LE RÉCIT NATIONAL FRANÇAIS

À PARTIR DE LA GRANDE GUERRE

 

par Christine ALFARGE

« Hommage à tous nos soldats courageux qui ont scellé le destin de la France »

A l’heure où la connaissance de notre récit national revêt une impérieuse nécessité, il est indispensable de revenir sur la tragédie de la Grande Guerre et son cortège de souffrances humaines réduisant les hommes à de la chair à canon sans comprendre réellement pourquoi ils venaient se battre, au nom de quel idéal, pensant que cette guerre ne serait qu’une parenthèse de courage en défendant la nation. Il n’en fut rien.   

L’illusion d’une guerre rapide 

De 1914 à 1918, l’Europe et une partie du monde s’engagent dans la première guerre totale de l’histoire. Chacun des pays belligérants mobilise des moyens militaires et industriels énormes pour remporter la victoire. 

En juin 1914, l’archiduc François-Ferdinand est assassiné à Sarajevo en Bosnie-Herzégovine. La mort brutale de l’héritier du trône de l’Empire austro-hongrois servira de détonateur à un conflit devenu très vite mondial par des alliances conclues des décennies plus tôt entre les grandes puissances européennes.  

Sur fond de nationalisme exacerbé, de fortes tensions sur des rivalités stratégiques, politiques, économiques, coloniales, cette guerre trouve ses origines dans la volonté hégémonique de certains pays. Puissance économique de premier plan, l’Allemagne souhaite s’étendre à l’est et renforcer sa présence en Afrique et en Asie, l’Empire austro-hongrois sur les Balkans et la grande Russie du Tsar Nicolas II sur un Empire ottoman moribond. Un mois après le meurtre de François-Ferdinand, la machine macabre des différentes coalitions s’installe en jetant plus de 60 millions d’hommes dans la bataille. 

En août 1914, l’Allemagne viole la neutralité de la Belgique et du Luxembourg avant de pénétrer dans le Nord-Est de la France. Après plusieurs semaines de progression, les soldats allemands subissent un coup d’arrêt avec la contre-offensive de la Marne en septembre 1914. Les troupes allemandes ne parviennent pas à percer le front et creusent des tranchées pour éviter de reculer davantage. La ligne de front franco-allemand se stabilise sur 700 km de la mer du Nord aux Vosges.  

Cette guerre qui ne devait durer que quelques mois se fige pour se poursuivre pendant plus de quatre ans. Le 11 novembre 1918, l’Allemagne vaincue signera un armistice avec la France à Rethondes. La Première Guerre mondiale aura causé la mort de 10 millions de personnes, dont 1,4 million de français tombés dans la Somme ou à Verdun.  

Un certain capitaine de Gaulle 

Au regard de l’histoire, l’attitude du Général de Gaulle vis-à-vis de l’Allemagne fut de comprendre ce qu’était l’adversaire. Outre sa connaissance pour la langue allemande, la littérature et la philosophie, il approfondira cette connaissance en captivité à Ingolstadt pendant la première guerre mondiale à travers son ouvrage « la discorde chez l’ennemi » qui paraîtra en 1924 sur fond d’observation des forces mais aussi de certaines faiblesses de ce pays. Le Général de Gaulle se livrera à la fois à un hommage « au peuple allemand vaillant et à ses chefs avec leur audace et leur esprit d’entreprise », des critiques envers les militaires notamment le manque de coordination dans le commandement allemand évoquant de manière détaillée la déroute du peuple allemand lors de la défaite en été et en automne 1918. 

Mais le Général de Gaulle était lucide et ne se faisait pas beaucoup d’illusions sur ce qui pouvait se passer pour la France après la victoire de 1918.  Dès le 1er mars 1925, il publia dans la Revue militaire française un article dans lequel, il insistait sur la fragilité de la frontière nord-est de la France et sur l’obligation de contenir une nouvelle agression allemande en renforçant un certain nombre de places. Il savait que la Reichswehr (force de défense du Reich) était toujours vaillante et que de nombreux allemands souhaitaient une guerre de revanche. En mars 1929, il prit note que l’Allemagne avait des projets d’annexion de l’Autriche, d’invasion de la Pologne et de récupération de l’Alsace-Lorraine. Dès l’année 1933, le Général de Gaulle n’avait pas de doutes non plus sur les desseins du nouveau régime incarné par Hitler.  

Son ouvrage « Vers une armée de métier » publié en 1934, traduisait les convictions qui s’étaient forgées dans son esprit pendant ces dernières années. En voici quelques lignes « Car, entre Gaulois et Germains, les victoires alternatives n’ont rien tranché ni rien assouvi. Parfois, épuisés par la guerre, les deux peuples semblent se rapprocher, comme s’appuient l’un sur l’autre des lutteurs chancelants. Mais, sitôt remis, chacun se prend à guetter l’adversaire. Une pareille instabilité tient à la nature des choses… L’opposition des tempéraments avive cette amertume. Ce n’est point que chacun méconnaisse la valeur de l’autre et ne se prenne à rêver, parfois aux grandes choses qu’on pourrait faire ensemble. Mais les réactions sont si différentes, qu’elles tiennent les deux peuples en état constant de méfiance ». 

À l’avenir, le Général de Gaulle ne doutait pas qu’une crise nouvelle inciterait encore une fois, les allemands vers Paris. Dans son livre, il développait toute sa théorie de la nécessité de grandes unités blindées et motorisées, basées sur le progrès technique et scientifique afin d’empêcher que le destin de la France ne soit définitivement scellé par l’agression venant de l’Est et du Nord. Hélas, il avait prévu la tragédie de 1940 pour laquelle il jettera toutes ses forces dans la bataille de la libération de la France. Paradoxalement, la blessure du Général de Gaulle qui le contraindra à cesser le combat pendant la première guerre lui permettra de mûrir sa réflexion sur l’étoffe d’un grand chef en tant de crises ou de guerres. A partir de là, il aura conscience de prendre en main le destin de la France et dira plus tard, « Il faut qu’à la tête de l’Etat, un chef en manifeste la permanence ».    

Que reste-t-il de Verdun et le sens de cette guerre ? 

Cent ans après ce terrible carnage où la France était économiquement à genoux, rendons hommage aux femmes épuisées par le travail, traumatisées et devant pallier aux difficultés familiales en l’absence des hommes partis au combat. N’oublions jamais que le combat pour la liberté de notre pays s’est forgé dans les blessures et les souffrances profondes des soldats de la Grande Guerre de la Somme ou Verdun. Les soldats de Verdun nous disent encore aujourd’hui qu’intolérance et fanatisme lorsqu’on les laisse grandir, réduisent l’homme à néant. « Rien n’est plus dangereux que l’ignorance et l’intolérance lorsqu’elles sont armées de pouvoir » écrivait Voltaire.     

De ces guerres émergera l’idée fondatrice de l’Europe, il faudra attendre le deuxième choc de la guerre 39-45 pour unir le continent et ouvrir le chemin de la paix aux enfants de la guerre 14-18. Lorsque le Général de Gaulle pensait au destin commun de la France et de l’Allemagne pour l’intérêt des peuples, le cheminement de sa pensée sur la nature humaine a sans aucun doute commencé à Verdun façonnant sa personnalité d’homme d’Etat jusqu’à l’exercice de la fonction suprême quelques années plus tard.  

Aujourd’hui comme hier, nous avons le devoir envers tous ceux qui sont tombés pour la France de nous interroger sur quelle Europe faut-il construire pour sortir du diktat technocratique et financier et veiller à une maison commune en paix.

 

© 01.10.2016