Par
Christine ALFARGE,
« La flamme de la résistance ne doit pas
s'éteindre et ne s'éteindra pas. »
Par un détour de l'histoire sur ce cruel XXe siècle,
Jean-Pierre Chevènement veut avant tout rendre hommage au Général de Gaulle,
grâce à son action sur l'idée européenne qui s'est imposée par les nations, les
coopérations, le plan Fouchet, à son esprit de concilier l'indépendance dans
les choix stratégiques et diplomatiques tout en pesant dans les affaires du
monde au rang et aux intérêts de la France. Positionné contre le traité de
Maastricht, il pense également que : « L'Europe doit se faire dans le
prolongement des nations, il n'est pas contre l'idée européenne, mais il est
pour une Europe européenne, capable de défendre ses intérêts propres et pas
inféodée aux Etats-Unis. ».
Dans ses Mémoires d'espoir, pour
qualifier l'action internationale de la France, le Général de Gaulle écrivait :
« Il est indispensable que ce que nous disons et ce que nous faisons le soit
indépendamment des autres. Dès mon retour, voilà la règle. ».C'est
précisément ce qui va modifier la donne au niveau international et en
particulier dans notre histoire française et européenne. Dès lors, à son retour
en 1958, la notion d'indépendance va jalonner le cheminement de sa pensée au
niveau de l'idée européenne. Fin 1962, sur le plan institutionnel, le principe
de l'élection du président au suffrage universel est adopté, le redressement
économique est réussi, le problème algérien est réglé. Mais l'objectif qui
paraît marquer davantage ses intentions, est l'affirmation européenne à travers
le plan Fouchet, appelé « traité établissant une union d'États », en
effet, initialement, le Général de Gaulle veut faire du rapprochement
franco-allemand, la « pierre angulaire » d'une
construction d'un ensemble indépendant. Les objectifs du Général de Gaulle
étaient d'aller de l'avant sur la politique internationale et de défense ainsi
que par rapport aux États-Unis. Le traité comportait un important volet
stratégique et la volonté du Général de Gaulle était d'être en tête du couple
franco-allemand. Contrairement à l'Allemagne, la France n'était pas divisée
mais elle affichait clairement ses différences avec les États-Unis.
Quant à l'Allemagne, elle exerçait
un rôle de médiateur avec les États-Unis pendant que la France voulait montrer
un rôle mondial. Jusqu'à la guerre froide, les Allemands n'ont pas disputé le
premier rôle à la France tout en veillant à défendre leurs intérêts. Le but
suprême du Général de Gaulle était de redonner à la France un statut de
puissance ayant un rôle incontournable notamment redevenir la première
puissance militaire en Europe. Il condamnait le projet de « Communauté
européenne de Défense » qui prévoyait l'institution d'une armée européenne sous
une autorité supranationale. Les fondements de la politique extérieure et
militaire qu'il mettra en oeuvre en tant que Président de la République seront
: « dégager la France de sa soumission aux Alliés, pour lui rendre avec une
défense nationale, sa liberté d'action, c'est-à-dire son indépendance, et en
faire à nouveau une puissance au moyen d'un armement nucléaire approprié à ses
ressources ».
Selon Jean-Pierre Chevènement : «
C'est aussi l'Europe inspirée par Jean Monnet pour tenir en lisière les
souverainetés nationales dont le Gouvernement n'occuperait pas la place
centrale. Cette Europe a fini par l'emporter, l'empire d'une législation à 80
%. À six, la France était la plus grande puissance face à l'Allemagne divisée à
la sortie de la Deuxième guerre mondiale ainsi que l'Italie. Pour Jean Monnet,
il n'y avait pas de souhait où la France jouerait les premiers rôles. Le
Général a finalement accepté la CECA, cependant il a donné un sens politique à
l'Europe à travers le traité franco-allemand de l'Elysée. ».
Ce
traité franco-allemand était un substitut au projet d'Europe politique qui
pouvait comme le pensait le Général de Gaulle rassembler les autres pays
européens. Mais ce substitut du projet d'Europe politique est mis en échec par
un préambule additif allemand évoquant notamment « une étroite coopération
entre les États-Unis et l'Europe, la défense commune dans le cadre de l'OTAN,
l'Union de l'Europe y compris la Grande-Bretagne ». Les espoirs français
sont touchés au vif, mais la volonté du Général de Gaulle de faire émerger une
troisième voie européenne entre la Russie et les États-Unis, reste intacte. Dès
1964, il rappelle que son objectif n'a pas changé et déclare : « La
construction d'une Europe européenne, autrement dit indépendante, puissante et
influente au sein du monde de la liberté. ».
En 1967, Willy Brandt devenu
ministre des Affaires étrangères soutiendra la candidature de la Grande-
Bretagne pour laquelle le Général de Gaulle avait toujours marqué son refus. Malgré
son inclinaison vers les puissances anglo-saxonnes, il trouvera un langage
commun avec le Général de Gaulle dans la politique de rapprochement avec les
pays de l'Est. Le Général craignait toujours que l'Allemagne divisée en deux
devienne l'enjeu entre l'Est et l'Ouest et en tire profit au détriment des
autres pays européens. À cette perspective dangereuse, il préférait sa
réunification nécessaire à l'avenir pour l'équilibre et la paix en Europe. Il
faudra attendre le 3 octobre 1990, onze mois après la chute du mur de Berlin en
1989 pour que se réalise la réunification allemande.
Après
le départ du Général de Gaulle, que s'est-il passé ?
L'union économique et monétaire
était avant tout un projet politique impulsé par les échanges
intergouvernementaux. Il faut rappeler que c'est l'Allemagne par la voix
d'Helmut Kohl qui a demandé la création de la monnaie unique pour des raisons
de politique intérieure sans avoir défini en commun les secteurs de
compétitivité, de l'inflation, des problèmes sociaux conduisant fatalement au
chaos que nous connaissons. Dans la culture politique de l'Allemagne fédérale,
la stabilité de la monnaie a toujours été perçue comme la condition
indispensable de la stabilité politique. Cependant l'Allemagne qui a toujours
souhaité l'union politique disait qu'il n'était pas question qu'elle augmente
sa participation financière à l'Union européenne. Il existe une ambiguïté
constante de la position allemande face à l'Europe politique idéologiquement
plus fédéraliste que la position française qui a toujours souhaité un
gouvernement économique en dehors de toutes perspectives d'institutions
supranationales. L'Allemagne a commencé la rigueur salariale avant les autres
en donnant la priorité à sa réunification. Puis en 2002, tout en veillant à
garder une protection sociale de qualité, elle a commencé un ensemble de
réformes importantes afin de renforcer la compétitivité de son industrie
représentant 25 % de son produit intérieur brut, lui permettant ainsi de peser
parmi les quelques pays développés compétitifs dans la mondialisation.
En réalité, l'Allemagne est la
puissance centrale de l'Europe à laquelle les institutions sont inféodées ce
qui n'empêche pas de montrer ses contradictions. Selon Jean-Pierre Chevènement
: « L'Allemagne privilégie le grand large avec l'exemple de la Chine, met
l'Europe en pénitence et veut s'imposer à tous les autres avec comme résultat
une stagnation économique préférant les marchés extérieurs bien qu'elle soit
européenne. Pour autant, ce serait aller trop loin de dire que l'Allemagne
aurait gagné la guerre. ». L'Allemagne voudrait être dans l'espace pacifié
mais la France dans tout cela ? Elle n'a plus de politique industrielle, une
croissance en berne, la possibilité de réduire y compris dans les problèmes de
défense. Quels sont ses atouts ? Il existe de bonnes multinationales et une
bonne recherche. La France est le deuxième pays d'Europe, en 2050 il sera le
plus peuplé des pays européens. Dans le sens de l'intérêt général, l'urgence
est de retrouver la souveraineté financière par des réformes majeures
nécessaires au redressement du pays notamment sur les déficits publics.
Quant à l'Europe, c'est la
prédiction de déclin en renouveau dans l'esprit d'une Europe européenne qui
répondrait à la fois au développement de la Russie, de l'Afrique, du
Moyen-Orient. Jean-Pierre Chevènement ajoute : « En maintenant le centre de gravité
entre la France et l'Allemagne, l'Europe doit aller à l'essentiel et rester
dans ses limites avec la Russie qui doit convaincre du caractère national de
son projet. Nous sommes dans une économie de marchés, la modernisation de
l'économie russe implique certains changements. ». Il pense « qu'il y a
la place pour une vraie Europe des peuples et propose également de passer d'une
monnaie unique à une monnaie commune entre les états membres de la zone euro ».
L'Europe
doit mobiliser ses atouts de croissance
Sur l'indépendance énergétique,
l'Europe finira-t-elle par comprendre où est son intérêt d'un partenariat avec
la Russie ? Elle craint pour ses approvisionnements en gaz et redoute une forte
escalade du conflit dans l'Est de l'Ukraine. Son équilibre économique,
industriel, énergétique dépend désormais des relations de l'Union européenne
avec la Russie, leurs intérêts économiques et stratégiques communs étant liés à
une sortie de crise en Ukraine. Jean-Pierre Chevènement indique « dans l'affaire
de l'Ukraine, il était possible de penser le partenariat alors que l'Allemagne
considère que l'Ukraine est un objet géopolitique, probablement par rapport à
la Russie. L'attitude d'Angela Merkel
est d'obéir aux américains. Cependant l'intérêt de l'Allemagne est aussi de
faire du commerce avec la Russie. ». Il ajoute : « L'Europe est un
ensemble trop complexe qui doit se construire à partir des nations. Il faut
regarder le passé avec objectivité sans l'esprit de repentance, éradiquer les
proliférations de toute nature dans le sens de l'intérêt général. Pratiquer un
style communautaire pour en même temps préserver l'indépendance de décision
mais pour vendre l'Europe, il faut un projet européen et qui peut le porter. ».
L'Europe
des nations inspirée par le Général de Gaulle incarne la voie moderne de
l'indépendance qui s'inscrit dans la continuité comme le but essentiel et
l'instrument permanent de la politique française ayant ouvert la voie à toutes
les indépendances conférant à notre pays un rôle de partenaire naturel auprès
de tous les pays accédant à leur indépendance pour le droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes.
Pour
être une puissance économique, diplomatique, la France assurera sa propre
défense par la mise en place de forces nucléaires au service d'une stratégie de
dissuasion face aux grandes hégémonies. Elle deviendra la cinquième puissance
mondiale et membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. ¾
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05.11.2014