par Luc BEYER de RYKE
Daech fait exploser la Belgique. Les
attentats de Paris ont été plus meurtriers encore que ceux de Bruxelles. Mais,
au-delà des morts et des blessés graves l’attentat de Zaventen
a frappé durablement la vie économique.
Brussels Airport reprend, le souffle demeure court. Toute
l’activité économique entourant l’aéroport demeure affectée. Qu’il s’agisse des
commerces, des hôtels, des taxis. Les précautions indispensables ralentissent
et alourdissent les procédures d’embarquement. Il faudra du temps pour que le
souvenir de la tragédie s’estompe et que les voyageurs retrouvent le chemin de
Bruxelles.
Il y a les intérêts économiques. Il y a les structures
institutionnelles du pays.
Querelles intestines
Déjà complexes, elles sont mises à mal. Les services de
l’État se déchirent et s’accusent.
Une fois commis l’attentat à l’aéroport, le métro n’aurait-il
pas dû être fermé ? Auquel cas, celui de la station Malbeek
aurait pu être évité. Le ministre de l’Intérieur assure que l’ordre avait été
donné. La STIB, compagnie des transports urbains, le conteste.
L’opinion publique assiste à ses accrochages verbaux dans la
colère et la douleur. L’autre dimanche, place de la Bourse, au cœur de la
capitale, beaucoup se sont retrouvé pour s’exprimer par des chants, des prières ,
un recueillement. C’est alors que quelques centaines de hooligans, se
proclamant tels, venant de la gare du Midi, ont déboulé. Tout de noir vêtus,
certains cagoulés, ils ont piétiné les gerbes, bousculé les présents avant que
la police n’intervienne pour les reconduire manu militari d’où ils venaient et
les réembarquer dans des trains.
Il y eut une quinzaine d’interpellations. En marge des ces incidents scandaleux, il y a plus grave. Qui
étaient-ils et pourquoi ont-ils pu arriver à la Bourse ? Il s’agissait de
supporters de clubs de football. Des Bruxellois, des Liégeois du Standard mais
surtout des Flamands. Ils voulaient dire haut et fort que les Belges étaient
chez eux et que l’islam n’avait rien à faire dans le pays. Brutalement et
sans distinguer l’islamisme radical de
l’Islam pris dans son ensemble.
On avait eu vent de leur projet. Ils devaient se réunir à
Vilvorde dans la périphérie de Bruxelles. Ce qu’ils firent. Les autorités
locales laissèrent faire, soulagées qu’ils s’embarquent aussitôt pour
Bruxelles. Une fois arrivés gare du Midi, précédés
d’une voiture de police, ils se rendirent à la Bourse. La suite est
connue.
Sauf que le bourgmestre de Bruxelles s’en prit, courroucé, à
son collègue de Vilvorde. Tous les deux sont socialistes. L’un francophone,
l’autre néerlandophone. Le conflit se double d’un aspect communautaire.
D’autant plus que le bourgmestre de Bruxelles, Yvan Mayeur, s’agrippe aussi
avec Jan Jambon, le ministre nationaliste flamand (NVA) de l’Intérieur.
Pour le ministre, la responsabilité de l’ordre public revenait
au bourgmestre. Lequel rejette la responsabilité sur le fédéral.
Nous sommes ici au cœur du problème. Celui des
Institutions.
L’imbroglio institutionnel
La Belgique est un pays de plus en plus décentralisé. La
principale composante côté flamand est un parti, la NVA, dont le premier point
inscrit à son programme est que la Belgique « s’évanouisse ». Daech s’en charge.
Ce n’était pas prévu. Car, devant le terrorisme, il n’y a pas
au chapitre des victimes des néerlandophones et des francophones. À Zaventen morts et blessés appartenaient (ou appartiennent)
à quarante nationalités. Reste qu’un État décentralisé où, pour ne prendre que
Bruxelles et ses dix-neuf communes, il y a dix-neuf polices face à la police
fédérale, la coordination se fait difficilement.
Chacun est jaloux de son autonomie. Le poids du passé est
invoqué. Lorsqu’on évoque la possibilité – où la nécessité – d’unifier
Bruxelles, il y a toujours des voix pour rappeler le « Gröss
Brüssel » instauré
durant la guerre par l’occupant. Même s’il
s’agit d’un paravent pour masquer souvent les privilèges des baronnies
locales.
Au niveau de l’ensemble de la Belgique on est, au fil des
ans, passé d’un État unitaire à celui d’un État fédéral. Le conflit
communautaire a rendu cette évolution inéluctable.
Mais concrètement cela implique que depuis des années le pays
n’a plus de gouvernement national mais fédéral. Il est flanqué de gouvernements
régionaux. Celui de la Communauté flamande, celui de Bruxelles, celui de la
Communauté française associant Bruxelles et la Wallonie, celui de la Wallonie
et enfin celui de la Communauté germanophone.
Ce qui fait que lorsqu’on a beaucoup daubé et ironisé sur «
la Belgique sans gouvernement », son fonctionnement et sa gérance étaient
parfaitement assurés par les gouvernements régionaux.
Il est loisible de débattre, d’argumenter à propos de cette
architecture complexe. Les Français, en particulier, éprouvent beaucoup de
difficultés, sinon une impossibilité psychologique à comprendre. Entre la
France et la Belgique si proches géographiquement et, pour les francophones,
intellectuellement et culturellement, l’antithèse est profonde. Une vieille
nation centralisée où Capétiens, Jacobins et héritiers de l’Empire se donnent
la main.
Et de l’autre côté un pays régionalisé, s’interrogeant
inlassablement pour savoir s’il est ou non une nation...
Tout ceci relève de l’Histoire, du débat intellectuel et
juridique. mais lorsque le pays se disloque devant le
terrorisme il faut faire face.
En sommes-nous capables ?
Molenbeek c’est la Syrie.
Au moins l’antichambre...