UN PAVE DU NOBEL STIGLITZ DANS

LA MARE DE L'EURO

par Paul KLOBOUKOFF,

 

« L’EURO COMMENT LA MONNAIE UNIQUE MENACE L'AVENIR DE L'EUROPE »

 

Ce pavé de 500 pages de Joseph E Stiglitz édité en français en septembre 2016, n'a pas manqué de susciter de l'intérêt et des réactions, notamment en raison de la notoriété de son auteur. À soixante-treize ans, il a conservé toute sa verve et son désir de convaincre. Prix Nobel d'économie en 2001, il a aussi été vice-président et économiste en chef de la Banque mondiale de 1997 à 2000, après avoir conseillé Bill Clinton de 1995 à 1997. C'est l'un des fondateurs les plus connus du « nouveau keynésianisme », une « école » née dans les années 1980 critique envers les médications des Keynésiens ardents défenseurs du déficit budgétaire et des taux d'intérêt bas, qui ne tiendraient pas assez compte des problèmes structurels liés au fonctionnement, très imparfait, du « marché ». 

 Pour le moment, en France, l'ouvrage au titre « iconoclaste » n'a connu qu'un modeste retentissement. Il est vrai qu'entre la mobilisation antiterroriste, le malaise des policiers, les « primaires » de la droite (dont les acteurs ne s'attardent pas sur les questions économiques relatives à l'euro et à l'Union européenne) et les commentaires peu amènes sur « Un président ne devrait pas dire ça », l'espace médiatique est restreint pour aborder des problèmes « trop techniques pour faire de l'audience ». Il est possible que l'écho s'amplifie à l'approche des présidentielles, lorsque les ténors des partis eurosceptiques (ou eurocritiques) tiendront davantage le micro. L'ouvrage leur  fournit des arguments qui, à défaut d'être tous nouveaux pour eux, bénéficient de sa signature. 

 Cependant, si ses attaques contre la conception et la gestion de l'euro, contre le dogme de l'austérité, sont pesantes et virulentes, en contrepartie, les propositions, les conditions à remplir pour sauver l'euro qu'il développe vont, au moins en partie, dans le sens des orientations et des décisions que poussent et promeuvent les dirigeants « fédéralistes » qui sont à la tête de l'UE. Celles de Stiglitz pour « plus d'Europe » et encore « plus d'Europe » sont encore plus « intégristes » et dirigistes, voulant hâter la « convergence » et la marche vers une union politique « solidaire », y compris en matière sociale, usant de normes et de transferts significatifs devant aboutir fatalement au nivellement entre les pays.  

S'il n'est pas original en tous points, l'éventail des alternatives qu'il étudie comporte des particularités intéressantes. Il aborde successivement : 

 - le sauvetage de l'euro par « plus d'Europe », à sa façon  (choix qui lui parait très improbable) ; 

 - la sortie de l'euro, « le divorce à l'amiable », d'un ou plusieurs États membres, de préférence l'Allemagne, et/ou la constitution au sein de la zone euro actuelle, d'un « euro nordique » plus fort que l'euro, qui resterait celui du Sud (et de l'Est) ;

  - le système de « l'euro flexible », qui permettrait au sein de la zone des ajustements « coordonnés » entre les euros de pays et/ou de groupes de pays présentant une certaine homogénéité économique. Sous des conditions très strictes et une  forte solidarité entre les États, il pourrait relancer la croissance, stabiliser les économies puis organiser progressivement le rapprochement entre ces monnaies jusqu'à en refaire une monnaie unique, l'euro. Cette dernière voie ne lui semble pas inaccessible. 

 

Les doutes ne manquent pas sur la viabilité de l'euro, une monnaie bâtie à des fins politiques plus que sur des bases cohérentes, dans une UE qui, dès le début, a résisté aux tentatives fédéralistes. Une zone euro « menacée d'explosion », que, pour certains, la sortie de l'Allemagne pourrait soulager. Un retour au deutsche mark que le Gouvernement allemand, pessimiste ou prudent, préparerait, d'ailleurs, en toute discrétion. En septembre 2014, sur Atlantico.fr, Jacques Myard expliquait pourquoi « Soit chacun retrouve sa monnaie, soit l'Allemagne décide de sortir de l'euro » (1). Deux mois plus tard, sur Economiematin.fr, Charles Sannat « dévoilait » : «  Scoop! Le plan secret de l'Allemagne pour sortir de l'euro » (2). En novembre 2015, c'était au tour de Jean-Marc Sylvestre sur Peuple de France.com d'alerter « L'Allemagne prépare sans le dire sa sortie de l'euro » (3). Et en février 2016, La Gazette de l'Assurance n'était pas la seule à afficher : « L'Allemagne se prépare à l'explosion de l'euro » (4). Ceci pour dire que les inquiétudes de Stiglitz et les alternatives qu'il examine ou propose ne sont pas sorties du néant.

Par contre, les critiques qu'il formule, les réformes qu'il suggère pour « plus d'Europe » et les instruments qu'il présente pour mettre en œuvre  ses alternatives sont plus personnelles et méritent un examen attentif. C'est pourquoi je leur ai donné une assez large place ici.

Comme nous connaissons trop peu les politiques et les mesures qui ont été décidées et mises en place par les instances de l'UE ces dernières années pour tenter d'enrayer la crise, de relancer la croissance et de ranimer la « solidarité » entre les États membres, notamment pour le partage de l'endettement, il m'a semblé utile de passer en revue ces mesures que Stiglitz ne désapprouve pas mais qu'il estime insuffisantes, Cela nous permet aussi de vérifier que, comme il l'écrit,  l'Union est en panne « au milieu du gué ».

Finalement, le Prix Nobel semble assez pessimiste sur la réceptivité des dirigeants de l'UE aux alternatives qu'il propose. Par contre, il peut sans doute espérer qu'ils puisent dans ses projets de réformes et dans sa « boîte à outils » pour enrichir et diversifier leurs techniques de « bricolage »... et contribuer ainsi à prolonger la vie de l'euro. Car, sauver l'euro est une préoccupation majeure qui ressort de son essai, même s'il affirme à plusieurs reprises que l'Union européenne peut vivre sans l'euro, que l'euro n'est pas une fin en soi.     

1 - De vives critiques de Stiglitz et de profondes réformes proposées pour sauver l'euro

Une condamnation sans appel de la monnaie unique et de sa gestion

Pour Stiglitz, les Européens « ont mis la charrue avant les bœufs ». La création de l'euro, monnaie unique, n'a pas reposé sur une union politique entre des états « solidaires » de niveaux de développement et de potentiels proches poursuivant des buts communs. Dans l'esprit de ses concepteurs, l'euro devait contribuer à forger cette union politique encore réclamée par certains aujourd'hui. L'euro devait apporter plus de stabilité économique et financière pour favoriser plus de croissance, d'emploi et de bien-être, tout en contribuant à la convergence et à la réduction des disparités. « La monnaie unique était censée apporter la prospérité et favoriser la solidarité européenne. Elle a juste fait le contraire, avec des dépressions dans certains pays plus profondes que la Grande Dépression (des années 1930) », tonne Stiglitz, qui rend l'euro responsable de tous les problèmes des pays de la zone, surtout depuis le début de la crise de 2008.  

Deux graves défauts de naissance minent l'euro. Les États membres ne peuvent plus procéder à des ajustements monétaires (dévaluations ou réévaluations) en agissant sur les taux de change. Ils ne peuvent plus jouer sur les taux d'intérêt, dont la « gestion », centralisée, est du ressort de la Banque centrale européenne. Aussi, en cas de difficulté, explique-t-il, « La seule solution alternative aux ajustements des taux de change (devenus impossibles) est de faire des ajustements réels ». C'est à dire d'essayer de regagner de la compétitivité en abaissant les coûts par la compression ou la réduction des salaires. L'Allemagne l'a compris avant les autres pays de la zone. La Grèce a dû supporter de très dures exigences, sous le contrôle de la « troïka» (FMI, BCE et Commission de Bruxelles).

 C'est la seule alternative, car les « critères de stabilité » instaurés par le traité de Maastricht entravent (ou réduisent à zéro) les possibilités de relance de l'activité par la dépense publique (le déficit public ne doit pas excéder 3 % du PIB) et l'endettement public (qui ne doit pas dépasser 60 % du PIB). Ces limites sont « théoriques » et souvent non respectées (voir plus loin). Elles témoignent cependant de la volonté de « contrôler » la dépense ou, pour lui, d'imposer une austérité, nuisible à la croissance et à l'emploi, qu'il critique vivement et de façon répétée dans son essai. Sur ce plan, il est en désaccord complet avec les politiques « néolibérales » conduites... et il est moins « Nouveau Keynésien » qu'il y a trente ans. L'austérité est sa « bête noire ».

 De plus, il reproche à la BCE d'avoir pour seule mission de combattre l'inflation (tant redoutée de l'Allemagne), allant jusqu'à favoriser la déflation, qui a effectivement menacé les économies de la zone, et de négliger le soutien de l'investissement et de la croissance... au contraire de ce que fait la FED aux États-Unis. Nous verrons que ce reproche était justifié au début, au moins jusqu'à la crise de 2008, mais que, depuis, les choses ont changé.

 Pour Stiglitz, l'euro (avec les règles qui lui ont été associées) n'a pas assuré la convergence. « Quand les règles sont mauvaises, il faut les changer, sinon on court à la catastrophe ». Associé à une concurrence débridée [valeur majeure de l'UE], il a accentué la divergence et les disparités entre les pays. En particulier entre ceux du Nord, Allemagne et Pays-Bas en tête, et ceux du Sud, dont la France, avec la Grèce en queue. Nous en voyons les résultats, avec un recul puis une stagnation, un chômage et un endettement qui ont atteint des sommets. Et les écarts se creusent en termes de compétitivité, l'euro étant surévalué pour les uns et sous-évalué pour les autres.

Trop faible pour l’Allemagne, l’euro est trop fort pour la France et pour la plupart des autres pays de la zone

 De façon suivie, le FMI étudie les niveaux des taux de change réels (tenant compte de l'inflation) des monnaies de nombreux pays et évalue leur cohérence avec les « fondamentaux » et les politiques économiques souhaitables à moyen terme, notamment en vue d'assurer l'équilibre des comptes extérieurs. Il établit des fourchettes de pourcentages (ou taux) correspondant aux « surévaluations » ou aux « sous-évaluations » des monnaies étudiées. 

Selon des évaluations récentes (5) basées sur des données de l'année 2015, le niveau du taux de change de l'euro serait trop faible (ou sous-évalué) de 10 % à 20 % pour l'Allemagne, soit d'environ 15 % si on retient le milieu de la fourchette (MdF). Au contraire, il serait trop fort (ou surévalué) de 3 % à 9 %, soit d'environ 6 % (MdF) pour la France. L'écart, le déséquilibre entre les deux pays en faveur de l'Allemagne est important, de l'ordre de 21 %. 

Pour les Pays-Bas, autre pays du « Nord », l'euro serait aussi trop faible, de 2 à 10 %. Par contre, l'euro serait trop fort de 2 à 10 % pour la Belgique, de 0 à 10 % pour l'Italie, et de 5 à 10 % pour l'Espagne. 

Des évaluations sont présentées aussi pour deux pays de l'UE qui ont refusé l'euro et ont conservé leurs monnaies nationales : la couronne suédoise serait sous-évaluée de 0 à 12 %, et le zloty polonais serait sous-évalué de 0 à 10 %... des situations « favorables » autorisées par les « ajustements » des cours des monnaies en fonction des particularités des pays... que n'autorise pas l'euro à la France, à la Belgique, à l'Italie, à l'Espagne, à la Grèce, etc.  Ces constats ne sont pas nouveaux, même si nos gouvernants, accrochés à l'euro comme à une bouée de sauvetage dans une mer agitée, veulent en ignorer l'impact négatif pour notre économie et celles des autres pays du Sud.  Des évaluations antérieures du FMI (6) montrent qu'entre 2012 et 2015 la situation s'est détériorée : l'écart entre la France et l'Allemagne s'est creusé, montant d'environ 8 % en 2012 à 21 % en 2015. Et il ne semble pas y avoir d'inversion de la courbe en vue, malheureusement. « Beaucoup plus d'Europe » pour sauver l'euro ?

Dans la « postface» de son ouvrage, intitulée « Le brexit et ses suites », Stiglitz résume et martèle ses convictions, qu'un lecteur pressé peut trouver page 400 et suivantes. J'en ai retenu les messages clés suivants : 

« J'ai soutenu ici que, pour faire fonctionner l'euro, il doit y avoir plus d'Europe... beaucoup plus d'Europe qu'aujourd'hui. L'autre voie possible, c'est moins d'Europe, y compris l'abandon de la monnaie unique. Quant au système actuel du ‘’milieu du gué’’, ce livre a montré qu'il est insoutenable. Un raisonnement du même ordre vaut pour l'Union européenne en général

« On ne peut pas avoir une union économique sans un certain partage des risques et des charges. Si l'on s'en tient au refrain selon lequel ‘’l'Europe n'est pas une union de transfert’’ [référence à la position de l'Allemagne, notamment], l'Union européenne ne peut pas fonctionner. »

« La thèse de ce livre est qu'une monnaie unique exige plus d'Europe. La thèse de cette postface est qu'un marché unique et la liberté de migration exigent aussi plus d'Europe. Ce qu'il faut en plus, du point de vue économique, n'est pas énorme. Incontestablement, c'est à la portée de l'Europe. Que ce soit réalisable politiquement, c'est une autre affaire

Stiglitz souligne que plusieurs points de son « programme »  ne s'appliquent pas à la zone euro seulement mais à l'UE en général : « l'harmonisation fiscale et un système d'impôt progressif et un dispositif de sécurité sociale couvrant toute l'Europe, des politiques industrielles pour aider les pays en retard à rattraper les autres.»

Il s'agit de bâtir « une Europe nouvelle, plus démocratique, qui se donne pour objectif d'améliorer le bien-être de ses citoyens (‘’une prospérité équitablement répartie’’). On ne le fera pas avec l'idéologie néolibérale qui domine depuis plus de trente ans. Et on ne le fera pas non plus en confondant les fins et les moyens : l'euro n'est pas une fin en soi, c'est un moyen... Bien géré, il peut apporter la prospérité, mal géré, il fera baisser le niveau de vie des citoyens. »

 Une flopée de réformes structurelles pour que la zone euro fonctionne.

Au chapitre 9, « Comment créer une zone euro qui fonctionne », Stiglitz énonce sept réformes structurelle « nécessaires pour la viabilité à long terme de la zone euro», mais insuffisantes lors de chocs provoquant des récessions dans certains pays. Il ajoute donc deux réformes des politiques de crise. 

Les réformes structurelles sont :

1° La constitution d'une véritable union bancaire commune, ce qui « suppose une garantie commune des dépôts et des procédures communes pour régler la situation des banques qui ne peuvent pas satisfaire à leurs obligations ». Un fonds européen devrait être constitué à cet effet. Il plaide aussi pour une certaine souplesse dans la réglementation commune afin qu'en cas de crise les règles prudentielles n'obligent pas les banques des pays en difficulté à contracter le volume de leurs prêts, au risque de provoquer ou d'aggraver la récession ;

2° Une mutualisation partielle des dettes des États par la création « d'eurobonds » (obligations européennes) garantis par la « zone euro en bloc », ou tout autre mécanisme approprié. Elle traduirait la solidarité indispensable entre les États et la volonté des plus forts de soutenir les plus faibles. Les emprunts devraient servir uniquement à financer des investissements, dans les infrastructures et dans l'éducation, par exemple.

3° La constitution d'un cadre commun de stabilité (« autre qu'un pacte de suicide collectif ») par un ensemble de réformes comportant 6 grandes composantes : 

 - une réforme fondamentale des critères de Maastricht. Dans la ligne de mire, le taux maximum de 3 % pour le déficit des comptes publics, qui n'a pas de véritable fondement économique et est beaucoup trop rigide. Pour lui, il faut délaisser les politiques d'austérité au profit de politiques budgétaires expansives ;

 - un nouveau pacte de croissance soutenu par un fonds européen de stabilité pour la stabilisation - à l'image des fonds existants (fonds structurels et fonds de cohésion, bénéficiant aux nouveaux entrants dans l'UE) ;

 - la création de « stabilisateurs automatiques » qui permettent l'injection automatique d'argent dans le système quand une économie est confrontée à la récession. Parmi ceux à renforcer figurent « l'impôt progressif, les bons systèmes d'indemnisation du chômage et d'autres formes d'assurances sociales » (que nous connaissons très bien en France)... ainsi que la flexibilisation de la création du crédit. Stiglitz observe qu'imposer aux banques le strict respect de normes de fonds propres uniformes en toutes circonstances fonctionnerait comme un « déstabilisateur automatique», surtout en l'absence de système de garantie commune des dépôts  - la réglementation économique pour prévenir les excès (les bulles...) et maitriser l'instabilité créée par les marchés. Cette mission doit être commune à la BCE, aux régulateurs et aux superviseurs des banques ; 

 - la stabilisation des politiques monétaires par l'adoption de politiques budgétaires « anticycliques » pour rechercher en permanence le plein emploi et ne pas abuser du recours à des mesures monétaires, telles les modifications des taux d'intérêt.

4° Une vraie politique de convergence comprenant la fixation de règles pour lutter contre les excédents commerciaux excessifs de pays membres, fléaux facteurs de déséquilibres au sein de l'Union et même au niveau mondial.  Ainsi, pour lui, « il était pratiquement inévitable que les excédents de l'Allemagne aboutissent à la divergence entre les pays de la zone euro » [avis de plus en plus partagé dans les pays du Sud de la zone]. Il propose de taxer ces excédents. Pour limiter les « concurrences déloyales » et rapprocher les coûts entre les pays, il préconise non seulement l’institution de « salaires minima» dans les pays qui n'en ont pas, mais aussi leur relèvement et le renforcement des droits de négociation des travailleurs. Il déconseille également les restrictions imposées par l'UE aux politiques industrielles.

5° Une réforme macro-économique cruciale, consistant à changer le mandat de la BCE, à l'élargir à la promotion de la croissance de l'emploi et de la stabilité économique, et pas seulement au contrôle de l'inflation. Elle devra veiller, en particulier, à ce que le secteur financier n'expose pas l'économie à d'énormes risques [en spéculant] et qu'il fournisse correctement du crédit à des fins productives, aux PME, entre autres.

 

 

6° L'engagement de quatre réformes structurelles communes (toujours « en vue d'assurer le plein emploi et la croissance pour toute l'Europe ») : - pousser le secteur financier à bien jouer son rôle d'intermédiation en recyclant l'épargne, et faire en sorte qu'elle soit utilisée de façon productive, dans l'investissement, et l'inciter à se concentrer sur le long terme ; - réformer la gouvernance d'entreprise, trop « courttermiste », afin qu'elle s'inscrive dans le long terme, d'une part, et que cessent les excès, les abus en matière de rémunération des hauts dirigeants, d'autre part ; - modifier la réglementation des faillites pour permettre, en cas (fréquent) de surendettement, « de se décharger de ses dettes de façon ordonnée et de les restructurer » ; - promouvoir les investissements environnementaux... en faisant payer les pollueurs.

7° La promotion de l'intégration politique avec un engagement à partager la prospérité : il s'agit ici d'harmoniser les fiscalités et de lutter contre la pratique du « moins disant fiscal » pour attirer les capitaux et les investisseurs, d'un côté, et, de l'autre côté, d'élargir l'espace de la fiscalité redistributive [une spécialité « made in France »], sachant que « c'est au niveau de l'Union que doit absolument se situer la responsabilité majeure de la redistribution ». Stiglitz trouve que les ressources fiscales revenant à l'UE sont très faibles en comparaison de celles de l'État fédéral américain. Il propose de créer un impôt sur la « citoyenneté européenne » et de taxer à 15 % les revenus au-delà de 250.000 €. Pour lui, « Le produit de cet impôt pourrait servir à financer certains efforts, comme la réinstallation des migrants ou l'aide extérieure. Cette initiative ferait peut-être beaucoup plus pour créer l'intégration politique en Europe que l'euro lui-même ».

Et d'indispensables réformes des politiques de crise

À ces nombreuses « réformes structurelles », non sans répétitions pour enfoncer le clou, s'ajoutent des réformes des politiques à l'égard des pays en crise, qui doivent être adaptées aux particularités de ceux-ci et respecter « l'importance de la liberté de choix et de la flexibilité ». Avant d'exposer ses « commandements » supplémentaires, Stiglitz insiste sur plusieurs points importants que les dirigeants de l'UE s'obstinent à ignorer. « Il est difficile de concevoir un ensemble de règles qui soit approprié pour tous les pays en toutes circonstances »... « la zone euro doit reconnaître l'ampleur des différences entre les pays, et les cadres de ses politiques doivent être suffisamment flexibles pour les prendre en compte. Il lui faut une plus grande capacité d'adaptation aux situations et aux convictions économiques différentes »... « Il faut laisser chaque pays gérer lui-même les domaines qui n'ont pas d'effets extérieurs sur les autres pays... (principe de la subsidiarité) »... et ne pas réduire exagérément la souveraineté économique des pays en crise. Ses deux réformes visent respectivement à :

1° Passer de l'austérité à la croissance par la reconnaissance : - des limites de la politique monétaire et l'organisation du recours à la politique budgétaire ; - du « principe du multiplicateur du budget équilibré » qui voudrait que « les augmentations des dépenses strictement compensées par des augmentations d'impôts font monter le PIB, parce que l'effet de la stimulation de la dépense est supérieur à l'effet de contraction du prélèvement fiscal (de même montant)». C'est une vieille lune socialiste, avec laquelle je suis en désaccord s'il s'agit de la pratiquer de façon systématique et durable, et non pendant des durées limitées. La solution miracle n'est pas de dépenser et de redistribuer plus, mais, au minimum, de dépenser mieux, et ce ne peut être aveuglement, même dans les infrastructures et l'éducation.

2° Restructurer les dettes souveraines rapidement en cas de crise, abandonner une partie des créances et prévoir des conditions de remboursement du reliquat supportables par

le pays « aidé »... non pas comme cela s'est passé pour la Grèce.

Stiglitz provoque pour être mieux entendu.

Stiglitz admet que des initiatives et des projets vont dans le sens qu'il préconise vers plus d'Europe et une Europe politique. Il cite la mise en place d'infrastructures unissant les pays et les fonds de solidarité pour la stabilisation. Il convient que « la BCE sous Draghi a fait preuve de plus de flexibilité que beaucoup ne le croyaient possible », contre l'avis de nombreuses voix en Allemagne qui estimaient que la BCE sortait de son mandat. Mais, pour lui, la BCE reste trop entravée. Beaucoup plus que la FED américaine. Il ne lui paraît pas impossible qu'une « union bancaire avec garantie des dépôts voit le jour en 2017 », bien tardivement. Ces progrès sont lents et il lui semblent insuffisants pour mettre en œuvre les réformes de structure indispensables pour fortifier l'euro. Il invite donc les Européens à « réfléchir de toute urgence à d'autres solutions que la monnaie unique ».

Il n'ignore surement pas les derniers développements et les changements d'attitude qui interviennent dans la gestion de l'UE et de la zone euro, ainsi que les difficultés et les oppositions que rencontrent les tenants du plus d'UE. Méfiance réciproque, solidarité limitée, refus d'une Union des transferts et, plus récemment, retour des sentiments souverainistes et vives critiques sur les orientations, les résultats et la direction de l'UE.

J'ai pu lire que les propositions de Stiglitz auraient été largement inspirées, précisément, par des « avancées » ou des changements de cap dans l'UE et la ZE. Oui, il enfonce quelques portes ouvertes, ou entrouvertes. Il est vrai aussi que ses propos sont emphatiques et assez agressifs, ou corrosifs. Il est certain qu'il force le trait, qu'il veut provoquer, pour être mieux entendu. Cela a le mérite de nous inciter à regarder, en nous référant à ses critiques et à ses propositions, les développements récents de la politique financière et monétaire de l'UE, les « progrès » significatifs à mettre à son actif, et les blocages qui sont à l'œuvre dans les orientations et la « gestion », que nous connaissons assez mal, de « l'Europe » et de l'euro.

2 - Effectivement, « l'Europe» piétine au milieu du gué

L'union bancaire se heurte à une « insuffisance de solidarité »

L'Union bancaire (UB) avait pour but de rendre plus fort et plus sûr le système financier de l'UE, notamment en matière de détention de fonds propres suffisants par les banques, de gestion des banques défaillantes et de protection des déposants, par l'établissement d'un règlement uniforme européen, socle de l'UB.

Puis, en 2011, avec la persistance de la crise et l'aggravation de la dette de la zone euro, une plus grande intégration des systèmes bancaires des pays de la zone (ainsi que des autres pays de l'UE qui voudraient s'y associer) a été décidée. Elle devait s'appuyer sur trois piliers : un mécanisme de surveillance unique et un mécanisme de résolution unique pour les banques, ainsi qu'un système européen de garantie des dépôts (7). L'édification du premier pilier a, en effet, vu instituer des règles « prudentielles » bancaires renforcées, confiées à la « supervision » de la Banque centrale européenne (BCE). Mais la réduction du risque bancaire est encore jugée insuffisante. Et la question (explosive) de la limitation (souhaitée par l'Allemagne) de l'exposition des banques au risque souverain (surendettement des états emprunteurs) a été écartée du programme de travail.

Sur le deuxième pilier, le principe de la constitution d'un Fonds de résolution unique (FRU) a été retenu, mais des désaccords persistent, notamment sur le « mécanisme de dernier recours » qui pourrait être actionné dans le cas où les ressources du FRU seraient épuisées. Quant à la garantie unique des dépôts bancaires, à concurrence de 100.000 euros, par exemple, elle semble reportée aux calendes grecques.

C'est dire que le Conseil EcoFin du 17 juin 2016 à Luxembourg a surtout constaté des difficultés à faire avancer l'Union bancaire. Et la question principale sur sa nouvelle « feuille de route » est celle de la réduction des risques (8)... préalable à tout « supplément » de solidarité entre les banques et les États.

La politique monétaire très expansive de la BCE rencontre des limites

À mi 2016, le bilan de la BCE se montait à 3 249 Mds €, contre 2 360 Mds au printemps 2015, avant le lancement du programme d'achat de dettes de pays de la zone euro dans le cadre du programme d'assouplissement quantitatif (traduction de « quantitative easing » ou QE) (9). Par le QE, la BCE achète aux banques une partie de leurs actifs financiers (obligations d'État ou d'entreprises) avec de l'argent qu'elle crée ex nihilo (usage de la planche à billets), accroissant la masse de monnaie en circulation. Avec cet argent, prodigué à des taux d'intérêt bas, il était espéré que les banques prêtent davantage aux entreprises pour financer plus d'investissements productifs, pour plus de croissance. L'augmentation de la masse monétaire devait aussi stimuler la consommation, pousser à la hausse des prix désespérément stagnants et contribuer à dévaluer l'euro, pour le plus grand bien de la compétitivité de la zone.

En mars 2016, ce programme a vu les achats mensuels passer de 60 Mds € à 80 Mds € et, après avoir porté sur des titres publics, il a été ouvert aux obligations d'entreprises.

Il devait être temporaire et vient d'être prolongé jusqu'à mars 2017 ; il est fortement question qu'il le soit de six mois de plus. Selon le Wall Street Journal, la BCE envisagerait même d'intervenir sur les marchés d'actions. Au début septembre, la BCE avait déjà consacré 1.000 Mds € au QE et, depuis des mois, critiques, les « spécialistes » se demandent pour quels résultats (10) ?

Le QE n'a pas relancé la croissance, la légère reprise observée étant attribuable essentiellement à la baisse des cours des matières premières. L'augmentation (officielle) des prix est presqu'insignifiante. Nous sommes loin des 2% d'inflation visés. Or, sans inflation, obtenir une croissance solide est considéré comme problématique. Les salaires nominaux ne sont pas repartis à la hausse. L'investissement productif non plus. Les emprunts ont ralenti. Les entreprises préfèrent utiliser leurs ressources propres et l'emprunt pour réaliser des opérations financières (rachats de leurs actions, fusions, absorptions...). En fournissant gratuitement de l'argent aux banques, le QE a ainsi plongé l'économie de la zone dans une « trappe à liquidité », ou surabondance par rapport à la demande. Les banques centrales elles-mêmes trouvent plus difficilement des obligations à acheter.

En revanche, le QE a eu un fort impact sur le taux de change de l'euro. Plus précisément, l'annonce du QE au printemps a provoqué une anticipation des investisseurs et la chute du cours de l'euro par rapport au dollar, qui est tombé de 1,395 $ au début avril 2014 à 1,076 $ au 31 mars 2015. Cet effondrement de plus de 20 % a stimulé les exportations de la zone (surtout celles des pays qui étaient déjà les plus compétitifs) et soutenu l'activité, qui en avait bien besoin. Par contre, malgré la massive injection monétaire par le QE, entre fin mars 2015 et fin septembre 2016, l'euro n'a plus reculé. Il est remonté un peu, à 1,116 $.

La politique monétaire n'a pas permis une relance réelle. Pour Mari Draghi, gouverneur de la BCE, cela prouverait que la politique monétaire ne peut pas tout faire. En cela, il rejoint (ou a devancé) Joseph Stiglitz, qui propose une politique budgétaire plus active. Contrairement aux dirigeants de l'UE, qui tentent (cf ci-après) d'accroître la pression pour faire baisser les déficits publics des pays.

Le Mécanisme européen de stabilité (MES) ne pourrait pas répondre à une crise majeure de la dette

Décidé en 2010, adopté par le Parlement européen en mars 2011 dans le cadre du Pacte de stabilité budgétaire, le MES est entré en vigueur en septembre 2012, venant remplacer deux institutions provisoires, le Fonds européen de stabilité financière (FESF) et le Mécanisme européen de stabilité financière (MESF). J'avais exposé ces changements dans la Lettre du 18 juin de septembre 2012 (11).

Le MES est une institution financière internationale, dont les actionnaires sont les États membres de la zone euro. Leurs contributions à son capital sont fonction de leur population et de leur PIB. Ensemble, l'Allemagne, la France et l'Italie en apportent 65 % ; elles ont toutes trois un droit de véto.

Aux dernières nouvelles (12), le capital du MES (initialement fixé à 700 Mds €) est de 704,5 Mds €, dont 80,5 Mds ont été versés et 624 Mds restent appelables.

Le MES dispose d'une capacité d'engagement de 500 Mds €. Il peut mobiliser des ressources pour soutenir les États membres qui connaissent de graves problèmes de financement risquant d'être menaçants pour la stabilité de la zone euro. Ses interventions sont subordonnées à de strictes conditions dont le contrôle est assuré par la « troïka » (Commission de Bruxelles, BCE et FMI), qui peut aussi participer aux soutiens « techniques » et financiers.

Ses aides peuvent prendre les formes de ligne de crédit et d'accords de prêt aux États, de prêts à des États pour leur permettre de recapitaliser des banques en souffrance, d'achats sur les marchés de titres de dette des État et, depuis décembre 2014, de participation directe à la recapitalisation de banques. Elles doivent permettre aux États en grande difficulté d'éviter de supporter des taux d'intérêt prohibitifs, et rassurer les marchés.

De 2010 à 2012, le FESF avait accordé des aides financières à l'Irlande, au Portugal et à la Grèce, pour un montant total de 175 Mds €. Jusqu'à octobre 2015, le MES a apporté une assistance à l'Espagne, à Chypre et à la Grèce. Sur les 41,33 Mds (d'un programme de 100 Mds) qui ont été versés à l'Espagne, 35,7 Mds n'étaient pas encore remboursés. Chypre avait reçu 5,8 Mds €. Le troisième programme d'assistance à la Grèce du 14 août 2015, d'un montant de 86 Mds €, a donné lieu le même mois à un versement de 23 Mds €. Ces chiffres montrent la relative modestie des aides par rapport à l'ampleur des problèmes des pays concernés.

La principale critique qui a pu être faite à cet « embryon de FMI européen » (13) est, d'ailleurs, qu'il ne pourrait pas répondre à une crise de dimension régionale qui toucherait une grande partie des pays de la zone euro.

D'autres reproches pointent l'influence majeure exercée sur les décisions par l'Allemagne, la France et l'Italie, les désaccords entre les membres de la Troïka sur les politiques et les « conditionnalités » à imposer, la perte de souveraineté des États soumis à la « tutelle» de la troïka, ainsi que la contre productivité de mesures imposées, particulièrement dans le cas de la Grèce (14).

« L'idée d'une mutualisation des dettes publiques avance »

C'est le titre d'un article sur le site Euractiv.fr en janvier 2015 (15). La Commission européenne avait mandaté un groupe d'experts en juillet 2013 pour préciser les contours d'un fonds d'amortissement ou fonds de rédemption qui organiserait concrètement une telle mutualisation. Du rapport remis en avril 2014, il ressortait que l'allègement du fardeau de la dette des pays européens serait favorable à une relance de la croissance [évidence ?], que la dette était un risque pour le futur qui coûterait moins cher s'il était partagé, mais que l'idée de la création du fonds de rédemption butait sur la notion de solidarité.

Le fonds envisagé rassemblerait toutes les parts des dettes des états de la zone euro au-delà du seuil de 60 % de leur PIB (limite de l'endettement à ne pas dépasser fixée par le traité de Maastricht). La mutualisation des « créances douteuses » mettrait les États à l'abri de la faillite. Elle ferait baisser les taux d'intérêt imposés aux pays les plus en difficulté. Elle découragerait les spéculations hostiles et les montées abusives des intérêts sur leurs dettes. Elle protègerait aussi les banques, très exposées aux dettes d'États. Interrogation : pourquoi les États les plus vertueux accepteraient-ils d'abonder ce fonds au bénéfice d'États « laxistes », qui pourraient aussi ne pas faire les efforts nécessaires pour se désendetter ? En avril de cette année, Le Cercle des Économistes reposait la Question « Pour alléger la dette européenne, mutualisons ? » (16). Il rappelait qu'actuellement la mutualisation était « axée autour » du MES et du FESF (cf. ci-dessus). Il présentait une panoplie élargie possible d'instruments comprenant :

- le Fonds d'amortissement des dettes publiques excessives (cf. ci-dessus), qui mutualiserait la partie des dettes excédant 60 % de leur PIB et permettrait de rembourser, à des taux modérés, cette partie des dettes en 25 ans ;

- les achats d'obligations d'États de la zone sur le marché par la BCE ;

- l'émission d'une dette commune à l'aide « d'eurobonds ». [des outils que Stiglitz a proposés aussi]. Il soulignait le problème posé par le partage du « fardeau de la dette » qui ne faisait pas consensus, de la part de l'Allemagne, notamment.

Ainsi, la mutualisation des dettes dans la zone euro apparaît porteuse de bienfaits et les idées ainsi que les recommandations foisonnent, mais le passage à l'acte ne semble pas pour l'immédiat.

Un plan Juncker tardif, timide  et critiqué pour relancer l'industrie en Europe

Opérationnel depuis avril 2015, le plan Juncker vise à mobiliser 315 Mds € d'investissements dans l'UE de 2015 à 2017. À cette fin, 21 Mds € d'argent public « européen » serviront de garantie pour financer 60 Mds € de projets via la Banque européenne d'investissement (BEI). Jouissant déjà d'une excellente « notation », celle-ci pourra emprunter dans des conditions intéressantes sur les marchés financiers. Selon les calculs de la Commission, ces projets devraient, générer cinq fois plus d'investissements, soit 315 Mds €.

 En juillet 2016, les projets sélectionnés dans une liste préétablie et approuvés par la BEI se montent à 115,7 Mds. Pour les projets déjà signés, le financement est de 10,9 Mds €. Cela correspondrait à peu près au rythme prévu. C'est jugé très insuffisant, puisque les investissements dans l'UE ont représenté 2 886 Mds d'euros sur un an entre avril 2015 et mars 2016 (17).    C'est pourquoi, la Commission voudrait prolonger de trois ans la durée du plan et doubler les capacités du Fonds européen pour les investissements stratégiques (EFSI) constitué à la BEI, pour le porter à 630 Mds €. « L'Allemagne réticente à remplir la tirelire du plan Junker », titrait Euractiv, le 12 octobre (18). Et des reproches sont faits au choix des projets, qui sont trop concentrés sur des pays prospères. La « valeur ajoutée » par le plan est également mise en cause, car les 21 Mds d'euros octroyés par la Commission ont été soustraits des ressources affectées à plusieurs programmes existants (19) pour la recherche (Europe 2020), pour les PME (programme COME) et pour les transports (« Connecting facilities »). L'avenir du Plan apparait donc très incertain.

 Multiplication des « traités» et des règlements pour étendre et durcir le contrôle  sur les politiques économiques des états membres

 Nombre d'États de l'UE ne parviennent pas à respecter les « critères » de stabilité (ou de convergence) imposés depuis 1997 par le Pacte de Stabilité et de Croissance (PSC). C'est évidemment contrariant pour les dirigeants de l'Union qui essaient de nous diriger vers une gouvernance budgétaire, voire économique, commune, unique. Aussi, depuis « la crise », sont entrés en vigueur plusieurs « paquets » de mesures et un traité, tous trois destinés à rétablir la discipline à l'aide de règlements plus coercitifs, et à étendre le champ des politiques placées sous le contrôle, sous la tutelle ou sous la « direction » de l'Exécutif européen. Le sujet étant « technocratique », nos « grands » médias en parlent peu, tout comme nos gouvernants qui n'osent pas trop se glorifier de la perte de souveraineté nationale. 

Certains s'en félicitent cependant, puisqu'on peut lire sur un site de la direction du Budget (20) « Le « six-pack » (paquet de six, pour les ‘’Gaulois’’), entré en vigueur en novembre 2011, a substantiellement renforcé la gouvernance économique et budgétaire dans les vingt-sept États membres de l'Union européenne. » Il a introduit un nouveau « critère », celui d'un « effort structurel » annuel, apportant une contrainte de plus, portant sur l'évolution des dépenses publiques. Il a aussi « introduit » une procédure de « déséquilibres macro-économiques excessifs », qui vient s'ajouter à celles sanctionnant le « déficit public excessif », faisant appel à une large batterie d'indicateurs comprenant, la balance extérieure, les taux d'endettement des acteurs privés, les prix de l'immobilier, etc. Le Sixpack a aussi instauré un contrôle ex ante des États membres, qui doivent transmettre chaque année avant la fin avril aux « autorités » européennes leur programme de stabilité (ou de convergence) pour les trois années à venir, ainsi que leur programme de réformes, portant notamment sur la recherche, l'emploi et l'innovation. Un de ses autres « mérites » est d'avoir introduit des sanctions permettant d'imposer à un État placé en déficit excessif de constituer un dépôt auprès de la Commission à hauteur de 0,2 % de son PIB. Un dépôt qui sera converti en amende en cas d'irrespect des recommandations sur la réduction du déficit. 

Une règle d'or interdisant le déficit budgétaire introduite dans les Constitutions nationales ? 

Le « traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance» (TSCG) de 2012, aussi appelé «  Pacte budgétaire européen »(EBP) [pour plus de clarté ?] a suivi de près le Six-pack, en introduisant une autre « nouveauté», la « règle d'or ». Par celle-ci, les États s'engagent à avoir des budgets en équilibre ou en excédent. Leur déficit structurel (sans compter les « dépenses exceptionnelles ») ne devra pas dépasser 0,5 % du PIB. Pour les [rares] bons élèves, dont la dette publique est inférieure à 60 %, ce déficit pourra aller jusqu'à 1% du PIB.

Le TSCG oblige aussi les États à communiquer leurs plans nationaux d'émissions de dette publique et à soumettre à débat préalable leurs projets de grandes réformes économiques (21).

L'Allemagne réclamait une telle règle depuis des années. L'UE  souhaite  que  la  règle  d'or  soit  inscrite  dans  les Constitutions nationales. De nombreux pays refusent de le faire. La question fait l'objet de discussions en France, où les avis sont partagés.

Entré en vigueur le 21 mai 2013, le « Two pack » renforce l'encadrement des politiques budgétaires dans la zone euro, ainsi que la procédure de « déficit excessif ». Les États doivent rendre public au plus tard le 30 avril un plan budgétaire national à moyen terme ainsi que leurs priorités pour la croissance et l'emploi. Ils doivent aussi transmettre

à la Commission avant le 16 octobre un plan budgétaire annuel, qui doit accompagner les projets de budgets annuels et qui doit reposer sur de prévisions macroéconomiques « indépendantes ». En cas de manquement grave, la Commission peut demander la révision du projet de budget annuel (22). 

3 - Austérité, mesures répressives et inefficacité

Trop de déficits publics non maîtrisés  et un endettement plus que menaçant

 Dans communiqué de presse d'avril 2016, Eurostat indiquait, à propos de l'année 2015 (23) : 

 Déficit public de la zone euro et de l'UE28 respectivement de 2,1% et 2,4% du PIB.

 Dette publique à 90,7 % et 85 %.

 Concernant les déficits publics, la performance peut apparaître satisfaisante globalement. Les « bons élèves » sont légion dans et hors de la ZE, et en particulier dans le Nord et à l'Est. Par contre, sept États membres ont enregistré des déficits supérieurs ou égaux aux 3 % autorisés : la Grèce (- 7,2 %), l'Espagne  (- 5,1 %), le Portugal et le Royaume-Uni (- 4,4 %), la France (- 3,5 %), la Croatie (- 3,2 %) et la Slovaquie (- 3 %). On observera que cinq d'entre eux font partie de la zone euro, ce qui peut être considéré comme un échec important pour celle-ci. On notera aussi que les « Quatre Gros » du Sud  en font partie. Le constat sur les dettes publiques est encore plus accablant. Les ratios dette/PIB les plus faibles sont observés dans les pays de l'Est, plus pauvres, auxquels on prête avec plus de méfiance et de parcimonie. Mais, à la fin de 2015, la limite des 60 % était dépassée dans dix-sept États membres de l'UE. Avec des records de 176,9 % en Grèce, de 132,7 % en Italie, de 129 % au Portugal, de 108,9 % à Chypre et de 106 % en Belgique. Une « crise de la dette » est donc bien  dans la couveuse de l'Union !  Cela peut expliquer la « nervosité » des « Autorités » de l'UE et de la ZE. Elle devrait les inciter à revoir leur stratégie (s'il y en a une) plutôt que de continuer à enchaîner des  traités, des mesures et des sanctions inefficaces, de plus en plus mal acceptés et/ou contestés.  Ces dispositions [castratrices ?] montrent comment, au sein de l'UE, nous vivons « crise et châtiment ».

 Avec les sanctions pour déséquilibres excessifs  en tous genres, l'UE en fait trop

 La France est « épinglée » pour la seconde année consécutive pour des déséquilibres excessifs de son économie. C'est le cas aussi de l'Italie, du Portugal, de la Bulgarie et de la Croatie (24), ont rapporté LesEchos.fr le 8 mars.

 Au nombre des reproches adressés à la France, figurent une compétitivité source d'inquiétude, une réduction du déficit public trop lente, une croissance potentielle en baisse, des dépenses publiques élevées pour une efficacité « limitée » [euphémisme ou litote ?], une charge fiscale encore en hausse, dont la composition est peu propice à la croissance, un marché du travail insatisfaisant, ainsi que des inégalités persistantes dans l'éducation. 

 Cela ressemble fort à un catalogue de critiques d'un parti d'opposition français. Et tout cela, nous le savons, sans « bénéficier» d'ingérence « européenne ». Et les sanctions de Bruxelles peuvent nous contrarier, dans la mesure où la France a son propre système interne démocratique de sanctions, dont font partie les prochaines élections présidentielles, législatives et sénatoriales. De plus, la France ne bénéficie, à ma connaissance, d'aucune « assistance » de la part de l'UE, qui justifierait la soumission à ses sanctions. 

 En outre, Bruxelles taxe, en les mélangeant les causes et les effets des mauvaises performances de la France. C'est d'autant plus flagrant que la France est également sous le coup d'une procédure pour déficit excessif sur les finances publiques. Elle n'est d'ailleurs pas la seule à cumuler les « procédures » pour déficit public excessif et déséquilibres macroéconomiques excessifs. Elle partage ce privilège avec le Portugal et la Croatie.

 Qui s'étonnera encore de la montée des souverainismes nationaux

4 - Beaucoup de Grèce et d'aides dans le « divorce à l'amiable »

 Comment Stiglitz conçoit  le « divorce à l'amiable » d'un état membre

 Pour illustrer sa « démonstration » de la « faisabilité » de l'abandon de l'euro par un État membre, avec l'accord, la

compréhension et même l'aide des autres États de l'UE, Stiglitz a choisi de l'appliquer au cas de la Grèce. Pour lui, si la formule du « divorce à l'amiable » peut réussir pour ce pays, elle aura, à fortiori, plus de chances de succès pour d'autres États aux économies plus robustes. Il est vrai que la ZE « a frôlé le Grexit », dont se seraient bien accommodés l'Allemagne et plusieurs autres pays, et qu'une telle perspective n'est encore pas tout à fait exclue. Cette hypothèse d'une « sortie douce », aidée, apparaît  très forte si l'on se souvient des nombreuses attitudes sévères ou hostiles à l'égard de la Grèce lors de la crise, en face de la volonté inépuisable des gérants de l'Union de refuser tout départ de la zone, qui pourrait faire douter [davantage] de l'infaillibilité de l'euro. 

Sa démarche, très hypothétique, car il n'y a pas de précédent sur lequel s'appuyer, vise à convaincre en présentant des conditions et des instruments qui pourraient assurer à un État une sortie réussie de l'euro. Elle veut aussi montrer des avantages qu'offrirait à la zone euro une sortie de l'Allemagne, avec éventuellement les Pays-Bas et la Finlande, préludant à l'émergence d'un «euro nordique», plus fort que l'euro (déprécié), qui demeurerait la monnaie unique des autres pays (essentiellement du Sud et de l'Est) restant dans la zone. 

 Son divorce « amical » en demande beaucoup aux États de la zone, de l'UE et à leurs acteurs économiques. D'abord pour « restructurer la dette » (de la Grèce, ici) comme il se doit. Au premier acte de la sortie de l'euro, naitrait un « euro grec ». L'État grec pourrait se référer à la « lex monetae » (25), ou « loi monétaire », qui  postule qu'un pays « peut rembourser sa dette publique dans une nouvelle monnaie si les obligations ont été émises sous un contrat de droit local »... et déclarer que les dettes libellées en euros répondant à ce critère sont payables en euros grecs. L'euro grec valant moins que l'euro ordinaire. Un telle démarche, déjà évoquée par « Debout la France » et validée par Jacques Sapir a été envisagée pour la France, dont 97 % de la dette souveraine et 74 % de la dette financière totale (y compris privée) ont été émises sous contrat français. Dans le cas de la Grèce, ces pourcentages sont relativement faibles : respectivement de 36 % et 43 % (26). Aussi, la part, plus importante, des dettes contractées sous d'autres juridictions ne seraient pas automatiquement « relibellées » en euros grecs. Qu'à cela ne tienne ! Optimiste, Stiglitz considère que si le divorce est réellement à l'amiable, les autres États de l'UE, qui détiennent l'essentiel des dettes grecques, devraient accepter que celles de l'État grec souscrites sous d'autres juridictions soient aussi relibellées en euros grecs. 

 Quant aux dettes privées, le même type de traitement mériterait de leur être appliqué.

 Ce n'est pas fini. Les partenaires européens devront aussi « comprendre l'importance de permettre un ‘’nouveau départ’’, l'importance et la nécessité d'une forte réduction de la dette... et ils useront de leur influence et de leur pouvoir pour limiter l'ampleur des actions en justice lancées par les créanciers privés »... allant ainsi bien au-

delà des « principes minimaux adoptés par la communauté internationale en 2015 ».

 À mon avis aussi, la sortie de la Grèce de l'euro pourrait lui ouvrir de nouvelles perspectives de développement. Ses chances dépendraient, en effet, d'une forte réduction du handicap constitué par son endettement... ainsi que par le laxisme de sa gestion économique. Mais la question doit être posée en même temps de son maintien dans l'UE, avec l'obligation que cela lui impose de se soumettre à ses règles « uniques », alors qu'elle aurait besoin d'une gouvernance d'exception pendant un certain nombre d'années.

 J'ajoute que si la « générosité », la mansuétude et/ou la compassion pourraient éventuellement jouer à l'égard de la Grèce, « petit pays pauvre », l'expérience du Brexit nous montre que l'UE et plusieurs de ses « grands » sortent leurs griffes lorsqu'un pays de dimensions plus importantes décide de se séparer d'eux. Cela me laisse assez dubitatif sur la pertinence de l'extension du raisonnement de Stiglitz à n'importe quel pays de la zone. 

 Stiglitz compte sur un prompt rétablissement des comptes extérieurs grâce au jeu du « stabilisateur » que constitue l'ajustement monétaire (dépréciation de l'euro grec, ici) permis une fois sorti de l'euro. Les exportations seraient stimulées d'entrée de jeu. Il ajoute une arme, les « certificats d'importation », qui n'est pas secrète pour tout le monde, puisque son usage aurait été suggéré aux ÉtatsUnis, « par nul autre que Warren Buffet ». Les exportateurs recevraient des certificats d'importation de montants proportionnels à leurs exportations, et pourraient les revendre sur un marché libre de ces certificats à des acheteurs désirant importer. « Celui qui voudra importer un euro grec de produit aura pour obligation de payer en plus un certificat ou « jeton d'importation » d'un [valable pour un] euro grec». Ce serait l'État qui fixerait le prix de ces jetons, normalement faible, mais révisable. Cela lui permettrait  d'agir  sur  le  volume  des  importations.  Pour Stiglitz, « en limitant le déficit commercial, un pays limite en fait l'emprunt national », une observation dont nos dirigeants ne tiennent sans doute pas assez compte. Il préconise aussi l'émission de « certificats d'exportation » en cas « d'excédent excessif » de la balance commerciale, de manière à maintenir celle-ci proche de l'équilibre, sachant que cela facilite la stabilisation économique ellemême. Un autre avantage qu'il voit au certificat d'importation est que « la hausse de la demande de produits importés  va se traduire par une hausse du prix du certificat et non par une baisse de la valeur de l'euro grec. L'euro grec sera plus fort...».

 Stiglitz passe plus rapidement sur la gestion du déficit budgétaire. Selon lui, La croissance « étant plus dynamique, elle  [la  Grèce]  aurait  davantage  de recettes iscales, et, avec la restructuration de la dette (évoquée), les ressources du pays cesseraient d'être drainées vers l'étranger ». Il admet cependant, qu'à la sortie de l'euro, il y aurait des « à-coups et des incertitudes » et qu'il serait utile que l'Europe accorde une « assistance à l'ajustement » pendant la transition... sous forme de dons. À défaut, l'État pourrait s'en sortir aussi, en s'octroyant du crédit à luimême [par la Banque centrale nationale] et, si besoin est, en augmentant les impôts. Pour leur part, les certificats d'importation  permettraient d'éviter une pénurie de devises étrangères dont pourrait souffrir l'État.

 Très critique à l'égard des banques, créatrices du crédit et mauvaises actrices de son emploi, Stiglitz veut « rétablir l'autorité intérieure sur la création de crédit » et contrôler le droit de prêter. Pour cela, une première solution serait évidemment de passer par une banque publique, qui pourrait prêter aux PME « de bonne réputation », par exemple, après avoir établi des normes pour apprécier les capacités de remboursement. L'État pourrait aussi « déléguer à des entreprises privées la responsabilité de prendre des décisions de crédit »... tout en faisant payer la garantie qu'il assure (lui et non les banques, « les usuriers du XXIe siècle »). 

 Son arme fatale pour cela est la mise aux enchères du droit de prêter. La Banque centrale d'État mettrait aux enchères des droits d'émission de nouveaux crédits qui viendraient majorer la masse monétaire. Elle en fixerait le montant total en fonction de la situation, pour relancer ou pour refroidir l'économie, ainsi que pour prémunir celle-ci contre l'instabilité. Les banques ne pourraient plus créer du crédit ex nihilo et ne pourraient prêter que l'argent que la Banque centrale leur aurait prêté, en contrats de durées déterminées, moyennant rémunération, et sous certaines conditions quant à sa destination, aux taux d'intérêt qu'elles pratiqueraient... De fait, dans ce système de strict contrôle du crédit, les fonctions de dépôt et de crédit seraient séparées. Les enchères étant ouvertes, l'entrée dans le secteur financier serait favorisée, et la concurrence stimulée. Pour Stiglitz, l'usage intensif de la monnaie électronique mettrait de l'huile dans les rouages du système.

 On peut souligner ici son attachement à étendre la bancarisation et à « créer un système de transactions financières du XXIe siècle », de passer à la monnaie électronique en abandonnant l'argent liquide. À ses yeux, ce serait un atout considérable, pour la Grèce, tout du moins. Il permettrait de passer plus aisément à l'euro grec, de ne pas avoir à faire imprimer et distribuer une grande masse de nouveaux billets pour un coût élevé et, autre avantage, il  contribuerait à réduire sensiblement « l'évitement fiscal ». 

Malgré leur intérêt, les arguments et les instruments présentés ici ressemblent, plus à un plaidoyer en faveur d'un abandon par la Grèce de l'euro, d'un « Grexit », qu'à la démonstration d'un succès garanti d'un divorce à l'amiable de n'importe quel autre pays de la ZE. En raison de l'accumulation des aides requises, en particulier, comme je l'ai souligné plus haut.  

Des avantages d'un départ de l'Allemagne et de la création d'un euro nordique aux côtés de l'euro

 Selon Stiglitz, un départ de l'Allemagne et d'autres pays du Nord, les Pays-Bas et la Finlande, permettrait l'ajustement (à la baisse) du taux de change de l'euro, le rétablissement des comptes extérieurs courants des autres pays de la zone, la stimulation de leurs croissances et l'augmentation de leurs recettes fiscales, qui rendrait inutile la poursuite des politiques d'austérité. « Le cercle vicieux du déclin, à l'œuvre en Europe depuis le début de la crise, ferait place à un cercle vertueux de croissance et de prospérité ». 

 Dans un tel cas, les dettes des pays du Sud resteraient libellées en euros, puisque ce seraient les pays du Nord qui auraient quitté la zone euro... et fait naître un « euro nordique », plus fort que l'euro. De ce seul fait, d'ailleurs, les balances commerciales se rééquilibreraient entre les pays du Sud et ceux du Nord, dont les excédents fondraient.  

 Pendant les premières années de la transition, au moins, Stiglitz suggère que les États « choisissent » de mettre leurs comptes courants en excédent, orientent les dépenses publiques vers l'investissement et dégagent un petit excédent budgétaire, en recourant, si nécessaire, au multiplicateur du budget équilibré  (rappel : plus d'impôts pour plus de dépenses publiques).

 Dommage que Stiglitz consacre peu de place à cette alternative et à la façon dont les choses pourraient se dérouler concrètement dans quelques pays du Nord et du Sud (ainsi que l'Est). Peut-être parce qu'il est convaincu que l'idée d'un divorce à l'amiable est inacceptable pour ceux qui voient dans l'euro une étape vers l'intégration.

 

5 - Sur « la piste de l'euro flexibl de Stiglitz : plus de solidarité européenne,

 plus de dirigisme et de contrôle économique et financier dans les pays

 Dans le système de « l'euro flexible», à l'intérieur de la zone euro, des pays (ou des groupes de pays) différents pourraient avoir leur propre euro. « La valeur des différents euros serait flottante, mais au sein d'une fourchette qu'influenceraient les politiques de la zone euro elle-même». Avec le temps, la solidarité  se renforçant, la fourchette pourrait peut-être se resserrer... jusqu'au retour à une monnaie unique.

L'auteur reconnait que certains « progrès» ont été réalisés dans la création d'institutions de la zone euro [cf. les 4 pages du présent article sur ce sujet], insuffisants, toutefois, pour faire fonctionner une monnaie unique. Le système de l'euro flexible devrait s'appuyer sur ces progrès. Mais pas que... Pour limiter les fluctuations des diverses « eurodevises, il faudrait aussi mettre en place dans chaque pays (ou groupe de pays) des instruments proposés ci-dessus pour le divorce à l'amiable, la monnaie électronique, ainsi que les certificats d'importation avec les certificats d'exportation. Ces certificats pourraient servir à limiter l'ampleur des excédents et à réduire des déficits, si des pays comme l'Allemagne acceptent de s'engager dans cette voie. Par un « simple » ajustement du système des certificats [qui constituerait, tout de même, un certain contrôle des échanges extérieurs des pays], « les dirigeants de la zone euro » pourraient même  atteindre une quasi parité entre les euros nationaux.

Pour que le « fardeau de l'ajustement » soit plus équitablement partagé, plutôt que d'imposer aux pays déficitaires des restrictions budgétaires, des baisses des salaires et des prix, l'Europe devrait engager un autre « processus asymétrique », en sens inverse, poussant les pays excédentaires à assouplir ou relâcher leurs politiques budgétaires et salariales pour que l'ajustement se fasse par le haut.

 Stiglitz revient ici sur la nécessité d'avoir une Union bancaire réelle, avec une garantie commune des dépôts, capable d'assurer aussi le financement des PME, particulièrement dans les pays faibles. Il reprend également ses propositions en faveur de la création d'un fonds de solidarité pour la stabilisation et/ou la prise en charge collective de dépenses sociales dans les pays en difficulté... pour les aider à « converger» plus vite vers les autres, mieux lotis. Avec une nouvelle charge contre les marchés financiers, il réintroduit dans l'euro flexible ses propositions pour le contrôle de la quantité de crédit et la réglementation de son usage.

 Enfin, il voudrait plus de « macro gestion » et une coopération au sein de la zone euro, qui peut être mise en œuvre, assure-t-il, par une « coalition de volontaires ». En fin de compte, il propose de passer par une étape assez longue de création et de gestion d'une pluralité d'euros au sein de la ZE (en conservant celle-ci) avant de revenir à un euro monnaie unique. Cette étape servirait à « aménager » la zone, à réaliser toutes les réformes qu'il a proposées et à mettre en place ses « nouveaux »  instruments... pour rendre l'euro viable et efficace. Chemin faisant, il soumet le « système » à de nombreuses et fortes contraintes, à un dirigisme qui dépasse ce que peuvent espérer nos plus purs « euro intégristes ». Il ne parle pas des difficultés techniques et économiques que rencontrerait la concrétisation de ses dispositifs (certificats, enchères de crédit...). Et, le niveau élevé de « solidarité » de la part des plus forts requis pour l'acceptation de ce système ne paraît pas inférieur à celui demandé pour le « divorce à l'amiable », que Stiglitz considère lui-même inacceptable par les principaux intéressés. 

On peut donc se demander, quel seront les aboutissements de son ouvrage. On en retiendra d'abord l'expression d'une forte crainte quant à la survie de l'euro s'il reste sur ses rails actuels. Les critiques de l'euro et de sa gestion seront probablement entendues, surtout parmi ceux qui veulent reconstruire une autre Union européenne, plus démocratique et moins soumise au diktat du « néolibéralisme », plus protégée dans la tourmente d'une globalisation peuplée de concurrences déloyales, une Union respectueuse des Nations et de la subsidiarité, et avec moins d'ingérence des instances de l'UE, contrairement à  la vision de Stiglitz sur ce dernier point.   D'autres y verront un soutien répété à ceux qui veulent « plus d'Europe » et d'autorité de ses institutions, même si leur vision de l'Europe est éloignée de celle que prône Stiglitz.  

 Influencera-t-il les opinions des gens, des électeurs potentiels, les fera-t-il évoluer ? Cela dépendra en grande partie de la publicité que les médias et les partis politiques lui donneront dans les prochains mois, ainsi que de la façon dont les idées et les arguments qu'il a développés seront « valorisés» par les uns et les autres. Car, si  son ouvrage n'a pas ménagé la chèvre et le chou, il a tout de même donné des armes à des défenseurs de conceptions différentes, sinon opposées de « l'Europe ».

 

Sources et références

(1) Jacques Myard : « Soit chacun retrouve sa monnaie, soit l'Allemagne décide de sortir de l'euro » , Atlantico.fr, Intégration.pdf, le22/09/2014   

(2) Scoop ! « Le plan secret de l'Allemagne pour sortir de l'euro »...,  economiematin.fr/news...,  le 24/11/2014    

(3) « L'Allemagne prépare sans le dire la sortie de l'euro »,  peupledefrance.com... , le 13/11/2015   

(4) « L'Allemagne se prépare à l'explosion de l'Euro »,   La Gazette de l'Assurance ,  le 02/02/2016   

(5) IMF  2016 External Sector Report - Individual Economy Assessment    27/07/2016   

(6)  IMF 2013 Pilot External Sector Report - Individual Economy Assessment  20/06/2013    

(7) Union bancaire - Commission européenne, ec.europa.eu/finance/general-policy/banking/index_fr.htm   

(8) Union bancaire : « L'Europe établit une feuille de route »,  lesechos.fr/20/06/2016/LesEchos/22216-135-ECH...   

(9) « Le bilan de la BCE s'envole au-dessus de 3.000 milliards d'euros », Marchés financiers,  les echos.fr,  le  21 07 2016   

(10) « BCE / 1.000 milliards d'euros... Et pour quel résultat ? », fr.express.live/2016/09/07/bce-1000-milliards... + « L'assouplissement quantitatif de la BCE est-il efficace ? « ,  latribune.fr/economie/union-europeenne/l-assouplissement..,. le 14/10/2015   

(11)  « Des changements importants introduits dans l'organisation et le fonctionnement du marché de la dette»  in « Marchés, investisseurs, les changements c'est maintenant »,  Lettre du 18 juin, septembre 2012    (12) PLF 2016,  extrait du bleu budgétaire : « Dotation en capital du Mécanisme européen de stabilité »,  version du 06/10/2015   

(13) « Le Mécanisme européen de stabilité : mode d'emploi »,  EurActiv.fr , le 08/10/2012   

(14) « Toute l'Europe : Qu'est-ce que le Mécanisme européen de stabilité (MES) »,  le 17/07/2015   

(15)  « L'idée d'une mutualisation des dettes publiques avance », Euractiv.fr, le 08/01/2015 –

(16) « Pour alléger la dette européenne, mutualisons ? », Le Cercle des Économistes, le 25/04/2016 –

(17) « Le plan Junker a-t-il relancé l'investissement européen ? »,  latribune.fr/economie..,  le 25/07/2016    

(18) « L'Allemagne réticente à remplir la tirelire du plan Junker », Euractiv.fr,  le 12/10/2016   

(19) « Le plan à 300 milliards de Jean-Claude Junker, comment ça marche ? »,  Bruxelles 2, EU,  le 26/11/2014   

(20) « Le six-pack : six mesures visant à renforcer la gouvernance économique européenne », Forum de la performance , direction du Budget,  le 23/01/2014 –

(21) « Toute l'Europe : Qu'est-ce que le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) de 2012 ? »,  le 30/07/2015   

(22)  « Le two pack : une avancée supplémentaire en matière de surveillance budgétaire au sein de la zone euro »,  Forum de la performance, direction du Budget, le 23/01/2014   

(23) Eurostat, communiqué de presse 76/2016, 21 avril 2016   

(24) « Croissance, déficit : Bruxelles pointe la France du doigt », lesechos.fr/08/03/2016/lesechos.fr/021752429904...   

(25) « Prise de dette sur la sortie de l'euro », Libération, libération.fr/france/2014/01/16... 

(26) « Petit exercice de fiction : si on sort de l'euro, la dette publique augmentera-t-elle ? Réponse aux décodeurs du Monde »,  agoravox.fr/actualite/economie...  

 

© 05.11.2016