par Luc BEYER de RYKE
Les États-Unis vont voter. Les États-Unis votent. Ils ont
commencé à le faire avant même que cette chronique fut écrite. Le système
électoral autorise le vote par correspondance et même le vote électronique. Il
a débuté fin septembre alors que les élections présidentielles auront lieu en novembre.
Chaque État a sa propre législation qui en détermine l’organisation. On sait aussi que le président est choisi
par les grands électeurs. Il peut donc être élu par eux et battu en même temps
par le suffrage universel. Ce fut le cas de George W. Bush lors de sa première
élection. Al Gore avait recueilli davantage de suffrages mais en vain. S’il est légitime pour les Français d’avoir
en point de mire l’Élysée et celui ou celle qui l’occupera il va de soi sue les
présidentielles américaines ont une importance mondiale. Lorsqu’on songe à ce
qu’elles pourraient apporter on se prend à songer à l’invocation de Lamartine «
Oh temps, suspends ton vol... ».
Beaucoup d’Américains se détournent des deux candidats en
lice. Le populisme de l’un, l’inféodation de l’autre à un establishment
financier expliquent l’engouement à l’égard d’un Bernie Sanders désormais
évacué du devant de la scène.
Parmi les nombreuses interrogations qui se posent il y a
celle relative à la politique extérieure des Etats-Unis. En particulier en ce
qui concerne le Proche-Orient. Parmi ceux que j’ai interrogé je retiendrai
Philip Golub. Cet éminent universitaire américain qui
enseigne à Sciences-po occupe aujourd’hui la chaire de politiques
internationales et comparatives à l’université américaine à Paris (The American
University of Paris). Il a répondu à quelques-unes de
mas questions lors d’un entretien conjoint avec Dominique Vidal, ancien du
Monde diplomatique... et spécialiste du Proche-Orient. Une synthèse de leurs
propos et des questions constitue un instrument de mesure intéressant, utile et
pourtant incertain pour évaluer le rôle futur des États-Unis
L’héritage
Pour mieux le comprendre il convient de se reporter
brièvement au passé. L’arrivée de Jimmy Carter a rompu avec la politique
d’Eisenhower. Ike, prudent, entendait « gérer à distance ». La doctrine Carter,
elle, est interventionniste. Avec ses heurs et malheurs. Elle demeurera. Les
États-Unis soutiendront Saddam Hussein même au moment où ce dernier gaze les
Kurdes à Halabja. Après la chute du mur Saddam
profitera de ce que les États-Unis soient « distraits », comme le relève avec
humour Philip Golub, pour intervenir au Koweit. Ce qui déclenche la politique d’endiguement. Celle
de Bush premier, celle plus tard de Bush second. mais
en intervenant la première fois le père est approuvé par les Nations Unies dont
le fils, lui, se passera. Avec les conséquences que l’on sait. Et celles à
venir. Aujourd’hui l’intervention russe en Syrie constitue une réponse à celle
des Américains en Irak.
Les États-Unis rêvent d’un nouveau Moyen-Orient. Ceux que
l’on nomme les néo-conservateurs prêchaient le chaos pour y parvenir. Ils sont
exaucés sans qu’ils y trouvent leur compte. Au Moyen-Orient les États-nations
se sont effondrés. La guerre est devenue un état permanent. Qu’il s’agisse de
nous Européens ou des Américains nous nous avérons impuissants à modifier le
cours des événements. Les États-Unis voient leurs alliés devenir « encombrants
». Les relations avec l’Arabie Saoudite sont de plus en plus ombrageuses. Ne
parlons pas de celles d’Obama avec Netanyahou. Elles sont détestables. Les
temps sont révolus où les États-Unis pouvaient influencer voire façonner les
équilibres mondiaux. Qu’en sera-t-il avec Donald Trump
ou Hillary Clinton ?
L’inconnu dans la maison
Trump paraît gérer le ministère de la
Parole. Toute son argumentation tient en un constat simpliste : « Hillary
était là quand les problèmes ont commencé. Ces problèmes j’y mettrai fin ».
Comment ? En usant de la force partout. Avec les Mexicains, avec Daech, avec l’Iran qu’il n’aime pas. Sa seule volonté y
pourvoira. Mais, comme le relève Philip Golub, « lui-même
ne connaît pas sa volonté ». Seul garde-fou, les Institutions. Un président
est encadré par elles. Il ne peut agir seul quelle que soit sa puissance. Or Trump trouve dans l’Administration américaine des
adversaires. À commencer dans les services de sécurité. Ce qui peut atténuer
les inquiétudes sans les dissiper.
Il faut connaître l’ADN de Donald Trump.
Son père durant l’entre-deux guerres était membre d’America
first (isolationniste). Il appartint ensuite à la John Birch
Society (extrême-droite) et « flirta » avec le Ku Klux Klan. Ce qui pourtant ne
suffit pas à cerner avec exactitude le personnage de Donald Trump
lui-même. Il s’est entouré de conseillers militaires très hétérogènes. Choisis
un peu au hasard. Autoritaire, il les embauche et les licencie... Il ne
représente pas le capitalisme transnational ni le complexe militaro-industriel.
Il a diversifié ses appuis financiers. Avant de devenir l’adversaire d’Hillary
il l’a fait bénéficier un temps de ses largesses. Ceux qui le détestent disent
qu’avec lui on entend des « meuglements » plutôt qu’une idéologie.
Une femme de pouvoir
Quel portrait brosse-t-on en contrepoint d’Hillary Clinton ?
Deux caractéristiques essentielles peuvent la définir. Liée à l’establishment
financier c’est une interventionniste. Bien plus qu’Obama. Très proche d’Israël
elle s’est prononcée en faveur de l’opération en Lybie alors qu’Obama traînait
les pieds. Elle est tout aussi favorable aux opérations et bombardements en
Syrie. À l’égard de l’Iran elle se montre sur la réserve et pourrait ne pas
être hostile à une confrontation. sans doute a-t-elle
besoin de l’électorat de Bernie Sanders mais elle paraît peu encline à prendre
en compte ses desiderata. En particulier
à propos de la Palestine, Sanders se proclame sioniste, mais antisioniste si
les droits du peuple palestinien sont bafoués. Ce qui semble laisser Hillary le
cœur léger. Paradoxalement une partie minoritaire mais non négligeable des
électeurs de Sanders pourrait se reporter sur Trump.
Il s’agit de « petits blancs » anxieux de se voir appauvris et déclassés.
Ce sont là autant de turbulences idéologiques qui
accompagnent une souffrance sociale. Rien n’est joué.
Tout est possible. Le pire, le supportable, sans que le
meilleur soit au rendez-vous.