ANTI-AUSTÉRITÉ ET RÉGIONALISMES

par Luc BEYER de RYKE

La scène  politique dans plusieurs États européens se voit animée sinon bouleversée par deux courants puissants. Il leur arrive de converger mais ils sont distincts. Au point qu’ils peuvent tout autant diverger et s’opposer.  Le premier de ses courants rassemble ceux qui se dressent contre l’austérité imposée par une Europe libérale.  L’exemple le plus emblématique en est la Grèce avec Syriza. La Commission européenne et ses auxiliaires ou incitants, telle Angela Merkel, ont voulu mettre la Grèce au pas. Ils lui ont imposé un « licou » économique mais Alexis Tsipras a réussi à reconduire son Gouvernement. Malgré quelques dissidents que les électeurs n’ont pas suivi.  La semaine dernière j’ai entendu et interrogé un dirigeant de Syriza, député européen. Beaucoup s’étonnent d’une alliance reconduite entre Syriza et une petite formation « Les Grecs indépendants » marqués très à droite.

 À question, claire réponse claire. « Nous avions besoin d’un petit apport de voix au Parlement pour obtenir un Gouvernement majoritaire. Nous pouvions pour cela nous entendre avec les partis qui nous ont conduits au désastre. Avec eux ou avec une formation qui est en fait la succursale du PASOK (socialiste). Ou alors avec les fascistes d’Aube Dorée. Ce qui était exclu. Restaient ‘’Les Grecs indépendants’’. Populistes ? Certes. Ils le disent eux-mêmes. Mais économiquement ils sont d’accords avec nous. Ils ne nous créent aucun ennui. Lorsqu’il s’est agi d’accorder la nationalité grecque aux enfants de migrants nés en Grèce leurs députés ont voté contre mais leurs ministres n’ont pas quitté le Gouvernement. Une majorité de rechange a fait passer la loi. Tsipras se trouve à la tête d’un Gouvernement stable. C’est important pour faire face à la coalition de l’ultralibéralisme qui va continuer à nous faire la vie dure. » 

Tsipras à trouvé en Espagne un allié avec Podemos. Là aussi il s’agit d’un courant qui, avec succès, a mis à mal les partis traditionnels. Nous aurons l’occasion d’en parler et d’en débattre lorsqu’en novembre nous accueillerons à l’Académie Christophe Barret, hispanologue qui sortira bientôt un ouvrage consacré aux iconoclastes de Podemos.

L’anti-blairisme du « New Labour »

 Il est un troisième pays et non des moindres où le courant anti-austérité vient de trouver un portedrapeau. Il s’agit de la Grande-Bretagne avec Jeremy Corbyn nouvellement élu à la tête du Labour. Corbin c’est l’anti-Blair.

Backbencher (1) de la gauche travailliste ce vieil élu trotskiste a déboulé à la surprise de tous et à l’effroi de beaucoup de ses camarades de parti. À la différence de Podemos, dont le secrétaire général Pablo Iglesias accepte de serrer la main au roi Philippe VI, ce trotskard de Corbyn refuse de chanter le « Good save the Queen » lors d’un hommage rendu aux héros tombés lors de la Bataille d’Angleterre. « Offense à la reine » en a conclu le Sun qui ne parle plus de Corbyn qu’en l’appelant « Corb ». Lequel veut croiser le fer avec la City, s’oppose aux frappes en Syrie, refuse la nouvelle génération des missiles nucléaires trident et se montre censeur malveillant de l’OTAN. De quoi agiter les esprits. En particulier celui de David Cameron.    Le Premier ministre ne mâche pas ses mots : « Le Labour est maintenant une menace pour notre sécurité nationale, notre sécurité économique et la sécurité de nos familles. ».Fermez le ban ! La différence entre Corbyn et nos deux autres compères Tsipras et Iglesias c’est qu’il est le seul des trois à agir au sein d’un parti traditionnel. Ce qui l’obligera sans doute à rosir le gros rouge dont il raffole.       

Gagné ! Perdu ! 

Parallèlement au courant anti-austérité il en est autre qui modifie la donne ou l’accentue dans nombre de pays européens. Celui-là tend à une Europe des régions en faisant coïncider régionalisme et nationalisme. L’Écosse et la Catalogne sont les derniers exemples en date. Ils imposent une analyse nuancée. On est tenté de dire pour les uns et pour les autres gagné ! perdu ! Gagné parce que les indépendantistes écossais et catalans ont démontré l’importance de leurs mouvements. Pour les Écossais il s’agissait d’un référendum négocié avec Londres. Ils ont fait trembler jusqu’à la reine. Les unionistes l’ont emporté. D’une assez courte tête sans qu’on puisse pour autant leur marchander le succès. Personne néanmoins ne peut imaginer que rien ne s’est passé et que la Tamise coule d’un flot égal devant Westminster. Les temps ou le carillon de Big Ben rythmait les stances du « Rule Britannia » appartiennent au passé.   Quant à la Catalogne, là aussi le pari a été gagné…et perdu. Gagné parce que les Indépendantistes ont la majorité absolue. Mais leur coalition  est hétérogène. Déjà Arthur Mas dans son mouvement « Ensemble pour le oui » rassemblait un kaléidoscope de couleurs politiques allant d’une droite démocrate-chrétienne à une gauche, chrétienne également, en passant par des écologistes et quelques républicains. Avec cela il obtient 62 sièges. Auxquels s’ajoutent les 10 sièges d’une formation sécessionniste et anticapitaliste. Ce qui fait 72 sièges sur 135. Dans l’Assemblée précédente on évaluait les Indépendantistes à 71 sièges. Gain : 1 siège. C’est peu. Et surtout, à moins qu’il ne change d’avis, les « alliés » gauchistes d’Artur Mas ne veulent pas de lui pour gouverner la Catalogne.

Voilà qui fait le jeu du Premier ministre espagnol Mariano Rajoy pourtant le grand perdant du scrutin puisque son parti, le Parti Populaire déjà peu représenté avec 11 sièges a dû laisser 8 des siens sur le rivage de la défaite. Il n’empêche qu’en nombre de voix, dans ce référendum qui ne dit pas son nom, les Indépendantistes avec 47,3 % sont proches de la victoire… mais ne l’obtiennent pas. Madrid et Barcelone vont-elles dialoguer ou s’affronter ? Tout est là. Gagné ou perdu ce « référendum » catalan donne des ailles aux Basques…et aux Flamands. Iñigo Urkullu président du Gouvernement basque depuis 2012 veut mettre ses pas dans ceux d’Artur Mas. Lui aussi réclame une consultation tendant à établir « un nouveau statut politique pour Euskadi ».

Les « dominos » du régionalisme

En Flandre Bart Dewever bourgmestre (maire) d’Anvers et chef de la NVA, actuellement au Gouvernement, salue « un signal clair qui ne peut être ignoré » et doit conduire à « une Catalogne souveraine ». Quant à Geert Bourgeois, du même parti, ministre-président du Gouvernement flamant il se réjouit « de pouvoir renforcer les relations entre la Flandre et la Catalogne au cours des prochaines années ».Pour l’heure la NVA joue correctement le jeu au sein du Gouvernement en ne soulevant pas les problèmes institutionnels. Mais tout laisse prévoir que ce « délai gouvernemental » expiré on ira vers une septième réforme de l’État accentuant et approfondissant un régionalisme confédéraliste à la lisière du séparatisme.   Écosse, Catalogne, Euskadi, Flandre, c’est la mise en pratique de la théorie des dominos aboutissant à l’Europe des régions. Celle « aux cent drapeaux » pour reprendre le titre cher à feu Yann Fouéré, figure du nationalisme breton. 

(1) Backbencher : député du dernier rang

 
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