CHÔMAGE : PAS DE RÉDUCTION À ATTENDRE

SANS DÉVELOPPEMENT DES SECTEURS RÉELLEMENT PRODUCTIFS

par Paul KLOBOUKOFF  

En ce début d'année, la lutte contre le chômage partage le devant de la scène avec le combat contre le terrorisme et les amalgames. Et, par-delà les expédients qui s'annoncent à quinze mois des élections présidentielles, la conviction persiste qu'une condition sine qua non de la baisse du chômage est le retour à une croissance du PIB d'au moins + 1,5 % par an. L'examen de la croissance et de l'emploi, très différenciés d'un secteur à l'autre sur la période postérieure à l'éclatement de la « bulle Internet » de l'an 2000, montre que de très nombreux facteurs ont joué, économiques, sociaux, démographiques, politiques, dépendant de nos acteurs nationaux, de multinationales et d'accords que la France a conclu avec l'Union européenne (UE) et d'autres partenaires étrangers, des rapports de force et de compétitivité avec les autres puissances économiques, ainsi que, bien entendu, de la « conjoncture internationale ». Des facteurs favorables ou nuisibles à l'emploi et au chômage. L'objet du présent article est d'essayer d'en faire le tour pour mieux comprendre quels sont les plus déterminants et seront décisifs au cours des années à venir. On pourra observer en particulier : le poids excessif et croissant de notre secteur non directement productif, porteur de nombreux emplois coûteux pour les finances publiques, la domination, dans la valeur ajoutée (VA) nationale et dans l'emploi, du tertiaire, et les reculs de l'agriculture et de l'industrie, pénalisées par la concurrence extérieure et des baisses de prix insoutenables, l'importance prise par les multinationales sous contrôle français ou étranger

dans les activités et les emplois de l'industrie et des services marchands, la répartition des rôles qui se dessine entre les grandes entreprises, exportatrices, porteuses de la recherche et des hautes technologies, et des plus petites, tournées vers le marché intérieur, auxquelles il est demandé d'assurer un maximum d'emplois, la faible augmentation du nombre des emplois, assurée pour près de moitié par des entreprises individuelles dont le nombre a explosé avec la quasi-stagnation de l'emploi salarié et la montée du chômage, la conjonction de facteurs démographiques qui ont conduit au fort accroissement du nombre de retraités, au ralentissement de la population de quinze à soixante-quatre ans, et sans laquelle le chômage aurait été encore plus élevé. Les hommes sont plus exposés au risque de chômage que les femmes, qui occupent 68,8 % des emplois dans les secteurs principalement non marchands, et en particulier dans l'éducation, les services de santé et les services sociaux. Il semble aussi qu'en 2014 peu de branches de l'économie marchande se trouvaient en « sous-effectifs », prêtes à recruter au premier signe tangible de reprise. Des informations, plutôt décourageantes, montrent les emplois les plus proposés à Pole emploi, ainsi que les métiers considérés comme porteurs à l'horizon 2022. 

On peut se demander comment est déterminé ce taux de croissance de + 1,5 % et comment, à lui seul, il peut résumer toute la complexité de la problématique de l'emploi et la diversité des possibilités ouvertes.

Un PIB trompeur sur la puissance de la France, inquiétant pour l'emploi futur

En France, le PIB, évalué par l'INSEE à 2 132,4 milliards d'euros (Mds €) en 2014, est très supérieur à la « création de richesse »  réelle. En effet, la somme des valeurs ajoutées (VA) des branches d'activités que l'on peut qualifier de« productives »  avoisine 1 300 Mds €, soit 61 % seulement du PIB. Ce montant correspond à « l'économie marchande », celle des branches de l'agriculture, de la sylviculture et de la pêche, des industries et des « services principalement marchands »  (commerces, transports, hébergement et restauration, information et communication, activités financières et d'assurances, activités immobilières marchandes...).

 

Précision : des activités immobilières,  j'ai retiré les « loyers imputés », ou « fictifs », des  comptes nationaux, que les propriétaires de leurs logements sont sensés se verser à eux-mêmes. Ils ne sont pas « marchands ».  Valorisés à 168 Mds € en 2014, ils majorent le  PIB de près de 8 %. Qui plus est, entre 1990 et 2014, liée à l'inflation des prix des logements, leur valeur a augmenté de + 174 %, jouant un rôle « d'accélérateur » (pas insignifiant) de la valeur du PIB. 

La VA de l'économie marchande ne comprend pas celles, comptabilisées dans le PIB pour 443 Mds €, des « services principalement non marchands ». Ce sont les services d'administration publique et de défense, de sécurité sociale obligatoire, d'enseignement, de santé humaine, d'hébergement médico-social et social, ainsi que d'action sociale... qui ne participent pas directement à la création de richesse et de  croissance. 

Le PIB comprend aussi 222,2 Mds € d'impôts sur les produits qui viennent s'ajouter aux VA des branches.  Cumulés ces  éléments du PIB « non directement productifs » (NDP) se montent à  833,5 Mds € en 2014. Sans eux,  le « PIB productif » a augmenté de + 84,7 % en euros courants entre 1990 et 2014. Le « PIB non productif », lui, a crû de + 134,5 %. Cela a permis au PIB d'enregistrer une hausse de + 101,4 %. 

De 33,6 % du PIB en 1990, niveau déjà relativement élevé, cette part non directement productive est montée à 35,8 % en 2000, puis à 36,6 % en 2007, avant la grande crise, pour atteindre 39,1 % du PIB en 2014. 

Ces « leurres flatteurs » masquent en partie des faiblesses qui s'aggravent, telle l'augmentation de + 140,4 % pendant période des services non marchands, largement financés sur fonds publics, dont le poids a crû exagérément.  

Depuis plusieurs décennies, le modèle socioéconomique de la France a renoncé à donner la priorité à la croissance et à la compétitivité.  La priorité s'est déplacée vers l'emploi et l'orientation de l'économie vers des secteurs visant à satisfaire une demande intérieure en expansion, en partie provoquée, d'ailleurs, liée au vieillissement de la population, à la volonté d'améliorer la santé, aux services à la personne (y compris en informatique aux plus de soixante-cinq ans, pour le « tout numérique créateur de croissance et d'emploi »), à la montée des besoins éducatifs dans un système débordé et sans cesse perturbé, à des exigences sociales de moins en moins en rapport avec les ressources, ainsi qu'à l'omniprésence de Services pléthoriques de l'État et des collectivités locales dans trop de domaines. 

Cette orientation, privilégiée pour lutter contre le chômage est en contradiction avec l'engagement déprotégé de la France dans l'UE et la mondialisation, dans lesquelles la concurrence est la valeur dominante. 

Un secteur tertiaire hypertrophié ?  

Il a pu être justifié (?) pendant longtemps de se réjouir de l'accroissement de la part du « tertiaire » dans l'économie et le PIB. Maintenant (en 2014), il « crée » 78,9 % de la VA de toutes les branches. Cette domination résulte en partie de l'écrasement des VA des activités primaires et secondaires, capables d'exporter, indispensables pour éviter la dépendance alimentaire et, plus encore, industrielle et technologique.  Avec la concurrence extérieure, la progression de la part des services marchands réels a nettement ralenti. Et le secteur  le plus « dynamique » reste le tertiaire non marchand. Hélas l D'après les données de la Comptabilité nationale, la part des services principalement marchands dans la VA totale était déjà de 47 % il y a 30 ans. Elle avait encore gagné + 7% au début des années 2000, puis a continué de croître jusqu'à 55,7 % en 2014. Cette progression n'est pas venue de ses activités traditionnelles les plus connues, le commerce de gros et de détail, les transports, l'hébergement et la restauration, dont la part de la VA totale a un peu reculé, baissant de 18,5 % en 2002 à 17,7 % en 2014. Ni des activités d'information et de communication, dont  la part est descendue de 5,5 % à 4,5 %. Ni des autres services, dont la part est restée à 3 %. Un peu plus ardentes, les activités scientifiques et techniques, les services administratifs et de soutien ont vu leur part grandir de 12 %  à 12,8 %. En fait, la croissance la plus forte a été celle des activités financières et d'assurance, dont la part a crû de 3,7 % à 4,5 %. Cela parait encore modeste, mais c'est 2,7 fois plus que la part du secteur agricole dans la VA nationale. Et, l'augmentation de la masse des loyers, y compris des loyers fictifs, a été un élément déterminant. Il a permis de majorer de 8 % la part de la VA du tertiaire principalement « marchand » en 2014. Sans cet « artifice », la part de ce tertiaire principalement marchand « réel » se serait limitée  à près de 51,5 % en 2014 (contre 55,7 %). 

Après la bulle des années 2000, la croissance des VA des services marchands a été ralentie. Les activités subissent une concurrence renforcée, remarquée, d'ailleurs, pour de nombreux services, dont les prix ont considérablement baissé, tirant vers le bas les VA qu'une forte croissance des volumes des activités a fait monter. C'est particulièrement le cas dans les transports locaux et internationaux, les télécommunications, l'information et la communication, le commerce, les activités informatiques et les activités scientifiques et techniques. 

Je n'insisterai pas ici sur l'ascension ininterrompue, handicapante et coûteuse pour les finances publiques, de la part des services principalement non marchands : de 21 % de la VA totale en 2000, à 23,2 % en 2014. 

En euros courants, la VA de ces services a crû de + 60 % entre 2000 et 2014. Les augmentations des effectifs et des rémunérations des agents des fonctions publiques ne sont pas innocentes, puisqu'en termes de volumes d'activités, les croissances ont été : inférieure à + 1 % dans l'enseignement, de + 12,9 % dans l'administration publique, la défense et la Sécu obligatoire, de + 32,3 % dans les activités pour la santé humaine et de + 41 % pour l'hébergement médico-social et l'action sociale. Ces derniers chiffres illustrent l'effort consenti et la priorité accordée à la santé ainsi qu'à la situation sociale des personnes. 

Des données rassemblées par l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) permettent d'apprécier les poids des services non marchands dans les PIB des pays. En 2014, pour la France, ce boulet est de  20,8 %. Les Pays-Bas en sont proches, à 20,7 %. Mais l'Allemagne est à 16,4 %, l'Italie est à 15,5 % et le Royaume-Uni, à 16,1 %. Cette comparaison, défavorable pour nous, signifie aussi que si le PIB de la France est de – 27 % inférieur à celui de l'Allemagne et de - 4,5 % à celui du Royaume-Uni, les écarts entre les PIB marchands (productifs) sont plus marqués, de  - 31 % et de – 10 %. Ce n'est pas sans incidence sur les potentiels de croissance, l'emploi et le chômage. 

Quant aux activités agricoles, industrielles et de construction, leurs VA additionnées ont chuté de 24,8 % de la VA nationale en 2002 à 21% en 2014.    

Une construction capricieuse, plombée et alourdie par l'inflation immobilière 

« Quand le bâtiment va, tout va ? ». Pas depuis que le tertiaire  l'a relégué au rang d'activité presque secondaire. Très fluctuante, la VA de la construction est montée de 5 % de la VA nationale en 2002 jusqu'à 6,4 % en 2008. Puis elle est descendue à 5,7 % en 2014.  Mais, cette évolution ne reflète pas fidèlement la croissance de l'activité, mieux représentée par l'indice de volume de la VA à prix constants, qui a crû de + 10 % de 2002 à 2008 pour s'effondrer de - 21,5 % entre 2008 et 2014. L'inflation a ralenti et/ou masqué le déclin du secteur au cours des six à sept dernières années. Malgré les déclarations d'intentions visant à satisfaire des besoins croissants en logements, il n'est pas assuré que ce secteur employeur de travailleurs peu qualifiés  jouera un rôle moteur de la croissance et de l'emploi dans l'avenir proche.

Une agriculture abandonnée à son triste sort ? 

Qu'il est loin le temps de Sully et d'Henri IV où « labourage et pâturage » étaient « les deux mamelles de la France » ! Malmenées, après un demi-siècle de PAC qui a desservi nos cultivateurs et nos éleveurs (malgré les affirmations péremptoires selon lesquelles sans PAC, c'eût été bien pire) et une trentaine d'années de concurrence mondiale et intra-européenne acharnée à la recherche de gigantisme et de « productivisme », de baisses des prix, quoi qu'il en coûte, au détriment de l'agriculture paysanne, de la « qualité », de la sécurité alimentaire et de l'environnement.  Notre agriculture, à la merci des industries de transformation et de la grande distribution, n'a pas bénéficié d'autant d'intérêt que dans la plupart des pays d'Europe, où les productions ont progressé plus qu'en France.

Entre les années 2000 et 2014, d'après les données d'Eurostat, la valeur de nos productions végétales et animales, valorisées au prix producteur (hors subventions), a augmenté de + 23 % pour atteindre 65,2 Mds € en 2014. Au sud, l'Italie (+ 14,1 %), le Portugal (+ 13,7 %) et la Grèce (+ 1,5 %) ont fait moins bien. La production de l'Espagne, elle, a crû de + 28,4 %. Au nord, à l'exception de la Belgique, tous les pays ont enregistré des progressions d'au moins + 30 %, allant  au-delà de + 34,5 % aux Pays-Bas et au Danemark et de + 39 % en Autriche. Le Royaume-Uni a réussi Une performance qui mérite d'être étudiée en accroissant sa production de + 53 %.  

Les pays de l'est ont bien profité des élargissements. Les valeurs de leurs productions sont montées de + 60 % en Hongrie, de + 66 % en République tchèque et en Slova6quie, de + 83 % en Pologne et de + 94 % en Roumanie. Si on ajoute à ces productions celles de la Bulgarie et de la Slovénie, la progression globale a été de + 74 %. C'est dire que le paysage de l'économie agricole de l'UE a profondément changé. Malgré ses nombreux atouts, la France a perdu beaucoup de terrain. Elle en reste encore le premier pays producteur, avec près de 18 % de la valeur totale de la production de l'UE. Les pays de l'est, avec 16 %, et l'Allemagne, avec  plus de 13 %, s'en sont rapprochés.  

Le recul de la production agricole française n'est pas une fatalité. Il résulte aussi de choix économiques et de société, qu'il faut reconsidérer. Ainsi, l'attention est insuffisante devant l'écrasement des prix devenus inférieurs aux coûts de revient, devant la détresse et les  faillites de nos éleveurs, alors que ceux de Bretagne, rejoints par des agriculteurs d'autres régions et de l'étranger, manifestent encore leur désespoir et leur volonté de survivre. 

De 2000 à 2014, la production végétale et animale a augmenté de + 23 % (cf.  ci-dessus).  Pourtant, en 2014, la VA des branches agriculture, sylviculture et pêche, prises ensemble, est évaluée par l'INSEE à 32 Mds €, soit 0,8 Md de plus qu'en 2000 seulement ! Elle ne pèse plus que 1,7 % dans la VA nationale. C'était 2,3 % en 2000, 3,4 % en 1985... et 10 % en 1962, au début de la PAC (1).  

L'agriculture est une activité capitalistique (terrains, bâtiments d'exploitation, matériels...). Aussi, après déduction de 11 Mds de  consommation de « capital fixe », la VA nette n'est que de 21 Mds en 2014. Aussi, les 8 Mds de subventions d'exploitation versées aux producteurs constituent plus du tiers de leur revenu... et ne suffisent pas. Les gains de productivité n'arrivent pas à  compenser les baisses des prix. Il faut signaler ici l'importante dégradation relative du revenu des facteurs (travail et capital ) de la branche agricole par actif en termes réels montrée par  Eurostat (2). Entre 2005 et 2014, ce revenu n'a augmenté que de + 7,7 % en France, alors que les progressions ont été de + 34,6 % pour l'ensemble de l'UE, de + 63,7 % en Allemagne et + 82,9 % en Pologne. Il est grand temps de se pencher sérieusement sur la malade, avant de devoir faire appel aux soins palliatifs.   

Une désindustrialisation résignée ? 

Les lamentations chroniques des dirigeants politiques et des « acteurs sociaux »  sur la désindustrialisation  semblent destinées surtout à en faire avaler la pilule, amère pour ceux qui perdent leur emploi, sans soulever trop d'indignation et de reproches. Sans apporter d'explications. Or la situation dans l'industrie est loin d'être uniforme, et désespérée partout. Et, en termes de VA et d'emploi, nos beaux « fleurons »  pèsent moins lourd qu'il y paraît. 

En 2014, pour une production totale de 918 Mds €, la valeur ajoutée de l'ensemble des industries manufacturières, extractives et autres a été évaluée à 263 Mds €, soit à 13,8 % de la VA nationale. Elle était encore à 17,5 % en 2002, après la bulle des années 2000, à  22,4 % en 1985, et proche de 30 % au début des années 1960 !   

Le rapport VA / production est très faible, inférieur à 29 %, contre 32 % en 2002. Cela traduit l'importance prise par la sous-traitance, en grande partie étrangère, au détriment de l'intégration verticale de nos industries, qui a réduit d'année en année la part des VA françaises dans les prix des produits « fabriqués»  en France.  

Le recul de la VA l'industrie dans la VA nationale est lié à la modestie de sa croissance valeur, de + 5,4 % entre 2003 et 2014, associée à sa stagnation en volume, + 1,7 %. Selon les branches, les évolutions ont été très différenciées. 

 

 

 

Du côté des branches en souffrance, dont les VA ont baissé en volume, on trouve :  les activités de production et de distribution d'électricité, de gaz, d'eau, de vapeur, de gestion des déchets et de dépollution ( - 15 % ). La VA de ce grand secteur, qui comprend les géants  EDF, GDF- SUEZ, VEOLIA, AREVA... n'est que de 49,1 Mds €, soit 2,6 % de la VA nationale. En valeur, elle a bondi de + 23 %. Explication : l'inflation des prix dont le secteur a bénéficié, et dont nous avons pâti... sous le contrôle de l'État ; la fabrication de matériels de transport (- 8 %) ;  les industries textiles, de l'habillement, du cuir et des chaussures (- 24 %) ;  la métallurgie et la fabrication de produits métalliques (- 3 %). 

Dans les autres branches, les VA ont augmenté. Cela a été le cas de : la fabrication d'équipements électriques, électroniques, informatiques (+ 19 %) ;  la fabrication d'autres produits industriels (+ 7 %) ;  l'industrie du travail du bois, du papier et de l'imprimerie (+ 7 %) ; des autres industries manufacturières, de réparation et d'installation d'équipements (+ 13,5 %) ;  des industries chimiques  (+13 %) et pharmaceutiques (+ 37 %).   À l'heure où l'on ne jure que par l'électronique, l'informatique, le tout numérique, la robotique, la domotique, le solaire, l'éolien... il est bon de savoir que la valeur de notre production d'équipements et de machines électriques, électroniques et informatiques a été de 80,5 Mds € (seulement) en 2014, pour des importations de 102,2 Mds et des exportations de 82,5 Mds. Ces chiffres illustrent l'importance des flux transfrontières, des échanges entre pays, et l'interdépendance croissante des entreprises d'Europe et d'ailleurs, USA, Japon, Chine, Corée... Comme dans d'autres secteurs, les progrès technologiques fulgurants déciment les prix, qui font chuter les VA en valeur courante. Résultat : malgré une progression en volume (à prix constants) de + 19 % depuis 2002, en valeur courante, la valeur ajoutée a perdu  - 5,6 Mds € pour s'établir à  29,3 Mds en 2014.  

La France soutient mal la concurrence. Le déficit des échanges est monté de - 6 Mds en 2002 à - 20 Mds € en 2014.  

Si l'on désire plus d'autosuffisance, il n'est peut-être pas judicieux de pousser à l'investissement et à la consommation en produits pour lesquels nos industries ne sont pas et ne peuvent pas devenir suffisamment

compétitives, ou en produits qui ont un fort « contenu en importations ». Je pense aux ordinateurs et aux phones mobiles, très vite « démodés »  et remplacés, à « l'obsolescence programmée », ainsi qu'aux éoliennes et aux panneaux solaires, qui produisent de l'électricité coûteuse, subventionnée. 

Plusieurs de « nos » plus beaux fleurons font la renommée de « nos » industries de fabrication de matériels de transport, parfois associées à celles d'armement. Dans ce secteur, on trouve des vedettes du CAC 40, des groupes prestigieux et des sociétés omniprésentes dans les informations et les publicités qui meublent notre vie et doivent nourrir nos rêves : Renault, Peugeot, Airbus, Alstom, Thales, Dassault Aviation et Systèmes, Safran... Après avoir chuté sévèrement au début de l'année, la capitalisation boursière de ces seules entités (et il y en a beaucoup d'autres de toutes tailles) avoisinait 150 Mds € le 18 janvier... avant de s'écrouler une fois de plus, déstabilisée par le ralentissement « brutal»  de la croissance chinoise et l'effondrement du cours du pétrole, présage angoissant de faillites en cascades d'investisseurs américains ayant surinvesti massivement à découvert dans l'extraction du pétrole de schiste. Au point de faire redouter une crise financière « systémique » apparentée à celle des « subprimes » en 2008. Toute la planète boursière a été secouée, services compris. Les « Institutions » ont revu leurs prévisions de croissance à la baisse, pour l'Iran, les pays du Golfe, la Russie... et pour la France. Cet épisode attire à nouveau l'attention sur l'instabilité de ce « monde des affaires », dominé par la financiarisation et ouvert à toutes spéculations. L'interdépendance économique et, plus encore, l'imbrication financière ont construit un « château de cartes » exposé aux réactions en chaînes. Et les impacts sont plus forts dans les espaces déprotégés, comme le nôtre. 

Les chiffres d'affaires (CA) de nos fleurons sont impressionnants: 60,7 Mds en 2014 pour Airbus Group, 53,6 Mds pour Peugeot, 41 Mds pour Renault-Nissan, 26,3 Mds pour les deux sociétés Dassault, 15,4 Mds pour Safran, 14,3 Mds pour Thales, 8,3 Mds pour Alstom. Près de 220 Mds pour elles seules (3). Et, alors que le voyage de François Hollande en Inde a ravivé l'espoir de l'achat de 36 Rafale par New-Delhi, on a tendance à oublier (ou ignorer) qu'en 2014 ce sont 286 appareils que le Programme Rafale avait inscrit. Un programme de 46,4 Mds €  (4).

Or, surprise, incompréhension et déconvenue ! Poudre aux yeux ? Les comptes nationaux n'accordent à l'ensemble du secteur qu'une production aux prix de base de 113,6 Mds € en 2014... et pire, une valeur ajoutée limitée à 22,6 Mds €, soit à 1,2% de la VA nationale. Ce n'était déjà que 1,6 % en 2002 et 1,5% en 1985.  

Des flux d'importations de 68,3 Mds et d'exportation de 96,6 Mds permettent de dégager un confortable excédent. Il est presque surprenant que les exportations (marges commerciales comprises) atteignent 85 % de la valeur de la production. L'activité du secteur semble dominée par l'import-export, tandis que l'activité de « transformation » se restreint de plus en plus à la conception, au montage, à l'assemblage. Une part croissante de la VA des produits est créée  par des « associés » et des sous-traitants à l'étranger. Ce sont ces sous-traitances qu'il faut reconquérir.    

Une économie à la merci des stratégies de « nos»  multinationales 

La relative modestie de notre production et la faiblesse de notre VA industrielle tiennent aussi au fait que les « géants » cités et de nombreuses sociétés du secteur sont des multinationales, dont les capitaux sont détenus par des actionnaires institutionnels, financiers, publics et privés, des « partenaires » industriels... français et étrangers. Depuis des années, ces multinationales localisent leurs unités de production dans les pays aux marchés les plus prometteurs, tels la Chine et les pays émergents, notamment, ainsi que dans ceux où les coûts des facteurs, la fiscalité, les conditions financières et d'exercice des activités sont les plus attractifs... à l'intérieur ou à l'extérieur de l'UE. Cela vaut pour tous les secteurs marchands de l'économie. Et l'appétence de nos industriels et de nos investisseurs pour l'étranger n'est pas un mystère. Cette dépendance des choix des transnationales fait partie des entraves à la conduite d'une politique nationale de développement économique.  Dans son édition 2015, INSEE Références (5) a présenté des données parlantes sur « nos »  firmes multinationales. En 2012, près d'un salarié sur deux, soit 6,9 millions (Mi)

de personnes, comptées en équivalent temps plein (ETP), des secteurs principalement marchands non agricoles travaillaient dans des firmes multinationales... dont 1,8 Mi dans des firmes sous contrôle étranger. En France, plus de 60 % des effectifs de ces multinationales  (MSCE) sont sous le contrôle de centres de décision situés dans des pays de l'UE. 

De leur côté, les multinationales sous contrôle français  (MSCF ) employaient 5,6 Mi de salariés dans le monde. En 2012, le CA consolidé de leurs 40 000 filiales était de 1.297 Mds €. Leurs secteurs favoris étaient l'industrie et la grande distribution. Deux tiers de leurs effectifs mondiaux dans ces deux secteurs travaillaient à l'étranger, et un tiers en France. Dans le transport et l'entreposage, les proportions étaient inverses, 7 salariés sur 10 travaillant en France. Informations complémentaires : en 2012, la France comptait 21.111 multinationales, dont 16 086 MSCF et 5 025 MSCE ; 66.900 groupes français n'avaient pas de filiale à l'étranger ; 3.141.000 entreprises étaient indépendantes. 

Les grandes entreprises pour l'exportation et la haute technologie, les petites pour sauver l'emploi ? 

Avec les maigres résultats enregistrés ces dernières années (voir plus loin), la résignation  est sans doute une raison du renoncement à voir les grandes entreprises « relancer » l'emploi en France et du redéploiement, ou du « repli », vers les petites entreprises (PME et TPE), dont on attend le salut, aides à l'appui. Plus que jamais, « small is beautiful » (le petit est beau). Cela conduit, notamment, à promouvoir des activités « porteuses d'emploi » essentiellement dans les secteurs des services destinés à répondre à des besoins intérieurs, sans renforcer notre tissus industriel. Depuis 2007, le tissus productif fait l'objet de statistiques portant sur les quatre catégories d'entreprises qui le composent : les grandes entreprises (GE), d'au moins 5.000 salariés ou avec un CA supérieur à 1,5 Md €, les entreprises de taille intermédiaire (ETI ), de 250 à 5.000 salariés ou de CA supérieur à 50 Mi €, les petites et moyennes entreprises (PME) de 10 à 250 salariés, et les microentreprises, employant moins de 10 salariés. En 2012, dans l'ensemble de l'économie hors agriculture, secteur financier et assurances, sur les 3,510 millions d'entreprises, 217 étaient des GE dont dépendaient 19.080 « unités légales » (filiales, succursales, établissements... ). Elles employaient 3,831 Mi de salariés au 31/12/2012, sur un total de 14,857 Mi. Leur CA de l'année a été de 1 396 Mds €, dont 330 Mds à l'export, soit plus de la moitié des exportations totales des entreprises non financières.

Chez les 5.012 ETI, 50.400 unités légales employaient  3,310 Mi de salariés, pour un CA de 1 074 Mds €, dont 204 Mds à l'exportation.  

Ensemble, GE et ETI apportaient 582 Mds de VA, soit 56 % de la VA totale, et 84,5 % de toutes les exportations. Si elles s'affaissent, notre « haute technologie » recule et notre balance des échanges extérieurs s'écroule.  

Les 136.444 PME, avec 245.941 unités légales, comptaient davantage de salariés, 4,138 Mi. Elles ont réalisé un CA de 815 Mds €, dont seulement 81 Mds à l'exportation,  et créé 239 Mds € de VA.  

Quant aux 3,369 Mi de microentreprises (MIC), avec 2,777 Mi de salariés, un CA de 548 Mds € et une VA de 216 Mds €, à peine supérieure à 20 % de la VA totale des entreprises sous revue (estimée à 1 037 Mds €), elles ne travaillaient pratiquement que pour le marché intérieur, leurs exportations étant limitées à 18 Mds €.  

S'il est indispensable de « miser » sur  les PME et les MIC, peu sensibles aux aléas extérieurs, parce qu'elles  jouent des rôles importants dans l'emploi, ce sont les entreprises plus grandes qui peuvent apporter les excédents commerciaux susceptibles de faire progresser notre production davantage qu'au rythme de notre demande

intérieure. C'est un impératif pour la croissance et pour réduire durablement le sous-emploi. 

Le rapprochement des images de 2007 (6) et de 2014 du tissus productif des entreprises  (y compris les activités financières et d'assurances) montre des évolutions contrastées et, dans l'ensemble, défavorables : - la stagnation des GE: leur nombre, leur effectif salarié et leur VA totale (en valeur !) n'ont pas augmenté ;  - les progressions, d'environ + 10 % du nombre d'ETI, de + 420.000 de leur effectif salarié, et celle de leur VA  ; - la nette baisse du nombre de PME, de l'ordre de moins 24.000, la réduction de leur effectif salarié, de presque – 500.000 personnes et la stagnation de leur VA ; - la forte augmentation du nombre microentreprises (MIC), de + 750.000 unités, accompagnée de la perte de près de – 400.000 emplois salariés !. Parmi ces MIC, il avait beaucoup plus d'entrepreneurs individuels, sans salariés, en 2014 qu'en 2007. Cette atomisation traduit, notamment, des difficultés rencontrées par des personnes pour obtenir un emploi salarié, qui, le chômage montant, les poussent à « s'installer à leur propre  compte ». Aussi, lorsque l'offre d'emploi salarié reprendra de la vigueur,  cette « réserve potentielle » fournira des candidats aux postes à pourvoir, qui  partageront alors avec les chômeurs les nouveaux emplois... freinant la réduction du chômage.   

Une économie muselée par des traités internationaux 

Parmi les critiques des politiques publiques les plus persistantes, et justifiées, se trouvent en pole position le coût du travail, démesurément alourdi par les charges sociales, et la fiscalité sur les bénéfices des entreprises. Nuisible à la compétitivité, c'est un revers de la médaille du modèle « social libéral démocrate » à la française, généreux, inspiré des petits pays nordiques, appliqué à un « pays riche », plus méridional et plus peuplé. L'argument du coût du travail  est à relativiser. Les comparaisons avec nos partenaires, et néanmoins principaux concurrents, d'Europe du nord, et en particulier d'Allemagne, des PaysBas et de Suède, ne montrent pas des écarts très pénalisants.  

Une des raisons majeures de nos difficultés industrielles, que nos dirigeants européistes, atlantistes et mondialistes refusent de reconnaître, est l'impossibilité pour la France de définir et de conduire une politique de long terme assez « indépendante » pour mieux protéger notre économie, promouvoir les activités correspondant le mieux à nos intérêts et à nos avantages comparatifs. Les règles, imposées par les traités signés avec l'UE, en premier lieu, et avec de nombreux autres pays, que nous acceptons trop docilement, et que nous respectons scrupuleusement (contrairement à d'autres), empêchent la France d'exprimer et de valoriser toutes ses capacités.  

Je ne reviens pas ici sur le handicap que constitue l'euro, monnaie unique. Ni sur « l'intégration », triste aveu d'impuissance nationale, que F. Hollande tient à renforcer à l'approche du référendum outre-manche sur un éventuel Brexit.

En l'absence de création d'emplois pendant 7 ans, sans une conjonction rare de facteurs démographiques, le chômage aurait augmenté encore plus 

Selon les statistiques suivies par l'INSEE avec celles du chômage, le nombre total d'emplois en France métropolitaine  (7) a augmenté de + 1,22 Mi de 2003 à 2008, jusqu'à 25,93 Ml, puis a oscillé sans progresser pour rester à 25,8 Mi en 2014. En 2015, cela fait 7 années consécutives de stagnation de l'emploi. On n'insiste pas assez sur cette cause majeure prolongée de la hausse du chômage. 

Pendant ce temps, le nombre de chômeurs (au sens du BIT) est progressivement monté de 2,19 Mi en 2003 à 2,32 Mi en 2005 et 2006, puis a reculé à un « plus bas » de 1,97 Mi en 2008, au début de la grande crise, avant de monter brusquement en 2009, de continuer à augmenter jusqu'à 2014, à 2,84 Mi (8), et de dépasser les 3 Mi en 2015. 

La démographie a aussi joué un rôle déterminant de cette trajectoire heurtée ascendante du chômage.  

Suivant son bonhomme de chemin, grâce à la fécondité des femmes, la population de la France entière s'est accrue de + 2,14 Mi personnes entre 2003 et 2008, puis de + 2,06 Mi entre 2008 et 2014, pour atteindre alors 66 millions.  

En conséquence, la population active, conventionnellement formée par les  personnes de  15 à 64 ans désirant travailler, a augmenté de + 1,45 Mi de 2003 à 2008. Puis, principalement en raison du vieillissement de la population,  cette population a crû de + 0,28 Mi seulement de 2008 à 2014 pour se chiffrer alors à 41,9 millions (9). 

Le vieillissement s'est lu dans la baisse de la proportion des jeunes de 15 à 24 ans dans la population totale, de 12,7 % en 2008 à 11,9 % en 2014, qui a ralenti le rythme des entrées sur le marché du travail, ainsi que par la forte augmentation de la proportion de personnes de plus de 64 ans, de 16,4 % à 17,9 %.  

Concomitamment, conséquence « heureuse»  (pour le chômage) d'un lointain bébé boum, le nombre de retraités, de plus et de moins de 64 ans, a rapidement gonflé, de + 1,46 Mi entre 2004 et 2008, puis encore de + 1,44 Mi, pour monter à 15,62 Mi en 2013 (10), et représenter alors 23,9 % de la population totale (contre 20,8% en 2004). 

La conjonction de ces « facteurs » démographiques a considérablement ralenti l'évolution de la population dite « active », employée ou à la recherche d'un emploi. En France métropolitaine, elle est montée de 27,3 Mi de personnes en 2003 à 27,9 Mi en 2008 et à 28,6 Mi en 2014. Les nombres de personnes employées correspondants ont été de 25,5 Mi, de 26,5 Mi.  

Si le nombre officiel de chômeurs, qui était de 2,188 Mi en 2003 n'est pas monté à plus de 2,838 Mi  en 2014, en l'absence de création d'emploi pendant sept ans, c'est grâce à cette conjonction démographique exceptionnelle. Mais, le retardement de l'entrée des jeunes dans la vie « active » et l'augmentation rapide du nombre de retraités ne sont pas des remèdes miracles à privilégier pour limiter le chômage.  

Monopole du tertiaire sur l'emploi, saignées dans l'agriculture et l'industrie 

Pour étudier la distribution des emplois par branches, l'INSEE nous propose plusieurs types de séries rétrospectives dont les effectifs globaux diffèrent un peu, mais dont les évolutions sont presqu'identiques.  

Pour la France entière, l'emploi intérieur en nombre de personnes (11) était de 27,28 Mi au total en 2014. C'est + 0, 11 Mi de plus, seulement, qu'en 2008, et + 1,12 Mi de plus qu'en 2003.  

Le poids du tertiaire dans l'emploi est écrasant : 21,71 Mi de personnes, soit 79,6 % du total. Et, pénalisant pour notre économie, le secteur non marchand, avec un effectif de 8,09 Mi d'employés, mobilise 29,6 % de la force de travail totale. Il a accru ses effectifs de + 0,534 Mi entre 2003 et 2014. 

Les services principalement marchands ont créé + 1,154 Mi emplois et, avec un effectif de 13,62 Mi de personnes, ils ont fourni la moitié de tous les emplois en 2014. 

Parmi ces services, pour des raisons différentes, seuls ceux de transport et d'entreposage et ceux de télécommunication ont connu des « réductions d'effectifs » entre 2003 et 2014, respectivement de - 1,7 % et de – 12 %. L'important secteur groupant le commerce et les réparations automobiles, et employant 3,685 Mi de personnes en 2014, n'a vu ses effectifs croître que de + 2,2 %

.

 

 

Dans toutes les autres branches des services marchands, les nombres d'emplois ont fortement augmenté: de + 9 % dans les services administratifs de soutien, de + 10,7 % dans ceux d'information et de communication, d'un peu plus de + 16 % dans la recherche-développement et les autres activités scientifiques et techniques, de + 17,3 % dans l'hébergement et la restauration, de + 20 % dans les autres services (aux particuliers), de plus de + 25 % dans les activités informatiques, de + 26,5 % dans activités financières et d'assurance, et de plus de + 28 % dans les activités juridiques, comptables, d'architecture, d'ingénierie, de contrôle et d'analyse technique. Le paysage change, et voit se poursuivre la spécialisation des entreprises et l'externalisation de prestations auparavant traitées en interne.  

Au total, le nombre d'emplois dans les services principalement marchands a augmenté de + 9,2 % tandis que le volume de sa VA gagnait + 17,6 %. Ce « gain de productivité » par emploi se retrouve, à des degrés divers dans la plupart des services. Parmi les exceptions, ou anomalies, intéressantes à noter, figurent : la branche de l'hébergement et de la restauration, dont les effectifs ont crû de + 17 % pendant que la VA en volume ne  progressait que de + 9 % ; les activités administratives et de soutien, avec + 9 % d'emplois, sans croissance de la VA; les autres services, avec + 20 % d'emplois pour + 14 % de VA en volume. Il n'est pas sûr que les entreprises de ces branches qui ont autant « préservé l'emploi », et qui totalisent plus de 4,65 millions d'emplois en 2014, soient enclines à augmenter encore leurs effectifs demain. 

Les effectifs des services principalement non marchands ont augmenté de + 7 % entre 2003 et 2014. Ceux servant l'Administration publique et la défense ont décliné de  près de – 6 %, et ceux mobilisés pour l'enseignement de près de – 3 %. Mais, ensemble, ceux des activités pour la santé humaine, l'hébergement médico-social et social ont crû d'environ + 23 %, en relation directe avec le volume de leurs activités. Il sera difficile d'infléchir cette tendance. 

Dans la Construction, le nombre des emplois a progressé de + 308.000 de 2003 à 2009, puis a baissé de – 88.000 de 2009 à 2014, augmentant ainsi de + 14 % sur la période... alors que la VA en volume a chuté de – 9 %. Cette autre « anomalie », traduit sans doute des modifications dans la composition de la production, avec plus d'entretien et de réparations et moins de constructions neuves. Cela n'exclut pas la possibilité que l'effectif soit  supérieur aux besoins actuels du marché... et soit capable de répondre, sans notable augmentation, à une reprise de la demande. L'industrie a perdu – 18 % de ses emplois en 11 ans. En 2014, elle n'employait plus que 3 Mi de personnes, soit 11 % du nombre total d'emplois. Exception, la branche énergie, eau, assainissement, gestion des déchets a vu son effectif augmenter de + 10 % (et de + 25 % pour la production et distribution d'eau...) alors que sa VA en volume a baissé de – 15 %. Les industries agroalimentaires, dont la VA n'a pas bougé, ont perdu - 5,4 % de leurs emplois. Les baisses des effectifs ont été « limitées » à des taux de – 13 % à – 18 % dans des branches « privilégiées » telles la pharmacie, la chimie, la métallurgie et les industries manufacturières. Les plus rudes coups ont été encaissés par des branches où les gains de productivité ont été encore plus élevés, telles la branche fabrication d'équipements électriques, électroniques, informatiques, celle de la fabrication de matériels de transport, et celle du travail du bois, des industries du papier, qui ont perdu – 27 % à – 29 % de leurs effectifs. Plus gravement touchées, les industries du textile et de l'habillement, du cuir et des chaussures ont perdu presque la moitié de leurs emplois.  

Aussi, attendre une reprise significative de l'emploi dans l'industrie en cas de « redémarrage de l'économie » paraît bien hasardeux. À moins que des entreprises aient comprimé leurs effectifs au point de ne pouvoir faire face en France à un accroissement de la demande, et oublient un peu de délocaliser. 

Dans l'agriculture, il restait encore 763.000 personnes en activité en 2014. C'est moins que le tiers des emplois de l'Administration publique, et 2,8 % de l'ensemble des emplois en France. C'est – 15 % de moins qu'en 2003 et - 30 % de moins qu'il y a 20 ans. Moins ils sont nombreux, moins ils pèsent politiquement, ainsi que dans  «  l'équation » de l'emploi et dans ses « perspectives » globales. Cela peut-il changer ? 

Si on résume, les branches en situation de sous-effectif, prêtes à créer de nombreux emplois dès qu'un signe tangible de reprise se manifesterait, semblaient plutôt rares dans l'économie marchande en 2014.

Les emplois non salariés pallient (en partie) au manque d'emplois salariés

En France métropolitaine, en 2014, sur les 26,53 Mi de personnes employées, la grande majorité, soit 23,81 Mi, sont salariés, et 2,72 Mi ne le sont pas. Or, entre 2003 et 2014, le nombre d'emplois non salarié a augmenté presqu'autant, + 476 000 emplois, que l'emploi salarié, + 554 000 (12 ). 

 La progression a été de + 21,1 % pour l'emploi non salarié, contre seulement + 2,4 % pour l'emploi salarié. Avec la crise, depuis 2007, ce dernier a même un peu reculé (- 160 000 emplois). Pendant ces années difficiles, l'emploi non salarié, véritable  refuge, a progressé (+ 366.000 emplois).

Ceci est à rapprocher de l'observation faite plus haut de l'explosion du nombre d'entreprises individuelles, de l'atomisation des entreprises.  

Celle-ci a été forte dans la construction et les services. Sans surprise pour nous, le nombre d'exploitants agricoles a diminué, celui des artisans comptés dans l'industrie a augmenté (de + 10 % environ), et celui des artisans du BTP a également crû (de + 38 %). Mais, ce sont les emplois des secteurs tertiaires marchand et non marchand (essentiellement des métiers de la santé) qui dominent, et leurs nombres ont aug-menté respectivement de + 30 % et + 4 7%.  

L'emploi des hommes plus vulnérable et menacé que celui des femmes  

Les associations et les médias qui veillent et dénoncent les inégalités femmes/hommes s'attardent souvent sur les différences de rémunérations et peu sur celles qui existent, se creusent ou se réduisent, en matière d'emplois occupés et de chômage (qui en sont aussi des facteurs explicatifs, soit dit en passant).   Selon les statistiques d'emploi par sexe et catégorie socioprofessionnelle (CSP) de l'INSEE (13), entre 2003 et 2014, en France métropolitaine, le nombre total des emplois a augmenté de 24,7 à 25,8 millions, soit de + 1,1 Mi. Cette hausse a bénéficié presqu'exclusivement à l'emploi féminin, qui a progressé de + 1,032 Mi, tandis que l'emploi masculin n'en a gagné que + 0, 063 Mi. Le pourcentage des emplois des femmes dans l'emploi total s'est ainsi rapproché de celui des hommes en montant de 46,1 % en 2003 à 48,2 % en 2014. 

Signe positif, les plus fortes progressions féminines ont été enregistrées dans les catégories des cadres, des professions  intellectuelles supérieures (+ 2,9 %) et des professions intermédiaires (+ 3,3 %), tandis que les catégories des employées et des ouvrières ont connu des diminutions (- 3,4 % et - 1,8 %). 

Depuis le début de la crise de 2008, l'emploi des hommes s'est aussi montré plus vulnérable, reculant de - 0,167 Mi entre 2007 et 2014 tandis + 0,382Mi emplois supplémentaires étaient dénombrés pour les femmes.  

De 2014 au troisième trimestre 2015 (14), le chômage (au sens du BIT ) s'est aggravé en France métropolitaine, touchant 10,2 % de la population active (PA), soit 2,941 Mi de personnes. Et, parmi elles, davantage d'hommes, 1,606

Mi, que de femmes, 1,335 Mi... soit 10,8 % de la PA des hommes et 9,7 % de celle des femmes. 

A noter que 9,8 % des femmes employées  le seraient à temps partiel et souhaiteraient travailler plus. Ce pourcentage serait de 3,8 % chez les hommes.  

Une des explications de ces différences de « dynamisme » de « robustesse »  et/ou de « stabilité »  des emplois tient à ce que les femmes ont délaissé les secteurs concurrentiels en déclin de l'agriculture et de l'industrie, qui ne fournissent plus que 9,3 % de leurs emplois en métropole en 2014. Elles ont élargi leur place dans le tertiaire, qui leur en procure 88,3 %. Et, surtout, elles se sont taillées « la part de la lionne » dans le grand secteur « refuge » en grande partie non concurrentiel, à l'abri des plus forts chocs conjoncturels, de l'Administration publique, de l'enseignement, de la santé et de l'action sociale. 44,2 % des femmes employées y exercent en 2014. Ce pourcentage a augmenté de + 2,4 % depuis 2008.  68,8 % de l'effectif total de ces activités est féminin (15). 7,9 % des femmes employées travaillent dans les autres services, qui comprennent les activités des organisations associatives (syndicats et autres associations), les réparations de biens personnels et domestiques, ainsi que les services à la personne. Plus de 52 %, donc dans ces deux secteurs. Et ce sera davantage dans les années prochaines... si on se fie aux enquêtes de Pôle emploi sur les besoins et aux prévisions portant sur les emplois d'avenir.  

En Europe, les fourmis les plus travailleuses se trouvent au nord. Les taux d'emploi des femmes en 2013 atteignaient entre 67,6% et 70% en Autriche, en Finlande, en Allemagne, aux Pays-Bas et au Danemark

Les cigales habitent plus au sud. Les taux d'emploi féminins y allaient de 45,6 % à 50 % en Croatie, en Italie, à Malte et en Espagne. Au plus bas, ce taux était de 40,1 % en Grèce.  

Entre les deux, la France, avec un taux de 60,4 %, penchait plutôt vers le sud.

Les caractéristiques économiques des pays, plus riches au nord, les difficultés d'emploi, les cultures et le climat, expliquent sans doute en partie ces différences, que l'on retrouve, mais nettement moins marquées, dans les emplois des hommes. « Travailler plus pour gagner plus » : quelqu'un ne l'avait-il pas timidement suggéré en France ?   

Des besoins en main-d'œuvre et des métiers d'avenir peu rassurants 

Pôle emploi réalise chaque année une vaste enquête Besoins en main-d'œuvre. Celle de 2015 (16) a porté sur 1,6 Mi d'établissements. Elle a recensé 1,739 Mi de projets de recrutements, dont 0,684 Mi de saisonniers. La répartition en pourcentages en est la suivante: services aux particuliers, 41,3 % ; services aux entreprises, 23,1 % ; commerce, 12,1 % ; agriculture, 11 % ; industrie, 8,2 % ; construction, 4,3 %.  

Si l'on s'en tient aux 1,055 Mi de recrutements de non saisonniers, son « TOP 10 » comprend : 1° agents d'entretien des locaux (plus de 60.000) ; 2° aides à domicile et aides ménagères (plus de 40.000 ) ; 3° aides et apprentis de cuisine, employés polyvalents de la restauration (plus de 40.000) ; 4° aides-soignants (moins de 40.000) ; 5° ingénieurs et cadres d'étude, R&D et chef de projets en informatique (de l'ordre de 30.000) ; 6° à 10° :  attachés commerciaux, artistes, secrétaires bureautiques et assimilés, professionnels de l'animation socioculturelle, serveurs de cafés restaurants (25 à 30.000 pour chacune des cinq spécialités). 

Le TOP 10 des métiers où sont anticipées les plus fortes difficultés de recrutement n'a rien de commun avec le précédent. On y trouve des métiers et des spécialités plus techniques: régleurs, agents qualifiés de traitement

thermique et de surface, couvreurs, ingénieurs et cadres en informatique, médecins, agents  de maîtrise en fabrication mécanique, chaudronniers, tôliers, traceurs, serruriers... charcutiers, traiteurs. Les difficultés de recrutement expliquent-elles que ces spécialités soient (apparemment ) moins recherchées que les précédentes ?  France Stratégie avec Datawrapper est allée plus loin et a établi une hiérarchie des 10 métiers les plus porteurs à l'horizon 2022 (17), qui comporte des similitudes avec celle des projets de recrutement de Pôle emploi. Selon son scénario central, les nombres d'emplois à pourvoir entre 2012 et 2022 pourraient être de 387.000 pour les agents d'entretien, de 322.000 pour les aides à domicile, de 300.000 pour les enseignants, compris entre 244.000 et 205.000 pour les cadres des services administratifs et comptables, les aides-soignants, les vendeurs, les conducteurs de véhicules, les infirmiers, les employés de la Fonction publique et les cadres commerciaux.   Ces projections sont attristantes. Trop « tendancielles » ou conservatrices. On n'y voit pas de changement par rapport à l'évolution récente et à la situation actuelle, pas de traces d'une révolution industrielle ou technologique, ni les impacts attendus de la transition énergétique et  du tout numérique sur les créations d'emplois. Mais, c'est peut-être ce qui est vraiment devant nous ? 

Sources et références :

la principale source est l'INSEE. Je n'ai indiqué ici que les références des données qu'il n'est pas évident de retrouver.

 (1) Annuaire rétrospectif de la France 1948-1988 et données récentes de l'INSEE.

(2) Eurostat compte européen de l'agriculture prévisionnel arrêté fin janvier 2015 (fin mai 2015 pour la France).

(3) Sites internet des sociétés et des groupes.

(4) Wikipédia, Le Rafale.

 (5) Les entreprises en France, édition 2015 - Insee Références.

(6) INSEE Première, n° 1321 - 1/ 2010   Quatre nouvelles catégories d'entreprises - Une meilleure vision du tissus productif.

(7) Temps partiel selon le sexe et la durée du temps partiel  INSEE, enquêtes Emploi.

(8) Nombre de chômeurs en France métropolitaine, séries longues, INSEE, enquête Emploi (calculs INSEE).  

(9) Population par sexe et groupes d'âges quinquennaux jusqu'en 2016, INSEE, estimations de population.

(10) Retraités et bénéficiaires du minimum vieillesse en 2013, DREES, du ministère du Travail et des Affaires sociales.

(11) INSEE, tableau 6208, Emploi intérieur total par branche en nombre de personnes... en 2014.

12) Emploi salarié et non salarié par secteur d'activité en 2014, INSEE, estimation d'emploi localisées.

(13) INSEE,  Population et emploi selon le sexe et la catégorie socioprofessionnelle en 2014.

(14) INSEE,  Informations rapides n° 298, 03/12/2015 : Hausse du taux de chômage au troisième trimestre 2015.

 (15)  INSEE,  Population et emploi selon le sexe et le secteur d'activité en 2014.

(16) Pole emploi, BMO 2015.

(17) Emploi : six graphiques  pour savoir où sera la France en 2022  lefigaro.fr/emploi/2015/04/28.

 

© 02.02.2016

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