Agirc et Arrco : des régimes par points

pour dessiller les yeux

Presque l'essentiel, pour commencer

 

Par Paul KLOBOUKOFF

En octobre 2016, François Fillon avait indiqué qu’il n’était pas défavorable à un régime de retraite par points et avait expliqué, notamment, que celui-ci permettait de baisser chaque année la valeur des points et de diminuer ainsi les pensions. Il était en dessous de la vérité. Il n’est pas indispensable de regarder au loin, en Suède, pour observer des avantages, des prouesses, ainsi que des faiblesses ou des contreperformances d’un régime à points. Nous en avons deux sous nos yeux, franco-français, ceux des retraites complémentaires des salariés du privé Agirc et Arrco.

Un document de décembre 2016 du Conseil d’orientation des retraites (COR) consacré aux effets des réformes des retraites (1), commençait par ce constat : « Afin de maintenir l’équilibre des régimes complémentaires Agirc et Arrco, les partenaires sociaux ont signé 10 accords depuis 20 ans. Ces accords ont organisé une baisse de leur rendement instantané : un salarié acquiert environ 1,5 fois moins de droits en 2015 qu’en 1993 avec le même euro de cotisation. Cette baisse a été en partie compensée par l’augmentation des taux de cotisation ».

« Œuvres » des partenaires sociaux, qui en assurent le « pilotage », ces régimes ont fait le choix de la répartition. Pour les cadres, l’Agirc a été créée en mars 1947, et pour les non-cadres, l’Arrco est née en décembre 1961. Ces deux régimes sont devenus obligatoires en 1972. L’unification des paramètres de fonctionnement de la quarantaine de caisses de retraite de l’Arrco n’est intervenue qu’au 1er janvier 1999. Par Accord interprofessionnel du 17 novembre 2017, les deux régimes ont été fusionnés en un régime unique Agirc-Arrco au 1er janvier 2019.

A leurs débuts, il leur fallait se montrer attractifs pour se « faire accepter » et constituer des clientèles étoffées. Leurs nombres de retraités étant considérablement plus faibles que ceux de leurs cotisants et les points accumulés par ces derniers étant modestes, il leur a été loisible de se montrer « généreux » et d’afficher des taux de rendements (valeur de service du point de retraite / prix d’acquisition du point de retraite) élevés. En 1973, en pleine crise pétrolière, ils étaient de 13,6% à l’Agirc et de 10,9% à l’Arrco.

Jusqu’au milieu des années 1980, les deux régimes ont pu vivre confortablement, dégager des excédents et constituer des réserves aisément. Les rapports démographiques (nombre de cotisants / nombre de retraités), fabuleux à leurs débuts, avaient alors baissé et s’étaient rapprochés, se chiffrant à 2,87 à l’Agirc et 2,59 à l’Arrco. Et les nombres de cotisants, de retraités et de points à rémunérer n’avaient plus les mêmes dimensions.

Dès lors, un mot d’ordre a dominé : recherche de l’équilibre à moyen terme, à un horizon de 15 ans. Et, au cours des 35 ans suivants, le système à points, taillé sur mesure pour y répondre, a fait appel à nombre de ses ressources.

En effet, les « leviers » permettant d’agir sur l’équilibre de ces systèmes de retraites par points ne sont pas limités au blocage ou à la sous-indexation de la valeur du point de service des retraites. Ils comprennent aussi le renchérissement, par divers procédés, de la valeur d’acquisition de ce point par les salariés et leurs employeurs, tels : - les majorations des taux des cotisations retraites ; - la revalorisation du « salaire de référence » qui détermine le prix d’acquisition du point de retraite ; - l’application d’un « taux d’appel » qui va majorer la cotisation et ce prix d’acquisition sans donner de points supplémentaires au cotisants ; - l’application de « contributions » à usage déterminé ou simplement pour « équilibrer » le régime, qui ne donneront pas droit à des points de retraite.

« Normalement », des règles sont censées fixer de façon durable ces différents « paramètres », mais comme pour notre fiscalité, l’instabilité a régné. Ces paramètres ont constamment changé au gré des décisions des « pilotes » des régimes, elles mêmes soumises à de nombreux aléas.

Elles n’ont pas exclu les possibilités, de relever l’âge de l’accès au taux plein ou d’instituer un « âge pivot » en durcissant les conditions d’attribution, à l’aide de malus pénalisant les retraites jugées trop « précoces », et d’accorder des bonus aux retraités acceptant de retarder la liquidation de leurs droits.

A cet égard, deux périodes, celle de 1993 à 2000 et celle de 2010 à 2019 ont montré la richesse et le mode d’emploi de la boite à outils de ces régimes à points.

De 1993 à 2000, à l’aide 3 accords : - pour une hausse des prix de +13,2%, le salaire de référence a été majoré de + 37,2% à l’Agirc et de + 40,6% à l’Arrco ; -  la valeur du point de l’Agirc a été bloquée de 1993 à 1995, puis de 1997 à 1998, et elle n’a progressé que de + 5,2% pendant la période, perdant – 6,7% en termes réels ; - revalorisée de l’ordre de + 8%, la valeur du point Arrco a perdu - 4% ; - le taux d’appel, déjà monté à 117%, a été porté à 125% à l’Arrco, rejoignant celui de l’Agirc ; - l’Agirc a haussé son taux de cotisation, égal à  8% jusqu’en 1993, à 10% en 1994, puis à 16% en 1999, et  l’Arrco a relevé le sien  de 4% à 6% en 1999. En 2000, le régime a porté ce taux à 10% sur les revenus de la tranche T2 (de 1 à 3 plafonds de la Sécurité sociale). Résultats : le rendement Agirc a baissé de – 28,2% entre 1993 et 2000, descendant à 7,151%, et celui de l’Arrco, a perdu – 22,4%, descendant à 7, 040%. 

Agirc et Arrco ont aussi transposé dans leurs règles des mesures de la réforme Balladur de 1993, et, notamment, l’allongement progressif de 37,5 années à 40 années de la durée d’assurance nécessaire à l’obtention d’une retraite à taux plein dans le régime général des salariés du privé.

Durant la période de 2010 à 2019, les deux régimes ont pu profiter des effets de la Réforme Fillon de 2003, qui a allongé à partir de 2009 la durée de cotisation pour tous afin d’atteindre 41 ans en 2012, ainsi que de la réforme Woerth de 2010, qui a prévu : - le relèvement progressif de l’âge minimum légal de départ à la retraite pour atteindre 62 ans en 2018 ; - l’allongement de la durée d’assurance nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein, qui est passée à 41,5 ans pour la génération 1956 (2).

L’Agirc et l’Arrco ont recouru à la sous-indexation ainsi qu’au blocage de la valeur des points de retraite. D’avril 2010 à fin octobre 2018, compte tenu d’une hausse de l’indice des prix (IPC) sans tabac de + 8,6%, la valeur du point Agirc a baissé de – 5,2% en termes réels et celle du point Arrco de - 3,1%. En même temps, le salaire de référence a renchéri de + 15,6% à l’Agirc et de + 16,1% à l’Arrco.

 Au 1er janvier 2019, le salaire de référence commun Agirc-Arrco a été fixé à 17,0571 €. Au 1er novembre 2019, il a été majoré de + 2% et porté à 17,3982 €. Le taux d’appel a été relevé de 125% à 127% au 1er janvier 2019. Les taux des « contributions » ont aussi cru. Finalement, le rendement, qui était de 6,70% à l’Agirc et de 6,58% à l’Arrco en 2010, est descendu à 5,81% en 2019 dans le régime fusionné (3) et n’y dépassera sans doute pas 5,7% en 2020.

Dans le rapport Delevoye de juillet 2019, le rendement affiché du nouveau régime universel de retraite par points est de 5,50% ou, plutôt de 4,95% après rectification pour tenir compte de la fraction de 10% des cotisations n’ouvrant pas de droits à des points de retraite. Le rendement attendu est donc notablement plus faible que celui actuel des complémentaires des salariés du privé. Décidément, on n’arrête pas le progrès !

La partie « utile » ou « efficace » de la cotisation Agirc-Arrco, qui procure des points de retraite, est inférieure à 77% du montant de la cotisation. Plus de 23% de la cotisation n’ouvrent pas de droits à points et servent principalement à équilibrer le régime. C’est plus du double des 10% prévus pour le futur système « universel ». 10% essentiellement destinés à financer des prestations de caractère social et/ou redistributif. Qu’implique cet « engagement » de limiter ce prélèvement à 10%, une baisse inavouée des pensions ? Surtout, sachant que les partenaires sociaux semblent s’être entendus pour qu’environ 20% des cotisations soient réservés au financement de la solidarité.

Les syndicats, progressistes ou non, se disent opposés à l’introduction d’un « âge pivot de 64 ans. Pourtant, l’Agirc-Arrco, qu’ils pilotent, a institué un âge pivot de 67 ans, auquel « il vous est possible de bénéficier du taux plein sans condition de durée d’activité  si vous êtes né en 1955 ou avant » (et avez 65 ans ou plus en 2020).  Les Français en sont-ils conscients ? Comment les syndicats expliquent-ils leurs positions, « apparemment » contradictoires ?

 Observation : pas d’illusion ! Une règle d’or interdisant le déficit à moyen et long terme du régime universel par points est incompatible avec une autre règle d’or qui voudrait garantir la préservation du niveau des retraites.

Recommandation : quand le projet de réforme du gouvernement sera à maturité, il me parait indispensable qu’il soit soumis « au banc d’essai » du COR afin qu’il en dresse les perspectives (chiffrées) à un horizon de 15 ans à partir de 2025, d’abord, puis à l’horizon auquel ce système « évolutif » sera « stabilisé » dans sa configuration définitive. Le COR pourra en vérifier l’équilibre financier et en évaluer les impacts sur les niveaux projetés des retraites et leur part dans le PIB, sur les contributions au financement du système et sur les coûts pour l’Etat, notamment.

Outre des informations complémentaires et des précisions, les pages suivantes de cet article révèlent l’opacité autorisée par ce type de régimes par points. Une raison de plus pour s’en méfier et les refuser pour les uns, qui les connaissent suffisamment. Une qualité inestimable, sans doute, pour d’autres qui insistent pour le promouvoir et l’étendre à l’ensemble de notre système de retraites.

Historique et évolution financière des régimes : quelques rappels et infos

Agirc-Arrco : une organisation paritaire pilotée par les partenaires sociaux

Les partenaires sociaux qui représentent les employeurs et les salariés dans les instances de la fédération et des caisses de retraite sont les organisations d’employeurs MEDEF, CPME et U2P, d’un côté, et les organisations syndicales CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, CGT-FO, de l’autre (4).

Désormais, dans le cadre d’une Commission paritaire, les partenaires sociaux pilotent le régime. Ils négocient les grandes orientations. Ils arrêtent des mesures pour assurer l’équilibre du régime sur le long terme et améliorer la gestion. Tous les 4 ans « la trajectoire d’équilibre du régime Agirc-Arrco » doit être examinée et des négociations doivent avoir lieu. Le conseil d’administration est chargé d’ajuster chaque année « les paramètres de fonctionnement (la valeur du point de retraite, le salaire de référence ou prix d’achat du point…) ». « Il doit, le cas échéant alerter les partenaires sociaux lorsque la trajectoire n’est pas respectée sur un horizon de 15 ans ». 

Etroite attention à l’équilibre financier durable du régime et grande « souplesse » pour adapter ses paramètres aux besoins du moment doivent ainsi caractériser le pilotage du nouveau régime fusionné.

Jusqu’à 2018, l’organisation et les préoccupations n’étaient pas différentes à l’Agirc et à l’Arrco. La recherche de l’équilibre à court et moyen terme (à défaut de pouvoir le garantir à long terme) a donné lieu à une multitude de changements, de durcissements des paramètres, au fur et à mesure que le ratio cotisants  / retraités se dégradait et lorsque la conjoncture économique « perturbait », parfois durablement, la croissance des recettes des régimes.

D’une gestion confortable à une rigueur dictée par les évènements

L’Agirc et l’Arrco sont des régimes par répartition. Mais pour tous deux, après leur création, le montant des retraites à verser est resté longtemps inférieur à celui des cotisations prélevées. Cela leur a permis de dégager des excédents et de constituer des réserves, dont la fructification a ensuite pu rendre plus confortable leur gestion et servir à améliorer leurs résultats financiers annuels.

A l’Agirc, le rapport de charge (ratio retraites / cotisations) est resté inférieur à 100% pendant plus de 30 ans. De 1956 à 1984, il est remonté (avec des à-coups) de 83% à 95% et est passé au dessus de 100% en 1987 (5). La principale raison de cette hausse est la baisse au fil des ans du rapport démographique nombre de cotisants / nombre de retraités du régime, très élevé à ses débuts. En 1950, ce rapport était de 7,5, tandis que le nombre de retraités se comptait en dizaines. Il est ensuite descendu à 4,0 en 1960, et à 3,3 en 1973. Il était encore de 2,9 en 1985 (6) avec des effectifs plus étoffés : 2,268 millions de cotisants pour 0,791 Mi de retraités. Pendant cette période le même rapport du régime général a été nettement plus faible, et seulement de 2,2 en 1985 (7).

Le rapport de charge (RDC) a connu une forte hausse au début des années 1990, s’élevant jusqu’à plus de 110%. Une assez longue embellie a suivi de 1999 à 2008. La forte croissance du PIB et le gonflement de la masse salariale (assiette des cotisations) ont contribué à ce sursaut. Mais, les accords de 1993, 1994 et 1996, comportant une batterie de mesures touchant les principaux paramètres du régime ont eu pour effet, notamment, de faire baisser le taux de rendement brut du régime de 10,21% en 1993 à 6,78% en 2008 (8). Avec la crise de 2008- 2010, le RDC s’est détérioré, montant à 112% de 2013 à 2015… nécessitant de nouveaux accords affectant encore les paramètres.

En 2017, l’Agirc comptait 4,21 Mi de cotisants pour 3,073 Mi de retraités.

Pour l’année 2018, les comptes de l’Agirc montrent un montant de cotisations de 21,614 Mds €, inférieur aux 24,664 Mds € de retraites versées (9).

A l’Arrco, très faible aux débuts du régime, le rapport de charge est monté de 55% en 1962 à 87% en 1969. Il a ensuite baissé un peu avant de remonter en restant inférieur à 100% jusqu’en 1985, permettant au régime de capitaliser des excédents pendant plus 20 ans (5). De même que pour l’Agirc, le ratio nombre de cotisants / nombre de retraités est resté longtemps favorable, diminuant de 7,2 en 1962 à 4,5 en 1973 et à 2,6 en 1985.

De 1985 à 1997, le RDC a fluctué autour de 100% avant de connaître une embellie de 1997 à 2008, plongeant jusqu’à près de 85% en 2002. Pour de raisons analogues à celles de l’Agirc, et avec des effets comparables sur le taux de rendement du régime Arrco, qui est descendu de 8,87% en 1993 à 6,67% en 2008 (8). Ensuite, avec la crise, le RDC est durablement passé dans le rouge à partir de 2009, montant jusque 107% de 2013 à 2015.

En 2017 l’Arrco comptait 18,21 Mi de cotisants pour 12,63 Mi de retraités.

Pour l’année 2018, les comptes de l’Arrco présentent un montant de cotisations de 45,201 Mds €, inférieur aux 47,835 Mds € de retraites versées (10).

D’enviables et très utiles réserves financières

Au début de 2008, l’Agirc et l’Arrco avaient pu accumuler des réserves qui, grossies des produits financiers et des plus-values latentes, avaient atteint 60 Mds € (8). Ces réserves et les produits financiers qu’elles ont procurés par la suite ont été d’un précieux concours pour l’équilibre de leurs comptes.

D’après un communiqué de presse de juin 2019, intitulé « L’Agirc-Arrco sur la voie de l’équilibre financier » (11), les réserves de financement disponibles détenues par l’ensemble Agirc-Arrco s’élèvent à 60,6 Mds € [sans les 9,5 Mds € de réserves de fonds de roulements indiqués dans les présentations des bilans 2018 de l’Agirc et de l’Arrco ?] Près de 0,5 Md € de produits financiers ont été dégagés en 2018. Les opérations exceptionnelles ont rapporté 0,1 Md €. Grâce à ces gains, le déficit technique des opérations de retraite a pu être réduit de - 2 Mds € à – 1,4 Md €. [Le montant des produits financiers était plus élevé en 2017 (1,3 Md€), et plus encore les années antérieures, avant la mise en œuvre de la « géniale » politique d’écrasement des taux d’intérêt].

 

Agirc et Arrco : des performances loin des espérances

Pour sa séance plénière du 14 décembre 2016, le COR avait produit un document intitulé « Evolution des conditions des droits dans les régimes complémentaires depuis 1993 » (1). Il commençait par ce constat : « Afin de maintenir l’équilibre des régimes complémentaires Agirc et Arrco, les partenaires sociaux ont signé 10 accords depuis 20 ans. Ces accords ont organisé une baisse de leur rendement instantané : un salarié acquiert environ 1,5 fois moins de droits en 2015 qu’en 1993 avec le même euro de cotisation. Cette baisse a été en partie compensée par l’augmentation des taux de cotisation ». Une condamnation de l’instabilité et de l’inefficacité des régimes. En réalité, les difficultés et les « ajustements » successifs ont commencé bien avant 1993, comme le montrent les tableaux des évolutions des paramètres de fonctionnement des deux régimes Agirc et Arrco de 1973 à 2015.

Une chute spectaculaire des rendements des régimes de 1973 à 2000

Laissant derrière elle les « trente glorieuses », la période 1973-1993 a débuté par la première grande crise pétrolière et un bond géant des prix des hydrocarbures qui a entravé la croissance des économies occidentales. Pendant ces 20 ans, à l’Agirc : - le salaire de référence a été revalorisé de + 17% de plus que la valeur du point de retraite ; - le taux d’appel a été relevé cinq fois, de 100% en 1973 à 117% en 1993. A l’Arrco : - le salaire de référence a été revalorisé de + 5% de plus que la valeur du point de retraite ; - en 6 paliers, le taux d’appel a été relevé de 107,5% en 1973 à 125% en 1993. Le rendement instantané du régime Agirc est descendu de 13,64% en 1973 à 9,97% en 1993. Celui de l’Arrco a reculé de 10,875 % à 9,075%.

Durant la courte période 1993-2000, des mesures drastiques ont été décidées par les « pilotes » de l’Agirc et de l’Arrco avec les accords de 1993, 1994 et 1996. Cette période, commencée avec un rapport démographique affaibli et une croissance à la peine, a vu celle-ci s’envoler en 1997 et le PIB atteindre des sommets lors de « la bulle Internet de l’an 2000 ». Malgré le « coup de pouce » donné par la réforme Balladur de 1993, un vent de panique semble avoir soufflé sur les deux régimes complémentaires. En 8 ans, alors que l’IPC a augmenté de + 12,3%, le salaire de référence a été majoré de + 37,2% à l’Agirc et de + 40,6% à l’Arrco. Ceci, pendant que la pression était mise sur les valeurs des points de retraites. Celle du point de l’Agirc n’a progressé que de + 5,2% pendant la période. A l’Arrco, les valeurs des points de retraite des caisses ont été revalorisées de l’ordre de 8%, en moyenne.  Ainsi, en termes réels, la valeur du point Agirc a perdu – 6,7% et celle du point Arrco, – 4%. Le taux d’appel de l’Arrco a rejoint celui de l’Agirc à 125%. Le rendement de l’Agirc a encore perdu – 28,2% entre 1993 et 2000, descendant à 7,151% cette dernière année, tandis que le rendement de l’Arrco a baissé de – 22,4% et s’est établi à 7, 040% en 2000. 

Les deux régimes ont également commencé à « toucher » aux taux des cotisations retraite. Et pas marginalement ! Par « touches » successives, l’Agirc a fait monter son taux, qui était de 8% jusqu’en 1993, à 10% en 1994, puis jusqu’à 16% en 1999. De son côté, l’Arrco a fait passer son taux, jusque là de 4%, à 6% en 1999. Puis, en 2000, le régime a porté ce taux à 10% sur les revenus de la tranche T2.

Ces « mesures », qui s’apparentent à une fuite en avant, ont affecté les revenus nets des cotisants et des retraités. Elles semblent cependant être « passées comme des lettres à la poste ». Pour sauver les régimes complémentaires en souffrance, elles en ont alourdi leurs poids et ont ainsi contribué à majorer celui des prélèvements obligatoires. Les taux de cotisation de l’Agirc ont ensuite augmenté de fractions de % à partir de 2005. Le taux de la tranche 2 de l’Arrco a été haussé par paliers pour atteindre 16% en 2005 et monter de quelques fractions de % 9 ans plus tard.

Dérégulation, contreperformances et convergence de 2000 à 2019 :

De 2000 à 2010, les « paramétrages » ont été coordonnés. Dans les deux régimes, le taux d’appel n’a pas été changé et les valeurs des points de retraite ont, à très peu de choses près, augmenté au rythme de l’inflation, soit de + 17% environ. A l’Agirc comme à l’Arrco, le salaire de référence a été revalorisé de + 24,9%. En 10 ans, l’écart entre le prix d’acquisition du point et sa valeur de service s’est ainsi creusé de plus de 6%. Les rendements des deux régimes ont décru dans les mêmes proportions pour atteindre 6,70% à l’Agirc et 6,58% à l’Arrco en 2010.

En 2003 et en 2010, les réformes Fillon et Woerth ont donné d’appréciables coups de pouce aux complémentaires.

Mais, depuis les années 2005, la grande vague [peut-être mal anticipée] des « baby-boomers » de l’après guerre de 1939-1945 a déferlé venant grossir les rangs des retraités. Et la crise économique et financière, à son apogée en France en 2010, a provoqué le désarroi et suscité le dérèglement (et/ou la dérégulation) des paramétrages du régime de base et des régimes de retraites complémentaires des salariés du secteur privé.

De 2010 à 2018, l’Agirc et l’Arrco ont abandonné le principe de revalorisation de la valeur des points de retraite en fonction de l’inflation dès 2010 :

Agirc : du 1er avril 2010 au 1er avril 2013, la valeur du point de retraite a été revalorisée de 0,4216 € à 0,4352 €, soit de + 3,2%. Ensuite, elle a été gelée à ce niveau jusqu’à fin octobre 2018. Pendant ce temps, d’avril 2010 à octobre 2018, l’IPC sans tabac a augmenté de + 8,6%. En termes réels, la valeur du point à baissé de – 5,2%... les retraités ayant aussi perdu du pouvoir d’achat pendant 8 ans.

Arrco : Même combat, la valeur du point de retraite est montée de 1,1884 € en avril 2010 à 1,2513 € en avril 2013, soit de + 5,3%, puis a été gelée pendant plus de 5 ans. Sa valeur réelle a ainsi perdu – 3,1% entre 2010 et 2018.

Ensuite : mêmes revalorisations pour l’Agirc et l’Arrco : + 0,60% au 1er novembre 2018, et + 1% au 1er novembre 2019, soit + 1,6% au total, pour arriver à une valeur commune du point Agirc-Arrco de 1,2714 € (supérieure de + 7% à celle de l’Arrco en avril 2010) qui ne bougera pas jusqu’à fin octobre 2020. Du côté de l’inflation, l’IPC a crû de + 0,8% pendant les 11 mois de novembre 2018 à octobre 2019. D’ici octobre 2020, il est peu probable qu’il augmente de moins de + 1%. Ainsi, la revalorisation du point d’indice Agirc-Arrco serait voisine du taux de l’inflation.

Le renchérissement du salaire de référence s’est poursuivi :

Agirc : Au 1er avril 2010, le salaire de référence était de 5,0249 €. Au 1er novembre 2018, après 6 revalorisations, son montant a atteint 5,8166 €, soit + 15,6% de plus qu’en avril 2010. Ainsi, l’écart entre la « revalorisation » du salaire de référence et celle du point de retraite a été de + 12%.

Arrco : Au 1er avril 2010, le salaire de référence était de 14,4047 €. Au 1er novembre 2018, il était monté à 16,7229 €, soit à + 16,1% de plus qu’en avril 2010. Par rapport à la revalorisation du point de retraite, l’écart est de + 10,2%

Agirc-Arrco : fixé à 17,0571 € en 2019, le salaire de référence Agirc-Arrco a été porté à 17,382 € au 1er novembre 2019. Il est supérieur de + 20,7% à celui de l’Arrco fixé au 1er avril 2010… et de + 20,2% à celui de l’Agirc à la même date. Par rapport à la revalorisation des points de retraite les écarts sont respectivement de + 12,8% et + 12,2%.

Un point de service de retraite nettement plus cher qu’il n’y parait

Non, le prix d’acquisition du point de service de retraite n’est pas le salaire de référence, et le nombre de points de retraite acquis n’est pas le montant cotisé chaque mois divisé par ce salaire de référence. Ce serait trop simple et clair, transparent ! En réalité, la cotisation retraite comprend une partie « utile » (ou « efficace) permettant d’acquérir des points de retraite + des suppléments qui n’ouvrent pas de droits au cotisant.

Sur le site Internet de SPAC Actuaires (3), société de Conseil en actuariat aux entreprises et aux institutions, en particulier dans les domaines de la retraite, se trouvent des explications précises sur les cotisations Agirc-Arrco, sur les salaires de référence et sur les valeurs des points, avec leur historique, ainsi que l’évaluation des rendements des deux régimes de 2000 à 2018, ainsi que du régime après fusion en 2019.

En 2019, dans le régime fusionné, comme dans les régimes avant la fusion, les taux de cotisations « contractuels » ouvrent des droits à des points de retraite. Ils sont de 6,20% sur la tranche 1 du salaire brut (SB), qui va de 0 jusqu’à 1 plafond de la Sécurité sociale (PASS), de 3 377 € mensuels. Ils sont de 17% sur la tranche 2 du SB, qui va de 1 PASS à 8 PASS, soit à 27 016 € mensuels.  Ce taux de 17% est un peu supérieur à celui de 2018.

A la cotisation contractuelle est appliqué un « taux d’appel » de 127% qui porte les taux précédents à 7,87% sur la tranche 1 et à 21,59% sur la tranche 2… Sans acquisition de points de retraite.

Egalement sans donner de points de retraite, s’ajoutent encore : - une Contribution d’Equilibre Technique (CET) de 0,35% du SB supérieur ou égal au PASS ; - une Contribution d’Equilibre Général (CEG) de 2,35% sur la Tranche 1 du SB et de 2,70% sur la tranche 2.

Ainsi, au total, la cotisation effective atteint : - pour les salaires inférieurs au PASS : 10,02% sur la tranche 1 et 24,29% sur la tranche 2 ; - pour les salaires supérieurs ou égaux au PASS : 10,37% sur la tranche 1 et 24,54% sur la tranche 2. Ces cotisations sont partagées à raison de 60% à la charge de l’employeur et de 40% à celle du salarié.

La partie de la cotisation qui n’ouvre pas de droits à des points de retraite est donc supérieure à 23% du montant de la cotisation. On notera que c’est nettement plus que les 10% [réalistes ???] prévus pour le futur système « universel » dans le rapport Delevoye.

Ses constituants sont également des « leviers » utilisés par ce type de régimes à points pour majorer les cotisations sans accorder de points supplémentaires. De la sorte, le taux d’appel  (qui était de 100% en 1973) est monté de 125% en 2018 à 127% en 2019. Pour sa part, la CEG a été relevée de 2,00% à 2,15% sur la tranche 1 du SB et de 2,20% à 2,70% sur la tranche B. Il n’y a pas de petites « rapines », ni de plus grandes. Décidément, ce régime à points comprend une boite à outils très « étudiée » pour l’équilibrer financièrement, « en toute discrétion ».

Rendement en forte baisse et perte de pouvoir d’achat des retraités

Calculés avec une valeur d’acquisition du point de retraite égale à la valeur d’appel (3), les taux de rendement du régime Agirc et de l’Arrco sont descendus tous deux à 5,99% en 2018. En 2019, le rendement du régime fusionné a encore été abaissé, puisqu’il est de 5,81%, réduit de – 18% par rapport à 2000. Un calcul tenant compte des majorations des cotisations à l’aide des CET et CEG, révèlerait un rendement du régime encore plus faible en 2019.

Associée à la perte de pouvoir d’achat des retraités, cette baisse est un des réponses principales de ces régimes à points à la détérioration des ratios cotisants / retraités, ainsi qu’à la faible croissance de l’économie. Ceci pour défendre l’équilibre et maintenir en vie les régimes. Le prix parait élevé.

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Annexe

Retraite à taux plein Agirc-Arrco à partir du 1er janvier 2019 : un âge pivot de 67 ans

Dans le régime de retraite de base des salariés du privé, l’âge légal de la retraite est 62 ans. A partir de cet âge, pour bénéficier d’une retraite à taux plein, les personnes nées de 1958 à 1960 (qui auront ou approcheront l’âge de 62 ans en 2020) devront avoir cotisé au moins 167 trimestres (soit 41 ans et trois trimestres). Pour celles nées de 1961 à 1963, le nombre de trimestres cotisés requis pour le taux plein sera de 168 (42 ans). Pour celles nées à partir de 1973, il faudra 43 ans de cotisations.

Dans le régime de retraite complémentaire Agirc-Arrco, il vous est possible de bénéficier du taux plein sans condition de durée d’activité à l’âge de 67 ans si vous êtes né en 1955 ou avant (et avez 65 ans ou plus en 2020).

Vous pouvez aussi bénéficier de la retraite complémentaire à taux plein si vous avez atteint l’âge légal de 62 ans et si vous avez acquis le nombre de trimestres nécessaires pour obtenir la retraite de base à taux plein (cf. ci-dessus). MAIS, depuis le 1er janvier 2019, le régime Agirc-Arrco comporte « un dispositif de majoration/minoration temporaire qui complète les conditions de départ existantes » (12). Trois situations sont prévues :

. si vous demandez votre retraite complémentaire (RC) à la date d’obtention du taux plein au régime de base, votre pension complémentaire sera minorée de - 10% pendant 3 ans ou jusqu’à ce que vous ayez atteint l’âge de 67 ans ;

. si vous demandez votre RC un an après la date d’obtention du TP au régime de base, votre pension ne subira pas de minoration ;

. une majoration de votre pension de + 10%, de + 20% ou de + 30% vous sera accordée si vous décalez la liquidation de votre retraite complémentaire de 2 ans, 3 ans ou 4 ans.

Des aménagements et des exonérations de la « minoration » sont prévus pour les retraités exonérés de la CSG ou bénéficiant de taux réduits, pour les retraités handicapés, au titre de l’inaptitude, pour les retraités ayant une incapacité permanente suite à un accident du travail ou une maladie professionnelle, pour les aidants familiaux, etc.

Il est possible d’accéder à une retraite complémentaire à taux minoré à partir de 57 ans. Une minoration définitive (pour toute la durée de la retraite), fonction de l’âge, est alors appliquée. Elle est nulle pour une personne de 67 ans ou plus. Elle est de – 43% du montant de la pension pour une personne ayant 57 ans.

Sources et références

(1) Evolution des conditions d’acquisition des droits dans les régimes complémentaires depuis 1993 : impacts sur les pensions à la liquidation     cor-retraites.fr/sites/defaut/files/2019-06/doc-3732.pdf

 (2) Retraites : les différentes réformes de 1993 à 2014    vie-publique.fr/eclairage/20111-retraites-les-différentes…    le 28/09/2018

 (3) AGIRC-ARRCO : Historique des valeurs de points – SPAC Actuaires    spac-actuaires.fr/lexique/agirc-arrco-historique…    le 13/12/2019

(4) Retraite complémentaire : une organisation paritaire + un pilotage paritaire I Agirc – Arrco     agirc-arrco.fr/qui –sommes-nous… 

(5) Le pilotage des réserves dans les régimes complémentaires en répartition    cahiers.laretraitecomplementaire.fr/actualites/detail/actu…  le 23/12/2016

(6) Principaux régimes de retraite en France en 1950   persee.fr/docAsPDF/pop_0032_4663_1969_nem_44_6_3525.pdf

(7) Cotisants, retraités et rapport démographique du régime général de 1975 à 2015    TEF Insee     insee.fr/fr/statistiques/3303437 ? sommaire…

(8) Garantir l’avenir des retraites complémentaires des salariés (AGIRC et ARRCO) – décembre 2014     Cour des comptes

(9) Comptes combinés de l’Agirc par domaine d’activité     Fédération Agirc – Rapport de gestion – Exercice 2018

(10) Comptes combinés de l’Arrco par domaine d’activité     Fédération Arrco – Rapport de gestion – Exercice 2018

(11) L’Agirc-Arrco sur la voie de l’équilibre financier     Communiqué de presse agirc-arrco     le 27/06/2019

(12) Retraite : conditions d’ouverture des droits I  Agirc-Arrco      agirc-arrco.fr/demander-retraite/conditions…    25/12/2019

 

© 11.01.2020