Retraites : Conférence de financement pour gogos ?

Avis inhabituellement sévère du Conseil d’Etat sur le dossier de la réforme

 

Par Paul KLOBOUKOFF,

Ce n’est pas le sujet que j’avais choisi pour le présent article. Mais Impossible de ne pas l’évoquer tant il est important. Saisi le 3 janvier, le Conseil d’Etat a émis le 24 janvier un avis  (1) très sévère sur le volumineux dossier du projet de réforme des retraites qui lui a été soumis, qui comprend deux textes de lois, une loi ordinaire et une loi organique, ainsi qu’une étude d’impact financier de cette réforme. Au nombre de ses reproches et appréciations :

Le Conseil d’Etat « constate que les projections financières ainsi transmises restent lacunaires et que, dans certains cas, cette étude reste en deçà de ce qu’elle devrait être, de sorte qu’il incombe au Gouvernement de l’améliorer encore avant le dépôt du projet de loi au Parlement, en particulier sur les différences qu’entraînent les changements législatifs sur la situation individuelle des assurés et des employeurs, l’impact de l’âge moyen plus avancé de départ à la retraite, qui résulterait selon le Gouvernement de la réforme, sur le taux d’emploi des seniors, les dépenses d’assurance chômage et celles liées aux minima sociaux ».

« Le Conseil d’Etat souligne qu’eu égard à la date et aux conditions de sa saisine, ainsi qu’aux nombreuses modifications apportées aux textes pendant qu’il les examinait, la volonté du gouvernement de disposer de son avis dans un délai de trois semaines ne l’a pas mis à même de mener sa mission avec la sérénité et les délais de réflexion nécessaires pour garantir au mieux la sécurité juridique de l’examen auquel il a procédé »… « Il appelle l’attention du gouvernement sur la nécessité d’assurer le respect des méthodes d’élaboration et des délais d’examen des textes garantissant la qualité de l’action normative de l’Etat et souligne l’importance de cette recommandation pour l’examen des nombreuses ordonnances prévues par les projets de lois ».

Le projet de loi prévoit, en effet, l’habilitation du Gouvernement à prendre 29 ordonnances sur une quarantaine de questions comprenant notamment la définition de dérogations à caractère professionnel, celles de régimes d’invalidité, d’inaptitude ou de pénibilité, la gouvernance du nouveau système de retraites (SUR) ou les conditions d’entrée en vigueur de la réforme. «  Le Conseil d’Etat souligne que le fait, pour le législateur, de s’en remettre à des ordonnances pour la définition d’éléments structurants du nouveau système de retraite fait perdre la visibilité d’ensemble qui est nécessaire à l’appréciation des conséquences de la réforme et, partant, de sa constitutionnalité et de sa conventionalité ».

« Le projet de loi intervient dans un contexte de relative solidité du système français de retraite, en raison notamment des réformes récentes qui ont permis de sécuriser son financement ». Le Conseil d’Etat suggère-t-il qu’il n’y aurait pas de raisons de se précipiter à le « réformer ?

Le projet de loi « ne crée pas un « régime universel de retraite »… à l’intérieur de ce système existent cinq « régimes », à savoir le régime général des salariés du secteur privé non agricole, le régime des fonctionnaires, magistrats et militaires, celui des salariés agricoles, celui des non salariés agricoles et celui des marins ».  «  A l’intérieur de chacun de ces régimes créés ou maintenus, des règles dérogatoires à celles du système universel sont définies pour les professions concernées. En termes de gestion, sont maintenues plusieurs caisses distinctes qui ont pour mission de servir les prestations du système universel, le cas échéant adaptées aux professions qui leur sont rattachées ». Ces précisions soulignent que le projet soumis est très éloigné de l’image que Macron avait voulu lui donner pendant sa campagne et jusqu’aux manifestations de l’automne 2019.

Dans le projet de loi initial, une mission de pilotage  annuelle et pluriannuelle de l’équilibre financier du SUR était confiée à une Caisse nationale de retraite universelle (CNRU). Une « règle d’or » avait été instaurée dans le projet. Elle prévoyait que « les lois de financement reposent sur une prévision de solde cumulée du SUR positive ou nulle pour l’année en cours et les quatre années à venir ». Or,  les lois de finances (LDF) et de financement de la sécurité sociale (LDFSS) sont régies par le principe d’annualité. Le législateur financier doit pouvoir se prononcer sur l’ensemble des recettes et dépenses de l’année suivante, sans avoir à se plier à des impératifs établis pluri annuellement, a rappelé le Conseil. En vertu de quoi, il a proposé de prévoir d’introduire dans une annexe à la LDFSS, et non dans le texte de loi, une prévision du solde des régimes du SUR positive ou nulle. Cette prévision, révisée chaque année, n’imposera pas de plafonds de recettes ou de dépenses aux LDFSS des années suivantes.

Cela confirme que le « pilotage » financier du SUR se fera d’année en année dans le cadre des lois de finances. Il n’aura plus d’autonomie. Cette « étatisation » provoque des levées de boucliers de (presque) toutes parts.

Les engagements du ministre de l’Education nationale garantissant aux enseignants et aux chercheurs que leurs pensions ne baisseraient pas ne seront pas inscrits dans la loi. Même chose pour les promesses faites aux navigants aériens concernant la sauvegarde de leur caisse complémentaire pour financer les départs anticipés.

L’avis est une potion amère pour l’exécutif, courtoisement sommé de revoir, de compléter sa copie avec rigueur et d’éviter la précipitation sur un sujet de cette importance majeure. Malgré cela, le chef de l’Etat persiste à vouloir faire adopter ses textes par une procédure accélérée, sans apporter de précisions sur la viabilité financière du SUR et en réduisant autant que possible les délais d’examen approfondi du dossier lourd et complexe, ainsi que le rôle du Parlement. Un déni de démocratie pour de nombreux citoyens !

Etude d’impact truquée

« Retraites : une étude d’impact truquée, nous publions les chiffres corrigés » est le titre d’un communiqué du collectif « Nos retraites » daté du 25 janvier (2). Pour le collectif, qui a épluché l’étude de près de mille pages, les cas types présentés pour rendre compte de l’impact de la réforme ne sont pas objectivement sélectionnés et les résultats sont délibérément faussés. Dans les comparaisons entre le système actuel et le système à points, les résultats de ce dernier sont calculés avec un âge d’équilibre « gelé » à 65 ans. Or le projet de loi indique (article 10) que l’âge d’équilibre du SUR  sera amené à évoluer (à la hausse) d’une génération à l’autre (par défaut, de l’équivalent des deux tiers des gains de vie de la génération en question). Ainsi, pour la génération 1990 (personnes âgées de 30 ans en 2020), sur les 28 cas présentés par l’exécutif, 21 situations seraient avantageuses pour les personnes prenant leur retraite à 64 ans. En réalité, avec des calculs corrects, les montants des pensions doivent être corrigés de - 7% et le nombre de situations avantageuses tombe à 10.

Avec le système à point projeté : - les femmes et les enfants sont les grands perdants, en particulier en cas de départ en retraite avant l’âge d’équilibre : - les employé(e)s perdent beaucoup plus que les cadres supérieur(e)s.

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Le fil conducteur de l’article

Le point de départ est la Conférence de financement à laquelle sont conviés les partenaires sociaux (les « financeurs », pour le Conseil d’Etat). Le Premier ministre leur demande de lui soumettre des propositions pour remplacer (éventuellement) l’âge d’équilibre qu’il a introduit dans la réforme afin de combler d’ici 2027 le déficit annuel du système de retraites (SR). Un déficit qui s’est creusé assez profondément à l’horizon 2030 depuis les évaluations qu’en avait faites le Conseil d’orientation des retraites (COR) en avril 2018. Il a fixé des « lignes rouges » aux propositions qu’il jugera recevables qui rendent l’exercice très délicat… et périlleux. La Conférence a débuté le jeudi 30 janvier. Dans des conditions qui ont fait dire le même jour au journaliste Olivier Mazerolle, « cette journée caricature jusqu’à l’extrême la confusion dans laquelle on se trouve » (3). Une observation emplie de lucidité. Nous verrons comment commence cet imbroglio. Croyant en tirer avantage, l’exécutif s’est mis une épine dans le pied.

 

Les perspectives des retraites à l’horizon 2030 établies en novembre 2019 par le Conseil d’orientation des retraites (COR) méritent d’être regardées. Pas uniquement parce qu’elles indiquent comment ont été calculés les montants des déficits qui ont été mis en exergue pour justifier l’introduction de l’âge d’équilibre dans la réforme en décembre. Les hypothèses qu’Edouard Philippe a fait retenir dans les projections concernant l’emploi et les rémunérations des agents de la fonction publique (FP) sont assez révélatrices de la doctrine de l’exécutif en la matière. Elles ont de quoi mécontenter et inquiéter les intéressés. Elles permettent aussi de constater l’abandon de la promesse de réduction des effectifs de la FP d’Etat ainsi que la décision de ne pas augmenter ceux de la FP hospitalière.

La dégradation du solde du SR entre les projections du COR d’avril 2018 et celles de novembre 2019 est en grande partie imputable aux choix de politique économique et sociale de l’exécutif, aux mesures prises et à celles annoncées dès 2017. Elles ont  cassé la dynamique de croissance observée depuis l’automne 2016 jusqu’à la fin de l’année 2017. A partir du début de 2018 le PIB de la France est sur une trajectoire de croissance très affaiblie. Les comptes nationaux trimestriels montrent qu’au cours de l’année 2016 (du 4ème trimestre de 2015 au 4ème trimestre (T4) de 2016), le PIB avait cru de + 1,3%, que pendant les 12 mois suivants de 2017, il a bondi de + 2,8%, que du T4 2017 au TA 2018, il n’a augmenté que de + 1,1%. Compte-tenu de sa baisse de - 0,1% au 4ème trimestre 2019 (4), la croissance au cours de l’année 2019 n’est que de + 0,8% (chiffre provisoire). Ces performances inquiétantes, accablantes pour le pouvoir, ne sont pas indiquées au public. On préfère parler de « croissance robuste » et mettre en avant les évolutions du PIB en moyenne d’une année à la suivante,  qui cachent la brutalité de la rupture de 2018 et « adoucissent » la courbe du déclin. En effet, présenté de cette façon, le taux de croissance du PIB décroît de + 2,3% en 2017 à + 1,7% en 2018 (taux atteint grâce à l’acquis à fin 2017), puis à + 1,3% en 2019. Ensuite, la Banque de France (BDF) table sur des progressions de + 1,1% en 2020, puis  de + 1,3% en 2021 et en 2022. Nous sommes très loin des prévisions euphoriques du début de 2018.

La principale cause de ce déclin n’est pas la détérioration du contexte international. Le ver est dans le fruit et non à l’extérieur. Le déficit de croissance est avant tout dû à la faiblesse de la consommation des ménages, qui a fléchi dès 2017 et dont la progression est descendue de + 1,8% en 2016 à + 1,4% en 2017, puis à + 0,9% seulement en 2018. La BDF prévoit + 1,2% en 2019. Elle parie sur un rebond à + 1,5% en 2020 et +1,4% en 2021, qui serait à mettre au crédit d’importants gains de pouvoir d’achat résultant, en particulier, des 17 Mds   dispensés par l’exécutif en réponse aux revendications portées par les gilets jaunes. Pour 2022, le retour à un taux de + 1,2% est anticipé.  

Une raison majeure de ce repli est la méfiance envers le gouvernement et sa politique, ainsi que les craintes de nombreux citoyens pour leur avenir. Elles ont monté et atteint un premier pic au plus fort de la crise des gilets jaunes. Elles sont reparties de l’avant à l’automne 2019, provoquées par les tribulations du projet de réforme des retraites, jugé néfaste et refusé par environ les deux tiers de la population. Le climat d’inquiétude de tension, d’affrontement qui règne, avec grèves, manifestations, blocages… est de mauvais augure pour la suite des évènements et très peu propice à la relance de la consommation ainsi que de la croissance.

Des traits marquants de la politique de répartition des revenus de la Macronie permettent de répéter que les gains de pouvoir d’achat (GPA) présumés ont été très inégalement distribués entre les catégories sociales, particulièrement en 2018. Les « très riches » en ont été les grands et presque seuls gagnants avec, dans une bien moindre mesure, les salariés du secteur privé. La majeure partie de la population n’en a pas enregistré ou a essuyé des pertes pouvant être sévères, notamment chez les retraités, les agents de la fonction publique et les bénéficiaires de prestations sociales. 

De surcroit, l’évaluation par l’Insee du pouvoir d’achat du Revenu disponible brut des ménages qui sert de référence ne tient pas compte de la dévalorisation des avoirs financiers en numéraire et en dépôts bancaires des ménages (d’un montant total de 1 559 Mds € au 31/12/2018). Compte tenu du retour de l’inflation, la persistance de la politique (européenne et française) des taux excessivement bas, lamine le pouvoir d’achat réel des épargnants… et nuit à la croissance de la consommation. La rapine de l’exécutif consistant à abaisser le taux du livret A  et du livret de développement durable et solidaire (LDDS) de 0,75 à 0,50%% au 1er février va rapporter + 1 Md € à l’Etat et priver d’autant les épargnants, notamment les petits qui se comptent en dizaines de millions. C’est encore un signe de mépris, qui montre aussi que ses auteurs n’ont pas compris les effets pervers et négatifs de telles mesures, d’une part, et que l’exécutif tire le diable par la queue pour limiter le déficit public, d’autre part.

 En effet, le déficit de croissance entraîne des rentrées fiscales « spontanées » moindres que celles espérées. Les manques à gagner associés aux décisions concomitantes hasardeuses de supprimer l’ISF, d’instaurer la flat tax, de réduire les taux des impôts sur les sociétés, de prolonger le CICE par une baisse pérenne des cotisations des entreprises, la promesse (électoraliste) de « supprimer » la taxe d’habitation… pèsent lourdement. Poussé à une politique d’austérité, très mal vécue par les personnes en situation précaire et par les gilets jaunes, le président a concédé les « fameux » 17 Mds €. Il a amputé d’autant les ressources financières de l’Etat et, en l’absence de croissance assez  vigoureuse, il fait appel à plus de redistribution au détriment des classes moyennes et moyennes supérieures principalement. Pour redresser la situation économique et sociale du pays, ainsi que le déficit du système des retraites, il est grand temps que le pouvoir et sa « majorité » présidentielle prennent conscience de la situation réelle, que l’exécutif révise ses positions et sa gouvernance, tente de faire renaître la confiance, imagine et mette en œuvre une véritable stratégie de développement relevant durablement le dynamisme, la productivité et la compétitivité des entreprises. Il est aussi très souhaitable qu’il comprenne que l’adhésion du peuple est une condition de la paix sociale et aussi des progrès économiques.

Créations d’entreprises et d’emplois par centaines de milliers et forte baisse du chômage en 2019, du jamais vu depuis 2009… la communication marche à fond la caisse. Mais il ne faut surtout pas montrer aux citoyens que l’augmentation du nombre des emplois est presque « anormale » compte tenu de la faiblesse de la croissance de l’économie et qu’elle révèle une stagnation inquiétante de la productivité apparente par tête, selon la définition de l’INSEE. Il ne faut pas trop insister sur le fait que la naissance de nouvelles entreprises est pour moitié due à la prolifération des micro-entrepreneurs, qui constituent à eux seuls plus de 96% des 4 millions d’entreprises (en 2016), que nombre d’entre les nouveaux nés ont choisi ce statut «  à défaut de trouver un emploi de salarié » et qu’au terme de 3 ans, un tiers seulement des micro-entreprises créées est encore en activité. Il faut aller chercher au Registre du commerce et des activités pour apprendre que 138 200 sociétés ont été radiées en 2019 pendant que les 218 400 indiquées étaient créées. Les gouvernants  et leurs relais audiovisuels taisent ces réalités moins agréables. « Exhiber ce qui peut être vu comme positif, cacher ce qui est négatif et nul », voilà un principe de gouvernance et de « communication » très actuel.

 

Un bilan à mi-mandat de la gouvernance économique et sociale de la France doit être fait sans tarder. Un changement de cap est indispensable avant que nous n’allions dans le mur.

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Conférence de financement : une nouvelle épine au pied de l’exécutif

Avec la connivence du patron « réformiste » de la CFDT Laurent Berger, l’exécutif a tenté de détourner pendant plusieurs mois les partenaires sociaux de questions de fond de la réforme et de focaliser leur attention sur la recherche de solutions alternatives à l’introduction de « l’arbre qui cache la forêt », l’âge pivot… devenu récemment « âge d’équilibre ». Un âge auquel le cotisant pourrait accéder à la retraite « à taux plein » sans décote, qui serait fixé à 62 ans et 4 mois au début de 2022 et monterait progressivement à 64 ans en 2027. Ceci pour financer l’accroissement depuis deux ans du déficit annuel du système de retraites, chiffré à nouveau en novembre 2019 par le Conseil d’Orientation des retraites (COR) sous différentes hypothèses. Son ampleur en 2030 dépendrait de la vigueur ou de la faiblesse de la croissance du PIB, d’une part, et de l’attitude du gouvernement à l’égard du financement des retraites des régimes spéciaux publics (y compris ceux de la fonction publique), d’autre part.

Le rôle assigné à la « conférence des financeurs » est de « fournir un avis au Premier ministre », a rappelé le Conseil d’Etat dans son avis du 24 janvier. Elle constitue « une commission administrative à caractère consultatif » a-t-il précisé dans son article 56. Concrètement, il s’agirait pour elle avant tout de « trouver 12 Mds € chaque année » pour ramener le futur système de retraite par points à l’équilibre en 2027.

Pour corser le jeu de pistes des partenaires sociaux, le Premier ministre a fixé « des lignes rouges » leur interdisant de proposer des mesures qui conduiraient à baisser les pensions, à attenter au pouvoir d’achat des retraités ou qui aboutiraient à augmenter le coût du travail, comme d’augmenter les cotisations. Toucher à l’âge de la retraite et/ou à la durée de cotisation étant exclu, les partenaires qui accepteront de jouer à ce jeu, destiné aussi à leur faire endosser des mesures nécessairement impopulaires, ne sortiront pas aisément et la tête haute du labyrinthe. Quelles autres « options » leur reste-t-il finalement que le financement par l’impôt, temporairement ou ad vitam aeternam ? Sur contrepoints.org, Nathalie MP-Meyer rappelait le 15 janvier (5) que Laurent Berger verrait d’un bon œil « une contribution supplémentaire » sur les hauts salaires. D’autres ont pensé à soumettre à cotisations les revenus financiers. Et puis, il y a les réserves de certains régimes de retraite du privé pour faire saliver. Bref, il reste encore de quoi occuper des gogos, en espérant les voir s’entredéchirer… pendant que la caravane passe et que  l’âge d’équilibre est toujours dans le projet de loi qui vient d’être soumis à l’Assemblée nationale (AN).

Le jour de l’ouverture de la Conférence, le 30 janvier, le journaliste Olivier Mazerolle a estimé que « cette journée caricature à l’extrême la confusion dans laquelle on se trouve », soulignant que « les députés se préparent à voter un projet de loi sans savoir comment et jusqu’où il pourra être financé tandis que les partenaires sociaux doivent rechercher le moyen de financer une loi dont ils ignorent le contenu ». Pour débattre, ils veulent connaître le contenu de cette loi censée être votée au plus tôt début mars (3). Et à l’AN, 22 000 amendements ont été déposés.

 Si les syndicats ont consenti à s’asseoir à table, ce n’est pas sans réserves, revendications et exigences… assez différentes les unes des autres. Pour Laurent Berger, il faut prendre le temps de réfléchir et « qu’on ne s’inscrive pas dans une volonté d’équilibre à court terme qui consiste à travailler plus longtemps ». Au cours d’une conférence de presse il aurait martelé « Il faut d’abord que l’on réponde aux exigences de justice sociale, c’est une condition sine qua non pour avancer dans la conférence de financement ». « Ce n’est pas concomitant. Nous discuterons après avoir eu des assurances en termes de pénibilité, retraite progressive, minimum contributif et transitions pour les agents publics ».  Dominique Corona de l’UNSA entend tout mettre sur la table, et en particulier les cotisations des employeurs, les cotisations des cadres supérieurs et les fonds de réserve des retraites. De son côté, le MEDEF, satisfait des lignes rouges fixées, s’est dit prêt à trouver « des mesures d’âge justes assurant l’équilibre financier du système de retraite à court, moyen et long terme ». Pour sa part, la CGT, sans déclarer à nouveau son hostilité au système par points, compterait  pousser à une « hausse des salaires » et à « plus de cotisations » (6).

Pour les syndicats, la Conférence devrait ainsi débuter par un nouveau « round » de négociations. En même temps, un malaise profond règne car des informations et des précisions manquent sur le contenu de la réforme, des négociations continuent d’être menées en parallèle avec l’exécutif et la réforme est contestée aussi bien par les oppositions que dans la rue. La question « Pourquoi la conférence de financement des retraites réussirait-elle là où deux ans de concertation ont échoué ? », titre d’un article du Huffingtonpost du 30 janvier (6), est très pertinente. On peut donc s’interroger sur le destin de cette conférence, nouvelle épine dans le pied de l’exécutif.

Les perspectives des retraites à l’horizon 2030 méritent un examen attentif

Ces perspectives à l’horizon 2030, commandées au COR par le Premier ministre en septembre et dévoilées en novembre, sont venues à point nommé à l’appui de la « menace » avancée par le président de procéder sans tarder à une réforme paramétrique comportant l’âge pivot de 64 ans afin de résorber le déficit aggravé du SR avant l’entrée en vigueur (en 2025 ?) de sa grande réforme « systémique ».

Nos médias audiovisuels semblent en avoir retenu surtout qu’à l’horizon proche de 2030, un déficit du système de retraite (SR) compris entre  - 7,9 Mds € et – 26,9 Mds € nous attendait et que, pour « redresser » l’équilibre financier du SR, il convient d’actionner un ou plusieurs des trois « leviers » permettant : - d’abaisser le montant de la pension moyenne ; - d’augmenter l’âge moyen de départ à la retraite ; - de majorer le taux de prélèvement (cotisations).

Le COR a d’ailleurs indiqué des « mesures concrètes » correspondant à ces leviers et présenté « un large éventail de réformes » possibles, dont l’âge pivot fait partie, « pas forcément considérées comme opportunes par tous les membres du Conseil d’Orientation des Retraites ».

A la demande de l’exécutif, le COR a étudié trois « conventions » relatives au financement des retraites de la fonction publique d’Etat (FPE) et des régimes spéciaux (RS) : - la convention TCC (pour taux de cotisation constant), consistant à figer les taux de cotisations implicites de l’Etat en tant qu’employeur et les taux de subvention aux RS à leur dernier niveau constaté, celui de 2018 ; - la convention EEC (pour effort de l’Etat constant) : même pourcentage du PIB qu’en 2018 consacré au financement des retraites de la  FPE et des RS ; - la convention EPR (pour équilibre permanent des régimes) : équilibrage chaque année du régime de retraites de l’Etat et de ceux des RS.

Après + 2,3% en 2017 et + 1,7% en 2018, les hypothèses relatives au taux de croissance du PIB retenues dans les projections sont de + 1,4% en 2019, + 1,3% en 2020 et 2021, + 1,4% de 2021 à 2025, avant un rebond à + 1,6% à partir de 2026 jusqu’à 2030.

La convention TCC de novembre 2019 est la même que « la convention COR » des perspectives établies pour les rapports annuels d’avril 2018 et 2019. Dans le rapport d’avril 2018 (voir pages 64 et 65), le déficit projeté était proche de – 0,4% du PIB en 2025 dans les scénarios à 1,5% et à 1,3% de gains de productivité. En 2030, il était proche de – 0,5% du PIB dans le scénario à 1,5%, et de – 0,6% du PIB dans le scénario à 1,3%.

Dans  les projections TCC de novembre 2019, le déficit grossit. En 2025, il se monte à – 16,6 Mds € dans le scénario à 1,5% (- 0,64% du PIB) et à – 16,8 Mds € (- 0,65% du PIB) dans le scénario à 1,3%. En 2030, le déficit du SR atteint 23,8 Mds € (- 0,86% du PIB) dans le scénario à 1,5%, et – 25,1 Mds € (- 0,90% du PIB) dans le scénario à 1,3%.

Après 30 mois d’une gouvernance Macron marquée par de nombreux changements dans le système de protection sociale, le déficit prévisionnel du système de retraite s’est ainsi aggravé de – 0,2% à - 0,3% du PIB à l’horizon 2025, et de - 0,3% du PIB à l’horizon 2030. Par rapport aux prévisions de mai 2018, c’est une aggravation du déficit du SR de l’ordre de - 7 Mds € à - 8 Mds € qui est attendue  maintenant.

Il serait intéressant d’identifier les raisons de cette dégradation. Pour rappel, en avril 2018, les prévisions de croissance du PIB  étaient de  + 2,0% en 2018, + 1,9% en 2019 et + 1,7% par an de 2020 à 2022.

On comprend pourquoi l’exécutif, n’ignorant pas que les hypothèses de croissance du PIB retenues par le COR en novembre 2019 pêchent par excès d’optimisme, a demandé aux conférenciers des propositions pour réduire d’ici 2027 de 12 Mds € par an le déficit qui s’annonce.

Les hypothèses retenues sur l’emploi et les rémunérations des fonctionnaires ont aussi été dictées par le Premier ministre. Elles ont de quoi mécontenter et/ou inquiéter lesdits fonctionnaires [mais pas eux seuls]…  si  elles traduisent véritablement des intentions de l’exécutif. Et pourquoi en douter ?

Concernant les effectifs : - la promesse de réduire les effectifs de la FP de - 120 000 pendant le quinquennat, dont - 50 000 dans la FP d’Etat ne sera pas tenue. Cette dernière réduction sera limitée à – 10 500 ; - de 2023 à 2030, il n’y aura pas de réductions, ni de majoration des effectifs dans les trois FP, d’Etat, hospitalière et territoriale.

Concernant les rémunérations, « la révision à la hausse de la trajectoire d’effectifs  réduit les marges de manœuvre salariale », aussi : - pour les années 2019 et 2020, l’hypothèse d’une « hausse modérée du traitement indiciaire moyen » est retenue, et « il n’est pas fait d’hypothèse  de hausse de la valeur du point d’indice » ; - de 2020 à 2022, par rapport aux projections du COR de juin 2019, « les anticipations de mesures salariales indiciaires  ont été révisées à la baisse ». Il en a été de même de « la progression structurelle des rémunérations (glissement vieillesse technicité) », « compte tenu des dernières données disponibles » : - de 2023 à 2030, le traitement indiciaire moyen des fonctionnaires ne suivra pas l’évolution du salaire moyen (SMPT), sa progression « sera limitée à +0,1% en euros constants (soit +1,85% en tenant compte de l’inflation prévisionnelle), en ligne avec la progression moyenne sur le passé récent » [???]. Cette baisse serait compensée en 3 ans à partir de 2025 par « une progression de la part des primes ». [Au profit de qui ?]

Ainsi, la masse des traitements indiciaires de la FP et des autres régimes spéciaux, qui représente 11,9% de la masse totale des rémunérations en 2019, baisserait jusqu’à n’en représenter plus que 9,2% en 2030 quel que soit le scénario. Une réduction d’’environ - 23% en 11 ans, donc !

On reconnait bien ici la philosophie macronienne concernant la réduction du déficit public : préférer la diminution des rémunérations à celle des effectifs de la FP d’Etat.

Déficit de croissance depuis 2018 : une coupable, la trop faible consommation

En janvier 2020, les projections du COR pêchent, en effet, déjà par excès d’optimisme. D’après les projections macroéconomiques de la Banque de France de décembre 2019 (7), la croissance du PIB ne sera que de + 1,1% en 2020 (et non de + 1,3%) et de + 1,3% en 2021 et en 2022 (et non de + 1,4%). Quant à l’hypothèse du COR (ou du Premier ministre) d’une remontée de la croissance à + 1,6% de 2026 à 2030, elle parait très « hypothétique » !

Des analystes patentés attribuent volontiers la perte de croissance entre 2018 et 2020 à la « nette dégradation de l’environnement international » qui serait la cause de la baisse de la « contribution » du commerce extérieur à la croissance de + 0,7% du PIB en 2018 à - 0,2% en 2019 et à - 0,3% en 2020, avant sa remontée projetée à - 0,1% en 2021 et à 0 % en 2022. En réalité, le déficit des échanges extérieurs de la France est un maillon faible persistant de notre économie révélateur d’un défaut de compétitivité, à l’intérieur de l’UE notamment, ainsi que de notre coûteuse dépendance énergétique. La balance commerciale (marchandises) de la France est négative depuis l’an 2000. Selon les comptes nationaux, la balance de l’ensemble des biens et services a été dans le rouge de - 12,9 Mds € en 2015, de - 18,2 Mds € en 2016, de - 25,3 Mds € en 2017 et de - 18,2 Mds € en 2018 (8). Les hausses des prix des hydrocarbures ont été en partie responsables de ce déficit. Pourtant, cette dernière année avait connu une « embellie ». Grâce au dynamisme des industries pharmaceutiques, de l’agro-alimentaire, des industries du luxe et, plus encore, de l’aéronautique (9), les exportations totales avaient cru de + 3,5% en volume (à prix constants), alors que les importations n’avaient augmenté que de + 1,3%. C’est cette amélioration temporaire du solde extérieur en volume qui a «  contribué » à la croissance en volume à hauteur de + 0,7% du PIB en 2018.

Ceci dit, la principale raison du fléchissement de la croissance à partir de 2018 est la faiblesse de la consommation des ménages. Cette dernière pèse lourd, puisque son montant est proche de 7/10 de celui du PIB. Rappelons, qu’en volume, sa progression est descendue de + 1,8% en 2016 à + 1,4% en 2017 et + 0,9% en 2018. La BDF prévoit + 1,2% en 2019. Après, un rebond à + 1,5% en 2020 et + 1,4% en 2021 qui serait autorisé par les gains de pouvoir d’achat des ménages  dus en partie aux mesures l’exécutif. Ensuite, retour à + 1,2% en 2022.

Une politique scabreuse de répartition des revenus et des pouvoirs d’achat

Calculés par l’Insee, les gains annuels de pouvoir d’achat du Revenu disponible brut (RDB) des ménages ont décliné de + 1,6% en 2016 à + 1,4% en 2017, puis à + 1,2% en 2018. Pour l’année 2019, la prévision de gain est de + 2,1%.  Mais, les gains de 2018 ont été répartis de façon  très particulière. Les grands bénéficiaires ont été les « très riches » grâce à la suppression de l’ISF (remplacé par l’IFI), à l’instauration de la flat tax à 30% sur les revenus financiers, ainsi qu’aux dividendes pharaoniques engrangés. Ceux-ci ont bondi à 37,2 Mds €, suite à une augmentation de + 7,2 Mds €… qui, à elle seule a représenté plus de 40% des 17 Mds € de gains totaux de pouvoir d’achat du RDB des ménages en 2018. Avec les petits épargnants, les grandes victimes ont été les retraités, brimés par les blocages et/ou les revalorisations parcimonieuses de leurs pensions alors que l’inflation avait repris, et matraqués avec une forte hausse de la CSG sans les « compensations » accordées aux salariés avec la baisse de leurs cotisations sociales. Pour le chef de l’Etat, réduire les pensions des retraités est la meilleure « option » pour résoudre le problème du financement du système des retraites. Simple et « productive », elle n’a pas soulevé de farouches oppositions  jusqu’à la fin 2019. Les fonctionnaires et les « classes populaires » n’ont pas été gâtés non plus, et les prestations sociales n’ont pas ou très peu été revalorisées, lorsqu’elles n’ont pas été réduites, comme les aides au logement.

Le mouvement des gilets jaunes a un peu rebattu les cartes. Ses motifs légitimes, sa durée, la détermination des manifestants, l’accueil assez favorable de la part du public malgré des violences et des dégradations, les risques de voir la « convergence des luttes » prendre corps et/ou la situation s’embraser ont poussé les gouvernants à revoir leur copie. La stratégie du pourrissement n’ayant pas porté les fruits attendus, tardivement en 2018, l’exécutif a consenti quelques concessions en direction de catégories de personnes aux revenus modestes. Les communicants ont beaucoup insisté sur l’importance et les bienfaits des 17 Mds € accordés (sur plusieurs années), sur ce coût élevé pour le budget, dont le retour à l’équilibre en serait retardé. Evidemment sans parler des 40 Mds € réservés, pour l’année 2019 seule, au profit des entreprises par la réduction pérenne des cotisations sociales patronales en remplacement du CICE, elle-même majorée par la fumeuse « bascule CICE » (paiement de sommes dues au titre des années précédentes destiné à solder les comptes du CICE).

Pour 2019 et les années suivantes, afin de « répondre aux revendications » des gilets jaunes,  la redistribution en faveur des populations aux plus faibles revenus au détriment des classes moyennes et surtout de celles dites  « moyennes supérieures » (travailleurs et retraités « riches », notamment) a été accentuée et étendue. Elle s’est traduite notamment par : - l’annulation en 2019 de la hausse de + 1,7 points de la CSG (appliquée depuis le 01/01/2018) pour les retraités dont le revenu fiscal de référence ne dépasse pas 22 579 € pour une personne seule et 34 635 € pour un couple, ces revenus étant nettement inférieurs au revenu disponible médian ; - la revalorisation des retraites de base de + 1% au 1er janvier 2020 pour les retraités dont le montant brut total des retraites (de base et complémentaires) n’excède pas 2 000 € par mois, et de + 0,3% pour ceux aux pensions plus élevées ; - la révision du barème de l’impôt sur le revenu de l’année 2020, avec l’abaissement de 14% à 11% du taux de la 1ère tranche imposable, comprise entre 9 964 € et 25 405 €, qui est censé réduire de 1/3, soit de  - 350 € l’impôt de 12,2 millions de foyers fiscaux ; - la réduction ou non de la taxe d’habitation (TH) suivant que les revenus des ménages sont au dessous ou non du seuil de 40 0000 € annuels ; - puis, le recul dans le temps des réductions pour les « 20% » des ménages aux revenus supérieurs au seuil et le report à 2023 de la suppression totale de la TH.

L’exécutif a systématisé la discrimination entre les individus et les ménages en fonction de leurs revenus, ce qui constitue une atteinte au principe d’égalité… avec le consentement du Conseil d’Etat et du Conseil constitutionnel. Difficile à comprendre !

Cette politique a également pour but de stimuler une consommation des ménages languissante en majorant les pouvoirs d’achat des catégories de personnes aux faibles revenus, qui auraient une forte propension à consommer, plutôt que d’augmenter les capacités d’épargne de ménages plus « aisés ». Elle s’est avérée inefficace, notamment parce que les gains de pouvoir d’achat réels ont été nettement inférieurs à ceux du RDB calculé par l’Insee, d’une part, et parce que la méfiance à l’égard du gouvernement et les craintes pour l’avenir se sont fortement accrues.

Un pouvoir d’achat laminé entre la politique des taux bas et l’inflation

Dans mon article de la Lettre de septembre 2019 intitulé « Croissance torpillée et quinquennat miné » (10), j’avais expliqué comment la persistance de taux d’intérêt anormalement bas provoquait la dévalorisation des avoirs en numéraire et sur les comptes bancaires des épargnants. Portant sur un encours total de 1 513 Mds € au 1er trimestre 2018, compte tenu d’une inflation de + 1,8%, cette dévalorisation a été de l’ordre de - 14 Mds € en 2018 [d’après mes calculs basés sur les données de la Banque de France). Aussi, le gain de pouvoir d’achat tel que les ménages ont pu le percevoir est presque nul, globalement, et négatif pour nombre d’entre eux. J’avais « simulé » le cas type d’un couple de retraités au revenu imposable de 44 800  (40 000€ de retraites + 800 € de revenus financiers). Compte tenu de la hausse de la CSG et de l’érosion de son épargne financière (se montant à 80 000 €) due à l’inflation, ce couple subissait une perte de pouvoir d’achat de - 2 400 €, soit de - 5,4% de son revenu imposable.  

Baisse du taux du livret A : de mauvais calculs, sans retenue ni vergogne

Témoignage de l’absence de scrupules des Autoritaires au pouvoir, le ministre Lemaire a annoncé la baisse du taux de rémunération du livret A et du LDDS de 0,75% à 0,50% au 1er février 2020. Le Rapport annuel de l’Observatoire de l’épargne réglementée de juillet 2019 fait état d’encours totaux au 31 décembre 2018 de 267,5 Mds € pour le livret A et de 107,2 Mds € pour le LDDS. Ces montants ont cru en 2019. Aussi, cela va procurer à l’Etat environ + 1 Md € d’économies en un an, dont une partie reviendra à la Caisse des Dépôts pour le financement du logement social. Les Autoritaires s’en félicitent. Les épargnants  vont accuser un « manque à gagner » annuel de - 1 Md €.

Du début à la fin de l’année 2019, l’Indice des prix à la consommation (IPC) a augmenté de + 1,46%. Pour 2020, le projet de loi de finances prévoit une hausse des prix de + 1,3%. Si c’est le cas, les sommes détenues sur livret A et LDDS, proches de 400 Mds € au total, rémunérées à 0,50%, vont subir une dépréciation de leur pouvoir d’achat de l’ordre de - 3 Mds € en un an. Leurs détenteurs aussi.

Et pour beaucoup d’entre eux la perte de pouvoir d’achat ne sera pas marginale. Prenons, par exemple, un couple qui a pu au fil des ans se constituer une réserve de 50 000 € (en cas de coup dur, pour ses vieux jours…) sur des livrets A et des LDDS. Avec l’inflation, cette famille va perdre  - 400 € (0,8% x 50 000 €) en un an. Cela représentera une baisse de - 1% de son revenu disponible si celui-ci est de 40 000 €, ou - 1,6% si son revenu est de 25 000 €.

Les épargnants, les retraités et les travailleurs des classes populaires et moyennes, ainsi que la croissance de notre économie, paient les erreurs de la politique des « premiers de cordée » du chef de l’Etat. Il a « dépensé » de façon inconsidérée avec ses réformes de l’ISF, de l’instauration de la flat tax, de la « suppression » de la taxe d’habitation, ainsi qu’avec la pérennisation de fortes subventions aux entreprises dans le prolongement du CICE, en particulier. Ces « bienfaits » n’ont pas eu les effets espérés sur la croissance et sur les rentrées fiscales. Aussi le gouvernement, soumis aux exigences de Bruxelles, ne peut plus que répondre « au compte-gouttes » aux revendications sociales… en usant de la redistribution, payée par les « aisés » qu’il peut ponctionner avec le moins de risques.

CICE, emploi et chômage, créations d’entreprises : des infos triées sur le volet

Très cher CICE

D’après le rapport du Comité de suivi du Crédit d’impôt compétitivité et emploi, depuis sa création en 2013, le CICE a coûté aux finances publiques sous la forme de réductions d’impôts sur les bénéfices : 6,6 Mds € en 2014, 12,5 Mds € en 2015, 12,8 Mds € en 2016, 15,7 Mds € en 2017, 20,5 Mds € en 2018 et 40 Mds en 2019 (dont 20 Mds € pour les allègements des cotisations remplaçant le CICE depuis 2019). Soit au total, près de 108 Mds € en 6 ans. Les tentatives faites pour évaluer l’impact du CICE sur l’emploi ont donné des résultats  très différents les uns des autres et n’ont pas convaincu. Une note de conjoncture de l’Insee de janvier 2019 (11) faisait le point et rappelait qu’à l’origine ses effets devaient produire 300 000 emplois supplémentaires à long terme, dont 215 000 sur la période 2013-2018. En raison, en particulier, de la multiplicité des facteurs intervenant dans la création et la conservation des emplois, elle soulignait « les incertitudes des effets du dispositif sur l’emploi ».

En revanche, à l’aide du modèle Mésange, l’Insee a jugé possible d’estimer les créations d’emplois qu’induirait la transformation du CICE en baisse des cotisations. La note contient un tableau affichant « l’enrichissement de la croissance en emploi » (attendu) : + 30  000 en 2019, + 40 000 en 2020 et + 30 000 en 2021.

J’ai retrouvé ces + 30 000 créations en 2019 dans plusieurs articles où ce pronostic apparait comme une réalité observée ou présumée. Patience ! En attendant, si 20 Mds € permettent de créer + 30 000 emplois, cela peut laisser penser que le coût de la création d’un emploi  à l’aide de ce dispositif est supérieure à 600 000 €. C’est très cher ! Et il est étonnant que cela ne soulève pas plus d’émotion.

Moins de croissance pour plus d’emplois !

A la suite de la crise de 2009-2010, les quatre années 2011 à 2014, avaient connu une faible augmentation des emplois : + 227 000, soit + 0, 8% au total,  Rattrapage ensuite ? Depuis, la croissance du nombre des emplois a repris de la vigueur. Avec : + 212 000 emplois au cours de l’année 2015,  + 203 000 emplois durant l’année 2016, + 338 000 emplois durant 2017 et + 225 000 emplois, soit + 0,8%, entre le début et la fin de l’année 2018 (12). Et l’Insee s’attend à  + 263 000 créations nettes sur l’année 2019, soit un accroissement de + 0,9%.

« Ces créations ont été plus fortes que ce que la croissance nous laissait attendre. On a besoin de plus d’emplois pour la même production » a constaté la Directrice de la DARES du ministère du Travail (13). La transformation du CICE en baisse des cotisations patronales « aurait contribué à enrichir la croissance d’environ 30 000 emplois » en 2019.

En effet ces progressions inattendues, sans doute en partie dues aux injections financières du CICE, ne « cadrent » pas bien avec la faible croissance du PIB : + 1,1% au cours de l’année 2018 et de + 0,8% en 2019 (cf. ci-dessus).

Si le nombre d’emplois a augmenté de + 0,8% au cours de l’année 2018, celui des seuls emplois salariés a progressé de + 0,6%. Celui des emplois non salariés a cru de + 2,5%, apportant + 71 000 emplois supplémentaires (sur les + 225 000). Il n’y a qu’un peu plus de 10% d’emplois non salariés, mais cette proportion est en nette hausse depuis 2009. Est-ce un signe de dynamisme ou un indice de précarisation de l’emploi ?

En tout état de cause, ces évolutions révèlent la stagnation de « la productivité apparente par tête » en France en 2018 et en 2019. Compte tenu de la stabilité de la durée annuelle travaillée moyenne, autour de 1 520 heures (14), c’est aussi une stagnation de la « productivité horaire apparente du travail » que nous observons.

Une baisse du chômage sans croissance. Pourquoi ?

Très bonne nouvelle : le nombre de demandeurs d’emploi a chuté en 2019 : - 120 700 demandeurs d’emploi sans activité (de catégorie A dans les statistiques de Pôle emploi) en moins, soit - 3,3% en un an.  Au 4ème trimestre Il reste 3,554 millions de chômeurs de catégorie A et 5,740 Mi de personnes inscrites en catégories A, B et C. Au seul 4ème trimestre (qui a vu le PIB  baisser de - 0,1%), le nombre de chômeurs de catégorie A a diminué de - 55 700.

Très rares sont ceux qui jugent utile d’expliquer les circonstances et les causes de ce « prodigieux résultat ». Une chose est certaine : on ne peut pas l’attribuer à la croissance et au dynamisme de notre économie. Hélas ! L’Insee prévoit la poursuite du mouvement au 1er trimestre 2020. Le taux  de chômage baisserait ainsi de 8,5% en fin 2019 à 8,2% à la mi-2020. Que du bonheur en plus ! A quel prix et jusque quand ?

Beaucoup de créations d’entreprises… mais aussi de cessations d’activités

 

Des chants de joie s’entendent aussi, motivés par le nombre « record » de 815 200 créations d’entreprises en 2019, dont : -  sous forme sociétaire, 218 400 entreprises (soit 27% du total) ; - 210 500 entreprises individuelles classiques (26% du total) ; - 386 300  micro-entrepreneurs (47% du total) ont pris leur envol.

Pendant l’année 2019, + 124 000 entreprises de plus qu’en 2018 sont nées. + 78 000 sont des micro-entreprises, + 28 600 sont des entreprises individuelles et +  17 100  (+8,6%) sont des sociétés (15).

Peut-on raisonnablement (ou honnêtement) parler des créations d’entreprises sans faire état des effectifs totaux des entreprises existantes ? Les infos les plus récentes de l’Insee à ce sujet datent un peu. En 2016, dans les secteurs marchands non agricoles, il y avait 4,01 millions d’entreprises, dont : 292 grandes entreprises (GE), 5 776 entreprises de taille intermédiaire (ETI), 135 000 PME et 3,865 millions de micro-entreprises (ME).

Autre repère utile, les effectifs des salariés (en équivalent temps plein - ETP) étaient de 13,4 millions, dont : 3,89 Mi dans les GE, 3,32Mi dans les ETI, 3,69 Mi dans les PME et 2,50 Mi dans les micro-entreprises (16).

Pour l’année 2017, l’Insee a publié en octobre 2019 des données portant sur un champ un peu réduit excluant les services financiers et d’assurance. Elles montrent un nombre d’entreprises de 3,90 Mi  employant 13 Mi de salariés (en ETP) (17). Une relative stabilité entre 2016 et 2017 malgré les nombreuses créations, donc, semble-t-il.

Le statut de micro-entrepreneur rencontre un franc succès depuis sa création en 2009. La LDF 2018 l’a sans doute « boosté » en doublant le Chiffre d’affaires annuel permettant d’obtenir ce statut, jusqu’à 72 500 € pour les services et 176 200 € pour les ventes de biens, ainsi qu’en simplifiant au maximum les formalités de gestion administrative et fiscale. Une explication complémentaire avancée est l’uberisation de l’économie, notamment pour les VTC et les livraisons à domicile. Mais, LégiFiscal rapporte aussi que de nombreuses personnes deviennent auto-entrepreneur « à défaut de trouver un emploi », espérant augmenter leurs chances sur le marché du travail + « Au bout de trois ans, seul un tiers des micro-entreprises sont encore en activité » (18).

Bémol aussi pour les sociétés. Car près de 138 200 sociétés auraient été radiées en 2019 du Registre du commerce et des sociétés (19). Par rapport aux 218 400 sociétés créées (cf. ci-dessus), la proportion n’est pas négligeable.

Il est très regrettable que les Autorités, des organismes publics et des médias qui diffusent les informations économiques soient abusivement « sélectifs ». Plus qu’auparavant, ils semblent choisir de propager des infos incomplètes qui servent le pouvoir et d’en écarter qui pourraient lui nuire, comme on peut le constater au fil de cet article. La grande majorité des Français sont ainsi privés de la possibilité de connaître la situation réelle de l’économie nationale. Pas « fake news », peut-être, mais désinformation et/ou sous-information, surement.

Craintes et hostilité exacerbées par les menaces de la réforme des retraites

Dès 2017, les décisions prises et les annonces faites par l’exécutif ont inspiré la  méfiance et les craintes et/ou le mécontentement chez de nombreux Français. Elles se sont incrustées, étendues et renforcées au fil des mois. Les manifestations des gilets jaunes ont engendré une prise de conscience assez partagée de la nocivité de mesures gouvernementales et de la précarité dans laquelle vit une partie de la population. La « gestion » par les Autorités de la crise et les réponses apportées n’ont pas satisfait et apaisé. Au contraire. Le malaise et les manifs ont perduré. La confiance dans le président et le gouvernement ont continué de chuter. Leur impopularité a cru. L’hostilité à leur égard est montée. Ajoutées aux pertes de pouvoir d’achat pour nombre de ménages, la méfiance et les craintes poussent à restreindre les dépenses de consommation et à tenter d’épargner. Confiance et adhésion sont des conditions clés d’une gouvernance sereine et efficace. L’exécutif ne l’a pas compris et a sous-estimé les impacts de ses actes. Ou, tout simplement, sa conception de la gouvernance s’accommode bien des épreuves de force et du recours à l’autorité pour imposer ses vues.

Après plus de 18 mois de gestation souterraine, la teneur du projet de réforme a commencé à être dévoilée dans le rapport Delevoye. Avec des imprécisions, des lacunes et des atermoiements. Assez vite, le projet a soulevé un tonnerre d’oppositions et les multiples réactions que nous connaissons aujourd’hui.

L’avis du 24 janvier 2020 du Conseil d’Etat et la dénonciation par le collectif « Nos retraites » des trucages dans l’étude d’impacts financiers de la réforme présentée par le  gouvernement discréditent sévèrement le projet de réforme et ses promoteurs. Les pressions, justifiées, pour son retrait et l’examen de propositions alternatives vont devenir plus fortes. Et les confrontations risquent de se durcir et de durer si l’exécutif persiste dans la même voie. Dans cette confusion, à quoi peut servir la Conférence de financement qui commence, tandis que le projet de réforme immature est déjà entre les mains de l’Assemblée nationale ?

PS : J’ai encore entendu aujourd’hui sur une chaîne d’info en continu parler des « bons résultats économiques » du gouvernement. Qu’attendent les « partis d’opposition » pour rétablir la vérité, pour « ré informer » les électeurs ?

Sources et références

(1) Avis sur un projet de loi organique et un projet de loi instituant un système universel de retraite     Conseil d’Etat

(2)  [Communiqué] Retraites : une étude d’impact truquée, nous publions les chiffres corrigés      reformedesretraites.fr/etude/…       le 25/01/2020

(3) Conférence de financement : « Une caricature de la confusion actuelle selon Olivier Mazerolle    rtl.fr/actu/politique/conférence…      le 30/01/2020

(4) Tableau de bord de la conjoncture     Insee    le 31/01/2020

 (5) Conférence de financement des retraites : mais de quoi  vont-ils parler ?     contrepoints.org/2020/01/15/362276-conference…

(6) Pourquoi la conférence de financement réussirait-elle là où deux ans de concertation ont échoué ?     huffingtonpost.fr/entry/pourquoi…     le 30/01/2020

(7) Projections macroéconomiques  France     Banque de France    Décembre 2019

(8) Comptes nationaux annuels en 2018   Le PIB et les opérations sur biens et services    INSEE Résultats 29/05/2019

(9) Echanges extérieurs et entreprises exportatrices    INSEE Références     03/12/2019

(10) Croissance torpillée et quinquennat miné      Lettre du 18 juin - septembre 2019        academie-gaullisme.fr

(11) La transformation du CICE en baisse des cotisations sociales au 1er janvier 2019 aurait un effet positif - mais limité et temporaire - sur l’emploi     Insee   Note de conjoncture   01/01/2019

(12) Estimation d’emploi en 2018    Insee Résultats    05/12/2019

(13) Chômage : le nombre de demandeurs d’emploi a fortement baissé en 2019     finance.orange.fr/actualite-eco/article/chomage-le nombre…    le 27/01/2020

(14) Heures travaillées : OCDE données     data.ocde.org/fr/emp/heures-travaillees.html      le 30/01/2020

(15) Quasi-stabilité des créations d’entreprises en décembre 2019    Insee   insee.fr/statistiques/4283728 #consulter    le 15/01/2020

 (16) Catégories d’entreprises - Tableaux de l’économie française    insee.fr/fr/statistiques/3676799?sommaire=3696937     le 26/03/2019

(17) Principales caractéristiques des entreprises en 2017     Insee Résultats    le 18/10/2019

(18) Créations d’entreprises : +17,9% en 1 an ! Légifiscal     legifiscal.fr/actualites-fiscales/2329-creations…     le 21/01/2020

(19) Entreprises radiées en 2019  Open data     opendata.datainfogreffe.fr/explore/dataset/societes-radiees-2019/analyzes…   le 31/12/2019

 

 

© 08.02.2020