MARCHÉS,
INVESTISSEURS :
LES
CHANGEMENTS, C'EST MAINTENANT !
par
Paul KLOBOUKOFF
Errements
et dérèglements sur les marchés financiers aux abois
Quels
marchés financiers et quels
investisseurs s’agit-il de rassurer, de caresser dans le sens du poil, de
stimuler, auxquels il est indispensable en permanence de redonner
confiance ? Qu'en attend-on ?
L'encyclopédie
Wikipédia fournit quelques indications assorties
de chiffres impressionnants sur ces marchés sur lesquels se vendent au comptant
ou à terme des actifs financiers et, beaucoup plus encore, leurs produits
dérivés (forwards, futures, options, swaps…), réservés aux
professionnels, complexes et inconnus du public. Le marché de la dette, ou
marché des taux d’intérêt, enregistre le plus fort volume de transactions. À lui
seul, le volume global quotidien des produits dérivés de taux d’intérêt serait
de l’ordre de 8.000 milliards de dollars. Sur les marchés des changes, dynamisés
par la mondialisation et la spéculation, la Banque des règlements internationaux
a estimé à 3.210 milliards de dollars
le volume global journalier des transactions en 2007. Plus modestes, les
marchés d’actions et de leurs dérivés sont les seuls ouverts aux particuliers.
Leurs volumes quotidiens « représentent largement moins de 500 milliards de
dollars ». Et notre médiatique CAC 40, pain quotidien de la population
française, n’en couvre qu’une minime partie. C’est dire que sur ces marchés
d’actions l’information du quidam est très « ciblée ». Restent les
marchés de l’or, de l’argent et des produits de base (produits agricoles,
matières premières, pétrole, gaz, produits sidérurgiques…) avec leurs
caractéristiques spécifiques, qui
connaissent des hausses de cours dévastatrices dues à des déséquilibres
croissants entre productions et consommations mondiales.
Les
nombres et les volumes considérables des transactions sur ces marchés reflètent
la très courte durée moyenne de conservation des valeurs échangées par les
« investisseurs ». La plupart de ces derniers sont avant tout des
pourvoyeurs ou des convoyeurs de fonds, des possesseurs et des gestionnaires de
portefeuilles qui placent et déplacent des fonds sans autre préoccupation que
d’en tirer le meilleur bénéfice immédiat ou à court terme... et non afin
d'assurer l'indispensable « financement » de l'économie. À quelques
exceptions près (telle la Caisse des Dépôts), c'est vrai à des degrés divers
pour les trois types « d’investisseurs » qui opèrent couramment sur
ces marchés : des institutions financières (banques centrales et autres
banques, assurances, fonds de placement…), des sociétés de production de biens
et de services ainsi que des particuliers.
Il ne
faut pas se méprendre et confondre
les investisseurs qui dépensent pour
accroître leur production ou améliorer la productivité avec leurs
homonymes, les
« investisseurs », qui placent des capitaux sur les marchés pour en
tirer un profit. Lorsque des sociétés émettent des actions pour augmenter leur
capital, ou des obligations, afin d’investir, elles ne sont pas des
« investisseurs » sur les marchés, mais des demandeurs de capitaux,
des emprunteurs. De son côté, un particulier « investisseur » qui
achète des actions fait un placement financier, et non un investissement
productif. Attention aussi aux « achats et rachats de dettes »,
raccourcis signifiant que des « investisseurs » acquièrent des
créances, porteuses de futurs remboursements et de paiements
d’intérêts.
Il peut
donc sembler vain de rechercher dans les mouvements des marchés boursiers des
signes tangibles de contributions significatives à cette relance de la
croissance économique, priorité numéro 1 actuelle. Les opérateurs sur les
« marchés » sont suiveurs et profitent des opportunités, plus qu’ils
ne sont moteurs et qu’ils n'anticipent en investissant pour l’avenir. Aussi, ne
doit-on pas trop s'étonner de voir l'indice CAC 40 remonter de plus de 15 % à
3.500 points en quelques semaines cet été alors que les mornes prévisions de
croissance du PIB sont revues à la baisse, que le chômage croit et que notre
économie hésite entre la récession et la stagnation. Pas de quoi réchauffer les
cœurs. Et pourtant, l'annonce virile d'un soutien indéfectible de la BCE à
l'euro, à la Grèce... devient vite un remède miracle contre la déprime, comme
peuvent l'être, à leur échelle, les « licenciements boursiers ». Les
apports positifs principaux visiblement espérés des acteurs sur les marchés
financiers sont sans doute à trouver sur d’autres terrains. Sur les marchés des
taux ? Pour stimuler les initiatives et les investissements nécessaires à
la croissance et peser sur les coûts, depuis des années déjà, les politiques
monétaires conduites sous la pression des États et des « marchés » par
la BCE et les banques centrales, suivant en cela la FED américaine, ont voulu
rendre les taux d’intérêt aussi bas que possible. Les effets escomptés aussi
bien sur les investissements productifs que sur la croissance n’ont pas été
observés. Rentabilités des « projets » sans doute insuffisantes,
craintes face aux incertitudes de l’avenir et recul devant des risques
difficiles à pronostiquer. Même lorsque les taux d’intérêt réels sont négatifs
(inférieurs à l’inflation). Les « industriels » ont pris l’habitude de
compter sur l’augmentation de la demande, intérieure et internationale, ou de
rechercher l'abri de niches, plus que de se battre pour gagner des parts de
marchés face à une concurrence qui s'est durcie avec la mondialisation. L’État
les y a encouragés. Les taux faibles favorisent aussi le crédit, l’endettement
des ménages… et leurs dépenses, indispensables à la croissance aux yeux
d’incorrigibles pseudos keynésiens écoutés.
Un
avantage certain de taux d’intérêt faibles pour les emprunteurs publics et
privés est d’abaisser ou de rendre moins douloureux le service des dettes
contractées… et de masquer, de voiler l'importance réelle de ces dettes. Le
réveil est brutal lorsque les ressources servant à payer capital et intérêts
sont en panne de croissance ou que, pour diverses raisons, les taux d’intérêt
partent à la hausse. Les politiques des taux faibles pratiquées durablement ont
favorisé le gonflement des dettes publiques conduisant à la méga crise de
l’endettement actuelle. Les banques ont été les premières bénéficiaires des
baisses des taux qui leur ont permis de se procurer des ressources peu coûteuses
(sinon gratuites, auprès de la BCE). La montée de l’insolvabilité en Grèce, au Portugal, en Espagne et en
Italie les a, évidemment, poussées à relever les taux de leurs prêts aux
gouvernements en détresse, jusqu’à des niveaux insupportables pour ceux-ci. Le Figaro économie du 30 juillet pointait
des taux d'emprunts à dix ans de 5,91 % pour l'Italie et de 6,65 % pour
l'Espagne, alors qu'ils n'étaient que de 1,39 % pour l'Allemagne. Déjà engagées
dans le financement des dettes des PIIGS (Portugal, Italie, Irlande, Grèce,
Espagne), échaudées par leurs expériences grecques récentes (remises de dettes,
notamment) et en alerte rouge devant les menaces qui pèsent sur la zone euro et
la « monnaie unique », les banques, auxquelles la réglementation a
imposé une plus grande « prudence », rechignent à remplir autant qu’il
est demandé leur rôle d’intermédiaire prêteur. Les restrictions touchent les
États en mal d’équilibre budgétaire, en quête plus ou moins désespérée de
ressources pour « faire la soudure », ainsi que les sociétés,
fragilisées par la crise, et des ménages désireux de profiter de bas taux
d’intérêt pour investir dans le logement et/ou consommer mieux. Méfiance
oblige !
"Solidarité
européenne" : jusqu'où ?
Cédant à
nouveau aux pressions, la BCE a descendu le 5 juillet son taux de refinancement
à 0,75 % et son taux de dépôt à 0 % (du jamais vu, selon les médias). La
baisse profite aux banques et aux
États d’Europe les mieux (ou les moins mal) notés. Elle s'avère inefficace pour
les pays trop surendettés connaissant des difficultés sociales, économiques et
financières insurmontables. En Grèce, même les remises partielles de dettes
n'ont pas suffi. Une anomalie
récente remarquée est la possibilité pour des pays très bien notés par les
agences de trouver des crédits à des taux négatifs. Des
« investisseurs » paient des intérêts à des emprunteurs pour pouvoir
leur prêter de l'argent. Le monde à l'envers ! Ainsi, après l'Allemagne, les
Pays Bas, la Finlande, l'Autriche, le Danemark et la Suisse, le 9 juillet, la
France a pu emprunter à des taux nominaux négatifs (6 milliards € à - 0,005 % et
- 0,006 %). Pour certains experts, cela est dû à l'obligation faite aux
investisseurs professionnels de détenir des actifs notés AAA dans leurs
portefeuilles, et à la raréfaction de tels actifs. Pour d'autres, il s'agit de
"placements de désespoir", faute de trouver mieux sans prendre trop de risques,
en bourse ou dans l'immobilier, notamment.
Ces
errements, ces dérèglements des marchés financiers et l’ampleur de la
crise de la dette et de l'euro s'accompagnent de fortes pressions publiques et
privées en Europe pour que la BCE et les banques centrales financent plus
directement les États en souffrance. Les dettes et les montants des plans de
secours sont gigantesques à l’échelle des États concernés et des autres États membres, eux-mêmes à la
poursuite d’équilibres budgétaires problématiques et menacés de voir leur
« notation » dégradée par Standard and Poors, Moodys et les autres
agences, avec pour sanctions les flambées des taux d’intérêt de leurs
emprunts. La BCE est déjà sortie de
sa réserve habituelle pour « sauver » la Grèce. Cependant, il lui faut
tenir compte des réticences en Allemagne, aux Pays-Bas et en Finlande ainsi que
des mises en garde sur le risque de « dérive de la BCE vers le financement
des déficits budgétaires ». Il ne faut pas oublier, non plus, les
oppositions entre des défenseurs de l'indépendance de la BCE et de ses objectifs
initiaux et, en face, des fédéralistes qui veulent placer la BCE sous l'autorité
de l'Eurogroupe ou d'un gouvernement européen. Pour
l'instant, la BCE maintient donc sa
ligne de conduite.
Pour sa
part, M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France a affirmé le 6
juillet que les banques centrales ne pouvaient pas se « substituer en
permanence aux marchés financiers », ni maintenir des taux d’intérêt bas ou
nuls de manière prolongée (AFP,
actu.orange.fr, le 07/07/2012). Très sage, mais peu écouté.
Des
appels à la « solidarité » européenne sont aussi montés de maintes
parts pour réclamer la « mutualisation » des dettes publiques des
États membres de la zone euro, afin, en particulier, de conduire à l’abaissement
des taux exigés des moins « solvables » en nivelant les taux réclamés
aux différents États de la zone. Dans une telle éventualité, le poids de la
« solidarité » serait supporté essentiellement par l’Allemagne, les
pays nordiques et la France qui seraient obligés de garantir les dettes des
autres États. De profondes
divergences de vues existent donc entre les États et au sein de ceux-ci. Tous ne
sont pas convaincus qu’il faut à tout prix sauver la Grèce (et les autres États
qui seraient à l’agonie ?), la garder dans le giron de la zone… sous peine
de voir celle-ci, décrédibilisée,
se déliter
et l’euro disparaître avec pertes et fracas, comme le professent à foison les
plus alarmistes européistes. D’autres pensent le contraire et le font savoir,
arguant que l’euro n’en serait que plus fort. En Grèce même, pour des raisons
différentes, les avis sont partagés sur le maintien du pays dans la zone euro.
Au fil de discussions intermittentes et
de prises de positions désordonnées, il a été plus ou moins admis que la
mutualisation ne pouvait être qu’un objectif de long terme. À échéance de deux
ou trois ans, pour les plus pressés. À au moins dix ans, pour des décideurs plus
réservés ou plus réalistes. Des enthousiastes affirment que la mutualisation est
salvatrice et prometteuse pour la zone euro et l’Union. Elle pousserait surtout
les États, collectivement et individuellement, à s'endetter davantage alors que
sévit déjà une méga crise de l'endettement. Ne peut-on pas espérer un nouveau
modèle de croissance, ou de progrès, fondé sur d'autres ressorts ?
Un
élément « modérateur » de l'engouement insufflé en faveur de la
mutualisation a été la prise de conscience qu'un préalable incontournable en est
la marche forcée vers une forte intégration (au sein de la zone euro ou de l'UE
?). Vers l'abandon d'attributs des souverainetés nationales et un contrôle
renforcé de l'UE, que le traité de Lisbonne et le traité, promu par Mme Merkel et M. Sarkozy, sur la stabilité, la coordination et
la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire signé par 25 chefs
d'État le 2 mars 2012, ont déjà
bien entamés. À noter que les États ne se bousculent pas pour ratifier ce
dernier traité. Au 10 août, seulement sept pays de la zone euro l'avaient fait,
ainsi que quatre autres pays de l'UE. En France, nonobstant, ses promesses de
campagne, le président Hollande a dû se résoudre à reprendre le flambeau porté
par son prédécesseur. Après avoir consulté « avec succès » le Conseil
constitutionnel, il peut faire ratifier dès la rentrée ce traité sans devoir
réviser la Constitution. Au grand dam de mélanchonistes, de communistes, d'écologistes qui réclament un référendum et d'une
partie des socialistes qui menacent de voter contre. La « droite »,
elle, ne devrait pas montrer d'état d'âme à l'égard de cet héritage sarkozien.
Le
traité et sa fameuse « règle d'or » doivent entrer en vigueur au
1er janvier 2013. Cette règle, honnie par une partie de la gauche,
fixe à 0,5 % du PIB le déficit structurel (hors éléments exceptionnels et
service de la dette) autorisé. Sanctions financières onéreuses si dépassements.
En outre, Bruxelles examinera encore plus attentivement les projets des budgets
annuels, avant que ceux-ci soient soumis aux parlements nationaux, si possible.
C'est sans doute vital pour redonner confiance aux « investisseurs »
!
Des
changements pesants introduits dans l'organisation
et le
fonctionnement du marché de la dette
Depuis
deux ou trois ans, au moins, sans que le public y soit sensibilisé, se trament,
se tissent, se tricotent, se cousent, se mettent en place et entrent en action
de nouveaux « outils » financiers communautaires ou collectifs
sophistiqués, compliqués (usines à gaz, d'après des spécialistes) afin de
mobiliser à bon prix sur les marchés financiers les sommes indispensables à la
survie des États malades et, ce faisant, sécuriser la zone euro ainsi que sa
monnaie. Imaginé dès 2010, l'instrument permanent central préparé à cet effet
est le Mécanisme Européen de Stabilité (MES). Il devait entrer en
fonction à partir de juillet 2012 et relayer avec plus de moyens, les deux
« institutions » temporaires mises en service à la fin de l'année 2010
pour fournir d'urgence des aides à l'Irlande, au Portugal et à la Grèce : le Mécanisme Européen de Stabilité Financière
(MESF) et le Fonds Européen de Stabilisation Financière (FESF).
Le MESF
est né de l'utilisation de la possibilité présumée, inutilisée jusque-là,
ouverte à l'UE par un article (122) du TFUE (Traité sur le Fonctionnement de l'UE,
faisant partie du traité de Lisbonne), d'aider un état en difficulté pour cause
de catastrophe naturelle ou de circonstance exceptionnelle. Par ce
« mécanisme », la Commission de Bruxelles peut emprunter sur les
marchés et prêter aux États de l'UE qui en font la demande, ou acheter partie de
leurs dettes, le budget de l'UE offrant sa garantie. Ce mécanisme a été assez
chichement « doté » au regard des besoins géants exprimés. La garantie
de l'UE est de 60 milliards d'euros. S'y est ajoutée une garantie du FMI à
concurrence de30 milliards €.
Pourvu
de moyens plus importants, et fonctionnant de façon similaire, le FESF, lui, a
été constitué en société anonyme par ses actionnaires, les pays membres de la
zone euro, dans le cadre d'un accord intergouvernemental. Son siège est au
Luxembourg. Il est doté d'un capital garanti collectivement par ces états (au
prorata de leur PIB) de 726 milliards €, qui lui donne (compte tenu de la règle
prudentielle des 165 %) une capacité d'endettement de 440 milliards €. Le FMI
participe aussi à hauteur de 220 milliards, ce qui porte la capacité totale à
660 milliards €.
Le FESF
peut emprunter sur les marchés pour prêter aux États dans le besoin, intervenir
sur le marché primaire des dettes émises par des États et sur le marché
secondaire où elles sont revendues et rachetées, contribuer, via les États, à
recapitaliser les banques. Il peut également assurer (moyennant rémunération)
des créances d'investisseurs contre des risques de défauts de paiements d'États
surendettés, ainsi que constituer des « fonds spéciaux » faisant appel
à des garanties internationales. En tenant compte de ces possibilités, sa
capacité d'intervention a été estimée à 1.000 milliards €.
Jusqu'ici, les
demandes d'assistance financière ont émané de pays de la zone euro. Le MESF et
le FESF ont réagi de concert, avec le concours du FMI. Aussi bien pour étudier
les dossiers, les besoins et les capacités de remboursement des pays
emprunteurs, pour fixer les modalités et les montants des aides, que pour
définir les conditionnalités que les plans d'ajustement structurel, d'austérité,
imposés aux « bénéficiaires » devront respecter, puis les négocier
avec les responsables accrédités. Et l'expérience grecque a montré la masse de
difficultés, d'oppositions et de troubles que ces conditions peuvent
soulever.
Première
servie, l'Irlande a obtenu en novembre 2010 un accord de 85 milliards €
mobilisables jusqu'en 2013. Contributeurs : MESF (22,5 Mi €), FESF et autres
États (22,5 Mi €), FMI (22,5Mi €), Irlande (17,5 Mi €). Fonds levés en 2011 : 8
Mi €. Selon un schéma analogue, le Portugal a obtenu en avril 2011 un accord
pour trois ans portant sur 70 Mi €. Fonds levés en 2011 : 8 Mi €. À son tour, en
octobre 2011, la Grèce a obtenu un accord jusqu'en 2014 de 100 Mi €. Aucun fond
n'a été levé en 2011. (« Comprendre
le MES et le MESF », Libre
Journal, décembre 2011).
Quant au
Mécanisme Européen de Stabilité (MES), qui doit reprendre et pérenniser le FESF
et le MESF à partir de juillet 2013, il disposera à terme d'une capacité
maximale de prêt de 500 Mi €. Il aura (faut-il parler au futur ou au
conditionnel, tant il soulève de questions et de contestations ?) le statut,
très mal connu du public, « d'institution financière internationale ».
Intouchable, impénétrable, incontrôlable, donc. Son capital social de 700
milliards d'euros (Mi €) proviendra entièrement des États de la zone euro. La part de la France est de 142,6 Mi €.
Il sera libéré par tranches. Une première est de 80 Mi € (part de la France 16,3
Mi €). Les suivantes seront décidées par le Conseil des Gouverneurs dirigeant le
MES (Ministres des finances des États de la zone).
Les
aides du MES seront subordonnées à de strictes conditionnalités. Le MES
collaborera avec le FMI, qui participera aux financements. Les gouvernements qui
solliciteront l'aide du MES auront, d'ailleurs, l'obligation de s'adresser aussi au FMI et à la
Commission de Bruxelles. La
« troïka » (Commission, BCE, FMI) prêtera son expertise éclairée au
Conseil des Gouverneurs pour instruire les dossiers, formuler les propositions
et les négocier avec les États, puis veiller à la bonne exécution des plans de
redressement et des ajustements structurels acceptés.
Le MES,
auquel la Commission et la BCE apporteront leur assistance technique, n'en sera
pas pour autant soumis au droit de l'UE. Délaissé, écarté, le parlement européen
ne sera qu'informé de son activité et de ses décisions. Ni lui, ni les
parlements nationaux n'auront à être consultés. Les droits et les capacités qui
lui sont donnés, les procédures de mise en place et de fonctionnement
technocratique, notamment, sont considérées par nombre d'instances et de
personnes avisées comme non démocratiques et, pour certains, illégales. La
dépendance vis à vis du FMI, le pouvoir de décision qu'il acquiert, font l'objet
de critiques sévères, d'accusations de soumission, pour les plus vives. La
contradiction entre la création d'un tel organisme et le désir de renforcer les pouvoirs décisionnels et de contrôle
des instances de l'UE, sur la voie de l'intégration, est aussi
soulignée.
En
France, le 21 février 2012, tandis que la campagne électorale battait son plein
et focalisait les attentions, l'Assemblée nationale adoptait deux textes : le
premier modifie l'article 136 du traité de fonctionnement de l'Union européenne
(TFUE) pour autoriser la création du MES ; le second, pour fixer les modalités
de fonctionnement de ce dernier. Le gouvernement socialiste n'a pas jugé utile
de remettre la question sur le tapis.
Deux des
conditions pour la mise en service du MES sont la ratification, par les 25 États
de l'UE qui l'ont accepté, du traité international sur la discipline budgétaire
et l'approbation, par au moins 12 des 17 pays de la zone euro, du traité
concernant le MES. Nous avons vu plus haut que ce n'était pas encore fait.
Le
Sommet de l'Eurogroupe du 29 juin a exprimé son
intention (Le Figaro précité du 30
juillet) « de recourir aux moyens du
(fonds de sauvetage) FESF-MES de façon souple et efficace afin de stabiliser les
marchés en faveur des pays de l'euro », les plus en difficulté, en
particulier. Ceci, dès que possible.
Anticipant sur « l'ouverture officielle » du MES, les
participants lui ont confié la mission de recapitalisation de banques de la zone
euro. Ils ont aussi décidé d'instituer un régulateur unique pour contrôler les
banques. Mme Merkel a obtenu que « le nouveau MES
ne pourra voir le jour que si, et seulement si, le régulateur européen est
opérationnel ». Nous attendons également que la Haute Cour
Constitutionnelle allemande se prononce sur la constitutionnalité du MES et nous
savons que plusieurs pays, dont la Finlande et les Pays-Bas, refusent au MES le
droit de racheter des obligations d'État sur le marché secondaire. (cafedelabourse.com : sommet européen :
les points-clés à retenir).
Aussi,
serons-nous amenés à revenir dans les prochains mois sur ce sujet épineux à
rebondissements, sur lequel les médias nous ont peu et mal informés en France.
En attendant, il m'a paru indiqué d'évoquer dans le présent article ces
tentatives faites avec le MESF, le FESF et le MES, car elles illustrent bien
l'incapacité des marchés financiers dans leur État actuel à contribuer
efficacement à la résolution des problèmes nés de la grande crise de
l'endettement avec ses multiples facettes, qu'ils ont eux-mêmes en partie
engendrée et aggravée. Une fois de plus, en Europe, des gouvernants influents
cèdent à la tentation de changer les règles du jeu des marchés, de créer et de
faire entrer de nouveaux acteurs, d'essayer de « forcer la main » aux
« investisseurs ». Avec le MES, est introduit un « intermédiaire
financier » privilégié (entre des États et les opérateurs
des
marchés), de grande capacité, disposant de pouvoirs étendus, inquisitoriaux à
l'égard des pays aidés, associant états, secteur privé et institutions
internationales. Ses promoteurs attendent ardemment qu'il initie une certaine
relance des « investissements », de l'endettement, au moyen d'une
« mutualisation des dettes » (réellement à responsabilité limitée ?)
qui ne dit pas son nom. Cela peut « marcher » tant que les principaux
garants de la solvabilité du MES, l'Allemagne et la France, jouiront de la
notation AAA. Mais si leurs notes, ainsi que celles d'autres pays de la zone
sont dégradées, notamment parce qu'à l'accroissement jugé exagéré de leurs
propres dettes s'ajouteront celles du MES, il peut devenir problématique pour ce
dernier de continuer à jouer son rôle « d'adoucisseur » des conditions
de crédit aux pays les plus endettés, d'abord, puis d'enrayer la contagion aux
autres pays.
Développer
l'épargne nationale et la participation
Notre
économie est à la merci de marchés financiers capricieux et d'investisseurs
français et, de plus en plus, internationaux, indifférents à l'intérêt général,
voire même aux aguets des moindres faiblesses pour « attaquer »
l'euro, la France ou ses entreprises... particulièrement dans notre situation de
surendettement excessif. Pour réduire cette dépendance, une de nos priorités
devrait être de développer davantage l'épargne nationale et d'orienter sa
mobilisation vers des investissements productifs. Cela vaut pour l'épargne des
ménages, qui mérite d'être rémunérée à des taux réels incitatifs, les petites
entreprises et les sociétés. La participation, que le Général de Gaulle a voulu
promouvoir avec une grande lucidité, doit revenir à l'ordre du jour et associer
plus étroitement les travailleurs à leurs entreprises, à la défense de leurs
emplois et au bénéfice d'efforts partagés, qui promettent d'être intenses. Plus
que jamais, l’investissement de tous est nécessaire pour redresser la
France.
Pourquoi
dresser les populations contre les actionnaires ? La solidarité active entre les
salariés et eux est indispensable. Non, la plupart des actionnaires ne se gavent
pas sans retenue tandis que les salaires sont écrasés par la crise. Les paies
scandaleuses et les plus-values disproportionnées sur des stock-options, dont nous parlent les
médias, profitent, en fait, à une minorité de « hauts » dirigeants.
Parfois « patrons sans scrupules » de sociétés prospères, aux
performances atones ou en recul, voire dans la panade, en cours de réductions
des effectifs.
Il ne
faut pas surestimer les taux de rémunération des actions offerts le plus souvent
aux actionnaires « ordinaires ». À la séance de la Bourse du 9 août
2012, par exemple, les taux instantanés (dividende 2012 /cours de l'action) des
40 actions du CAC 40 ont été : compris entre3,9 % et 8,5 % pour 8 d'entre elles,
voisins de 3,5 % pour 8 autres, compris entre 2 % et 3,3 % pour 9 autres,
inférieurs à 2 % pour 10 autres et non indiqués pour les 5 titres restants. Ce
n'est pas fabuleux pour la majorité des actions, surtout si l'on tient compte de
l'inflation, voisine de 2 % (officiellement), et si l'on n'oublie pas la
fiscalité sur les dividendes. Alors, il convient de ne pas céder à cette
idéologie stérile qui veut opposer les salariés à de méchants capitalistes qui
les exploitent, et de ne pas applaudir à n’importe quel projet de matraquage
fiscal des classes moyennes.
Ne
pas déstabiliser les investisseurs et les marchés
financiers
Le
développement durable de l'épargne et de l'investissement productif demande un
minimum de stabilité, de continuité des politiques publiques, de la fiscalité et
des autres instruments législatifs et réglementaires, de plus en plus abondants
et directifs, qui ont des impacts sur les marchés financiers, sur les
comportements, les revenus et les patrimoines des acteurs. Les
« investisseurs », et notamment ceux qui envisagent des engagements de
longue durée, déplorent l'instabilité et l'imprévisibilité qui règnent en
France. Les ménages, des épargnants captifs et des investisseurs que l'on a
tendance à vouloir cornaquer comme des éléphanteaux d'Asie, sont concernés
aussi.
Pourquoi
avoir promis de doubler le montant du plafond actuel (15.300 €) des dépôts sur
le livret A ? Pour procurer à la Caisse des Dépôts davantage de ressources pour
financer la construction promise des 150.000 logements sociaux par an, a-t-on expliqué. Inutile, peut-on lire,
la Caisse dispose déjà de fonds pour lesdits logements supérieurs à ce qu'elle
peut y investir. Pression efficace des banques, hostiles au projet ? Ce 22 août,
la majoration annoncée, à venir à mi-septembre, a été ramenée à + 25 %. Une autre augmentation de + 25 % pourra être
décidée d'ici fin 2012. Et le doublement sera effectif d'ici 2017, « au fur
et à mesure des besoins ». Le plafond de 6.000 € du LDD (livret de
développement durable), lui, sera doublé en une seule fois, sans attendre. Le livret A ne sera pas
« fiscalisé » comme l'a recommandé la Cour des comptes, a-t-on affirmé
; du moins pour l'instant. Mais il
n'est pas exclu qu'il soit soumis un jour (prochain ?) aux prélèvements sociaux.
La question serait à l'étude.
Il n'est pas sûr qu'avec ces seules
« précisions », les épargnants, les banques et les assurances
puissent, en toute connaissance de cause, dès ce 27 août adapter leurs
stratégies, redéployer leurs avoirs, décider, « investir ».
Le
Point ( www.lepoint.fr) rapporte ce 24 août que « Pierre Moscovici promet enfin que le
deuxième relèvement du plafond du livret A se fera dans le cadre d'une réforme
globale de l'épargne réglementée... ». Puis, que « Avant fin 2012, Pierre Moscovici
ambitionne d'avoir transformé le financement de l'économie française via le
"triptyque" banque publique d'investissement, réforme de l'épargne réglementaire
et réforme bancaire ». Rien que ça ! Les changements, c'est pour
maintenant ! Voilà des propos qui vont sans doute rassurer, rasséréner, réjouir
les investisseurs et doper les marchés. Sans risque de déstabiliser davantage le
système financier ? ¾
NB
Parmi les sites
internet sur lesquels je me suis posé ainsi que les documents auxquels j'ai
emprunté des informations sans les citer tous, je recommande particulièrement un
article de SOS Europe publié le 21/02/2012 et lisible sur
www. atlantico.fr : « le
Mécanisme européen de stabilité : incompréhensible pour le citoyen », de
Paul Goldschmidt, directeur au sein de la DG « Affaires économiques et
financière » de la Commission Européenne.