Compte-rendu du dîner-débat du 10 juin 2015

En présence de Monsieur Bruno ODENT

LE MODELE ALLEMAND, UNE IMPOSTURE ?

Par Christine ALFARGE

« Il y a toujours un impérialisme allemand, la question de fond qui demeure ».

En 1954, le Général de Gaulle déclarait dans une conférence de presse : « La réunification des deux fractions en une seule Allemagne, qui serait entièrement libre, nous paraît être le destin normal du peuple allemand, pourvu que celui-ci ne remette pas en cause ses anciennes frontières et qu’il tende à s’intégrer un jour dans une organisation contractuelle de toute l’Europe, pour la coopération, la liberté et la paix ». 

Où va le modèle allemand ?

Selon Bruno Odent : « Ce qu’il est convenu d’appeler le modèle allemand est en réalité un poison pour toute l’Europe qui souffre de la dominance allemande. A chaque actualité européenne, on peut repérer des dysfonctionnements qui sont le pendant de ce modèle allemand ».

On est dans cette question du bras de fer.   

Qu’il s’agisse de la politique intérieure allemande où l’Allemagne est saisie du syndrome français à l’exemple des conflits des cheminots, des crèches en grève illimitée avec un système consensuel vanté par la France ou sur l’actualité européenne qui oppose l’Union européenne et la Grèce sur son maintien dans la zone euro avec en toile de fond un modèle d’austérité imposé par l’Allemagne, on assiste à la montée du nationalisme dont cette dernière était alors préservée, phénomène des patriotes européens contre l’islamisation radicale préoccupant l’ensemble des pays en Europe.

Pourquoi l’imposture ?

Dès le début des années 80, le fameux modèle allemand est déjà frappé de langueur. Croissance très lente, avec notamment une récession importante en 1982, difficulté à prendre pied dans les activités nouvelles qui se développent notamment autour des services, de l’électronique et de la micro-informatique.

S’ajoute l’épuisement progressif de la stratégie allemande de compétitivité-prix. Malgré le renchérissement régulier du mark, ces activités restent compétitives en raison d’une inflation exceptionnellement faible. 

L’enthousiasme européen des allemands était fort en 1990. Depuis, il s’est essoufflé sous la pression du chômage. Profondément déstabilisée par la réunification, l’Allemagne a traversé une crise mettant en cause les fondements mêmes de sa cohésion sociale. Une crise aggravée par des dogmes monétaires et budgétaires parfaitement inadaptés à la situation exceptionnelle créée par la réunification. En 1997, le chômage est de 12,6%, réparti avec un taux de 10,9% à l’ouest et 19,4% à l’est, équivalent à quatre millions et demi de chômeurs en totalité. Le coût de la réunification, la forte augmentation du chômage et le vieillissement de la population menacent l’Etat social qu’a connu l’Allemagne de l’ouest. Dès lors, un changement politique s’annonce.

En septembre 1998, après seize ans de gouvernement chrétien-démocrate, le SPD (Parti social-démocrate) remporte les élections législatives et succède à Helmut Kohl à la chancellerie. Le modèle allemand est lancé à la manière du nouveau Chancelier Gerhard Schröder, « serrer la vis et relancer la croissance », incarnant le système du capitalisme rhénan avec une Allemagne de l’Ouest transférée sur toute l’Allemagne, basé sur un système de consensus social où les syndicats pouvaient avoir la parole et négocier différentes évolutions dans la société. L’Allemagne de l’Ouest a ainsi été transformée face au bloc de l’Est représentant une alternative.

On pouvait constater des salaires les plus élevés d’Europe avec des régions les plus développées dans un Etat providence qui permettait d’avoir des retraites progressant en pouvoir d’achat.

En 2001, c’est un contexte de guerre froide avec une économie soudée entre la banque et l’industrie. Ce qui caractérise ce capitalisme, c’est qu’il permettait d’avoir accès à des crédits bon marché, une des raisons du succès allemand. En Allemagne, la politique menée par le chancelier Gerhard Schröder a chamboulé la société anonyme peu dépendante de la bourse, la banque publique régionale. Il va aussi supprimer la taxation sur les cessions après la période de la chute du mur de Berlin. Très vite la Deutsch Bank va investir aux Etats-Unis. On compte 450 milliards de titres dans les banques allemandes, une mise en concurrence de fait des Etats de venir dans une position dominante.

Selon Bruno Odent : « En France, on considère la transformation allemande de Gerhard Schröder alors qu’en Allemagne elle est extrêmement impopulaire et contribue progressivement à produire une cristallisation du mécontentement en Europe ».

« L’obsession française de faire baisser les coûts salariaux », selon Alain Minc.

Est-ce le retour du bâton de ce modèle ?

Sur le plan des structures, il y a maintenant un torpillage des acquis sociaux. C’est la manière anglo-saxonne incarnée par la réforme Hartz1 entre 2003 et 2005 sous le mandat du chancelier Gerhard Schröder, visant à réduire les protections, outil majeur de la dérégulation du marché du travail allemand vers plus de flexibilité, avec une couverture sociale réduite, accepter n’importe quel emploi et un système de retraite partiellement privatisé devant progressivement être mis en place.

Douze millions et demi d’allemands sont sous le seuil de pauvreté, une situation qui ne cesse de s’aggraver depuis 2006, même parmi les salariés qui travaillent dont sept millions de personnes touchent un maximum de 400 euros. Cette transformation sociale a généré une extrême violence, cela explique pourquoi le SPD (Parti social- démocrate allemand) ne retrouve plus de crédibilité.

Alors quels sont les secrets de cette compétitivité allemande ?

Selon Michel Albert : « C’est un système de consensus social que les mentalités acceptent ». L’Allemagne continue d’avoir des gens qualifiés bien payés, en réalité ce sont les services qui ont trinqué. L’Allemagne a fait le choix de garder les outils de production, selon Bruno Odent : « Cela lui a permis d’avoir un avantage dès le départ sur les concurrents ».

En revanche, ce qui lui paraît le plus préoccupant, « c’est que nous sommes loin des objectifs de coopérations européennes nécessaires pour ne pas être tenté par les dérives nationalistes ». Le redressement de la construction européenne à partir de ses nations reste un enjeu crucial sur la base d’un projet « d’Europe européenne » pour lequel le Général de Gaulle a œuvré inlassablement.

Dans toute l’histoire, l’Allemagne qui a toujours voulu dominer l’Europe tantôt victorieuse ou avec l’esprit de revanche, est aujourd’hui à la croisée des chemins notamment sur la question démographique, son talon d’Achille, ainsi que la question énergétique et son entêtement vis-à-vis de la Russie à l’instar des autres pays européens pénalisant la politique d’investissements en Europe.

Pour son existence propre, l’Europe doit construire un projet politique pour faire entendre sa voix dans les affaires du monde. L’Europe, c’est la troisième voie que le Général de Gaulle souhaitait ardemment par souci d’équilibre et de paix entre les blocs par nature hégémoniques.

 
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