par Marc DUGOIS
La spiritualité est discrètement à la mode. L’attirance plus
ou moins avouée pour les mouvements philosophiques comme la franc-maçonnerie et
le bouddhisme ou pour le militantisme religieux beaucoup plus fédérateur que le
militantisme politique, montre une recherche diffuse des voies qui mèneraient à
la sagesse dans un monde où la famille déliquescente l’enseigne de moins en
moins. Même la « spiritualité laïque » chère à André Comte-Sponville cherche à
combler un vide.
Mais la spiritualité est un oxymore comme « l’obscure clarté
qui tombe des étoiles » dont Corneille faisait éclairer les Espagnols dans Le
Cid. Elle est la superposition délicate de la double recherche d’un dépassement
de soi et d’une cohérence. le dépassement de soi étant du domaine du mouvement
et la cohérence, de celui de l’harmonie. Or le mouvement et l’harmonie se
marient aussi difficilement que l’eau et le feu, chacun étant pourtant
totalement essentiel.
Dans toutes les civilisations le dépassement de soi était du
domaine de la religion alors que la cohérence était dans le champ politique,
les deux vivant toujours une cohabitation difficile, ambiguë ou hypocrite,
allant de la laïcité ne croyant en rien, à la religion d’État faisant semblant
en tout. Le dernier avatar de cette religion d’État s’est exprimé à l’ambassade
de France à Bucarest lorsque Emmanuel Macron a dit le 24 août dernier : « La
France n’est elle-même que quand elle mène des combats qui sont plus grands
qu’elle ». On retrouve la fille aînée de l’Église avec celui qui s’en
autoproclame le nouveau grand-prêtre.
Le domaine politique, celui de l’État, a été fort bien décrit
par Frédéric Bastiat dans sa profession de foi électorale de 1846 :
« Pour moi, je pense que lorsque le pouvoir a garanti à
chacun le libre exercice et le produit de ses facultés, réprimé l’abus qu’on en
peut faire, maintenu l’ordre, assuré l’indépendance nationale et exécuté
certains travaux d’utilité publique au-dessus des forces individuelles, il a
rempli à peu près toute sa tâche.
« En dehors ce cercle, religion, éducation, association,
travail, échanges, tout appartient au domaine de l’activité privée, sous l’œil
de l’autorité publique, qui ne doit avoir qu’une mission de surveillance et de
répression. »
Cette approche libérale de l’État est très intelligente si le
dépassement de soi et la morale sont stimulées par une autre autorité qui est
habituellement la religion. La religion est en effet fondé sur le dépassement
de soi, sur l’exemplarité historique et sur une communauté qui rend la croyance
presque objective par la quasi-unanimité de ceux qui y adhèrent. Mais croire
que la « main invisible » d’Adam Smith qui ferait naturellement converger les
intérêts personnels vers l’intérêt commun existerait sans la structure
religieuse, est parfaitement utopique. Sans dépassement de soi c’est très vite
la loi du plus fort. Dans toutes les civilisations, y compris la nôtre jusqu’au
XXe siècle, l’Église et l’État ont toujours vécu, avec remous mais la main dans
la main, leur mariage sulfureux mais fondamental. Depuis la loi de 1905 séparant
en France l’Église et l’État, c’est en fait l’État qui tente de cumuler la
cohérence et le dépassement de soi. Il n’y arrive évidemment pas car pousser
quelqu’un à se dépasser lui-même n’est pas un travail de fonctionnaire quel que
soit l’argent dépensé pour ce faire. L’immense ratage de l’éducation nationale
qui n’a pas su rester l’instruction publique en est une preuve flagrante,
concrète et quotidienne
Il n’est pas aisé et pas aussi naturel que cela de se
dépasser soi-même et de faire sur soi des efforts que l’on n’aime pas trop tout
en les sachant pourtant importants. La spiritualité alimente ces efforts et l’assemblée
de tous ceux qui partagent le même désir d’efforts sur soi s’appellent Église à
partir d’un mot grec dans le christianisme ou oumma, sa traduction exacte en
arabe dans l’islam.
La question se pose alors de savoir si l’Église qui rassemble
une culture pour la faire progresser, doit tendre dans un lieu donné vers
l’unité. Faut-il aller vers un camaïeu de cultures comme semble l’avoir réussi
l’Indonésie et comme les pays anglo-saxons le ratent actuellement ou comme un
creuset de cultures comme l’affirme tout pays ayant une religion d’État ?
La France, terre d’invasions venant du nord, de l’est et du
sud, s’est toujours enrichie en assimilant ses envahisseurs quand ils ne
repartaient pas. C’est une originalité quasiment unique au monde et la question
se pose aujourd’hui avec l’islam de savoir si nous devons garder notre
originalité ou tenter de réussi un camaïeu de cultures ce qui n’est pas notre
tradition. La France a déjà assimilé au temps des Barbaresques et des Maures,
des Arabes islamiques qui lui ont apporté de nouveaux mots tels que divan,
safran, sirop, magasin, fardeau, alcool ou amiral. Plus récemment le
marathonien Ali Mimoun est devenu Alain Mimoun.
La France doit-elle abandonner sa tradition et tenter
l’expérience du camaïeu de cultures ? Doit-elle tenter de réussir ce que tous
les occidentaux ont raté ? Estelle suffisamment forte pour se lancer dans cette
aventure ?
Les libéraux et les socialistes ne s’affrontent que sur
l’acteur qui doit régler ce problème, le privé pour les libéraux ou le public
pour les socialistes. Ni les uns ni les autres n’affrontent la difficulté.
Dans ce XXIe siècle où l’on croit pouvoir affadir les groupes
au profit des individus, c’est probablement pourtant par l’assemblée des
croyants que viendra l’harmonie entre l’individu et le groupe. Assemblée au
singulier ou assemblées au pluriel ?
Au lieu de travailler cette très difficile question,
socialistes et libéraux ont mis la difficulté sous le tapis et se sont
engouffrés dans l’impasse de la création de richesses, ce mythe du siècle des
Lumières totalement ancré dans les esprits occidentaux et qui doit nous
apporter de quoi rembourser les dettes et nous permettre de vivre dans un pays de cocagne promis par nos politiques,
pays dans lequel le dépassement de soi serait devenu ringard.
Les politiques appellent cette fausse création de richesses
le PIB, les économistes l’appellent la valeur ajoutée et ils la calculent en
additionnant toutes nos dépenses sans jamais se demander d’où venait l’argent.
Tous veulent que nous accroissions nos dépenses pour faire de la croissance et
ne rien avoir à affronter. Même les religieux chrétiens ne prônent quasiment
plus le dépassement de soi que pour une juste répartition entre la « famille
humaine » des richesses créées. Ils sont de moins en moins diserts sur le
dépassement de soi dans la spiritualité.
Tant que nous ne nous serons pas extirpés des phrases toutes
faites anesthésiantes comme « La France n’a jamais été aussi riche », « Il
ne manque que les moyens », « De l’argent il y en a », « La
croissance revient », nous ne pourrons aborder le problème de fond du
dépassement de soi qui donne un sens à la vie et que le christianisme devrait
sans doute réinvestir plus vigoureusement s’il ne veut pas laisser la place.
S’il réagissait vraiment nous aurions sans doute moins besoin des trois
onguents dont nous nous enduisons pour ne pas nous remettre en question, la
mondialisation, la dette et l’immigration. Ces trois servitudes dissimulent en
fait un seul problème, notre difficulté à nous mettre au travail pour produire
l’essentiel de ce qu’il nous faut. Nous préférons dire aux autres ce qu’il faut
faire.