
qu'il respectera le voeu des populations, mais qu'il
accueillera les Wallons, s'ils le désirent, au sein de la
République.
Cette
réunion aiderait à corriger le déséquilibre entre la France et l'Allemagne, et
donnerait enfin à notre pays la plénitude des avantages de sa situation
géopolitique. Elle ferait cesser le chantage implicite (diplomatie à la remorque
des Anglo-Saxons) qu'implique ce qui n'aura été qu'une longue prise
d'otages d'une partie de la famille.
L'éclatement
de la Belgique est aujourd'hui probable. Mais quelle que soit la solution
adoptée - même provisoirement - le partage doit se faire en suivant le voeu des populations, et non suivant une frontière
administrative imposée par la Flandre dans les années 1960. C'est également le
sens de la mission du Conseil de l'Europe, qui avait conclu que les
droits de l'homme n'étaient pas respectés dans la périphérie
bruxelloise... On rétablirait ainsi une continuité territoriale entre Bruxelles
et la Wallonie, si, comme il est probable, les communes dites "à facilités"
demandent à intégrer la région de Bruxelles.
La
réunion de la Wallonie à la France, qui serait l'aboutissement de toute
notre Histoire, et la réparation d'une injustice, apparaîtrait vite aussi
naturelle que la réunification de l'Allemagne. Elle tournerait davantage la
France vers les débouchés de l'Europe du nord. Elle aiderait à redonner aux Français confiance dans le destin de leur
pays.