COMPTE-RENDU DU DÎNER-DEBAT DU 9 OCTOBRE 2008

En présence de Monsieur  Liêm HOANG-NGOC

de Gaulle, le libéralisme

et la pensée unique

par Christine ALFARGE

Tous les historiens reconnaissent au Général de GAULLE un don de visionnaire tourné vers l’avenir, dans son discours prononcé en novembre 1943 devant l’assemblée consultative provisoire d’Alger, un discours qui demeure étrangement actuel en octobre 2008, soixante cinq ans après, la France, disait-il veut que cesse un régime économique dans lequel les grandes sources de la richesse nationale échappaient à la nation où les activités principales de la production et de la répartition se dérobaient à son contrôle et la conduite des entreprises excluaient la participation des organisations de travailleurs et de techniciens dont cependant elles dépendaient. Il ne faut plus que l’on puisse trouver un homme, une femme qui ne soit assuré de vivre et de travailler dans des conditions honorables de salaire, d’alimentation, d’habitation, de loisir, d’hygiène et d’avoir accès au savoir et à la culture.  

Le projet de transformation social et moral si ardemment souhaité par le Général de  GAULLE devait être élaboré sous son autorité en mars 1944 et devenir le programme du Conseil National de la Résistance, un programme mis en application par le gouvernement de la libération dirigé par le Général de GAULLE avec des ministres représentatifs de toutes les forces de la résistance communistes inclus. Cette réalisation majeure a constitué jusqu’à nos jours le socle du modèle social français auquel nos compatriotes restent si fortement attachés. Dans ses mémoires d’espoir, le Général de GAULLE affirmait « que le capitalisme porte en lui-même les motifs d’une insatisfaction massive et perpétuelle ajoutant au surplus qu’il est vrai que si les palliatifs atténuent les excès des régimes fondés sur le laisser faire, laisser passer, ils ne guérissent pas son infirmité morale. » Pour combattre cette infirmité morale, le Général de GAULLE n’allait-il pas jusqu’à préconiser l’intervention de l’état dans l’économie en tant que seul garant de la justice sociale et du progrès social, ne concevant le capitalisme que fortement encadré par la puissance publique célébrant l’ardente obligation du plan et souhaitant introduire une véritable révolution sociale la « Participation » qu’il ne put malheureusement faire aboutir tous les conservatismes de l’époque s’étant arqueboutés pour y faire obstacle.

En référence au Général de GAULLE, monsieur Liêm HOANG-NGOC par une formule qu’il affectionne nous explique que « la France du Général de GAULLE lui semblait plus socialiste que l’Angleterre de Tony BLAIR et selon lui nous gagnerions à nous en rappeler à l’heure où aujourd’hui par un détour inattendu de l’histoire, l’état revient en force.»

Le cadre politique et économique à la Libération.

Après la deuxième guerre mondiale, la France est décimée, son tissus industriel n’existe plus, il n’y a plus de marché financier, il n’y a plus de système bancaire.  Il s’agit de reconstruire le pays, en créant la sécurité sociale à vocation universelle, en nationalisant le 2 décembre 1945 les quatre principales banques de dépôt et la banque de France, suivent en 1946 la nationalisation des principaux secteurs de l’énergie, du transport et des communications. A bien des égards s’il n’y avait pas eu cet engagement public, la France ne serait pas devenue la quatrième puissance mondiale car le modèle industriel de l’époque, ce sont les champions nationaux qui naissent, c’est un réseau de petites et moyennes entreprises qui sont les sous-traitantes des champions nationaux, c’est un système bancaire administré qui fournit les ressources financières nécessaires au développement des priorités industrielles.

C’est un modèle original qui a donné ce que l’on appelle aujourd’hui l’état social avec comme piliers une protection sociale universelle cogérée par les syndicats, un droit du travail qui fait du contrat à durée indéterminée le pilier de l’intégration sociale par le travail, un modèle de service public original et puis des politiques économiques impulsées autour d’un impératif industriel avec une mise en œuvre des ressources financières de la nation vers l’aménagement du territoire et vers le développement industriel.

En 1945, il n’y avait plus rien et le modèle social français n’a pas empêché la performance économique bien au contraire, la cohésion sociale a été au cœur du développement économique des trente glorieuses en France. Alors qu’est-ce qui s’est passé entre temps ? Selon Liêm Hoang-Ngoc, « il y a eu les années 70, l’inflation, l’émergence du chômage et le virage des années 80. » Il est de ceux qui pense que 1981, la fameuse rupture avec le capitalisme n’est pas une rupture, c’est le prolongement de l’état social qui se heurte à la contrainte extérieure.  

La vraie rupture avec le modèle social de 1945, c’est 1983.

On a fait le choix en 1983 de rester dans le système monétaire européen pour faire l’euro et cela supposait d’adopter une politique qui rétablisse le commerce extérieur qui fasse revenir les capitaux qui avaient spéculés contre la politique économique de la gauche, on a ouvert une parenthèse libérale en appliquant des économies qui soient de nature à rassurer les marchés, afin que les entreprises retrouvent une certaine compétitivité, sans le dire on a changé de politique industrielle à cette époque. A partir de 1983, on confit au secteur privé le soin de retrouver ce que l’on appelle une offre rentable, on abandonne une stratégie centrée sur le développement du secteur nationalisé et on fait tout pour que les entreprises restaurent leurs marges afin de réduire leurs prix tout en réalisant du profit ce qui signifie de faire baisser la part des salaires dans la valeur ajoutée, entraînant à la fois une rigueur budgétaire, monétaire et salariale. Malgré une inflation à 14%, la rigueur salariale avait produit ses effets, on avait dé-indexé les salaires sur les prix en commençant dans le secteur public puis dans le secteur privé et en 1985 il n’y avait plus d’inflation, plus de spéculation contre le franc, le taux de change s’était stabilisé et à ce moment là on aurait pu refermer cette parenthèse libérale, mais le choix politique s’est porté sur une dérèglementation des marchés financiers qui a coûté les élections à la gauche.

L’appel de Cochin.

Cet appel lancé par Jacques Chirac avec des accents gaulliens, incarne un tournant à droite avec dans l’esprit qu’il faut conserver l’hégémonie dans la droite française face à la place trop encombrante qu’a pris Valéry Giscard d’Estaing et le pôle centriste. Mais il n’y a pas d’échos à cet appel, les élites françaises sont séduites par des idées néolibérales, par  une forme de modernisme et de dynamisme incarnés entre autres par Valéry Giscard d’Estaing.

Chirac, à partir de l’appel de Cochin va changer et abandonne complètement le discours gaulliste en reprenant à son compte les idées de Giscard d’Estaing. La période de 1986 va être marquée par une vague de privatisations qui va symboliser le vrai changement de la politique industrielle de la France. Jacques Chirac perd en 1988, le ni privatisation, ni nationalisation s’installe et une période charnière s’ouvre en 1993.

Que se passe-t-il dans la période de 1993 ?

Nous assistons à une deuxième vague de privatisations, à l’amorce de la réforme des retraites, à une première réforme fiscale. Ce choix politique ne relance pas pour autant la croissance, le taux annuel moyen de 1993 à 1997 est 1,1% par an. C’est une politique qui ne réduit pas les déficits alors qu’elle ambitionnait de le faire, selon Liêm Hoang-Ngoc : « Ce n’est pas parce que l’état a trop dépensé, au contraire, on commence à ne plus remplacer les départs à la retraite, on commence à privatiser, on regarde rigoureusement la dépense publique et si vous regardez la dépense publique, elle n’a pas évoluée, la part des dépenses publiques dans le PIB n’a pas bougé depuis 1983, elle est restée à 53% du PIB. La part des dépenses de l’état a même baissé de 25 à 23% du PIB, en revanche ce qui a augmenté ce sont les dépenses sociales. Le problème de l’endettement aujourd’hui ne vient pas du fait que l’on a trop dépensé et que c’est la faute à l’état social français, il s’est produit en réalité ce qui continue de se produire, les politiques ne provoquent pas le choc escompté sur la croissance et donc moins de croissance c’est moins de recettes fiscales donc ce sont des déficits qui se creusent. »

Aujourd’hui, nous sommes dans une période charnière, le système bancaire français n’est pas le système anglo-saxon malgré les privatisations, on a des fonds propres plus solides, des activités plus diversifiées, pas de crédits hypothécaires, nous sommes moins impliqués que ne le sont les allemands dans certains engagements sur les marchés immobiliers espagnols, irlandais et britanniques. Le modèle américain est en fin de cycle mais la crise n’a pas seulement une origine financière, c’est un modèle social qui fabrique des inégalités où le salaire médian stagne alors que le salaire moyen augmente de 3% depuis 2002, ce qui signifie que c’est un modèle qui profite aux revenus les plus hauts et aux détenteurs de capitaux, la croissance américaine 2002-2006 ne pouvait être tirée que par l’endettement de la majorité des ménages représentant la classe moyenne que l’on a appauvri parce que le libre échange a engendré une pression à la baisse sur les salaires et comme l’ensemble des ménages ne peut pas consommer et que les américains n’épargnent pas, le seul moteur possible de la croissance a été de financer la consommation de ces ménages par l’endettement tiré par le crédit hypothécaire et toute la machinerie financière.

Refonder le capitalisme.

Dans cette période charnière s’ouvre une réflexion pragmatique à la fois sur le  périmètre du système financier public et bancaire et sur un nouveau compromis social parce qu’au cœur du problème des Etats-Unis aujourd’hui, il y a un partage des revenus qui ne permet pas une dynamique macro économique qui a été celle des trente glorieuses. C’est le retour en force de l’état.

Souvenons-nous qu’à son époque, le Général de GAULLE a notamment accompli les avancées sociales les plus déterminantes pour notre pays, il incarnait « l’homme de la nation ». Aujourd’hui, le destin de la France est en train de s’accomplir à travers la volonté et le pragmatisme du Président de la République qui reprend à son tour le flambeau pour faire face à une crise à la fois financière, économique et sociale.
 

© 22.11.2008