Le mardi 13 mai 2008, le Centre d’Histoire de Science-Po a organisé une journée sur Mai 1958 et Le Retour du Général de Gaulle au cours de laquelle des professeurs de Science-Po comme MM J-P Thomas, P. Girard, et MM G. Le Beguec (Paris X), M. Rahal, (CNRS), J. Frémaux (Paris IV), O. Dard (Metz), B. Lachaise (Bordeaux), J. Pozzi (Nancy), P. Girard (Florence) et S. Berstein (Institut d’études politiques de Paris) sont intervenus sous la présidence générale de M. J-F Sirinelli. Le matin présida M A. Larcan (Conseil scientifique de la Fondation Ch. de Gaulle et l’après-midi présida M Maurice Vaïsse (Institut d’études politiques de Paris. Plusieurs invités prirent plusieurs fois la parole comme Mmes Simone Bruneau et Arlette de La Loyére et MM Pierre Lefranc, Michel Anfrol et J. Dauer.

 

 

 

 

 

1958… 1968

 

Beaucoup de livres ont traité des événements de mai 58. Avec mon ami Michel Rodet, nous avons fait une relation des événements qui les ont précédés dans un ouvrage intitulé Le 13 Mai sans complots. Le texte ci-dessous se réfère, par la mémoire, à cette relation. Il peut y avoir quelques erreurs dans les noms ou les événements, des oublis… mais j’ai désiré une relation de ces jours historiques tels que, cinquante après, ils me reviennent en mémoire. Dans un autre livre, Le Hussard du Général, écrit avec Stéphane Giocanti et paru avec une préface de Jean Charlot, nous avons entretenu le lecteur, singulier parallèle entre autres, de mai 68. De plus, les Archives historiques contemporaines de Sciences-po ont l’ensemble des écrits parus depuis 1952.

 

Jacques Dauer

 

Lorsque le Général de Gaulle mit en sommeil le Rassemblement, les jeunes du RPF se retrouvèrent quelque peu désemparés. Il fallait trouver le moyen de se regrouper. Nous décidâmes de créer un journal. Ce journal s’appela Le Télégramme de Paris. Son tirage fut dans les premiers mois d’environ 10 à 20.000 exemplaires (avec l’honneur d’un article de Léon Noël, ambassadeur de France, pour le premier numéro) pour arriver à un tirage à 45.000 exemplaires en 1957-1958. Il nous permit non seulement de nous regrouper, mais il créa des « pôles » d’animation dans les différentes régions françaises. Environ une quarantaine. Des jeunes au départ. Une manifestation nous amusa énormément. À Besançon, un groupe de nos amis dessina sur la pelouse du stade de football deux immenses Croix de Lorraine avec un produit, qui tînt les pelouses avec les deux Croix quelques semaines. En 1957, des personnes plus âgées nous rejoignirent. Souvent des Français libres. Je pense au général de Rendinger qui fut d’un apport intellectuel admirable, au général Lanusse, à René Lucien, grand industriel parisien, à André Astoux, Vion, Maurice Bardet, André Fanton, André Valigny, etc., etc. Certains apportèrent une aide financière qui permit non seulement de payer l’impression du journal mais aussi de faire de très nombreux voyages en province. À la fin d’octobre 1957, nous nous mîmes, sur Paris, à écrire à la craie sur les murs : Appelons de Gaulle. Ce fut une réussite qui nous amena de nouveaux militants. Nous décidâmes alors de sortir une affichette, 21x27 cm, représentant quelque peu un télégramme avec encore l’inscription Appelons de Gaulle. Environ une trentaine de mille d’exemplaires que nous collâmes sur Paris et en Province. Nous avions pris l’habitude de nous rencontrer une ou deux fois par trimestre, à Paris à une dizaine d’abord, à une quarantaine en janvier 1958. Nous nous efforcions au début de mettre en place un militantisme, puis d’organiser différentes manifestations. En janvier 1958, nous prîmes des décisions importantes.

 

 

La première fut d’imprimer une affiche d’environ 56x76 cm, représentant un jeune ouvrier, les bras ouverts tendus vers le ciel, avec au-dessous la phrase qui semblait retenir l’attention des militants, Appelons de Gaulle, en assez gros pour que ce soit lisible de loin. Cette affiche, dont le tirage fut de 350/400.000 exemplaires, sera distribuée à nos représentants de province. Il fut aussi décidé que ces affiches ne seraient pas gratuites, chacun donnant ce qu’il pouvait. Nous savions qu’un affichage, pour être efficace, devait être payé par ceux qui les collaient. La seconde était que le déclenchement de notre action se ferait le quatrième jour après la prochaine démission du gouvernement et qu’à partir de ce moment nous n’arrêterions plus notre action.

 

La troisième portait sur nos possibilités de liaison. Un de ceux qui venait à ces réunions et qui ne parlait guère, prit ce jour-là la parole pour nous proposer d’utiliser entre autres le téléphone de la SNCF.Ce compagnon, Cayrecasstel, était membre de cette société et d’autre part il avait appartenu au réseau de Résistance-Rail. Nous retînmes sa proposition et le chargeâmes de la mise en place. À la rencontre du mois de mars, tout était au point, y compris les relations avec les différents responsables des régions.

 

À la réunion du mois de Mars, l’ensemble de ces dispositions fut revu et mis au point que nous avions la confirmation des « complots » d’activistes, de fascistes et même de certains éléments gaullistes, y compris des politiques. En avril, quand le ministère Gaillard tomba, dans la nuit du quatrième jour, toutes les affiches furent collées. À Paris, nous décidâmes de préparer une troisième affiche, de même format que la précédente, représentant à la place du jeune ouvrier, La République de Rude qui se trouve sur l’Arc de Triomphe. Nous la tirâmes à environ 150.000 exemplaires. Vers le 20 avril, nous reçûmes un appel téléphonique de Lucien Neuwirth, nous demandant pour l’Algérie une trentaine de mille d’affiches. C’est Léon Delbecque, membre du cabinet de Chaban-Delmas en Algérie, qui vint les chercher le 27 avril, je crois !

 

L’activité militante continua jusqu’à la fin mai. Mais nous étions des politiques et pendant ces deux années nous n’avions cessé cette activité, d’abord dans la parution mensuelle de notre journal, ensuite en nous rendant en province, enfin en écrivant des articles pour différents journaux. Le plus ouvert fut Combat où Henri Smadja nous ouvrit souvent ses colonnes. Il me faut aussi mentionner les communiqués de presse que nous expédions et qui furent souvent repris dans la presse parisienne, Le Monde en particulier, et aussi, grâce à nos correspondants, dans la presse provinciale. Mais nous avions une autre conception de l’activité politique. Nous étions contre les mouvements de jeunes au sein des partis, car cela permettait en fait de les tenir à l’écart de l’action politique tout en s’en servant quand il y avait besoin. À cela s’ajouta la création d’un mouvement étudiant qui, lui, était plus proche des hommes politiques. Je me souviens que dans le XIe arrondissement de Paris, la permanence du RPF devait être nettoyée, balayée tous les jours, mais cela se faisait seulement le jeudi parce que c’était le jour des jeunes. J’intervins alors vigoureusement, après avoir prévenu le responsable du XIe. Trois semaines plus tard, les jeunes purent enfin discuter de leur activité sans « l’esclavage » du nettoiement.

 

C’est pourquoi dans notre organisation, jeunes et moins jeunes, jeunes travailleurs et étudiants, se retrouvèrent ensemble, les responsabilités étant assurées par ceux qui étaient les plus disponibles, voire les plus compétents. À cet égard faire la différence entre jeunes travailleurs et étudiants est une hérésie. Si les jeunes travailleurs ne peuvent, parfois, parler, écrire, agir qu’après quelques années, les étudiants ont souvent une formation que leur permet de parler, d’écrire et d’agir sans attendre, mais cela ne va pas forcément dans le bon sens.

 

En 1958, quand le cabinet Gaillard tombe, notre action commence et l’on arrive très rapidement au mois de mai. Le 13 mai, notre action est lancée au grand jour. Mais il nous fallait rencontrer nos responsables. D’autant plus, que nous savions que jamais le Général de Gaulle n’accepterait de revenir au pouvoir hors de la légalité. Contrairement à d’autres, fort nombreux malheureusement, qui voulurent se servir de nous pour la conquête du pouvoir ! Les rencontres quasi mensuelles que le Général m’accordait me convainquaient que j’avais raison. L’équipe que nous formions m’approuva et nous restâmes en dehors des activités politiciennes, avec le risque de réussir sans que cela soit plus tard reconnu. Mais revenons à notre action militante. Le 15 mai, nous apprenons que le Général doit faire une déclaration, qui sera distribuée à la presse vers 18 heures par l’aide de camp du Général, le colonel de Bonneval. Nous décidons de nous procurer ladite déclaration et surtout nous prenons langue avec notre imprimeur Marc Gutkin, président des Anciens combattants juifs, et, vers 21 heures nos équipes vont l’afficher sur les murs de Paris. Quelques « problèmes » se posent et nous faisons appel aux anciens combattants, notamment juifs grâce à Gutkin qui appelle, pour aider à la protection d’anciens membres de l’Irgoun.

 

Nous ne pouvons oublier l’aide militante de Compagnons de la Libération qui dans leur lutte au sein des Français libres, présidés par le général de Larminat, eurent une action déterminante qui a été malheureusement oubliée. Chaque fois que nous le pouvions, surtout à Cerdon, où le Général devait se rendre, nous organisions un déplacement en plusieurs cars pour donner à l’événement une audience la plus importante possible. La manifestation de Cerdon fut d’ailleurs particulièrement bénéfique dans la mesure où nous prîmes de nombreux contacts notamment l’Alsace avec André Bord, les Charentes avec le Dr Verliac, ancien de la France libre, l’Ain avec Boccadoro un ancien du commando Kieffer, etc. ce qui étendit le champ de nos activités, de notre action et par là même de notre efficacité.

 

Nous visitions nuit et jour nos amis. À Rouen, où notre responsable, un jeune de vingt-cinq ans, grâce au commissaire principal, put écarter des jeunes et moins jeunes activistes qui risquaient d’entraîner des débordements. En Vendée, où notre responsable, qui deviendra plus tard député, envoya en Mayenne une vingtaine de militants pour traiter de la situation locale. Ils ne revinrent qu’une fois les problèmes locaux et nationaux réglés. Après Rouen, nous continuâmes sur Amiens et Arras, où nous demandâmes à nos amis de ne pas scier les fusils de chasse, ce qu’ils étaient en train de faire sous le prétexte que c’était plus efficace dans les combats de rues. Nous pûmes les convaincre que cela ne servirait à rien et que si la conception du Général de son retour au pouvoir pouvait être de faire peur, on devait éviter les actions apparemment révolutionnaires. Lille, Charleville, Longwy, Metz, Strasbourg où grâce à André Bord nous pûmes rencontrer des officiers français de l’autre côté du Rhin. Puis Nancy et retour à Paris. Nous repartîmes aussitôt vers Orléans, Macon, St Étienne, Lyon, Avignon, Marseille où nos amis étaient réunis autour de Jules Muracciole,

 

Compagnon de la Libération. Puis nous repartîmes vers Montpellier, Toulouse où nous convainquîmes Delnondedieu et Cathala et leurs amis d’éviter de prendre la préfecture par la force. Nous continuâmes sur Brouage, Fontaine-le-Comte, Angers, Tours et Paris. Pendant ce temps, nos amis Parisiens qui avaient été pour la plupart des soldats de la France libre, de la 2e DB ou de la 1ère Armée, se retrouvaient tous les soirs à la caserne de La Motte-Picquet où ils attendaient les ordres du colonel Parazols, en qui nous avions une totale confiance. Les jeunes, étudiants ou non, se retrouvaient groupés dans une dizaine d’appartements ; ils étaient environ 50 ou 60, avec comme mot d’ordre d’occuper le ministère de l’Information sur un appel téléphonique de ma part et notamment les bureaux et les téléphones, de façon que personne ne puisse appeler. Ce qui fut le cas aussi à Alger.

 

Nous avions le contact avec Alger, notamment par l’entremise du commandant Vitasse et du lieutenant de Larmorlay. Pendant ce temps se déroulaient les événements que l’on connaît. Le 29 mai, ce fut un jour et une nuit où tout risquait de se passer ; nous étions totalement mobilisés et prêts à agir en espérant… Le Général revint donc au pouvoir dans les meilleures conditions et selon sa conception de l’action politique et de la légitimité.

 

Comme nous l’avions pensée, notre action ne fut guère reconnue sauf d’homme comme Léon Noël, André Astoux, Lucien Neuwirth, Jules Muracciole, Léon Delbecque et quelques autres peu nombreux. De plus, que notre action soit reconnue ou pas, n’avait guère d’importance. Enre vanche, ce qui en avait c’était que l’action des jeunes soit reconnue. La guerre d’Algérie continuait. La plupart des étudiants nous quittèrent pour l’UNR ; les gens âgés, se retirèrent de l’action, mais nous pûmes continuer notre activité. Avec le regret, que la plupart des parlementaires républicainssociaux ne reconnurent pas notre activité. En fait ils avaient peur. Vraisemblablement nous étions trop jeunes et pas assez nombreux pour être pris en considération. Si avec Michel Debré, tout se passa correctement, le problème principal restait la guerre d’Algérie. Une fois les Accords d’Évian signés, Georges Pompidou prit la suite et nous eûmes un gouvernement quelque peu réactionnaire. Sur le plan social notamment, nous avons continué de défendre la Participation à laquelle nous étions particulièrement attachés et aussi d’intervenir problèmes de la jeunesse. Mais rien n’en résulta.

 

Le gouvernement n’était apte ni à l’entendre ni encore moins à la comprendre, sauf Malraux. Nous avons soutenu la bataille de Neuwirth en faveur de la pilule et nous avons cru à un moment que Lucien n’allait pas gagner…1968 est une année héritière de 1958 mais le gouvernement n’a pas voulu aller jusqu’au bout. Il n’a pas compris les relations intergénérationnelles. Nous avons été les seuls dès le 4 mai à apporter notre soutien au mouvement des étudiants, nous sommes été le seul mouvement à avoir écrit et diffusé un communiqué. Reproduit, notamment par Le Monde, qui compris et les soutint le mouvement. Le 6 mai au soir, tout était trop tard, malgré le préfet de Police, qui a été pourtant remarquable tout le mois. Les émeutes de la rue Saint-Jacques permirent aux trotskistes et aux éléments maoïstes de se placer au-devant de la scène. Les syndicats mettront quelque temps non pas pour rejoindre mais pour profiter des événements. Le gouvernement et la plupart des parlementaires, de droite et de gauche, eux, n’avaient rien compris et ils ont eu une attitude parfaitement réactionnaire.

 

Ils seront même rejoints quelques années plus tard par des tenants de mai 68 ! Le ridicule ne peut tuer ceux qui étaient des jeunes gens à l’époque et qui sont devenus des vieillards aujourd’hui, o combien ! Ils ne se souviennent même pas de ces imbéciles de parents qui venaient presque tous les matins leur apporter le petit-déjeuner. Aujourd’hui dans le monde occidental, il est de bon ton de considérer les autres pays, ceux du tiers-monde évidemment mais aussi des pays comme la Russie comme des nations tyranniques, voire totalitaires, surtout comme des nations corrompues. Pourtant, les Etats-Unis ou l’Italie, entre autres, feraient bien de se juger eux-mêmes. Ce sont des pays corrompus mais avec la « finesse » du monde dit évolué. L’évolution des « démocraties », le terme démocrassouille conviendrait mieux, n’a de leçons à donner à personne. Dans les années 1956-1958, j’ai eu l’occasion d’avoir des rapports avec l’Irgoun, avec des journalistes israéliens, comme Aaron ben Avigdor entre autres, et surtout à la fin de 1956 avec Menahem Begin. Nous eûmes une longue conversation, après qu’il eût rencontré le Général de Gaulle. Nous n’avons pas été souvent en accord avec ces personnes, mais ils avaient une vision de leur action à long terme. Maintenant, pour ce qui concerne Israël, non seulement nous sommes devant la corruption des « élites », mais nous sommes convaincus qu’ils n’ont plus cette vision à long terme. En France, malheureusement, nous savons que la vision est, elle aussi, à court terme et que la corruption n’épargne pas le milieu politique ni la fonction publique. La pire des corruptions, c’est la corruption morale, qui tôt ou tard entraîne l’autre.

 

N’oublions pas le MEDEF, issu de ce monde et qui se montre (l’UIMM) corrompu parmi les corrompus! En fait, les temps que nous vivons consacrent la victoire des politiciens, énarques et robins, sur les politiques. Aujourd’hui, cela ne cesse de s’amplifier… Mais le gaullisme existe toujours.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


10.6.2008

      Réagir à l'article :
 

HTML Web Counter