M. Claude FRÉMONT

ancien directeur de la cpam de Nantes, auteur du livre Adieu Sécu

par Christine ALFARGE

 «En France, la création de la Sécurité sociale

incarne un des grands idéaux de la Libération.»

Selon l’article 1er de l’ordonnance du 4 octobre1945 : Il est institué une organisation de la Sécurité sociale destinée à garantir les travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de gain, à couvrir les charges de maternité et les charges de famille qu’ils supportent. L’organisation de la Sécurité sociale est composée de quatre branches :

- la branche maladie gérée par la Caisse primaire d'assurance maladie (cpam) ;

- la branche famille gérée par la Caisse des allocations familiales (cnaf) ;

- la branche recouvrement, l'acoss(Agence centrale des organismes de sécurité sociale) ;

- la branche vieillesse gérée par la Caisse nationale d'assurance vieillesse (cnav) 

Leur financement repose sur les cotisations sociales. L’expérience de Claude Frémonttémoin et acteur de terrain est empreint de désenchantement, celui qui rejoint la Sécurité sociale en 1975 et devient le directeur de la Caisse primaire d’assurance maladie de Nantes en 1989 nous explique que pour lui Adieu sécu a un double sens, sa forte personnalité le conduit notamment à dénoncer des pratiques et des dysfonctionnements au sein de la cpam. Cette force d’opposition qu’il incarne face au système le mènera finalement à démissionner mais ce combat qui lui tient tant à coeur continuera à travers son livre Adieu Sécu. 

La protection sociale est-elle menacée ?

Avec la hausse du chômage, la protection sociale n’est plus considérée comme un facteur de croissance mais comme un coût. Le système d’assurance maladie reste toujours déficitaire, aujourd’hui son chiffre gravite autour de 5,9 milliards de déficit. Une logique inégalitaire s’est installée sur l’accès aux soins et prend le pas sur la recherche d’une amélioration de l’efficacité du système pour le bien de tous.

Pourquoi ?

La protection sociale n’est pas seulement un élément essentiel de notre modèle social, c’est aussi un rouage déterminent de la machine économique. Les français consacrent chaque année pour la protection sociale environ un tiers de la richesse produite ce qui est plus élevé que le budget de l’État lui-même, se pose alors une réflexion sur la fonction économique de la protection sociale.

Doit-elle être considérée comme un coût ?

Paradoxalement, au moment où le développement du chômage rend le maintien d’un système de protection sociale plus que jamais nécessaire celle-ci n’est plus considérée comme un facteur d’efficacité économique, mais comme un coût. Les entreprises se plaignent de supporter des charges sociales trop importantes, les gouvernants qui ne parlent plus que de compétitivité, stigmatisent le coût du travail comme une des causes de la hausse du chômage. Quant aux salariés, ils se voient amputés en permanence de cotisations supplémentaires sur leurs salaires bruts servant à financer la protection sociale, c’est ainsi que 40 % du financement de la Sécurité sociale est assurée par la csg (contribution sociale généralisée).

Pourtant la protection sociale joue un rôle régulateur fondamental dans une économie de marché. Elle contribue à stabiliser la conjoncture par la distribution de revenus dont le montant est indépendant du niveau de l’activité ce qui a permis depuis de nombreuses années à maintenir le niveau d’activité et d’emploi.

En France, on assiste à une constante de la dette depuis dix ans. Selon Claude Fremont: A-t-on raison de diaboliser les dépenses de santé en disant que cela représente 10 % de la richesse nationale, plus que les dépenses de défense ou d’éducation ? D’ici 2030, les français de plus de soixante ans auront augmenté de 60 %, idem pour ceux de plus de quatre-vingts ans. Le pire est devant nous. La santé est devenue une exigence pour les citoyens. De quelle manière la collectivité va prendre les mesures pour les dépenses de santé et lutter contre les abus et les gaspillages ?

Comment maîtriser les dépenses de santé ?

On ne peut dépenser que ce que l’on a, face à la nécessité de maîtriser l’augmentation des dépenses de protection sociale, il y a deux options. La première de tendance libérale consiste à revenir sur la prise en charge collective et obligatoire de la protection sociale et laisser le choix à chacun de son propre niveau de protection en se dirigeant vers des assurances privées, mais il faut être conscient que si le niveau des prélèvements obligatoires est réduit, cela ne réduit pas forcément le coût final pour chaque personne.

Si l’on prend l’exemple des États-Unis on voit bien que cette logique libérale est inégalitaire surtout pour les plus défavorisés qui ne bénéficient pas d’une assurance complémentaire ou d’une mutuelle et se trouvent exclus du système de santé. Cette même logique inégalitaire prône un système identique dans le domaine des retraites où les fonds de pension remettent en cause la place des systèmes obligatoires et collectifs basés sur la répartition. C’est le système à l’anglaise qui avantage les plus riches, ceux qui peuvent épargner une part importante de leurs revenus au détriment des plus démunis.

Une autre voie est possible pour améliorer le rapport qualité et coût du système notamment dans le domaine de la santé où l’on pourrait maintenir une offre de soin de qualité accessible à tous. Cela implique une volonté politique capable d’imposer des réformes sur les conditions d’exercice et les rémunérations du corps médical attaché à une pratique individualiste de leur spécialité. En matière de retraite, il est possible de sauver les systèmes de répartition qui sont plus menacés par le chômage de masse que par les perspectives démographiques.

Alors comment réformer ?

Le problème est épineux et rencontre un grand nombre de divergences sur les propositions, mais la solution n’est pas de casser le système collectif et obligatoire qui a permis aux personnes âgées de vivre avec des revenus décents, ni de stigmatiser les fonctionnaires pour mieux affaiblir l’Etat. Face au défi que représente le chômage de masse pour la protection sociale, soit la société est capable de donner un travail à chacun ou un statut lui accordant un droit légitime à un revenu (retraite ou autre) à condition que les dépenses soient contrôlées, soit le chômage et l’exclusion s’installent durablement dans le paysage social où les plus aisés optent pour la mise en place de leurs propres systèmes laissant à l’Etat la prise en charge des plus pauvres.

Révolution ou Refondation ?

Les évolutions vont creuser davantage les inégalités. La France est un des pays industrialisés où les prélèvements obligatoires sont les plus élevés. Comment faire pour les diminuer ? Car toute baisse des prélèvements obligatoires suppose en contrepartie de réduire les dépenses publiques. Il y a une contradiction difficile à gérer entre la nécessité de réduire le niveau des impôts et l’augmentation des besoins en dépenses collectives (éducation, santé, développement des infrastructures, environnement etc.). Car toutes ces dépenses sont financées en partie ou en totalité par l’impôt ou les cotisations sociales. Le problème de l’égalité aux soins va être un des chantiers les plus urgents à traiter pour la nouvelle gouvernance, elle devra faire face à ces deux enjeux vitaux pour la nation que sont l’emploi et la protection sociale.

Pour nous gaullistes et républicains sociaux, la protection sociale est avant tout un puissant facteur d’intégration sociale et un rempart pour chacun contre les risques de la vie. Elle est un élément crucial de l’ensemble de la productivité du pays qui repose sur la valeur travail et doit assurer l’accès aux soins et un revenu pour plus tard.

 
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