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Compte-rendu du
dîner-débat du 6 mai 2015
présidé par Bruno Colmant
L'EURO, ARTIFICE
MONÉTAIRE OU RÉALITÉ ÉCONOMIQUE ?
par Christine ALFARGE
« L'Europe doit être à
la fois une union monétaire et une union politique. »
Comment les règles qui nous permettent de vivre ensemble,
peuvent-elles émerger, se construire dans un espace européen où l'on entend
parler que de monnaie et de marché à défaut d'autres moyens ? Est-il possible
d'organiser efficacement la production et la répartition des biens et des
services en se passant de la monnaie et du marché ? Pour Freud, on peut dire
que « la monnaie est un facteur d'évitement de la menace sociale, la peur de
l'abandon, de la famine, de la prédation. La monnaie transforme en violence
physique pour l'appât du gain ».
Selon Bruno Colmant : « On peut
clicher, la monnaie ne survit que par un flux, mais le véritable flux est
l'intensité des échanges. La monnaie est auto-régie, elle existe par sa
permanence. Au regard des soixante mille monnaies qui nous ont précédés dont
l'origine provient de la déesse cosmique de la prospérité Junon Moneta, la monnaie reste un symbole, une représentation de
valeur confirmée par une transaction éphémère, elle est dans l'inaboutissement
jusqu'à l'échange dans lequel la notion de voile flottant est une mesure
relative qui n'est pas absolue. »
Que vaut la monnaie par rapport à l'or et l'argent ?
La monnaie n'est qu'une représentation de garantie, d'état de
confiance, d'acte d'adhésion créant les conditions spatiotemporelles. Quelle
est la bonne quantité ? Une question à laquelle on ne peut pas répondre,
la Banque centrale ayant pour fonction
d'indiquer la valeur de la monnaie que les États ont capturée pour lever des
impôts et rembourser des dettes publiques.
Selon Jean-Baptiste Say : « Personne n'a intérêt à
conserver de la monnaie, on vend un produit non pas pour récupérer de la
monnaie mais pour en acheter un autre, d'où la célèbre citation ''les produits
s'échangent contre des produits''. La monnaie peut être un voile, la
transcription relative des biens et services. »
Autres typologies attribuées et leur empreinte
religieuse
Avant la Première Guerre mondiale, les particularités du
protestantisme ont notamment contribué à forger un capitalisme allemand qui
déroge quelque peu à la théorie libérale en alliant moralité des affaires,
encadrement social et éducation de masses. La société protestante réévalue la
monnaie, on ne peut pas la dévoyer, la monnaie est fédératrice. Cet essor
économique ira de pair avec une réelle moralité des affaires qui se traduit
dans la loi de 1895 sur la Bourse obligeant les sociétés à communiquer des informations
détaillées chaque fois qu'elles procèdent à des émissions d'actions.
En revanche, il existe dans les pays catholiques une notion
d'intérêts refondée, la divinité est supérieure à la monnaie. Dans les sociétés
calvinistes, le rôle de Calvin a été de déployer le concept de détermination,
être capable d'être à la hauteur, réinvestir le capital, selon sa propre
formule : « On ne prête qu'aux riches, aux pauvres il faut donner » et « le
taux d'intérêt d'un prêt doit être inférieur au taux de rentabilité de la
monnaie prêté ».
Pour Bruno Colmant : « Alors que
l'économie de marché fut, dans un premier temps, réfutée par le clergé
catholique, les communautés anglo-saxonnes et protestantes intégrèrent le
facteur religieux au modèle économique en lui permettant d'épouser les faits de
commerce. C'est précisément le rapport à la monnaie, donc au temps qui
discrimine les modèles économiques. Le temps, c'est de la monnaie, et l'intérêt
n'est rien d'autre que le fruit du temps appliqué à la monnaie ».
Quant à l'euro, a-t-il un avenir ?
Selon Bruno Colmant : « Il
existe un facteur d'adhésion collective ou religieuse, on ne peut pas susciter
la même adhésion entre des peuples différents dont la génétique est différente
et auto-générationnelle ». Il ne croit pas à la survivance de l'euro, à
nous d'imaginer des migrations sociales , la meilleure illustration étant la
Grèce qui montre à ces pays ce qui pourrait se passer en cas de sortie de
l'euro avec la plupart des gens qui seraient ruinés. Il ajoute : « Quand
l'Allemagne s'est réunifiée, certains allemands n'avaient pas le même rêve.
François Mitterrand a exigé de
l'Allemagne qu'elle abandonne le mark, c'était le support politique. ».
Il faut rappeler que l'Allemagne n'a pas de constitution, le
peuple est souverain dans les länder. La cour de Karlsruhe est garante de la
souveraineté allemande et régie tout notamment sur les traités. Au moment de la
réunification, le Chancelier Helmut Kohl a écrit une lettre à François
Mitterrand, qui était alors président du Conseil européen, pour lui demander de
le voir avant le sommet de Dublin parce qu'il avait besoin de l'union politique
et monétaire le plus rapidement possible pour des raisons de politique
intérieure. L'Allemagne a alors demandé la création de la monnaie unique.
Pour constituer un Etat dans la paix, l'Allemagne avait
besoin de réaliser une structure plurielle entre la Prusse, la Bavière, les
pays rhénans avec un élément structurant entre elles. On peut imaginer que
cette structure plurielle est celle de l'Europe fédérale, et que l'élément
structurant est la monnaie unique. La stabilité de la monnaie a toujours été
perçue, dans la culture politique de l'Allemagne fédérale, comme la condition
indispensable de la stabilité politique et un facteur réel de croissance. Bruno
Colmant pense que : « On a créé l'euro et la
France a voulu compenser avec l'Allemagne, la monnaie ayant toujours un effet
politique. ». Il demeure cependant une ambiguïté constante de l'Allemagne
face à l'Europe politique, idéologiquement plus fédéraliste que la position
française qui a toujours souhaité un gouvernement économique sans institutions
supranationales.
Depuis 2008, la crise économique et financière a déstabilisé
les choses, elle a notamment conduit à l'affaiblissement de l'Europe. Selon
Bruno Colmant, « l'austérité budgétaire et la
rigueur monétaire de l'Union européenne ont eu des effets contraires à l'effet
voulu. L'euro empêchant une dévaluation de la monnaie des pays en difficultés,
ces derniers ont été obligés de procéder à une dévaluation interne,
c'est-à-dire à une contraction budgétaire et une modération salariale,
lesquelles exposent leurs économies aux risques de la déflation et du piège de
la liquidité (baisse de la consommation, baisse de la production et baisse de
l'emploi) ».
Actuellement, si le deutschemark était utilisé, il serait
surévalué et pénaliserait les exportations des entreprises locales. Les banques
allemandes qui détiennent 216 milliards d'obligations publiques de la zone euro
répartis entre autres sur l'Espagne 35 %, la Grèce 19 %, l'Italie 77 % et la
France 21 % seraient exposées à un risque de faillite en cas de cessation de
paiement de tous ces pays. La zone euro est un marché vital pour l'Allemagne,
le commerce vers ces pays représente 16 % de sa richesse. L'Allemagne rechigne à mettre la main à la
poche , pourtant elle n'a pas d'autre choix que de rester dans la zone euro
dont elle a été le plus grand bénéficiaire de cette monnaie.
Ce sera l'inflation ou la révolution !
Bruno Colmant préconise dans son
dernier ouvrage : « Seule une perte de valeur monétaire (dévaluation ou
inflation) permettrait de stabiliser la situation et d'éviter les effacements
purs et simples de dettes dans certains pays. L'histoire donnerait-elle raison
à Marx en ce qu'à ses yeux l'annulation de la dette publique passerait par la
révolution et l'abolition de la propriété privée ? ». « Pour éviter de tomber
dans le délire nihilo-marxiste, écrit Bruno Colmant,
l'excès d'endettement devrait être le seul problème qui occupe nos dirigeants,
dans le respect de la solidarité sociale et de la compétitivité économique.
»
Que pense-t-il sur l'euro ? « L'euro, artifice monétaire
ou réalité économique, ce sont les deux avec lesquels on va devoir vivre. On
peut demander la sortie de l'euro, mais on ne peut jamais en sortir. L'euro est
trop faible pour les pays forts et trop fort pour les pays faibles. Il est
difficile de défaire, il faut d'abord introduire une monnaie nouvelle et voir
ce qui se passe. »
Depuis quatre ans, les difficultés de la
construction de l'euro se sont révélées. On sait que le professeur et
économiste Robert Mundell avait raison de ses mises
en garde : une union monétaire ne peut survivre qu'accompagnée d'une union
politique, seule zone optimale, c'est-à-dire durable.
Du krach de Wall Street en 1929 marquant
le début d'une crise économique internationale avec de graves conséquences pour
l'Europe à la crise financière des « subprimes » de 2008, des prêts immobiliers hypothécaires à
risque, de la faillite de la banque d'investissement Lehman
Brothers, la preuve en est d'une interconnexion du
réseau bancaire international avec des répercussions directes sur l'économie
européenne pesant comme un spectre sur l'euro subissant de fait les aléas de la
finance.
Depuis des siècles, l'économie connait
des périodes sombres dont toutes les leçons n'ont pas encore été tirées
notamment l'accroissement des tensions avec une opposition croissante entre le
monde de la finance et des détenteurs de capitaux et les citoyens contribuables
étouffés par des plans d'austérité, perdant confiance en leur propre avenir et
celui de leurs enfants.
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