MOYEN-ORIENT, LE RETOUR DE LA TURQUIE

par Luc BEYER de RYKE

« Ainsi va la monde » comme avait coutume de dire Vincent Hervouët en concluant son journal télévisé. Ainsi va-t-il et il va mal.  Très mal. En particulier au Moyen-Orient. C’est pourquoi nous avons pressenti notre ami Jacques Myard pour ouvrir notre « année académique ». 

Avec trois de ses collègues il a fait le voyage de Damas où il a rencontré Bachar el-Assad. Oh rage et indignation dans le ciel diplomatique français.  

Laurent Fabius et Nicolas Sarkozy, pour une fois d’accord, ont fustigé cette incongruité, pis même cette faute politique ! En était-ce une ? Avec Jacques Myard nous en débattrons. Il se fait que, parlementaire européen je fus président de la délégation du Machrek. Celle qui  avait à connaître des relations du Parlement avec l’Égypte, la Jordanie, le Liban et... la Syrie. 

Il m’est arrivé souvent d’évoquer l’entretien que j’avais  eu  avec   Abdel   Halim   Khaddam,  alors ministre syrien des Affaires étrangères. Entretien à la fois ouvert et brutal. Nous avons parlé de ce qui s’était passé dans les années quatre-vingts à Hama. Une insurrection des Frères musulmans avait mis le régime à mal. En quelques jours environ trente mille personnes furent tuées. 

Khaddam ne s’est pas dérobé. Il m’avait dit que le pouvoir allait leur échappé à Damas et à Alep. Si jamais, avait-il ajouté, il se passait n’importe quoi de même nature en territoire syrien « nous réagirons avec la même fermeté et la même détermination... » Ce qui est arrivé plus de trente ans après. 

Trente ans après 

Comme un jeu de billard. La déstabilisation de l’Irak a entraîné celle de la Syrie. Les Sunnites, à l’exception de la bourgeoisie de Damas, se sont ralliés à Daesh. Ils sont la majorité dans un pays régi par les Alaouites. Lesquels, par nécessité, défendent les minorités dont les Chrétiens. quant aux Kurdes, initialement dressés contre Bachar, attaqués par les islamistes, ils sont devenus des résistants acharnés contre Daesh. 

Mais il y a les Turcs. Lesquels leur ont mis des bâtons dans les roues à Kobane. Peine perdue puisque les Kurdes ont repris la ville. Mais devant l’agressivité des Turcs à leur égard, la trêve existante entre le PKK et la Turquie a été rompue. Des soldats, des policiers, ont été tués en divers endroits de la Turquie. Cerise sur le gâteau, Erdogan a perdu la majorité absolue qu’il détenait. 

Quatre-vingts députés kurdes ou sympathisants – dont un Arménien – siègent désormais à la Grande assemblée nationale. Erdogan n’a même pas pris la peine de chercher des alliés pour constituer un nouveau Gouvernement. Il  veut aller aux élections et retrouver sa majorité. C’est pourquoi, cédant aux exigences américaines, il se résout à prendre place dans une coalition contre Daesh. Avec l’Arabie saoudite, la Qatar et la Jordanie. La France et la Grande-Bretagne seraient de la partie. Ce qui équivaut à un retournement de situation. Il ne fait de doute pour personne que des combattants de Daesh ont été – ou sont – soignés en Turquie. Des convois d’armes ont été acheminés de Turquie en Syrie destinés à Daesh. 

Il semble que pour Washington la coupe était pleine. D’autant que les djihadistes de l’État islamique rivalisent dans l’horreur et ne connaissent aucune limite. Après avoir pris Palmyre ils ont détruits à coups d’explosifs le temple magnifique de Baalshamin, dieu du ciel phénicien, érigé en 17 avant Jésus-Christ et enrichi en 130 par l’empereur romain Hadrien. 

En tout et pour tout trois cents sites historiques dont le temple de Nimroud, joyau de l’empire assyrien en Irak, ont été endommagés, pillés et détruits au cours du conflit. Daesh s’attaque aux pierres et tue les hommes. L’ancien chef des Antiquités à Palmyre Khaled al-Assaad, un scientifique mondialement tenu pour une référence a été décapité. À 82 ans ! Devant une telle barbarie, fut-ce à contrecœur, Ankara se voit contraint de céder aux pressions américaines.

La nouvelle « alliance » 

Dans le même la Turquie entend de plus en plus s’affirmer comme une puissance régionale incontournable. Bien qu’Israël le nie des pourparlers se tiennent actuellement entre le Hamas, l’État hébreu et... la Turquie. Khaled Mechaal, directeur politique du Hamas, l’a confirmé. Il n’est pas le seul. François-Germain Robin, que nos membres connaissent bien, a recueilli l’autre jour par téléphone les confidences de Fadwa Khader, membre du Parti du peuple palestinien, chrétienne d’origine. Elle est la petite-fille d’un rescapé du génocide arménien. Son grand-père a vu ses parents massacrés sous ses yeux. Aussi s’effraie-t-elle de voir la Turquie venir se mêler à nouveau des affaires de la région. 

« On sait que la Turquie patronne, avec l’aide des Britanniques et de Tony Blair, un projet d’accord avec le Hamas et Israël, avec liaison directe entre Gaza et Chypre turc. Cela détruirait tout avenir pour la Palestine, tout projet national. Je crois que c’est la pire période que nous ayons connue, en dehors des guerres bien sûr. »   Tout converge. Erdogan mise à la fois sur l’Islam et sur le panturquisme. Dans l’imbroglio du Moyen-Orient ce retour de la Turquie apparaît comme « une ligne claire ». Claire mais... inquiétante.

 
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