Débat du CNR et de l’Académie du gaullisme, le 17 juin 2019 organisé par Jacques MYARD

Présidé par Pierre CONESA

Thème : « Les moyens d’influence de l’Arabie Saoudite en France et dans le monde après l’affaire KASHOGGI »



par Christine ALFARGE

Après deux ans de règne sur les destinées du pays par le prince héritier d’Arabie Saoudite Mohamed Ben Salmane et un cercle de proches, les serviteurs, qui sont-ils et quel est leur impact sur les décisions ? Selon Pierre CONESA, « il n’y a pas de connaissance en profondeur de l’Arabie Saoudite, aujourd’hui, nous ne savons pas quels sont les facteurs de tensions dans la société saoudienne, il faut faire du terrain pour connaître cette société saoudienne. »

A travers son livre « Docteur Saoud et Mister Jihad, la diplomatie religieuse de l’Arabie Saoudite », Pierre CONESA présente une étude sur le royaume le plus puissant voulant mener un projet planétaire d’expansion du totalitarisme religieux wahhabite. Cela lui a valu d’être accusé par le quai d’Orsay d’être saoudophobe. Selon Pierre CONESA, expert en relations internationales du Proche et Moyen-Orient dans son rapport sur le lobby saoudien en France, « la société saoudienne est une société protégée vis-à-vis de laquelle nous avons des réactions y compris médiatiques qui ne sont pas de même nature que ce qu’on va trouver sur d’autres pays. »

Une dimension médiatique omniprésente.

Qui y a-t-il avec l’Arabie Saoudite ? Aujourd’hui, il n’y a aucune sanction contre elle. Comment fonctionne le lobby saoudien en France ? Selon Pierre CONESA : « Il faut se rendre compte qu’au sujet de la communication, l’histoire de l’Arabie Saoudite est une longue histoire. Au départ, les Saoudiens pensaient que maîtriser la presse arabophone était un bon acquis, ça suffisait. Premier choc pour eux, la constitution d’Al Jazeera par le Qatar fut un choc pour le royaume saoudien, un média capable de faire de l’information en arabe, en anglais qui plus est d’origine arabe. Les Saoudiens réagiront en essayant d’empêcher Al Jazeera et finalement ils vont créer Al Arabiya. »

Alors que se passe-t-il en France ?

L’Arabie Saoudite est partie sur d’autres postulats à la différence du Qatar où on a utilisé la diplomatie du carnet de chèque.

Selon Pierre CONESA : « Il suffisait de passer à l’ambassade du Qatar pour dire qu’on était un vieil ami du Qatar, qu’on avait un projet et les gens repartaient avec un chèque. Toute l’enquête de Chesnot et Malbrunot a été de tracer l’argent, le Qatar n’avait pas l’ambition d’influencer l’Islam de France, il était trop petit pour ça. Les saoudiens ont eu l’intelligence de comprendre qu’ils n’avaient aucun intellectuel exportable, qu’ils n’avaient pas de diaspora à l’étranger donc ils ne pouvaient pas avoir de groupes de pression suffisants pour faire comme les algériens ou les marocains pour faire une espèce d’organisation de l’opinion et puis la dernière chose, c’est que le produit est invendable. Qui va prendre la défense de l’Arabie Saoudite, le pays le plus intolérant de la planète ? Donc ils ont eu l’intelligence qu’il ne fallait pas faire mais faire faire d’où leur contrat très vite avec des sociétés de relation publique, des sociétés de lobbying. » 

Le poids des lobbys.

Dès le lendemain du 11 septembre, la société CORVIS a approché les Saoudiens en leur disant « vous ne savez pas faire on va vous aider ». Les Saoudiens avaient leur propre influence sur le système politique mais évidemment le choc était tel sur l’opinion publique qu’il y avait un gros travail. La société CORVIS a suivi l’Arabie Saoudite pratiquement tout le temps, rachetée en 2011 par Publicis, elle est maintenant responsable de la communication de l’Arabie Saoudite à Bruxelles. Selon Pierre CONESA : « Les saoudiens ont des contrats avec les cinq majors de la communication mondiale, trois américains et deux français Publicis et Havas. Les Saoudiens ont saturé le marché de la communication, l’originalité du système saoudien, ce n’est pas les grosses boîtes qui font, les grosses boîtes sous-traitent, ce qui fait qu’il y a une arborescence qui fait qu’on ne peut jamais dire non. On ferme les yeux sur l’Arabie Saoudite ».

Comment se fait-il qu’on en soit arrivé à ce que toute critique contre le régime saoudien devient une critique contre l’Islam ? Selon Pierre CONESA : « Il y a trois aspects différents dans la maîtrise de la communication des Saoudiens. Première cible, c’est les décideurs occidentaux. Quand un décideur occidental va en Arabie Saoudite, il revient toujours avec une lettre d’intention, c’est l’exemple de Manuel Valls qui va en Arabie Saoudite et dit regardez, c’est 10 milliards de contrat. Trump y va un peu plus tard et dit regardez c’est 110 milliards de contrat. Ce qui est intéressant après dans la lettre d’intention, il n’y a pas obligatoirement de contrat mais l’homme politique qui revient dans son pays dit regardez avec moi ça avance, comme ça, ils ne critiqueront pas. La deuxième cible, c’est les hommes d’affaires, quand on annonce un projet pharaonique de 500 milliards de dollars, il y a de quoi attirés tous les hommes d’affaires. Si on passe trois ans après et qu’on ne voit rien, c’est bien un mécanisme de communication car on croit à ce pays parce qu’il est richissime. Il y a un effet de mirage suffisant pour que personne ne critique. La troisième cible qui est très importante aussi c’est les représentants de l’Islam à l’étranger, c’est-à-dire qu’il ne faut pas de critique venant de pays musulmans contre l’Arabie Saoudite. Là, c’est la conjonction de deux phénomènes, d’abord le fait que les organisations musulmanes à l’étranger ont besoin d’argent pour la construction de mosquée dont les financeurs sont des gens du Golfe et bien sûr la concurrence Qatar Arabie Saoudite. »

L’autre question importante, c’est le Yémen.

On s’aperçoit qu’aucune autorité religieuse à l’étranger ne critique l’attitude de l’Arabie Saoudite au Yémen. Pourquoi ? Parce que les Saoudiens ont réussi à faire croire que toute critique contre l’Arabie Saoudite est une critique contre l’Islam. Au regard de l’Arabie Saoudite, on est dans un état de faiblesse beaucoup plus grand que celui des Etats-Unis d’où le mutisme des hommes politiques français.

Est-on infiltré au sein de nos propres institutions avec des relais d’influence de l’Arabie Saoudite ? Selon Pierre CONESA : « Ce n’est pas une infiltration, c’est une espèce de combinaison de mutisme, on refuse d’en parler, c’est une espèce de mélange de défense des intérêts supérieurs de l’état et puis l’opinion publique, les Saoudiens s’en foutent. La raison d’état, c’est des gens qu’on ménage. On achète des personnalités parisiennes dont on sait que leur carnet d’adresse permettra d’ouvrir certaines portes avec des liens contractuels tellement juteux que même face à un scandale comme celui de KASHOGGI, il n’y a aucune boîte qui renonce à son contrat. »

L’Arabie Saoudite finance-t-elle des lobbys anti iraniens ?

Est-ce que l’Arabie Saoudite continue la guerre contre l’Iran sur notre propre sol ? Selon Pierre CONESA : « ceux les plus faciles à identifier sont les moudjahidines du peuple, un parti d’opposants au régime des mollahs qui fit une partie du chemin avec la révolution, pensant au départ, qu’il mettrait Khomeini dans sa poche, mais le personnage était plus fort et les moudjahidines ont été réprimés et sont partis à l’étranger notamment en France. Depuis cette époque, les iraniens considèrent que c’est un groupe terroriste puisqu’il a fait des attentats sur le territoire iranien et surtout il a fait la guerre avec les irakiens contre son propre pays. Les Saoudiens soutiennent ce mouvement qui n’a aucune crédibilité, on est sur un terrain de jeu. »

L’Islam français est-il possible ?

L’ambassadeur saoudien a déclaré « nous avons versé 3,7 millions d’euros au total soit 750 000 euros par an ». Pour Pierre CONESA : « On sait que le salafisme est d’origine wahabite, donc on sait que l’Arabie Saoudite a diffusé l’idéologie. Cependant, il y a cette contradiction pour sauver la dynastie, il faut marcher sur la tête des religieux mais les religieux en général se vengent comme après 91, ils ont fermé tous les cinémas de Ryad, les résistances à l’intérieur de la dynastie saoudienne font que la dynastie peut être menacée, les saoudiens savent très bien qu’il ne faut pas se fâcher avec les occidentaux parce qu’ils peuvent en avoir besoin. »

Alors que fait-on, on les envahit ?

Selon Pierre CONESA : « Je crois qu’il faut être extrêmement clair avec eux, il faut faire preuve de courage. Quand Angela Merkel rompt le contrat d’armement avec l’Arabie Saoudite, pourquoi nous dit-on, c’est impossible pour le cas de la France ? C‘est un acte de courage politique. »

On vendait des armes à l’Arabie Saoudite qui a été longtemps notre meilleur client mais parce que les Saoudiens ne s’en servaient pas. Ils achetaient des garanties de sécurité, on vendait d’autant plus qu’on savait que les Saoudiens n’utilisaient pas ces armes. Ce qui pose problème maintenant, c’est qu’ils les utilisent au Yémen. Si on n’a pas de position européenne commune sur l’Arabie Saoudite, on n’aura pas de moyen de pression.

Selon Pierre CONESA : « Médiatiquement parlant, les Saoudiens sont protégés mais l’affaire KASHOGGI est quand même un tournant, ça a tellement scandalisé l’ensemble de la planète que le feuilleton que les Turcs ont parfaitement géré en sortant des informations au fur et à mesure, a fait que nous sommes arrivés à un moment de paroxysme où l’instant du procès du système saoudien est quand même apparu. Le futur de notre relation avec l’Arabie Saoudite se jugera sur la façon dont sera gérée la suite de l’affaire KASHOGGI. Aux Etats-Unis, ça continue à bouillonner, mais en France, cette affaire KASHOGGI intéresse qui ? ».

La France doit-elle rompre ses relations avec l’Arabie Saoudite ?

Non, Pierre CONESA pense que « la France a un rôle à jouer pour empêcher le scénario de la guerre. Le moindre scénario de conflit bloque le Golfe avec le détroit d’Ormuz et des effets sur l’ensemble de la planète, le pétrole du Golfe s’en va essentiellement vers l’Asie et nous devrions faire jouer la solidarité atlantique. C’est une situation particulièrement explosive. La France a un rôle à jouer pour dénoncer cette politique du conflit qui a été créée artificiellement par Trump. En dénonçant l’accord nucléaire, il a mis un embargo le plus dur qui soit, on en a vu les effets avec l’Irak, l’embargo n’a jamais abouti à un renversement d’un régime. Une guerre est possible. »

Où en est-on avec l’Iran ?

Selon Pierre CONESA : « Avec l’Iran c’est un choc de Titan, il y a une espèce d’hypocrisie sur la région, à la merci de n’importe quelle provocation. Le seul pays qui s’est tenu à l’écart de tous les conflits c’est Oman qui a de bonnes relations avec tout le monde. Alors que l’Iran est décrit comme un pays archaïque, rétrograde, peuplé de gardiens de la révolution, des femmes qui se font battre, des gens qui se font pendre, l ’Arabie, c’est l’intolérance absolue où aucune autre religion n’est tolérée parce qu’on est en terre d’Islam. En revanche, les Saoudiens sont beaucoup plus forts que les Iraniens en matière de communication. »

La Chine dans tout ça va se positionner comment ?

Selon Pierre CONESA : « La Chine fait partie de ces scénarios intéressants de fabrication de l’ennemi. Trump a décidé que la Chine devait être sanctionnée. La Chine va être regardée comme le perturbateur des relations internationales parce qu’elle continue d’acheter du pétrole iranien. Nous sommes dans un monde de l’image, on peut comprendre que si les Chinois veulent faire leur propre Internet, c’est parce qu’ils ne veulent pas être sous l’autorité des Américains. Arriver à cette pondération qui était la caractéristique du régime gaullien, la diplomatie de De Gaulle, la France devant faire sa propre diplomatie au milieu d’un monde où il n’y a pas obligatoirement les méchants d’un côté et les gentils de l’autre. »

Est-ce qu’une révolution est envisageable en Arabie Saoudite ?

Selon Pierre CONESA : « Non, je crois que l’opération la plus probable, c’est que Mohamed Ben Salmane a fâché ses cousins en leur prenant leurs biens ce qui a rapporté plusieurs milliards au royaume. Mohamed Ben Salmane renforce son pouvoir sur les médias en prenant le contrôle de tout, ça fait partie de sa politique de communication, son souci principal, la concentration du pouvoir à travers son image. » 

Qui menace réellement l’Arabie Saoudite ? Tant qu’elle sera riche, aucun pays ne dénoncera l’Arabie Saoudite. Et que va devenir cette affaire KASHOGGI ? Pour Pierre CONESA, l’Arabie Saoudite refuse de coopérer sur cette affaire.

La seule question qui vaille à terme, ce régime est-il stable, est-ce que cela peut durer ? conclut Jacques MYARD.

 

 

© 01.09.2019