LIVRET A

 

 LIVRET A :

les petits épargnants paient pour le logement social

par Paul Kloboukoff

 

Il y a 46 millions de détenteurs du Livret A en 2007. Celui-ci n’est pas un des placements favoris des « riches », des « aisés ». L’assurance vie, notamment, offre des rémunérations plus élevées assorties d’avantages fiscaux notables lors des transmissions de patrimoines. D’où, son succès. Quand on lit que « plus de la moitié des livrets appartiennent à des gens aisés » (cf. Le Monde du 16 janvier 2008, interview de M. Michel Camdessus), on ne peut que s’étonner. Il y aurait plus de 23 millions de personnes « aisées » en France. Ceci, dans une population résidente totale de 63,2 millions en 2006 comptant moins de 52 millions de personnes de quinze ans et plus et environ 47 millions de personnes de vingt ans et plus (INSEE, TEF, édition 2007). Ainsi, près d’un adulte ou un majeur sur deux serait « aisé ». Voilà de quoi laisser pantois les dénonciateurs de la pauvreté et des inégalités croissantes.

 

Pour un particulier, le plafond des dépôts sur un Livret A est limité à 15.300 euros en fin 2007. Et ce relativement modeste plafond n’est atteint que sur 1,7 millions de livrets (cf. site Wikipédia). L’encours total (dépôts et intérêts cumulés) a atteint 116,5 milliards d’euros en novembre 2007 (Banque de France). Le montant moyen détenu par livret est de l’ordre de 2.500 euros, ou 16.000 francs. Cela confirme, s’il en était besoin, que le Livret A est bien un livret d’épargne populaire. Quand on fixe son taux d’intérêt à un niveau bas, ce sont les revenus et le pouvoir d’achat de nombreux petits épargnants, de catégories de populations dites modestes et défavorisées, que l’on prend en premier lieu dans le collimateur. Et ces personnes sont aussi des électeurs.

 

Les gouvernants, auxquels incombait la responsabilité de fixer ce taux, l’avaient bien compris. Surtout quand, après l’avoir fixé à 2,2 5% en 1999 et à 3 % en 2000, ils l’avaient à nouveau abaissé à 2,25 % en 2003. Non sans provoquer une « décollecte » et une baisse en valeur réelle du montant de l’encours du Livret A jusqu’en  fin 2007. Aussi, après étude en 2003, les gouvernants ont décidé qu’à partir du 1er juillet 2004 le taux du Livret A serait « dépolitisé ». Fini de pifométrer, en regardant le taux de l’inflation, d’un côté, et en soupesant ce que le livret pourrait rapporter à la Caisse des Dépôts comme argent peu cher pour financer le logement social, de l’autre côté. Une formule savante établirait désormais le taux d’intérêt du livret. Une formule qui devrait fleurer l’objectivité, arborer un look scientifique et technique, un brin ésotérique, de préférence, et être promise à une belle longévité pour convaincre les citoyens d’un choix juste et durable. Des citoyens qui, au demeurant, avaient déjà perdu la foi en la représentativité de l’Indice des Prix à la Consommation (IPC) de l’INSEE et dont certains ne pouvaient s’empêcher de mettre en parallèle le taux du Livret A et ceux, bien plus lourds, de leurs emprunts.

 

Finalement, il a été décrété que le taux d’intérêt du Livret A serait actualisé tous les six mois et qu’il prendrait alors la valeur de la moyenne arithmétique entre le taux d’augmentation (glissement) sur un an de l’IPC hors tabac et le taux EURIBOR à trois mois (taux interbancaire) mensuel moyen du mois précédent, majorée de 0,25 %… et arrondie au 0,25 % le plus proche. Décidé, mis en pratique, et cochon qui s’en dédit ! Il n’y a pas eu de grand débat, ni d’opposition mémorable, car chez nous on se tait et on s’incline devant la technocratie. Respect !

 

Et puis, au fond, porter atteinte aux revenus et au pouvoir d’achat de 46 millions d’épargnants n’est-il pas logique et bien perçu dans un pays où l’épargne et les épargnants sont honnis et où la fuite en avant par l’endettement et la dépense sont devenues les valeurs de la République sur lesquelles se fondent notre croissance et notre prospérité ? Si vous ajoutez à l’argumentaire que le prélèvement obligatoire qui va amputer la rémunération des épargnants du Livret A sera utilisé par la Caisse des Dépôts pour réduire les coûts des prêts au logement social, l’enthousiasme est presque garanti dans les tribunes de gauche et une ola pourrait même se lever dans les virages de droite. Les médias s’écrasent. Pour eux aussi, il n’est pas choquant que les petits épargnants, les modestes, les humbles, les silencieux paient pour le logement dit social et des locataires dont les revenus peuvent être supérieurs aux leurs. Rappelons que le recensement de l’INSEE de 1999 avait révélé que plus de 30 % des ménages logés en HLM avaient des revenus dépassant le revenu médian français et que 13% faisaient partie des 30% des ménages les plus « riches » (8e, 9e et 10e déciles de revenus). Aujourd’hui, plus personne ne peut ignorer que le « logement social » héberge des locataires (et aussi des sous-locataires, d’ailleurs) qui n’y ont vraiment pas leur place. Le clientélisme a sévi. Le ménage ne fait que commencer et il ne semble pas aller bien vite. Seuls quelques cas de logements sociaux de luxe sont exhibés et leurs locataires stigmatisés.

 

Dans ces conditions et ce contexte, le taux d’intérêt du Livret A est resté scotché à 2, 25 % en 2003, en 2004 et jusqu’au 1er août 2005. Il a alors été descendu, ou abattu, à 2 %, niveau plancher record, puis est revenu à 2,25 % au 1er février 2006. Pendant ces trois ans, les tenants des taux bas ont joué sur du velours. L’indice de l’INSEE, de plus en plus contesté, a oscillé plutôt en dessous des + 2 % annuels. Et le taux EURIBOR est resté très faible. Il a suivi en cela le taux directeur de refinancement fixé par la Banque centrale européenne (BCE) par lequel il est assez étroitement influencé. Notre « marché monétaire » est, en effet, en grande partie régi par les décisions et les interventions de la BCE relayées par les banques centrales nationales. Ensuite, la Banque de France a relevé le taux du Livret A à 2,75 % au 1er août 2006, puis à 3 % au 1er août 2007. Par la faute de, ou grâce à l’EURIBOR et au taux directeur de la BCE. Le « subprime » américain n’avait pas encore frappé ici.

Au 1er février  2008, la formule choisie en 2004 devait conduire à fixer le taux d’intérêt du Livret A à 4 % en raison d’une inflation de + 2,6 % sur les douze derniers mois et d’un taux EURIBOR trois mois à 4,83 % en décembre 2007. Soit (2,6 + 4,83) / 2 + 0,25 = 3,965 %… arrondi à 4 %.

 

« 4% pour un placement sans risque de rentiers, c’est insensé ! » ont clamé les voix habituelles, tremblantes d’indignation… encore prêtes à prôner des investissements juteux en bourse, sans doute. « Le financement du logement social est menacé » a-t-on pu lire. Et ont été brandis le manque de logements, le coût élevé des acquisitions et des loyers, la loi Solidarité et Rénovation Urbaine (SRU), la loi de cohésion sociale, d’autres objectifs et des programmes annoncés ainsi que le droit au logement opposable. Comme si le prélèvement obligatoire opéré sur le dos des détenteurs du Livret A était d’un poids déterminant dans les ressources consacrées au logement social. L’encours du Livret A étant inférieur à 120 milliards d’euros, on s’attendrait à ce que 0,25 % ou 0,50 % de cette somme, sur une durée de un an, ne dépassent pas respectivement 300 millions et 600 millions d’euros. Un tel grattage ne peut rapporter qu’une somme minime par rapport à l’ensemble des dépenses et du manque à gagner publics consentis en faveur du logement social. 35 milliards d’euros en 2002, c’est l’ordre de grandeur  auquel  je les ai évalués et que j’ai indiqué dans mon essai Rénover la gouvernance économique et sociale de la France. Cela ne veut pas dire pour autant que les « ressources » tirées du Livret A sont négligeables pour le Gouvernement. Si celui-ci doit les « compenser », l’équilibre budgétaire public, déjà très menacé par d’autres dépenses additionnelles et une croissance ralentie, devient encore plus fragile.

 

Finalement, à deux mois des élections municipales, le Gouvernement a décidé de fixer le taux d’intérêt du Livret A à 3,5 %. Il a ainsi mis une fin abrupte à la « dépolitisation » décidée en 2004. Au détriment des détenteurs du livret. Ce faisant, il a rompu un engagement public antérieur. Ce qui est évidemment négatif. Toute nouvelle tentative technocratique de même but s’en trouve d’avance décrédibilisée. Ceci, d’autant plus que les instigateurs de la formule magique n’ont pas imaginé que le taux de l’EURIBOR à trois mois pouvait croître, comme il l’a fait depuis la fin de l’année 2006. Pourtant, il lui était déjà arrivé de dépasser 5 % dans un passé récent. Personnellement, je considère que ce type d’expérimentation ne doit pas être renouvelé et que les gouvernants ne doivent plus se décharger de responsabilités qui ne peuvent relever que du Gouvernement et du Parlement.

 

Il est temps aussi de mettre fin à cette pratique injuste et hypocrite consistant à ponctionner les épargnants, parmi lesquels il y a beaucoup de « petits », pour abaisser le coût du crédit au logement « social ». Il n’y pas de raison objective pour qu’ils soldent l’addition. Il n’y a pas, non plus, de raison valable pour que l’on continue d’opacifier le financement du logement social autant qu’on l’a fait. La transparence est nécessaire. Il peut être légitime de consacrer une part substantielle des ressources nationales au logement, et au logement social, en particulier ; il faut que les citoyens sachent combien, comment et quels sont les bénéficiaires réels. S’il est jugé judicieux de bonifier des prêts à des « investisseurs » publics ou privés ou à des gestionnaires de HLM, il appartient à l’État de le faire en mobilisant les ressources publiques nécessaires par une fiscalité républicaine, sans combines ni discriminations, et non en pénalisant telle ou telle autre catégorie de citoyens, innocents, de surcroît.

            

Actuellement seuls les Caisses d’Epargne (CE), la Banque postale (BP) et le Crédit Mutuel  (CM) sont habilités à distribuer le Livret A. Les autres banques, arguant de concurrence déloyale, réclament le même droit et des rémunérations analogues (commissions indiquées par M Camdessus de 1,3% pour la BP et 1% pour les CE) . Une décision de la Commission de Bruxelles du 10 mai 2007 a donné neuf mois à la France pour ouvrir les Livrets A et Bleu à la concurrence. Malgré les arguments avancés sur le Service d’Intérêt Économique Général (SIEG) constitué par le financement du logement social. Le moment paraît donc indiqué pour revoir avec un œil neuf :

- la question de la rémunération du Livret A et des autres produits de l’épargne réglementée, en ne perdant pas de vue que la France a besoin de développer une épargne stable, et donc correctement rémunérée, avec la participation du plus grand nombre ; l’actualité financière et boursière devrait nous rappeler à l’ordre à ce sujet ;

- le financement public du logement, de façon à le rendre transparent et compréhensible dans tous ses compartiments ; il est aussi très souhaitable de fixer des objectifs réalistes, précis et circonscrits, dont les réalisations dépendent effectivement des pouvoirs publics, dont tous les moyens à mettre en oeuvre ont été complètement identifiés et chiffrés, y compris les incitations financières aux agents économiques avec les impacts qui peuvent en être raisonnablement attendus, et pour lesquels les ressources budgétaires idoines peuvent être réservées, sans impasse ; on peut se demander si la loi Solidarité et Rénovation Urbaine (SRU) et le droit opposable au logement pour tous, par exemple, remplissent d’aussi rigoureuses (ou élémentaires ?) conditions.

 
Réagir à l'article : 02.02.2008

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