par Luc BEYER de RYKE
Comment
faire face au terrorisme ?
Toutes nos sociétés s’y trouvent confrontées. En particulier
ces derniers mois, la France et la Belgique.
Il est une réponse sécuritaire. Elle passe par la
coordination des services de renseignement et celle des différents corps de
police et de gendarmerie. Réponse prioritaire, indispensable mais qui ne
suffira pas. Contrairement au mot irréfléchi de Manuel Valls comprendre n’est
pas absoudre. Pour faire face à un
adversaire il faut pouvoir saisir la psychologie qui l’anime et décrypter,
démonter le mécanisme de la terreur. Même si le résultat est très certainement
incertain et insuffisant, c’est à quoi s’attachent les cellules de déradicalisation installées en France et en Belgique. Il se
fait que l’un de mes amis belges, professeur de religion dans un collège
catholique, est membre d’une de ces cellules.
Soumis à un devoir de réserve je ne mentionnerai pas le nom
de ce collège. Disons seulement qu’il se situe dans une des communes
bruxelloises situées le long de « la
ligne du canal », celui qui relie Charleroi à Bruxelles. Molenbeek
est désormais la plus connue mais n’oublions pas Schaerbeek, Anderlecht (où
l’on trouve la gare du Midi), Saint-Gilles et Forest. Une ligne que l’on
pourrait appeler la coulée du djihadisme. Sachant
qu’actuellement, proportionnellement, la Belgique compte davantage de
djihadistes en Syrie que la France.
Face aux élèves...
J’ai interrogé mon ami. Il m’a confié à la fois la sociologie
des élèves auxquels il donne des cours et le dialogue qui s’établit avec eux.
La population scolaire de son collège se compose de 98 % de musulmans. S’il
leur enseigne la religion catholique, il leur parle aussi de l’islam
et recueille leurs sentiment et la
manière dont ils vivent et comprennent leur religion. La plupart « ont réagi
avec horreur aux attentats ». Mais certains ont été les témoins directs des
perquisitions et des interventions musclées de la police qui ont suivi. Il
s’est trouvé des élèves pour se désoler de la capture de Salah Abdeslam. Traqué
durant des semaines par toutes les polices d’Europe le djihadiste à leurs yeux
était devenu un « Robin des Bois ». Ce qui explique qu’au moment de sa capture
à Molenbeek il se soit trouvé des jeunes pour « caillasser » la police.
Le récit de mon interlocuteur se prolonge par celui du dialogue
engagé avec ses élèves. « Il n’y a pas de tabou. Nous parlons de tout. De la
musique, de la place accordée aux femmes. Si l’on parle de musique les
réactions divergent selon les classes. Il en est pour aimer écouter de la
musique. Des élèves y prennent plaisir. Dans d’autres classes, au contraire,
les esprits se ferment et refusent... Dans la musique expliquent certains il y
a un piège tendu aux croyants pour les détourner de Dieu. » Ce qui fait
songer au Nom de la rose où le moine assassin proscrivait le rire jugé comme
satanique.
Si la musique suscite des réactions diverses, le regard porté
sur les femmes rallie la grande majorité. « Presque tous, enfants et
adolescents, tiennent la femme pour un être inférieur soumis à l’homme. La
preuve, avançait un de mes élèves, c’est le peu de femmes à avoir obtenu le
prix Nobel. Interpellé, j’ai effectué des recherches. La semaine suivante j’ai
communiqué le résultat à mon jeune intervenant : quarante-quatre femmes, soit
environ 10 %, ont été ‘’nobélisés’’. Et j’ajoutai que seuls treize musulmans
comptaient parmi les prix Nobel. L’enfant en fut accablé. Les larmes aux yeux –
ce qui m’affligea encore plus que lui – il a conclu à l’évidence car ‘’bien sûr
nous sommes inférieurs, tout le monde le sait’’. De ces propos on pouvait
déduire que l’humiliation, le sentiment d’infériorité nourrissent la
radicalité. C’est ce que nombre de sociologues et d’islamologues pensent ».
Profils de djihadistes
Comment, selon ce professeur, se présente le profil des
djihadistes ? Qu’est-ce qui peut les pousser à s’engager au prix de leur propre
vie ? « D’un côté il y a des jeunes un peu paumés, idéalistes, en quête
d’une voie qui les sorte de l’humiliation attachée à la vie quotidienne, vie
morne, terne, dépourvue d’espérance. Ce sont là des proies faciles pour des
recruteurs habiles, formés et rodés à la manipulation. À côté il y a la cohorte
de jeunes voyous, braqueurs, trafiquants de drogue. C’est à cette catégorie que
se rattachent Abdeslam, Abaoud et tant d’autres. À
ceux-là les recruteurs offrent une chaîne de rédemption, la vie éternelle et
une gloire posthume. »
Les recruteurs de « paradis »
Dans ce tableau il manque un volet capital : le profil des
recruteurs. Ceux-là ne se laissent pas approcher par les journalistes. Tout au
plus discerne-t-on les méthodes employées à travers le récit de parents dont
l’enfant est parti en Syrie. Ainsi celui d’une mère qui raconte comment elle a
vu, en très peu de temps, son fils se radicaliser.
Adolescent, il s’est laissé pousser la barbe, a cessé de
boire et d’écouter de la musique. Elle a réagi et lui a fait la morale. Le
recruteur a dit au jeune la manière de tromper la vigilance de la mère. Il
s’est rasé, à recommencer à écouter de la musique, à boire un verre. Jusqu’au
jour où il a sollicité la permission d’assister à un mariage musulman.
Permission accordée. Le lendemain matin lorsque sa mère est montée dans sa
chambre elle était vide. Tout de suite elle a compris.
Le mariage était celui avec la mort. Le paradis promis, son
fils était parti le trouver en Syrie.
Il n’est pas revenu...