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CHÔMAGE : PAS DE RÉDUCTION À
ATTENDRE
SANS DÉVELOPPEMENT DES
SECTEURS RÉELLEMENT PRODUCTIFS
par Paul KLOBOUKOFF
En ce début d'année, la lutte contre le chômage partage le
devant de la scène avec le combat contre le terrorisme et les amalgames. Et,
par-delà les expédients qui s'annoncent à quinze mois des élections
présidentielles, la conviction persiste qu'une condition sine qua non de la
baisse du chômage est le retour à une croissance du PIB d'au moins + 1,5 % par
an. L'examen de la croissance et de l'emploi, très différenciés d'un secteur à
l'autre sur la période postérieure à l'éclatement de la « bulle Internet » de
l'an 2000, montre que de très nombreux facteurs ont joué, économiques, sociaux,
démographiques, politiques, dépendant de nos acteurs nationaux, de
multinationales et d'accords que la France a conclu avec l'Union européenne
(UE) et d'autres partenaires étrangers, des rapports de force et de
compétitivité avec les autres puissances économiques, ainsi que, bien entendu,
de la « conjoncture internationale ». Des facteurs favorables ou nuisibles à
l'emploi et au chômage. L'objet du présent article est d'essayer d'en faire le
tour pour mieux comprendre quels sont les plus déterminants et seront décisifs
au cours des années à venir. On pourra observer en particulier : le poids
excessif et croissant de notre secteur non directement productif, porteur de
nombreux emplois coûteux pour les finances publiques, la domination, dans la
valeur ajoutée (VA) nationale et dans l'emploi, du tertiaire, et les reculs de
l'agriculture et de l'industrie, pénalisées par la concurrence extérieure et
des baisses de prix insoutenables, l'importance prise par les multinationales
sous contrôle français ou étranger
dans les activités et les emplois de l'industrie et des
services marchands, la répartition des rôles qui se dessine entre les grandes
entreprises, exportatrices, porteuses de la recherche et des hautes
technologies, et des plus petites, tournées vers le marché intérieur,
auxquelles il est demandé d'assurer un maximum d'emplois, la faible
augmentation du nombre des emplois, assurée pour près de moitié par des
entreprises individuelles dont le nombre a explosé avec la quasi-stagnation de
l'emploi salarié et la montée du chômage, la conjonction de facteurs
démographiques qui ont conduit au fort accroissement du nombre de retraités, au
ralentissement de la population de quinze à soixante-quatre ans, et sans
laquelle le chômage aurait été encore plus élevé. Les hommes sont plus exposés
au risque de chômage que les femmes, qui occupent 68,8 % des emplois dans les
secteurs principalement non marchands, et en particulier dans l'éducation, les
services de santé et les services sociaux. Il semble aussi qu'en 2014 peu de
branches de l'économie marchande se trouvaient en « sous-effectifs », prêtes à
recruter au premier signe tangible de reprise. Des informations, plutôt
décourageantes, montrent les emplois les plus proposés à Pole emploi, ainsi que
les métiers considérés comme porteurs à l'horizon 2022.
On peut se demander comment est déterminé ce taux de
croissance de + 1,5 % et comment, à lui seul, il peut résumer toute la
complexité de la problématique de l'emploi et la diversité des possibilités
ouvertes.
Un PIB trompeur sur la
puissance de la France, inquiétant pour l'emploi futur
En France, le PIB, évalué par l'INSEE à 2 132,4 milliards
d'euros (Mds €) en 2014, est très supérieur à la « création de richesse » réelle. En effet, la somme des valeurs
ajoutées (VA) des branches d'activités que l'on peut qualifier de« productives » avoisine 1 300 Mds €, soit 61 % seulement du
PIB. Ce montant correspond à « l'économie marchande », celle des branches de
l'agriculture, de la sylviculture et de la pêche, des industries et des «
services principalement marchands »
(commerces, transports, hébergement et restauration, information et
communication, activités financières et d'assurances, activités immobilières
marchandes...).
Précision : des activités immobilières, j'ai retiré les « loyers imputés », ou «
fictifs », des comptes nationaux, que
les propriétaires de leurs logements sont sensés se verser à eux-mêmes. Ils ne
sont pas « marchands ». Valorisés à 168
Mds € en 2014, ils majorent le PIB de
près de 8 %. Qui plus est, entre 1990 et 2014, liée à l'inflation des prix des
logements, leur valeur a augmenté de + 174 %, jouant un rôle « d'accélérateur »
(pas insignifiant) de la valeur du PIB.
La VA de l'économie marchande ne comprend pas celles,
comptabilisées dans le PIB pour 443 Mds €, des « services principalement non
marchands ». Ce sont les services d'administration publique et de défense, de
sécurité sociale obligatoire, d'enseignement, de santé humaine, d'hébergement
médico-social et social, ainsi que d'action sociale... qui ne participent pas
directement à la création de richesse et de
croissance.
Le PIB comprend aussi 222,2 Mds € d'impôts sur les produits
qui viennent s'ajouter aux VA des branches.
Cumulés ces éléments du PIB « non
directement productifs » (NDP) se montent à
833,5 Mds € en 2014. Sans eux, le
« PIB productif » a augmenté de + 84,7 % en euros courants entre 1990 et 2014.
Le « PIB non productif », lui, a crû de + 134,5 %. Cela a permis au PIB
d'enregistrer une hausse de + 101,4 %.
De 33,6 % du PIB en 1990, niveau déjà relativement élevé,
cette part non directement productive est montée à 35,8 % en 2000, puis à 36,6
% en 2007, avant la grande crise, pour atteindre 39,1 % du PIB en 2014.
Ces « leurres flatteurs » masquent en partie des faiblesses
qui s'aggravent, telle l'augmentation de + 140,4 % pendant période des services
non marchands, largement financés sur fonds publics, dont le poids a crû
exagérément.
Depuis plusieurs décennies, le modèle socioéconomique de la
France a renoncé à donner la priorité à la croissance et à la
compétitivité. La priorité s'est
déplacée vers l'emploi et l'orientation de l'économie vers des secteurs visant
à satisfaire une demande intérieure en expansion, en partie provoquée,
d'ailleurs, liée au vieillissement de la population, à la volonté d'améliorer
la santé, aux services à la personne (y compris en informatique aux plus de
soixante-cinq ans, pour le « tout numérique créateur de croissance et d'emploi
»), à la montée des besoins éducatifs dans un système débordé et sans cesse
perturbé, à des exigences sociales de moins en moins en rapport avec les
ressources, ainsi qu'à l'omniprésence de Services pléthoriques de l'État et des
collectivités locales dans trop de domaines.
Cette orientation, privilégiée pour lutter contre le chômage
est en contradiction avec l'engagement déprotégé de la France dans l'UE et la
mondialisation, dans lesquelles la concurrence est la valeur dominante.
Un secteur tertiaire hypertrophié ?
Il a pu être justifié (?) pendant longtemps de se réjouir de
l'accroissement de la part du « tertiaire » dans l'économie et le PIB.
Maintenant (en 2014), il « crée » 78,9 % de la VA de toutes les branches. Cette
domination résulte en partie de l'écrasement des VA des activités primaires et
secondaires, capables d'exporter, indispensables pour éviter la dépendance
alimentaire et, plus encore, industrielle et technologique. Avec la concurrence extérieure, la progression
de la part des services marchands réels a nettement ralenti. Et le secteur le plus « dynamique » reste le tertiaire non
marchand. Hélas l D'après les données de la Comptabilité nationale, la part des
services principalement marchands dans la VA totale était déjà de 47 % il y a
30 ans. Elle avait encore gagné + 7% au début des années 2000, puis a continué
de croître jusqu'à 55,7 % en 2014. Cette progression n'est pas venue de ses
activités traditionnelles les plus connues, le commerce de gros et de détail,
les transports, l'hébergement et la restauration, dont la part de la VA totale
a un peu reculé, baissant de 18,5 % en 2002 à 17,7 % en 2014. Ni des activités
d'information et de communication, dont
la part est descendue de 5,5 % à 4,5 %. Ni des autres services, dont la
part est restée à 3 %. Un peu plus ardentes, les activités scientifiques et
techniques, les services administratifs et de soutien ont vu leur part grandir
de 12 % à 12,8 %. En fait, la croissance
la plus forte a été celle des activités financières et d'assurance, dont la
part a crû de 3,7 % à 4,5 %. Cela parait encore modeste, mais c'est 2,7 fois
plus que la part du secteur agricole dans la VA nationale. Et, l'augmentation
de la masse des loyers, y compris des loyers fictifs, a été un élément
déterminant. Il a permis de majorer de 8 % la part de la VA du tertiaire
principalement « marchand » en 2014. Sans cet « artifice », la part de ce
tertiaire principalement marchand « réel » se serait limitée à près de 51,5 % en 2014 (contre 55,7 %).
Après la bulle des années 2000, la croissance des VA des
services marchands a été ralentie. Les activités subissent une concurrence
renforcée, remarquée, d'ailleurs, pour de nombreux services, dont les prix ont
considérablement baissé, tirant vers le bas les VA qu'une forte croissance des
volumes des activités a fait monter. C'est particulièrement le cas dans les
transports locaux et internationaux, les télécommunications, l'information et
la communication, le commerce, les activités informatiques et les activités
scientifiques et techniques.
Je n'insisterai pas ici sur l'ascension ininterrompue,
handicapante et coûteuse pour les finances publiques, de la part des services
principalement non marchands : de 21 % de la VA totale en 2000, à 23,2 % en
2014.
En euros courants, la VA de ces services a crû de + 60 %
entre 2000 et 2014. Les augmentations des effectifs et des rémunérations des
agents des fonctions publiques ne sont pas innocentes, puisqu'en termes de
volumes d'activités, les croissances ont été : inférieure à + 1 % dans
l'enseignement, de + 12,9 % dans l'administration publique, la défense et la
Sécu obligatoire, de + 32,3 % dans les activités pour la santé humaine et de +
41 % pour l'hébergement médico-social et l'action sociale. Ces derniers
chiffres illustrent l'effort consenti et la priorité accordée à la santé ainsi
qu'à la situation sociale des personnes.
Des données rassemblées par l'Organisation de coopération et
de développement économique (OCDE) permettent d'apprécier les poids des
services non marchands dans les PIB des pays. En 2014, pour la France, ce
boulet est de 20,8 %. Les Pays-Bas en
sont proches, à 20,7 %. Mais l'Allemagne est à 16,4 %, l'Italie est à 15,5 % et
le Royaume-Uni, à 16,1 %. Cette comparaison, défavorable pour nous, signifie
aussi que si le PIB de la France est de – 27 % inférieur à celui de l'Allemagne
et de - 4,5 % à celui du Royaume-Uni, les écarts entre les PIB marchands
(productifs) sont plus marqués, de - 31
% et de – 10 %. Ce n'est pas sans incidence sur les potentiels de croissance,
l'emploi et le chômage.
Quant aux activités agricoles, industrielles et de
construction, leurs VA additionnées ont chuté de 24,8 % de la VA nationale en
2002 à 21% en 2014.
Une construction capricieuse, plombée et
alourdie par l'inflation immobilière
« Quand le bâtiment va, tout va ? ». Pas depuis que le
tertiaire l'a relégué au rang d'activité
presque secondaire. Très fluctuante, la VA de la construction est montée de 5 %
de la VA nationale en 2002 jusqu'à 6,4 % en 2008. Puis elle est descendue à 5,7
% en 2014. Mais, cette évolution ne
reflète pas fidèlement la croissance de l'activité, mieux représentée par
l'indice de volume de la VA à prix constants, qui a crû de + 10 % de 2002 à
2008 pour s'effondrer de - 21,5 % entre 2008 et 2014. L'inflation a ralenti et/ou
masqué le déclin du secteur au cours des six à sept dernières années. Malgré
les déclarations d'intentions visant à satisfaire des besoins croissants en
logements, il n'est pas assuré que ce secteur employeur de travailleurs peu
qualifiés jouera un rôle moteur de la
croissance et de l'emploi dans l'avenir proche.
Une agriculture abandonnée à son triste sort
?
Qu'il est loin le temps de Sully et d'Henri IV où « labourage
et pâturage » étaient « les deux mamelles de la France » ! Malmenées, après un
demi-siècle de PAC qui a desservi nos cultivateurs et nos éleveurs (malgré les
affirmations péremptoires selon lesquelles sans PAC, c'eût été bien pire) et
une trentaine d'années de concurrence mondiale et intra-européenne acharnée à
la recherche de gigantisme et de « productivisme », de baisses des prix, quoi
qu'il en coûte, au détriment de l'agriculture paysanne, de la « qualité », de
la sécurité alimentaire et de l'environnement.
Notre agriculture, à la merci des industries de transformation et de la
grande distribution, n'a pas bénéficié d'autant d'intérêt que dans la plupart
des pays d'Europe, où les productions ont progressé plus qu'en France.
Entre les années 2000 et 2014, d'après les données
d'Eurostat, la valeur de nos productions végétales et animales, valorisées au
prix producteur (hors subventions), a augmenté de + 23 % pour atteindre 65,2
Mds € en 2014. Au sud, l'Italie (+ 14,1 %), le Portugal (+ 13,7 %) et la Grèce
(+ 1,5 %) ont fait moins bien. La production de l'Espagne, elle, a crû de +
28,4 %. Au nord, à l'exception de la Belgique, tous les pays ont enregistré des
progressions d'au moins + 30 %, allant
au-delà de + 34,5 % aux Pays-Bas et au Danemark et de + 39 % en
Autriche. Le Royaume-Uni a réussi Une performance qui mérite d'être étudiée en
accroissant sa production de + 53 %.
Les pays de l'est ont bien profité des élargissements. Les
valeurs de leurs productions sont montées de + 60 % en Hongrie, de + 66 % en
République tchèque et en Slova6quie, de + 83 % en Pologne et de + 94 % en
Roumanie. Si on ajoute à ces productions celles de la Bulgarie et de la
Slovénie, la progression globale a été de + 74 %. C'est dire que le paysage de
l'économie agricole de l'UE a profondément changé. Malgré ses nombreux atouts,
la France a perdu beaucoup de terrain. Elle en reste encore le premier pays
producteur, avec près de 18 % de la valeur totale de la production de l'UE. Les
pays de l'est, avec 16 %, et l'Allemagne, avec
plus de 13 %, s'en sont rapprochés.
Le recul de la production agricole française n'est pas une
fatalité. Il résulte aussi de choix économiques et de société, qu'il faut
reconsidérer. Ainsi, l'attention est insuffisante devant l'écrasement des prix
devenus inférieurs aux coûts de revient, devant la détresse et les faillites de nos éleveurs, alors que ceux de
Bretagne, rejoints par des agriculteurs d'autres régions et de l'étranger,
manifestent encore leur désespoir et leur volonté de survivre.
De 2000 à 2014, la production végétale et animale a augmenté
de + 23 % (cf. ci-dessus). Pourtant, en 2014, la VA des branches
agriculture, sylviculture et pêche, prises ensemble, est évaluée par l'INSEE à
32 Mds €, soit 0,8 Md de plus qu'en 2000 seulement ! Elle ne pèse plus que 1,7
% dans la VA nationale. C'était 2,3 % en 2000, 3,4 % en 1985... et 10 % en 1962, au début de la PAC (1).
L'agriculture est une activité capitalistique (terrains,
bâtiments d'exploitation, matériels...). Aussi, après déduction de 11 Mds
de consommation de « capital fixe », la
VA nette n'est que de 21 Mds en 2014. Aussi, les 8 Mds de subventions
d'exploitation versées aux producteurs constituent plus du tiers de leur
revenu... et ne suffisent pas. Les gains de productivité n'arrivent pas à compenser les baisses des prix. Il faut
signaler ici l'importante dégradation relative du revenu des facteurs (travail
et capital ) de la branche agricole par actif en
termes réels montrée par Eurostat (2).
Entre 2005 et 2014, ce revenu n'a augmenté que de + 7,7 % en France, alors que
les progressions ont été de + 34,6 % pour l'ensemble de l'UE, de + 63,7 % en
Allemagne et + 82,9 % en Pologne. Il est grand temps de se pencher sérieusement
sur la malade, avant de devoir faire appel aux soins palliatifs.
Une désindustrialisation résignée ?
Les lamentations chroniques des dirigeants politiques et des
« acteurs sociaux » sur la
désindustrialisation semblent destinées
surtout à en faire avaler la pilule, amère pour ceux qui perdent leur emploi,
sans soulever trop d'indignation et de reproches. Sans apporter d'explications.
Or la situation dans l'industrie est loin d'être uniforme, et désespérée
partout. Et, en termes de VA et d'emploi, nos beaux « fleurons » pèsent moins lourd qu'il y paraît.
En 2014, pour une production totale de 918 Mds €, la valeur
ajoutée de l'ensemble des industries manufacturières, extractives et autres a
été évaluée à 263 Mds €, soit à 13,8 % de la VA nationale. Elle était encore à
17,5 % en 2002, après la bulle des années 2000, à 22,4 % en 1985, et proche de 30 % au début
des années 1960 !
Le rapport VA / production est très faible, inférieur à 29 %,
contre 32 % en 2002. Cela traduit l'importance prise par la sous-traitance, en
grande partie étrangère, au détriment de l'intégration verticale de nos
industries, qui a réduit d'année en année la part des VA françaises dans les
prix des produits « fabriqués» en
France.
Le recul de la VA l'industrie dans la VA nationale est lié à
la modestie de sa croissance valeur, de + 5,4 % entre 2003 et 2014, associée à
sa stagnation en volume, + 1,7 %. Selon les branches, les évolutions ont été
très différenciées.
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