Par Christine ALFARGE
« Il y a toujours un impérialisme allemand, la question
de fond qui demeure ».
En 1954, le Général de Gaulle déclarait
dans une conférence de presse : « La réunification des deux
fractions en une seule Allemagne, qui serait entièrement libre, nous paraît être
le destin normal du peuple allemand, pourvu que celui-ci ne remette pas en
cause ses anciennes frontières et qu’il tende à s’intégrer un jour dans une
organisation contractuelle de toute l’Europe, pour la coopération, la liberté
et la paix ».
Où va le modèle allemand ?
Selon Bruno Odent : « Ce qu’il est convenu d’appeler le
modèle allemand est en réalité un poison pour toute l’Europe qui souffre de la
dominance allemande. A chaque actualité européenne, on peut repérer des
dysfonctionnements qui sont le pendant de ce modèle allemand ».
On est dans cette
question du bras de fer.
Qu’il s’agisse
de la politique intérieure allemande où l’Allemagne est saisie du syndrome
français à l’exemple des conflits des cheminots, des crèches en grève illimitée
avec un système consensuel vanté par la France ou sur l’actualité européenne
qui oppose l’Union européenne et la Grèce sur son maintien dans la zone euro
avec en toile de fond un modèle d’austérité imposé par l’Allemagne, on assiste
à la montée du nationalisme dont cette dernière était alors préservée,
phénomène des patriotes européens contre l’islamisation radicale préoccupant
l’ensemble des pays en Europe.
Pourquoi
l’imposture ?
Dès le début des années 80, le fameux
modèle allemand est déjà frappé de langueur. Croissance très lente, avec
notamment une récession importante en 1982, difficulté à prendre pied dans les
activités nouvelles qui se développent notamment autour des services, de
l’électronique et de la micro-informatique.
S’ajoute l’épuisement progressif de la
stratégie allemande de compétitivité-prix. Malgré le renchérissement régulier
du mark, ces activités restent compétitives en raison d’une inflation
exceptionnellement faible.
L’enthousiasme européen des allemands était
fort en 1990. Depuis, il s’est essoufflé sous la pression du chômage.
Profondément déstabilisée par la réunification, l’Allemagne a traversé une
crise mettant en cause les fondements mêmes de sa cohésion sociale. Une crise
aggravée par des dogmes monétaires et budgétaires parfaitement inadaptés à la
situation exceptionnelle créée par la réunification. En 1997, le chômage est de
12,6%, réparti avec un taux de 10,9% à l’ouest et 19,4% à l’est, équivalent à
quatre millions et demi de chômeurs en totalité. Le coût de la réunification,
la forte augmentation du chômage et le vieillissement de la population menacent
l’Etat social qu’a connu l’Allemagne de l’ouest. Dès lors, un changement
politique s’annonce.
En septembre 1998, après seize ans de
gouvernement chrétien-démocrate, le SPD (Parti social-démocrate) remporte les
élections législatives et succède à Helmut Kohl à la chancellerie. Le modèle
allemand est lancé à la manière du nouveau Chancelier Gerhard Schröder, «
serrer la vis et relancer la croissance », incarnant le système du
capitalisme rhénan avec une Allemagne de l’Ouest transférée sur toute
l’Allemagne, basé sur un système de
consensus social où les syndicats pouvaient avoir la parole et négocier
différentes évolutions dans la société. L’Allemagne de l’Ouest a ainsi été
transformée face au bloc de l’Est représentant une alternative.
On pouvait constater des
salaires les plus élevés d’Europe avec des régions les plus développées dans un
Etat providence qui permettait d’avoir des retraites progressant en pouvoir
d’achat.
En 2001, c’est un contexte de guerre
froide avec une économie soudée entre la banque et l’industrie. Ce qui
caractérise ce capitalisme, c’est qu’il permettait d’avoir accès à des crédits
bon marché, une des raisons du succès allemand. En Allemagne, la politique
menée par le chancelier Gerhard Schröder a chamboulé la société anonyme peu
dépendante de la bourse, la banque publique régionale. Il va aussi supprimer la
taxation sur les cessions après la période de la chute du mur de Berlin. Très
vite la Deutsch Bank va investir aux Etats-Unis. On compte 450 milliards de
titres dans les banques allemandes, une mise en concurrence de fait des Etats
de venir dans une position dominante.
Selon Bruno Odent :
« En France, on considère la
transformation allemande de Gerhard Schröder alors qu’en Allemagne elle est
extrêmement impopulaire et contribue progressivement à produire une
cristallisation du mécontentement en Europe ».
« L’obsession française de faire
baisser les coûts salariaux », selon Alain Minc.
Est-ce le retour du bâton de ce
modèle ?
Sur le plan des structures, il y a
maintenant un torpillage des acquis sociaux. C’est la manière anglo-saxonne
incarnée par la réforme Hartz1 entre 2003 et 2005 sous le mandat du chancelier
Gerhard Schröder, visant à réduire les protections, outil majeur de la
dérégulation du marché du travail allemand vers plus de flexibilité, avec une
couverture sociale réduite, accepter n’importe quel emploi et un système de
retraite partiellement privatisé devant progressivement être mis en place.
Douze millions et demi d’allemands sont
sous le seuil de pauvreté, une situation qui ne cesse de s’aggraver depuis
2006, même parmi les salariés qui travaillent dont sept millions de personnes
touchent un maximum de 400 euros. Cette transformation sociale a généré une
extrême violence, cela explique pourquoi le SPD (Parti social- démocrate
allemand) ne retrouve plus de crédibilité.
Alors quels sont les
secrets de cette compétitivité allemande ?
Selon Michel Albert : « C’est
un système de consensus social que les mentalités acceptent ».
L’Allemagne continue d’avoir des gens qualifiés bien payés, en réalité ce sont
les services qui ont trinqué. L’Allemagne a fait le choix de garder les outils
de production, selon Bruno Odent : « Cela lui a permis d’avoir un avantage
dès le départ sur les concurrents ».
En revanche, ce qui lui paraît le plus
préoccupant, « c’est que nous sommes loin
des objectifs de coopérations européennes nécessaires pour ne pas être tenté
par les dérives nationalistes ». Le redressement de la construction européenne à partir de ses nations
reste un enjeu crucial sur la base d’un projet « d’Europe
européenne » pour lequel le Général de Gaulle a œuvré inlassablement.
Dans toute l’histoire,
l’Allemagne qui a toujours voulu dominer l’Europe tantôt victorieuse ou avec
l’esprit de revanche, est aujourd’hui à la croisée des chemins notamment sur la
question démographique, son talon d’Achille, ainsi que la question énergétique
et son entêtement vis-à-vis de la Russie à l’instar des autres pays européens
pénalisant la politique d’investissements en Europe.
Pour son existence
propre, l’Europe doit construire un projet politique pour faire entendre sa
voix dans les affaires du monde. L’Europe, c’est la troisième voie que le Général
de Gaulle souhaitait ardemment par souci d’équilibre et de paix entre les blocs
par nature hégémoniques.