À propos du nouveau livre blanc « Défense et Sécurité nationale »
À propos du nouveau livre blanc « Défense et
Sécurité nationale »
ESPACES
STRATEGIQUES,
INTÉRÊTS
FONDAMENTAUX
ET CAPACITÉS
D’INTERVENTION
par François
Lardeau
S’il n’y a pas adéquation entre les
ambitions et les moyens,
le succès
ne sera pas au rendez-vous.
Général V. Desportes.
« Une stratégie nationale est par nature
autonome » selon le Général De Gaulle,
comme le rappelait Pierre Messmer. Le Général professait également que
« les alliances sont utiles et parfois nécessaires, mais elles ne sont pas
éternelles ; même bonnes et solides, elles s’usent, s’affaiblissent parce
que les hommes, les nations, le monde changent sans arrêt ». Dans la mesure
où l’ennemi de demain est inconnu, aussi bien dans ses intentions que dans ses
moyens, dates et lieux de ses agressions, il semblerait donc plus opérant pour
la France de se déterminer non pas par rapport à un ennemi hypothétique et
surgissant là où on ne l’attend pas,mais plutôt par rapport aux espaces dans lesquels se jouera assurément
son avenir.
Toujours selon le
Général, « toute stratégie nationale est une stratégie de moyens, et la
stratégie des moyens débouche sur une stratégie d’emploi de ces moyens ».
Tout dès lors est problème d’échelle, et, en première approche, on doit
commencer par identifier et différencier ce qui relève des seules
responsabilités et capacités nationales et ce qui, concernant des besoins et
nécessités partagés, ne peut être protégé qu’au sein d’alliances permanentes ou
conjoncturelles.
Pour être lucide et
cohérente et pour fixer les priorités, c’est-à-dire pour ne retenir que les
espaces où une intervention française doit être envisagée pour assurer la
sauvegarde d’intérêts vitaux, l’approche doit permettre d’identifier les
différents facteurs de risque, à savoir en premier, à partir de la connaissance
du milieu qui caractérise chaque espace concerné, terrestre ou maritime,
l’évolution des rapports historiques de ses populations à la France et les
visées éventuelles d’autres États. Cela exclut une « politique des bons
sentiments » à la Kouchner qui n’est pas dans les moyens de la France et
dont on constate chaque jour les gaspillages auxquels elle conduit (envoi du
Mistral en Birmanie sans consultation préalable du gouvernement de ce pays,
envoi d’une force au Darfour dont on sait aujourd’hui qu’il ne débouche sur
aucune forme d’emploi militaire).
1.Quels sont donc les espaces stratégiques
à considérer d’un point de vue national ?
1.1. L’espace interne
1.1.1. Le premier espace à
considérer est bien entendu l’espace national, c’est-à-dire interne. La
France est réputée « une et indivisible » dans les frontières qu’elle
a acquises au cours de son histoire. Toute atteinte à cette unité par le biais
de la reconnaissance de communautés ethniques, religieuses ou encore
linguistiques contribue à la fragiliser et à menacer son existence. Des risques
de guerre civile sont apparus avec les émeutes dans les quartiers sensibles et
on ne peut exclure la constitution de maquis, plutôt urbains désormais que
ruraux, avec pour conséquences des affrontements de plus grande intensité,
éventuellement soutenus de l’extérieur.
Si cet espace national cesse
d’être sous contrôle, il est évident que c’est l’existence même du pays qui se
trouve compromise et … il est inutile d’aller plus loin !
1.1.2. La prise
en compte du volet « sécurité publique et civile » sur le
territoire national constitue une charge supplémentaire qu’alourdit encore
l’emploi intensif des moyens de l’armée – notamment avions de transport,
hélicoptères et navires, sans oublier formations du génie et hôpitaux de
campagne - pour des interventions humanitaires de grande envergure à l’étranger.
Non seulement cette charge détourne l’armée de sa mission principale mais elle
est consommatrice de capacités que les difficultés budgétaires ne permettent pas
toujours de renouveler. Il serait souhaitable à cet égard que l’actuel ministre
des Affaires étrangères modère ses ambitions d’ingérence à tout propos, de la
défense des droits de l’homme aux secours à porter aux sinistrés des grandes
catastrophes naturelles et à l’aide alimentaire destinée aux populations
souffrant de la famine : pas plus que la France ne pouvait accueillir toute la
misère du monde selon M. Rocard, elle ne peut lui venir en aide sur l’ensemble
de la planète !
1.2. Les espaces stratégiques externes. Ils sont
multiples, en propre ou partagés.
Ayant connu une
période où elle s’était constitué un empire colonial sur tous les continents et
sur toutes les mers, la France, à qui son siège permanent au Conseil de sécurité
de l’onu donne encore le statut
de puissance mondiale, conserve des intérêts stratégiques et des responsabilités
qui l’obligent à intervenir, seule ou en coalition, à travers le monde.Il n’est pas certain que ces obligations
concourent, toutes de la même façon et avec la même portée, à sa sécurité et à
sa prospérité. On distinguera donc entre les espaces stratégiques qui relèvent
de sa souveraineté et ceux qui présentent un intérêt stratégique partagé avec
d’autres pays ou qui relèvent d’obligations inscrites dans les
traités.
1.2.1. Les espaces stratégiques en
propre sont ceux qui relèvent directement (encore) de la souveraineté et de
l’identité nationales.
1.2.1.1.Il s’agit bien évidemment en premier lieu
des départements et territoires d’outre-mer (dom-tom) auxquels nous lie une
longue histoire commune que d’aucuns voudraient rabaisser à des rapports
« colonisateur-colonisé » mais qui est en fait marquée par une
intégration bien réelle et irréversible sur le plan socio-économique. L’avenir
dépendra d’un développement harmonieux des départements et territoires
concernés, respectant leur identité et qui sera à réaliser si possible dans
chaque cas en co-développement avec la sous-région environnante.
Il appartient à la métropole de protéger
cette autre partie d’elle-même contre toute menace d’où qu’elle vienne.
S’agissant d’îles ou de pays côtiers, la marine jouera un rôle déterminant à la
fois dans leur protection et dans celle de leurs eaux territoriales élargies,
riches de promesses minérales en fond de mer, ainsi que pour les liaisons avec
la métropole qui ne peuvent être toutes assurées par la voie aérienne.
1.2.1.2. L’espace maritime sous
souveraineté
La France détient la deuxième
superficie maritime au monde, soit 11 millions de km2 de sols
sous-marins (plateaux continentaux), répartis, dans la limite des 200 milles
marins, entre l’océan Atlantique (côtes françaises, Saint-Pierre et Miquelon,
Antilles et Guyane), la Méditerranée, l’océan Indien (La Réunion, Mayotte,
Tromelin, les îles Eparses, Saint-Paul et Amsterdam, Crozet et Kerguelen) et
l’océan Pacifique (Nouvelle-Calédonie, Polynésie, Wallis-et-Futuna et
Clipperton). S’appuyant sur la convention des Nations-Unies sur le droit de la
mer, signée en 1982, qui étend à 350 milles la limite extérieure des plateaux
continentaux, elle revendique une extension complémentaire d’un million de
km2 (côtes françaises de l’océan Atlantique, Guyane,
Nouvelle-Calédonie et îles Kerguelen). Ces sols sous-marins recèlent de
nombreuses ressources naturelles (pétrole et gaz, métaux sous forme de nodules
polymétalliques) dont la rareté grandissante favorisera la mise en exploitation,
d’où le programme Extraplac piloté par l’Institut français de recherche
pour l’exploitation de la mer (Ifremer). Il est évident que la France
doit veiller sur cet espace maritime qui lui appartient en propre et dont
l’exploitation future peut contribuer de façon significative à son développement
économique. Il contribue à faire d’elle une puissance indiscutablement de
dimension mondiale. Une surveillance constante de cet espace national par
navires, avions et satellites est à assurer dès à présent, de même que sa
défense et sa protection sont à organiser.
1.2.1.3. Les espaces d’influence
L’importance de l’action
psychologique dans les affrontements actuels n’échappera à personne. Elle
est en mesure à elle seule de changer le cours des événements par son impact sur
l’opinion. Les journalistes et les propagandistes en usent largement, les
seconds fort malhonnêtement, mais la fin justifie les moyens. La France possède
une passé « glorieux » en la matière depuis les guerres d’Indochine et
d’Algérie qui, sous l’égide du colonel Lacheroy et de ses pairs, en ont vu
l’instauration officielle matérialisée par la création d’un cinquième bureau
dans les états-majors. Génial, mais auto-intoxicant et ultra-dangereux comme
l’a montré la dérive oasienne.
La France n’en est plus là
aujourd’hui, mais elle ne doit pas ignorer pour autant que sa capacité
d’influence sur la gestion des affaires du monde, autre espace de défense,
dépend pour nombre de peuples étrangers de sa fidélité à elle-même et aux
valeurs qu’elle a universalisées. À cet égard, la francophonie, espace
qui dépasse très largement l’ancien cadre colonial, offre une audience
irremplaçable. Les dirigeants français, tous entichés d’anglicisation, devraient
comprendre qu’en privilégiant outrageusement l’une au dépens de l’autre, ils
compromettent en fait la défense et la sécurité nationales en affaiblissant le
rayonnement de la culture française qui est aussi un gage d’influence et de
préservation des intérêts nationaux. Le développement de l’action
culturelle, en particulier par les moyens de la télévision, doit donc être
considéré non pas comme un gadget mais comme une nécessité.
1.2.2. Les espaces stratégiques partagés
1.2.2.1. L’espace
européen
Le statut de la France dans le
monde est largement conditionné par son appartenance à l’Union européenne
(ue : capitale
Bruxelles !) qui tend à se comporter de plus en plus comme un État
supranational avec les pertes de souveraineté que cela implique dès à présent,
notamment dans le domaine de la représentation diplomatique, et que l’on peut
imaginer dans l’avenir s’agissant du domaine de la défense. L’espace
européen dans lequel la France est géographiquement et maintenant
institutionnellement incluse est le premier des espaces stratégiques
historiquement partagés. Aux guerres qui ont fixé les frontières des États
succède aujourd’hui une volonté apparente de défense commune. Certes, mais cette
défense européenne doit être basée sur des solidarités réelles et non pas sur
une intégration qui, entre autres risques majeurs, déboucherait très rapidement
sur des recrutements hors du continent et sans doute un appel à des entreprises
de défense privées comme en emploient les Américains en Irak où elles doublent
leurs effectif, pas moins). Sans commentaires !
Depuis la présidence giscardienne
et plus particulièrement depuis le gouvernement Jospin, les dirigeants français
se sont toujours montrés favorables à ce qu’on pourrait effectivement appeler
une « mutualisation » des moyens de défense, effectifs et armements,
au sein d’une ue constituée
politiquement, condition sine qua non pour en faire une puissance. Cela
supposerait une homogénéité des moyens nationaux, effectifs et matériels, qui
n’existe pas, quel que soit le domaine de comparaison considéré entre les
différents pays constituant l’ue.
La position française n’a jamais recueilli l’accord des autres pays,
malgré des rapprochements fondamentaux mais peut-être antinomiques avec
l’Allemagne fédérale et le Royaume-Uni. Dans le domaine de la défense la
priorité est restée à l’appartenance à l’Otan, c’est-à-dire à la protection
américaine. Les budgets militaires des partenaires européens de la France sont
notoirement insuffisants et, dans la conjoncture économique actuelle, il est peu
vraisemblable qu’il en soit autrement d’ici longtemps. On peut en conclure que
la France a peu de chances de convaincre ses partenaires d’aller plus avant dans
la mise sur pied d’une défense européenne relativement autonome. En revanche,
elle ne doit pas se laisser piéger par des contraintes institutionnelles de
l’ ue qui ne tiendraient pas
compte de ses intérêts stratégiques, allant jusqu’à lui faire perdre la pleine
disposition de ses propres moyens de défense.
1.2.2.2. L’espace
méditerranéen constitue objectivement le second espace stratégique
partagé par la France avec les pays qui bordent la Méditerranée au nord, à
l’est et au sud. C’est sans doute à l’heure actuelle pour notre pays le lieu des
menaces les plus réelles et en même temps celui où se jouent le plus
certainement son destin et celui de l’Europe. Les civilisations européenne et
islamique y sont au contact direct et le radicalisme qui dévoie la seconde y est
malheureusement en plein essor.
Antérieurement présente en
Afrique du Nord, en Algérie annexée et dans les protectorats du Maroc et de la
Tunisie, la France cherche à normaliser ses rapports avec ces trois pays depuis
qu’ils ont recouvré leur indépendance. Des contentieux importants subsistent,
notamment avec l’Algérie qui est le pays le plus menacé d’une prise de pouvoir
par les fondamentalistes musulmans et qui est par ailleurs en voie de réarmement
avec du matériel russe. En plus du risque terroriste que favorise l’existence
d’une importante communauté algérienne en France, on ne peut écarter à terme
celui d’actions de rétorsion, tel un tir de missiles balistiques,
qu’entraînerait par exemple le soutien de la France au Maroc si ce dernier
entrait en conflit armé avec son voisin algérien (Huntington avait déjà évoqué
un risque semblable dans ses ouvrages). Si la France n’est plus directement
menacée sur ses frontières terrestres, elle est en revanche directement
concernée, comme ses voisines, l’Espagne et l’Italie, par la situation dans
le bassin occidental de la Méditerranée, qui est par ailleurs devenu un
lieu de transit pour les migrants africains.
Le bassin oriental quant à
lui est le lieu d’un conflit dont on ne voit pas la fin entre Israéliens et
Palestiniens. Si l’Europe a cru se débarrasser du problème juif en favorisant le
retour des survivants de la Shoah en Palestine, la suite des événements a montré
que ce calcul était vain, et par conséquent elle se trouve aujourd’hui piégée
devant une double obligation de venir en aide aux Palestiniens et de faire
reconnaître leurs droits sur les territoires occupés et, en même temps, de ne
pas permettre que l’État d’Israël soit détruit.
Ainsi, sans oublier
le contentieux turco-chypriote et les pièges des Balkans, on voit à ces deux
exemples que la Méditerranée dans son ensemble est aujourd’hui moins une mer
commune qu’un lieu d’affrontements. Le seul moyen de parer aux menaces qui en
découlent réside sans aucun doute dans un effort de co-développement sur un
pied de stricte égalité entre Nord, Sud et Est
méditerranéens.
Sous le nom d’Union
méditerranéenne, c’était avec lucidité le projet majeur de la présidence de
Nicolas Sarkozy, projet malheureusement immédiatement contré par une Allemagne
qui, après avoir obtenu le démembrement de la Yougoslavie au risque d’introduire
un Islam fondamentaliste au flanc de l’Europe, vise toujours, via la Croatie
notamment, à s’ouvrir une fenêtre sur la Méditerranée. Cette volonté allemande
de domination de l’espace européen au sens le plus large est un obstacle majeur
et constant à la stabilisation de la sous-région, menacée par l’érection du
Kosovo en un État islamique souverain dont les visées expansionnistes sont
également parfaitement connues. Les Barbares, au sens romain du mot, sont de
retour !
La France de François Mitterrand
puis de Jacques Chirac a commis une erreur stratégique, aujourd’hui irréparable,
en s’associant à la guerre de démembrement menée contre la Yougoslavie, puis
contre la Serbie. De plus, le comportement partisan de son ministre actuel des
Affaires étrangères à l’encontre des Serbes du Kosovo la disqualifie durablement
pour jouer un rôle stabilisateur dans la sous-région malgré une attitude plus
réaliste des troupes françaises d’interposition qui y stationnent. À
l’humiliation des Kosovars a succédé celle des Serbes et, malgré quelques signes
d’apaisement, personne ne peut dire que la sous-région a recouvré une paix
durable, d’où d’ailleurs le maintien de forces d’interposition.
1.2.2.3. L’espace
atlantique
La géographie a
placé la France à l’extrême ouest du continent européen et lui a offert une
large façade sur l’océan Atlantique qui a joué, joue et jouera encore un
rôle déterminant dans le destin national en en faisant une nation maritime de
premier plan. C’est par ailleurs une pleine ouverture sur le grand large qui
permet à la France de se libérer, quand elle en ressent la nécessité, des
contraintes continentales européennes.
Sur sa façade
atlantique, la France dispose de plusieurs ports de commerce dont le caractère
stratégique a été confirmé par l’usage qu’en avaient fait la marine de guerre
allemande et ses sous-marins pendant la seconde guerre mondiale, puis la
logistique américaine à l’époque de la guerre froide. Si ces ports ne
connaissent pas aujourd’hui tout le développement commercial auquel ils
pourraient prétendre, c’est faute des retards pris dans leur modernisation et de
l’absence d’une desserte adaptée. C’est faute aussi de l’entêtement des dockers
cégétistes !
S’agissant des
besoins de la défense, les ports de guerre de Cherbourg, Lorient et La Rochelle
ne jouent plus le rôle actif qu’ils avaient avant la Seconde Guerre mondiale et
qu’ils ont encore joué sous l’occupation allemande. Aux deux premiers toutefois
restent associés les chantiers de la dcnd’où sortent les frégates et les
sous-marins nucléaires de la flotte nationale. De son côté, la rade de Brest
sert de base sécurisée aux sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (snle) de la force stratégique,
d’où ils partent pour aller se positionner en n’importe quel point des mers
et océans.
Enfin, il faut
souligner que la région, en premier lieu la Bretagne, a donné à la France de
nombreux marins qui se sont distingués aussi bien dans la marine de guerre et
les corsaires que dans l’ouverture et l’exploitation de lignes commerciales (y
compris, il faut le regretter, le trafic négrier et les enrichissements qui en
ont résulté). Ces vocations maritimes se perpétuent aujourd’hui ; il s’agit
d’une tradition vivace qui est particulièrement à soutenir à une époque où se
manifeste la nécessité pressante de sécuriser les échanges commerciaux qui se
font par la voie maritime.
Les Antilles et la
Guyane, avec la base de lancement de satellites de Kourou, d’une part, et la
base de Dakar au Sénégal, d’autre part, pour autant qu’elle puisse être
conservée, sont autant de postes stratégiques, sans oublier au nord Saint-Pierre
et Miquelon,qui permettent à la
France d’assurer sa présence et ses responsabilités dans l’ensemble de l’espace
atlantique qui la concerne le plus directement, Golfe de Guinée
compris.
Les potentialités
qu’offre à la France sa façade atlantique devraient jouer un rôle plus
déterminant dans sa politique étrangère et lui permettre, en s’ouvrant davantage
sur le monde, d’échapper d’une certaine façon aux contraintes castratrices que
la technocratie bruxelloise fait peser sur toute nation européenne.
1.2.2.4. L’espace maritime
international
Il s’agit globalement des
routes commerciales que la France contribue à sécuriser, tant pour assurer
ses liaisons avec les dom-tom et
l’acheminement des matières premières dont son économie a besoin que par
solidarité avec les autres pays qui ont en commun les mêmes besoins de libre
circulation des personnes et des biens.
Il convient en outre
d’en contrôler l’usage quand il est utilisé pour des actes de piratage ou des
trafics illicites (drogue, personnes, etc.). La marine française s’y emploie par
exemple dans les Caraïbes ou encore au large des côtes de l’Afrique de l’Est
comme on vient de le voir avec l’affaire du Ponant. Il faut cependant considérer
que ces missions ne peuvent se multiplier à l’infini, surtout quand le coût du
mazout devient prohibitif. Par l’usure des moyens qu’elles entraînent, elles en
remettent en cause la disponibilité pour des interventions plus vitales. La
marine vient d’ailleurs de mettre fin à trois d’entre elles.
Cela conduit à
s’interroger sur la pertinence du développement du tourisme de masse et des
moyens de transport qu’il implique, bateaux et avions, quand se confirment à la
fois les risques d’attentats terroristes, les gaspillages de carburants et les
pollutions de toutes sortes qui accompagnent ces déplacements somme toute non
essentiels.
1.2.2.5. L’espace
aérien
L’espace aérien à
prendre en compte en premierest
naturellement celui, national, qui se situe au-dessus de la France et des dom-tom, auquel s’applique sans
restriction le principe de souveraineté, avec pour corollaire une nécessité de
supériorité aérienne pour en assurer la défense et la sécurité. S’y ajoute, en
cas d’intervention extérieure, la projection de moyens ad hoc pour renseigner, protéger et appuyer les forces
terrestres et navales engagées.
Un autre espace
aérien est à considérer, celui qui relève de la libre circulation des personnes
et des biens par la voie aérienne, mis à part les zones d’interdiction de survol
imposées par certains pays (exemple : la Corée du Nord pour les vols entre
l’Europe et le Japon). Une contrainte du même ordre existe pour les projections
de forces aériennes qu’elle peut rendre plus difficiles lorsqu’il s’agit d’un
pays enclavé, comme on l’a vu pour l’Afghanistan. À noter que le porte-avions
est plus libre de ses déplacements pour se rendre sur zone et qu’il dispose
d’une capacité nucléaire qui ne peut que renforcer le caractère coercitif de son
envoi.
Sur un plan général,
une autre contrainte réside dans les nouvelles lois internationales qui fixent
les règles à observer pour la sécurisation de la navigation aérienne. Elles
s’imposent aux appareils militaires comme aux appareils civils, avec
l’obligation de s’équiper des auxiliaires de vol qualifiés pour les respecter,
ce qui n’est pas sans poser des problèmes de financement et des contraintes
opérationnelles aux armées, et notamment à l’Alat.
Même remarque que
pour l’espace maritime s’agissant du développement quelque peu anarchique et
dommageable du tourisme de masse.
1.2.2.6. L’espace
extra-atmosphériaue
La conquête de
l’espace est un sujet d’actualité. Malgré les déclarations de principe qui ont
été faites, il n’est pas sûr que l’on puisse éviter sa militarisation à des fins
opérationnelles, surtout lorsque l’on constate que des pays hostiles ou pouvant
l’être se préparent à lancer leurs propres satellites avec des moyens
nationaux.
Dans les domaines de
la communication et de la cartographie, l’espace est déjà partagé entre des
activités commerciales (satellites de communication, tels Internet et gps) qui peuvent difficilement être
interdites et des missions militaires de renseignement et de guidage (parfois
les mêmes satellites en partage).
La France a dans ce domaine une
longue expérience (le lancement d’Astérix, premier satellite français,
date de 1966) et une réputation d’excellence que confirment les succès de la
fusée Ariane V. Elle dispose en propre du centre de lancement de Kourou
en Guyane dont elle doit évidemment protéger les installations et les
accès.
1.2.2.7. L’espace
africain
Par espace africain, il faut
entendre ici la région subsaharienne dans sa quasi totalité, qui était autrefois
constituée en grande partie des colonies françaises de l’Afrique Occidentale
Française (aof) et de l’Afrique
Centrale Française (aef).
Celles-ci sont devenues depuis un demi-siècle des États indépendants, dont en
particulier le Sénégal, la Côte-d’Ivoire, le Cameroun et le Gabon. On peut y
raccrocher le Congo Belge, la région des Grands lacs et les anciennes colonies
portugaises.
Cette région a continué de
constituer, après les indépendances, un espace privilégié d’influence française,
concrétisé par des accords bilatéraux, par une coopération financière et
technique importante (enseignement, équipement, finances publiques, etc.), trop
souvent assortie d’exigences économiques (retour sur financements), ainsi que
par l’implantation de bases militaires de pré-positionnement (Dakar, Abidjan,
Libreville, N’Djamena, Djibouti). Les nouveaux États ont adopté des
constitutions largement inspirées des institutions françaises et ont bénéficié
pour leur monnaie de la garantie de la Banque de France (franc cfa). Leurs premiers dirigeants
(Senghor, Houphouët-Boigny, etc.) étaient par ailleurs très liés politiquement,
voire affectivement,aux dirigeants
français.
Cette forme de rapports
appartient désormais au passé. Les chefs d’État africains qui avaient été plus
ou moins cooptés au départ ont laissé la place à de nouveaux dirigeants qui ont
subi l’influence de puissances étrangères aux ambitions stratégiques
(États-Unis, Russie et Chine) après que les contradictions et les remises en
cause de la politique africaine de la France les aient quelque peu déçus au fil
des ans. Ceux-ci ont ainsi progressivement - quelquefois plus brutalement
(Guinée-Conakry, Mali) – relâché les liens avec l’ancienne métropole, de sorte
qu’aujourd’hui il est difficile de prévoir, sur un plan général, l’avenir de nos
relations avec ces pays. Elles tendent à se gérer pays par pays, le plus souvent
en fonction de l’intérêt que présentent pour la France les ressources
pétrolières et minières (uranium nigérien) des uns et des autres, à
l’exploitation desquelles ses entreprises sont pour l’instant associées.
Les relations politiques avec les
États africains subsahariens sont devenues d’autant plus difficiles qu’un
contentieux colonial subsiste, plus ou moins artificiellement entretenu,et que le recouvrement des indépendances
est aujourd’hui jugé incomplet par les jeunes générations. Pour elles, la longue
implantation coloniale de la France dans la région n’a pas vraiment cessé et
elle s’est prolongée, de façon quelque peu néo-colonialiste, par des ingérences
qu’elles jugent insupportables. Les événements récents de Côte-d’Ivoire ont
confirmé cette évolution. Les rapports avec l’ex-métropole y ont été totalement
remis en cause. Il est ainsi acquis que la base d’Abidjan sera fermée à la fin
de l’opération Licorne, c’est-à-dire après la prochaine élection
présidentielle.
Ne subsisteront que les bases qui
présentent un réel caractère stratégique, celle de Dakar qui couvre à la
fois l’Atlantique et le golfe de Guinée, et celle de Djibouti qui couvre
les accès à la mer Rouge et, au-delà, au canal de Suez ainsi qu’à l’océan Indien
et à la mer d’Oman où la présence française est liée par des accords de défense
avec les Émirats arabes.
Si la France n’est plus vraiment
chez elle en Afrique subsaharienne et directement concernée par ce qui s’y passe
sur le plan politique, on regrettera cependant qu’une impasse ait été faite sur
cette partie du continent dans le projet présidentiel d’Union méditerranéenne
alors qu’il existe une solidarité continentale de fait, géographique, avec
l’Afrique du Nord au travers du Sahara et que précisément l’unité africaine se
cherche du nord au sud du continent.
1.2.2.8.
Les espaces onusien et otanien
Il s’agit des cadres
institutionnels dans lesquels les forces armées françaises interviennent le plus
souvent lorsqu’elles sont engagées dans des opérations de gestion de crises
régionales et de rétablissement de la paix, soit pour l’application d’une
résolution de l’onu
(exemple : le Liban), soit, faute d’un accord au sein de son Conseil de
sécurité (menace de veto russe ou chinois), pour coopérer à un action menée en
coalition, généralement à l’initiative des États-Unis dans le cadre de
l’Otan ou du moins sous commandement de leurs chefs militaires
(exemples : les guerres contre la Serbie et en
Afghanistan).
S’agissant des
opérations menées dans le cadre de l’Otan, l’élargissement des interventions de
l’organisation au-delà de l’espace européen, pour la défense duquel elle avait
été créée, s’étend désormais à toute zone ou pays que les Américains considèrent
comme dangereux au regard de leur conception de la mondialisation et de leurs
intérêts stratégiques. La dissolution de l’organisation avait été un moment
envisagée après la disparition de la menace soviétique, mais les États-Unis ont
réussi à convaincre leurs partenaires européens de la nécessité de la conserver
pour faire face aux nouvelles menaces qui se révélaient selon eux. La pression
qu’ils ont exercé sur les Européens pour faire de l’adhésion à l’Organisation un
préalable à l’entrée dans l’uedes
anciens pays communistes de l’Est européen est à cet égard révélatrice de leurs
prétentions hégémoniques.
Aujourd’hui
l’Europe, quoi qu’en disent les atlantistes, traîne cette coopération plus ou
moins imposée comme un boulet qui l’empêche de se constituer en puissance et de
mener une politique autonome, en Méditerranée et au Moyen-Orient notamment, ou
encore dans ses rapports avec la Russie et la Turquie.
C’est ainsi que le
projet d’Union méditerranéenne qui visait à un co-développement sur un pied
d’égalité des pays des rives nord et sud de la Méditerranée et dont le président
Sarkozy avait l’ambition de faire un acte majeur de son quinquennat et de sa
présidence européenne a été torpillé par l’Allemagne qui a ainsi confirmé sa
volonté d’être la seule à décider en Europe, assurée par ailleurs d’une
communauté de vue avec les États-Unis. Dès lors, on se prend à douter de la
sincérité des rapports que ce pays prétend entretenir avec la France quand sa
chancelière fait en sorte, avec le concours de la Commission de Bruxelles, que
le projet du président français soit réduit à une simple relance du processus de
Barcelone dont l’échec était pourtant patent. Le succès apparent de la réunion à
Paris, le 13 juillet, des chefs d’État des pays de l’Union européenne et des
pays de l’Afrique du Nord et du Proche-Orient cache mal cette volonté allemande
et des pays de la Baltiquede
dénaturer le projet français initial qui était seul porteur
d’avenir.
Ce croc-en-jambe
allemand ne sera pas sans conséquence. Le président français sait désormaisque les initiatives qu’il souhaitait
prendre à l’occasion de sa présidence de l’ue, notamment dans le domaine de la défense, ne pourront
l’être que sous contrôle allemand. Cela l’oblige à donner des gages. C’est
pourquoi la France a demandé à réintégrer pleinement les instances de l’Otan
afin de prouver sa solidarité sur le plan décisionnel, mais cela risque d’être
sans lendemain.
Au demeurant, en
s’alignant sur une politique caractérisée par le mépris constant affiché par les
Américains à l’égard des populations qu’ils entendent soumettre, la France agit
à l’encontre des valeurs universelles qu’elle défend et qu’elle a confirmé
siennes après s’être douloureusement séparée de ses colonies (guerres
d’Indochine et d’Algérie). La simple morale voudrait que notre pays s’abstienne
de participer à ce type d’interventions et que, sauf retour de l’Otan à son
objet initial - ce qui conduirait logiquement à sa dissolution, envisagée
maintenant, semble-t-il, par les États-Unis eux-mêmes qui préfèrent y substituer
des coalitions de circonstance -, il quitte définitivement l’organisation.
Envoyer huit cents
officiers dans ses instances de commandement n’a guère de sens, à supposer
d’ailleurs que les autres pays consentent à leur laisser des postes qu’ils
occupent. Politiquement, il serait plus conséquent de mettre ces officiers à la
disposition de l’onu, seule
instance légitime pour intervenir dans la gestion des crises, afin de la doter
de l’état-major qui lui manque pour planifier et conduire les
opérations.
2. Quelles perspectives pour les
armées ? Quelles sont les priorités à
retenir ?
2.1. Nécessité première de
redéfinir le champ d’intervention des Armées
L’intérêt
stratégique des différents espaces examinés aurait sans aucun doute besoin
d’être approfondi, mais, en l’état, leur énumération ne vise qu’à ébaucher un
champ d’intervention rationnel des forces armées française qu’il est grand
temps de délimiter, tant au regard des moyens mobilisables qu’à celui, plus
pertinent encore, des réels intérêts nationaux.
Les agresseurs
éventuels de la France connaissent parfaitement ses forces et ses faiblesses,
ses vulnérabilités matérielles et humaines, la faiblesse de ses forces morales
qui est liée aux dérèglements présents de la société. L’Europe est un alibi
commode mais tout le monde sait que l’enveloppe est vide ! Il n’y a aucune
illusion à se faire sur ces points. Il est par conséquent inutile et dangereux
de provoquer des adversaires potentiels par des prises de position qui ne
pourraient connaître aucune suite. La vieille appellation de « tigre de
papier » est toujours d’actualité. Plus dangereux encore apparaît l’échec
d’interventions engagées imprudemment, sans s’être préoccupé des moyens
d’aboutir le plus sûrement au résultat politique recherché.
On connaît
l’exploitation que font les Palestiniens et les Arabes de tout retour des
Israéliens sur leurs bases de départ après une opération sans résultat décisif.
Il s’agit d’une action psychologique bien menée et payante puisqu’elle agit sur
les opinions de tous les pays et les retourne facilement. C’est ainsi que les
retraits israéliens volontaires du Sud Liban et de Gaza ontété célébrés comme des victoires par les
Palestiniens et les pays arabes. C’est ainsi que toute intervention armée
prétendant mettre fin à une crise régionale, suivie généralement d’un enlisement
conduisant quasi inévitablement à des bavures sur le terrain et à un échec sur
le plan politique, et bien entendu, ultérieurement, à un retrait sans gloire,
dessert finalement la cause que l’on voulait servir et peut de plus générer des
actions en retour contre les pays intervenants.
2.2. Les armées
sont d’abord un outil au service d’une politique
Il n’est pas
toujours facile de concilier les calendriers politique et militaire dans leurs
mises en perspective respectives : un pays peut tout aussi bien mettre en
œuvre des politiques extérieures de long terme, la politique arabe de la France
par exemple, que remettre en cause certaines d’entre elles pour des raisons
d’opportunité.
Raison de plus pour
veiller à la parfaite cohérence de l’usage circonstanciel de la force avec les
objectifs de la politique étrangère qui visent une normalisation durable des
situations. Il ne faut pas oublier que, pour le Général De Gaulle, la
stratégie de la France était une stratégie de paix. Cela implique que,
s’agissant notamment du reformatage de l’outil militaire, les choix s’inscrivent
dans une vision d’avenir à long terme, bien plus qu’à quinze ans, avec le souci
qu’avaient les grands anciens, tels Galliéni et Lyautey, d’éviter les violences
inutiles et de respecter les populations des pays d’intervention dans leur
identité la plus profonde.
Une des critiques
les plus acerbes à l’encontre des travaux de la commission chargée d’élaborer le
nouveau Livre blanc de la Défense porte
précisément sur l’absence d’une tellevision d’ensemble qui est pourtant indispensable si l’on veut que la
population et les armées adhèrent au nouveau modèle d’armée qui va émerger. Le
risque n’est pas négligeable selon le général Desportes, commandant le Centre de
doctrine et d’emploi des forces : il est en particulier celui
« d’avoir une réaction négative de la communauté militaire, avec… une
politisation d’une institution qui y a jusqu’à présent échappé »
(sic).
2.3. États d’âme
et réalités contrariantes
Placés devant une
nouvelle réduction des effectifs et des moyens qu’ils qualifient
d’ « homothétie réductrice » et qui leur fait craindre une
moindre considération de la part de leurs partenaires étrangers, se trouvant
limités de ce fait dans leurs ambitions personnelles, nombre d’officiers
généraux français aspirent désormais ouvertement à des commandements interalliés
de plus haut niveau, quitte à pousser à une intégration des forces françaises
dans une armée supranationale, européenne pour certains, supplétive de celle des
États-Unis, type Légion étrangère, pour d’autres. « Il faut cesser de
bricoler », disent-ils. Du coup, ils ne se sentent plus concernés par la
défense des intérêts nationaux dont ils ont pourtant en premier la charge et
pour laquelle ils sont rémunérés.
L’honnêteté
intellectuelle voudrait qu’ils reconnaissent en toute indépendance idéologique
que la France n’a ni intérêt ni vocation à intervenir dans un tel cadre
étranger, sauf dans celui d’une coalition formée à la demande de l’onu en raison de ses obligations liées
au siège permanent qu’elle occupe au Conseil de sécurité. Certes, l’expérience
qu’ils ont de ces Opex onusiennes montre
qu’il s’agit plus souvent de velléités que d’une véritable volonté d’aboutir,
volonté généralement neutralisée par les risques de veto d’un membre permanent
du Conseil (États-Unis, Russie ou Chine), d’où une efficacité plus que
douteuse : ainsi la Finul n’est pas
en mesure de jouer un rôle déterminant au Liban. Mais ils savent aussi - et
c’est encore moins convaincant – qu’il n’en est guère autrement quand il s’agit
d’intervenir dans le cadre européen où l’on agit toujours de façon plus ou moins
improvisée, sur l’impulsion d’un dirigeant pressé de se faire valoir sur la
scène mondiale au nom de principes soi-disant humanitaires : la force européenne
envoyée au Darfour ne semble pas avoir trouvé à s’employer sur le plan
militaire. Quant aux coalitions réunies dans le cadre de l’Otan, la légitimité
douteuse de leurs interventions engagées sous l’autorité des États-Unis devrait
en écarter dans tous les cas.
2.4. Quelles
options ?
Pour la France,
compte tenu des risques d’enlisement et d’échec final que comporte toute
intervention à terre, mis à part les actions ponctuelles et ciblées des forces
spéciales, la vraie priorité semble s’être déplacée de plus en plus vers la mer,
ce qui signifie que pour peser politiquement il lui faut acquérir avant tout de
réelles et crédibles capacités pression, ce qui aurait pu convaincre du besoin
de disposer d’un second porte-avions.
Il se peut cependant
que la seule option qui demeure dans une situation conflictuelle soit celle de
la projection d’une force aéro-terrestre, comme en Côte-d’Ivoire avec
l’opération Licorne.Non seulement il
existe une nécessité de planifier l’opération, ce qui peut donner le temps de la
réflexion et de l’action diplomatique, mais la difficulté principale, de plus en
plus évidente, est de constituer la force d’intervention. On en est le plus
souvent réduit à piocher dans les unités pour rassembler effectifs et moyens
nécessaires, ce qui pose à l’origine un problème de cohésion de l’outil
constitué qui ne se résoudra qu’au bout d’un certain temps et qui constitue un
handicap certain en début d’opération. À cet égard, la rotation tous les
quatre mois des effectifs en Opex n’est pas la plus adaptée, surtout quand on prétend
vouloir faire du Lyautey.
Une interarmisation
de plus en plus poussée s’impose pour assurer notamment la meilleure maîtrise
des temps de réaction. Une option pourrait être, pour avoir d’entrée le maximum
d’efficacité, d’envisager, pour les interventions extérieures qui constituent en
fait le projet politique principal exposé dans le Livre Blanc, un regroupement des différentes formations
projetables des trois armées en un corps de bataille unique du type des marines
américains qui disposent de tous les moyens terrestres, navals et aériens
nécessaires à l’exécution de leurs missions. Cela permettrait d’assurer du même
coup l’interarmisation recherchée et s’inscrirait fort bien dans la tradition
des troupes de marine, la Légion étrangère trouvant elle-même naturellement sa
place dans ce nouveau dispositif.
Cela pourrait de
plus conduire à des économies significatives dans la sélection des équipements à
réaliser, qualitativement et quantitativement : on a pu, par exemple, se
poser la question de l’existence, dans le projet d’armée 2015, de deux brigades
blindées armées du char lourd Leclerc,
dont l’emploi en tant que tel ne semble pas d’actualité et dont le taux de
disponibilité technique est anormalement faible au regard du coût ruineux de sa
fabrication, sans doute davantage poursuivie, après l’effondrement de la menace
soviétique, pour assurer la survie de Giat-Industrie que pour équiper l’armée de Terre ! Le coût
unitaire d’un char Leclercest en effet de 8,6 millions de
dollars et seulement de 5,3 millions de dollars pour le M-1 A1 américain et le Léopard 2 allemand, qui arme la quasi totalité des pays de
l’ue, alors que le coût
unitaire d’un T 90 russe, largement
exporté lui aussi, est encore bien moindre, de l’ordre de 2,3 millions de
dollars. On comprend pourquoi, à partir de cet exemple, l’armement français a
quelque mal à s’exporter …
À cet égard, on
ne peut plus accepter que les futurs équipements des armées continuent d’être
anticipés et réalisés par les industriels de l’armement sans véritable
consultation préalable des futurs utilisateurs. Il s’ensuit soit des
suréquipements, soit au contraire des besoins insatisfaits, d’où finalement
un mauvais emploi des fonds publics pour des capacités inadaptées. Rien ne
garantit qu’il n’en sera pas de même à l’avenir quand on voit la part faite aux
industriels dans l’élaboration du nouveau Livre Blanc.
Il ne faut
évidemment pas se contenter de chercher à adapter le vieil outil aux nouvelles
réalités tactiques dans lesquelles l’adversaire monopolise l’initiative. Le
Hezbollah en a administré la preuve lors de la guerre du Liban en 2006. On ne
peut mettre l’adversaire « cul par dessus tête », en dehors des
interventions très ciblées des forces spéciales, que par des innovations qui le
prennent au dépourvu, visant en particulier à couper ses propres « lignes
d’opération » dont il dépend comme tout un chacun, surtout depuis la
mondialisation du terrorisme.
Si la commission
chargée d’élaborer le nouveau Livre Blanc a souligné la nécessité de réfléchir à une nouvelle
génération d’équipements, elle s’est souvent contentée, dans l’énumération de
ceux qui doivent équiper les forces dans les quinze ans à venir, de reprendre,
en réduisant les cibles, les équipements programmés antérieurement et en cours
d’acquisition. On a là une sorte d’inventaire à la Prévert qui n’est pas
totalement satisfaisante car elle ne révèle aucune réflexion de fond sur les
conditions d’engagement et d’emploi des forces qui sont pourtant déterminantes
pour le choix des équipements et les priorités à donner à leur réalisation.
Toutes les pistes ne
semblent pas avoir été vraiment explorées à cet effet. La commission - où les
militaires étaient manifestement sous-représentés – a de toute évidence donné la
priorité à la réduction des dépenses par la compression de l’outil. D’autre
part, le recours systématique à l’externalisation, à l’instar des grandes
entreprises privées, semble avoir été la principale préoccupation, et cela
d’autant plus qu’il était synonyme de nouveaux marchés. Ce recours n’est pas
sans risque et il présente notamment celui d’une vulnérabilité qui pourrait être
lourde de conséquences quand il s’agit des Opex, si les « lignes d’opération » nationales
se trouvent du coup insuffisamment sécurisées. Les mettre hors de portée de
l’adversaire suppose qu’il ne puisse les approcher, ce qui implique d’affecter
beaucoup de moyens à leur protection, notamment navals. Les aurait-on ? On
peut en douter si les Opex continuent de
se multiplier (cinq principales actuellement : Afghanistan, Balkans,
Côte-d’Ivoire, Liban et Tchad, dernière en date).
On ne doit pas se
cacher par ailleurs que cette dispersion peut devenir elle-même un objectif
stratégique pour un adversaire capable de mondialiser ses opérations, d’en
multiplier les lieux et de réduire par ce biais les capacités de défense
nationales en vue de préparer une frappe majeure qu’il souhaiterait profondément
déstabilisatrice.
2.5. Où sont les
priorités ?
Quel que soit le
point de vue d’où on se place, politique, militaire ou budgétaire, ce ne sont
pas les priorités militaires qui ont prévalu, mais une argumentation budgétaire
forcément réductrice. En se déterminant ainsi, on a sacrifié le long terme - que
commandent pourtant les tendances de fond que l’on sait à l’œuvre (démographie,
réchauffement, migrations, déséquilibres économiques, besoins énergétiques,
etc.) - à une politique qu’il faut bien qualifier de courte vue. Raisonner à
quinze ans quand la durée de vie moyenne d’un système d’armes est du double
n’ouvre guère sur l’avenir.
D’autre part, à
l’échéance du demi-siècle, soit à moins de deux générations, il est tout à fait
possible que les États-Unis aient perdu le leadership mondial qu’ils exercent aujourd’hui, étant évident
que celui-ci est déjà fortement entamé du fait des échecs répétés de leur
politique guerrière.
Dans ces conditions,
il n’est pas très conséquent de vouloir s’aligner sur eux, non seulement parce
que cela borne par trop l’avenir, mais surtout parce que cela détourne des
menaces spécifiques qui peuvent peser sur la France en raison notamment du
délitement de sa cohésion sociale et de l’extension du territoire national aux
dom-tom qui pose en permanence un
problème d’intégration des populations et de sécurisation des voies de
communication. Il s’ensuit pour l’État - s’agissant de ses responsabilités en
matière de protection du territoire national élargi aux dom-tom, de ses ressortissants et de
leurs intérêts - une nécessité indéniable de donner à la Marine nationale les
moyens de cette mission de sécurisation des voies de communication avec ces
territoires et de l’environnement maritime de ceux-ci.
S’agissant des
Opex, la Marine nationale a un double
rôle, d’une part celui de composante de l’action militaire, notamment par la
participation à celle-ci du groupe aéronaval et/ou des groupes amphibies, et
d’autre part celui de principal support logistique. De même que pour ce qui
concerne les obligations nationales évoquées précédemment, il faudra tenir
compte du fait que toute indisponibilité d’une des composantes, en
particulier lors des entretiens périodiques indispensables, se traduira par un
affaiblissement temporaire, de plus ou moins longue durée, du dispositif
général que tout stratège adverse pourra chercher à exploiter (sur le plan
politique, il en est de même de la « neutralisation » de nos
démocraties occidentales à l’approche de leurs grandes échéances
électorales : le Viêt-Minh en a grandement tiré
parti).
2.6. Le
reformatage des armées
2.6. 1. À la différence du Livre Blanc de 1994,
le nouveau Livre Blanc ne propose pas un modèle d’armée et s’en
tient à fixer les grands objectifs opérationnels et les capacités assignés aux
trois principales composantes des armées (Terre, Mer et Air) dans le cadre de
contrats opérationnels réactualisés. L’orientation est manifeste et quasiment
exclusivement centrée sur des interventions dans les zones de crise du
Moyen-Orient et d’Asie.
Contraintes budgétaires obligent, ce sont les grands
programmes du projet chiraquien d’armée 2015, devenus irréalisables
financièrement dans leur totalité, qui ont fait l’objet d’une révision,
malheureusement plus qualifiable d’« homothétie réductrice » que de redéfinition
des capacités dont se doter.
2.6.2. La conception de la défense et de la sécurité
nationale, logiquement intégrées, est quasi exclusivement centrée sur les
actions à mener pour parer à une menace moyenne-orientale et asiatique qui
pourrait se concrétiser sous la forme du terrorisme ou sous celle d’une frappe
balistique éventuellement nucléaire, chimique ou biologique contre les pays
occidentaux et de l’Union européenne en particulier. On a donc privilégié les
opérations externes (Opex) de projection par rapport à des vulnérabilités
plus permanentes qui tiennent à la dimension mondiale de l’ensemble France
métropolitaine - dom-tom.
On retiendra cependant de la
réforme que, d’une part, la dissuasion tous azimuts, même limitée à la
« juste suffisance », reste l’ultima ratio de la défense
française face à tout chantage à la destruction du pays, et que, d’autre part,
les moyens de renseignement terrestre, naval, aérien et spatial, associés
au renseignement humain, seront prioritairement renforcés, de façon à doter la
nouvelle fonction « connaissance et anticipation » des
capacités nécessaires à son plein exercice. C’est évidemment fondamental, aussi
bien sur le plan stratégique (planétaire) que sur les plans opératif (théâtre
d’opération) et tactique (champ de bataille), mais on ne peut oublier quelques
impasses récentes qui ne sont pas sans conséquences :
L’armée de terre vient de
retirer « discrètement » du service ses quatre hélicoptères radar
Horizon pour la seule raison de leur coût de mco. Très performant, ce système sans
équivalent dans d’autres armées avait été utilisé avec succès en Irak et au
Kosovo. Il aurait sans doute permis au Tchad de détecter à temps de façon
infaillible la progression des Toyota de la rébellion.
Autre impasse :
auraient été retirés du service par l’armée de l’air les quatre
Transall qui constituaient le système
stratégique Astarté de liaison avec les
sous-marins nucléaires en plongée (source Air & Cosmos)…
2.6.3. Plus ébauchées que complètes, les dotations des
futures forces qui figurent dans le Livre blanc restent très
générales. Il faudra attendre la prochaine loi de programmation militaire pour
se faire une idée plus complète des moyens donnés aux forces pour
l’accomplissement de leurs missions dans la cadre des contrats opérationnels
impartis.
Sur le plan
opérationnel, trois tendances se dessinent qu’il faudra pouvoir intégrer
en tout état de cause, à la fois pour des raisons d’interopérabilité et pour
diminuer les coûts d’intervention :
- la conduite des opérations
en réseau qui tend à effacer la distinction traditionnelle entre les armées
de Terre, de l’Air et la Marine ; s’appuyant sur des renseignements
recueillis et traités en temps réel, elle permet de faire intervenir l’élément
le mieux positionné par rapport à la cible et le mieuxadapté à son traitement ; elle
accélère la conduite des opérations et par là-même contribue à une économie des
forces ;
- son corollaire, la
banalisation des plates-formes qui ne sont considérées que dans leur
capacité à amener les systèmes d’armes à distance de tir,avec un maximum de
sécurité ;
- le recours à
l’externalisation civile, en particulier dans le domaine de la logistique,
comme l’ont pratiqué les Américains en Irak.
Par ailleurs se
confirme une tendance que l’on peut trouver critiquable de s’en remettre, pour
acquérir certaines capacités, à des achats sur étagères à l’étranger, notamment
aux États-Unis. Ce n’est pas sans risques.
2.6.4. L’armée de Terre (composante
terrestre)
2.6.4.1. Déjà mise à toutes les sauces et quelque peu
« surbookée », insuffisamment équipée de matériels adaptés et limitée
dans ses moyens d’entraînement dans l’immédiat et pour les années qui viennent,
l’armée de Terre se voit confier un ensemble de missions toujours
principalement orienté – sinon exclusivement - vers des opérations de gestion de
crise « multirôles », c’est-à-dire d’ « entrée en premier sur
un théâtre d’opérations » et y prendre en charge « les phases de
transition et les opérations de stabilisation ».
Les autres missions évoquées, telles la participation à
la protection du territoire (implication de 10.000 hommes en quelques
jours), une capacité permanente de réaction autonome (5.000 hommes dans
des délais réduits), s’effacent devant ce choix
significatif :
« En dehors des situations où une opération majeure
est engagée, les forces terrestres pourront être sollicitées dans plusieurs
opérations de stabilisation ou de maintien de la paix ».
Dans l’hypothèse d’une intervention majeure, correspondant
pour la France à une « intervention dans le cadre d’un engagement majeur
multinational sur un théâtre distant de 7.000 à 8.000 kilomètres, en
déployant 30.000 hommes en 6 mois …»,le sous-continent visé reste le Moyen-Orient et l’Ouest asiatique. Le
confirme le maintien du point d’appui de Djibouti et l’annonce de la création de
bases pré-positionnées dans le Golfe Arabo-Persique. De quoi s’agit-il ? De
se préparer à rejoindre une coalition contre l’Iran ? Ou de participer à un
pré-encerclement de la Chine ? L’alignement sur la politique américaine ne
paraît que trop évident.
2.6.4.2. Il faut
souligner que c’est à l’armée de Terre qu’échoira la charge principale lors
du déploiement terrestre d’une Opex. Si la phase de coercition peut être exécutée
relativement facilement en raison de la supériorité des armements et des appuis
aériens et navals, tout montre qu’il n’en est pas de même avec la phase de
stabilisation qui la suit et qui sera d’autant plus « mangeuse »
d’effectifs qu’elle tendra à durer. L’intervention armée en Afghanistan en fait
la démonstration.
Le problème est
donc de plus en plus celui d’effectifs qui resteront insuffisants dans un
contexte opérationnel qui rappelle celui des guerres d’indépendance
(Indochine). L’adversaire est
toujours plus ou moins « comme un poisson dans l’eau », et il frappe
quand il veut, où il veut, et cela au moment le plus inattendu. En la matière,
il n’y a pas de risque zéro, qu’il s’agisse de garnisons de postes fortifiés ou
de troupes d’intervalle. Par conséquent, compte tenu à la fois de la faiblesse
des effectifs affectables et des effets politiques recherchés, il faut
absolument veiller à mettre la force d’intervention à l’abri de tout
enlisement qui annoncerait un futur échec politique et, dans l’immédiat, une
immobilisation inacceptable d’effectifs et de moyens dont un besoin plus vital
pourrait se révéler ailleurs.
Etant entendu que l’objectif d’une intervention armée ne
peut être que politique, celle-ci doit donc faire l’objet, plus encore que
d’une planification militaire, d’une évaluation et d’une mise à disposition
programmée des moyens nécessaires à la normalisation rapide de la situation afin
de satisfaire aux aspirations et aux besoins des populations concernées. Ne pas
se donner les moyens de cette normalisation serait offrir à l’adversaire toutes
les occasions d’exploiter le mécontentement de ces dernières et de multiplier
avec leur appui des actions de plus en plus meurtrières, d’où un échec de
l’intervenant visible sur le terrain (non-victoire) et singulièrement
décrédibilisant. Comme on peut le voir en Afghanistan, en territoire pachtoun,
quand la maîtrise de la situation échappe aux forces d’intervention, on passe
d’un terrorisme religieux à une véritable guerre d’indépendance qui mobilise
toute la population.
2.6.4.3. De son organisation actuelle en brigades à
capacités spécifiques (blindées, etc.), l’armée de Terre (131.000 hommes dont
88.000 opérationnels) passera, selon le nouveau Livre Blanc,à une nouvelle articulation
en :
- huit brigades interarmes équipées au total de 250
chars de combat Leclerc, 650 vbci
(nouveaux véhicules blindés de combat d’infanterie), 80 hélicoptères de
combat (Tigre), 130 hélicoptères de manœuvre (NH 90) et 25.000
équipements individuels du combattant (Félin)…;
- trois brigades spécialisées ;
- des moyens d’appui en rapport.
Cette liste, au demeurant incomplète (y manquent de
nombreux matériels indispensables en Opex, tels les chars amx10 rc), ne doit pas faire
illusion.. Rééquipements et redéploiements ne seront pas terminés avant
plusieurs années. Le reformatage des armées s’inscrit dans une durée de
l’ordre de sept ans, ce qui signifie qu’il ne sera pas achevé, au mieux, avant
2016-2017. Que se passera-t-il d’ici là ? Notamment sur les théâtres
d’opérations existants aujourd’hui, tel l’Afghanistan ?
Dans l’immédiat, l’armée de Terre, à vocation quasi
exclusive de projection, devra faire avec les matériels obsolètes qui l’équipent
actuellement, plus ou moins bien remis en condition opérationnelle, notamment
afin de mieux protéger les combattants.
S’agissant de la disponibilité de ces matériels, si la
situation semble en voie d’amélioration pour les équipements terrestres, elle
est particulièrement préoccupante en ce qui concerne l’aviation légère de
l’armée de Terre (Alat) dont les hélicoptères de combat et les
hélicoptères de manœuvre sont en rupture manifeste de capacité
opérationnelle.
2.6.4.4Le
renouvellement du parc d’hélicoptères de l’Alat
En l’état, le parc d’hélicoptères de l’Alat n’est
plus en mesure d’assurer la totalité des missions qui lui sont imparties et dont
sait pourtant l’importance et le caractère irremplaçable dans les combats
terrestres. Son renouvellement est devenu urgent, mais il reste conditionné à la
fois par la disponibilité des crédits nécessaires et par des problèmes
techniques de réalisation des capacités opérationnelles
demandées.
a) L’hélicoptère de combat
Tigre
Cet hélicoptère est destiné à remplacer les hélicoptères de
combat Gazelle en service depuis plus de trente ans. Conçu en coopération
avec l’Allemagne à partir des années 80, il en était prévu à l’origine deux
versions : une version appui-protection (hap) spécifiquement française et
une version anti-char en deux variantes, (hac) pour la France, (uht) pour l’Allemagne, cette
dernière ayant des capacités d’appui plus limitées. Le premier prototype a volé
en 1991 et le programme a été pris en charge par l’occar en 1998.
La cible allemande était alors de 80 hélicoptères uht et la cible française de 120,
dont 80 commandés en 1999, les 40 autres devant être commandés en 2009. En 2003
cependant, l’Espagne a demandé à participer au programme sur la base d’une
nouvelle version de l’hélicoptère dénommée appui-destruction (had), ce qui a conduit à modifier
et à répartir la commande française de 1999 entre 40 hap et 40 had, ce qui finalement correspond à
la cible fixée par le nouveau Livre Blanc.
Du fait des difficultés rencontrées dans la mise au point
du système d’armes très complexe de l’hélicoptère, les premières livraisons à
l’Alat, prévues en 2004, n’ont pu intervenir qu’en 2007 et 2008 (21 au
total ?). Une soixantaine d’hélicoptères Tigre devraient donc rester
à acquérir à compter de 2009, soit à raison d’une demi-douzaine d’engins livrés
par an, un report de l’achèvement du remplacement des Gazelle à l’horizon
2020.
Par ailleurs, s’agissant de l’armement principal de
l’hélicoptère had, les
Armées ont dû se résoudre à acheter « sur étagères » 200 missiles
américains Hellfire, en l’absence d’une munition nationale ou européenne.
Il s’ensuit une dépendance évidente qui pourrait poser problème en cas
d’engagement dans un conflit de haute intensité hors otan.
b)L’hélicoptère de manœuvre NH 90
L’Alat dispose actuellement d’un parc de 96
hélicoptères de manœuvre Puma (trente-neuf ans d’âge !) dont une
trentaine constamment en Opex, avec un taux de disponibilité satisfaisant
de 74 % obtenu en sacrifiant le reste du parc conservé en métropole dont la
disponibilité est tombée à moins de 40 %. S’y ajoutent 24 hélicoptères de
transport Cougar (dix-neuf ans d’âge). Outre les conséquences de
l’impasse faite depuis longtemps sur leur mco et leur rénovation, ces
hélicoptères ne satisfont pas aux nouvelles règles internationales de la
navigation aérienne, ce qui devrait prochainement (2010) réduire leur emploi au
vol à vue ! Même si le financement de l’adaptation de 45 Puma peut
être trouvé, le déficit capacitaire de l’Alat ne pourra pas être comblé
entre 2010 et 2020.
Il ne semble pas possible en effet de disposer rapidement
du remplaçant du Puma, le nh 90, en nombre suffisant avant
cette dernière date. Hélicoptère polyvalent de la classe des 9/10 tonnes, cet
hélicoptère estréalisé en deux
versions, la terrestre, le nh 90 tth(Tacticaltransport helicopter), destiné au transport tactique, et la marine, le
nh 90 nfh(Nato frigatehelicopter).
Les critiques portent sur son coût très élevé (de l’ordre de 25 millions
d’euros) qui résulte de ce que certains appellent un « empilement de
nouvelles technologies ».
12 tth
90 ont été commandés en décembre 2007, soit plus d’un an après la livraison
à l’Allemagne de ses 3 premiers hélicoptères de série. Une commande
complémentaire de 22 appareils était inscrite au budget 2008, portant à 34 le
nombre d’appareils dont la première livraison (1 hélicoptère) est prévue en
2011, une seconde en 2012 (6 à 7 hélicoptères), et ensuite unedizaine par an. Une commande globale de
65 hélicoptères devait suivre en 2016-2017. Le Livre blanc confirme la
cible initiale de 130 hélicoptères de manoeuvre, mais ce choix, dicté par des
contraintes « fédérales » (il s’agit d’un programme nato-européen),
fait l’impasse sur les besoins qui apparaissent de disposer d’une quinzaine
d’hélicoptères de transport lourd.
2.6.4.5.Rénovation et acquisition de nouveaux blindés
Les principaux engins blindés qui équipent les forces
projetées en Opex, notamment les engins roues-canon amx 10 rc et les transports
d’infanterie amx 10 p,
sont parmi les matériels les plus sollicités. Les premiers sont en cours de
rénovation, les seconds vont être remplacés à partir de cette année par le
nouveau véhicule blindé de combat d’infanterie (vbci) dont le nombre à acquérir sera
ramené de 700 à 650 exemplaires selon le Livre
Blanc :
a)l’engin
blindé sur roues à capacité anti-char amx 10 rc (canon de 105 mm) est
entré en service en 1980 et sa rénovation qui porte sur 256 engins est destinée
à prolonger sa capacité opérationnelle jusqu’en 2020, notamment en accroissant
sa protection par l’installation de blindages additionnels et d’équipements de
contre-mesures et en le dotant d’un système d’information lui permettant
d’opérer en univers numérisé. 150
amx 10 rcrénovés devraient être disponibles fin
2008 ;
b) le véhicule blindé de combat d’infanterie
vbci répond à un besoin encore
plus urgent. Il est destiné à devenir le véhicule de combat principal des forces
terrestres. Très bien protégé, il assurera à la fois des missions de
transport de troupes blindé (9 combattants à équipement Félin) et des
missions d’accompagnement du char Leclerc ou de substitution éventuelle à
l’amx 10 rc (il est doté
d’un canon de 25 mm à munitions très performantes). Le programme qui a connu un
retard initial important se déroule normalement. 182 blindés (65 + 117) avaient
été commandés à fin 2007 et 116 autres devaient être commandés en 2008. Une
premièrelivraison de 41 blindés
doit intervenir en 2008, la cadence des livraisons passant à une centaine par an
ensuite.
2.6.4.6.Relative continuité des programmes
On notera que les équipements à réaliser seront
sensiblement les mêmes que ceux actuellement en dotation ou en cours de
réalisation, après remise à niveau pour les plus anciens afin de prolonger leur
durée de vie opérationnelle. Il s’agira notamment des vbci, des amx 10 rc rénovés, des canons
Caesar de 155 mm, etc. Après les grosses commandes passées antérieurement
au profit de l’armée de l’Air (Rafale) et de la Marine (frégates fremm et smabarracuda), les dotations
budgétaires de 2008 devaient précisément financer prioritairement des commandes
d’armements terrestres : 22 hélicoptères de transport nh 90, 116 blindés vbci, remise à niveau de 36 chars
amx 10 rc et 5.000
équipements individuels de combat Félin (fantassins du
futur).
Sous réserve d’un
maintien en condition opérationnelle (mco)satisfaisant, leur arrivée dans les formations
apportera des améliorations sensibles aux équipements des forces engagées en
matière de puissance de feu, de précision, de furtivité, deprotection (notoirement insuffisante
actuellement),de mobilité, de robustesse, d’aéro-transportabilité, et…, en même
temps elle permettra une plus grande interopérabilité pour un emploi en réseau
qui est considéré aujourd’hui comme la condition première d’un avantage décisif.
C’est ce que devrait organiser le projet « Scorpion » (Synergie du
contact renforcé par la polyvalence et l’infovalorisation) qui faisait
largement appel aux technologies nouvelles, notamment à la numérisation du champ
de bataille.
Le projet
impliquait par ailleurs une rénovation ou mieux un renouvellement des
plates-formes de combat. Le char
Leclerc serait adapté au combat en zone
urbaine - nouvelle préoccupation majeure -, en particulier avec l’ajout d’une
arme de bord téléopérée. Un ebrc(engin blindé de reconnaissance et de combat)
polyvalent, capable d’appuyer des combattants et de combattre d’autres blindés,
devait remplacer l’amx 10 rc
à l’horizon 2020. La production du vbci, véhicule de combat d’infanterie
destiné à remplacer l’amx 10
p, était en cours. Le véhicule de
l’avant blindé (vab) qui est
actuellement utilisé pour le transport des combattants et des systèmes d’armes
au contact (il ne permet malheureusement pas aux servants d’armes d’être
protégés lors de leur mise en œuvre ni de tirer de l’intérieur à l’abri du
blindage) devait être lui-même remplacé par un porteur blindé (pb) polyvalent dans les prochaines
années. Ces matériels étaient destinés à armer les groupement tactiques
interarmes (gtia) dont la
constitution à l’horizon 2020 devait consacrer l’aboutissement du projet
« Scorpion », mais comme le soulignait un des officiers supérieurs
chargés du projet : « la réalisation ou la remise à niveau des
capacités nécessite des délais importants qu’il ne faut pas
sous-estimer… ».
Ce projet apparaît
cohérent dans un cadre classique d’organisation de l’armée de Terre, mais, bien
qu’ayant été retenu dans le Livre Blanc
sous l’appellation de brigades interarmes (pour faire comme les
Anglo-saxons ?), il risque d’être contrarié non seulement par des
difficultés d’ordre budgétaire mais aussi par les envois en Opex de contingents prélevés sur ces grandes unités qui
poseront toujours à ces dernière un problème de cohésion. On peut en effet se
retrouver dans la situation qui prévalait au temps de la guerre d’Algérie,
lorsque l’envoi de troupes de plus en plus nombreuses en Afrique du Nord se
faisait au détriment du corps de bataille européen chargé de faire face à la
menace soviétique dans le cadre de l’otan.
On n’oubliera pas
d’autre part qu’un adversaire déterminé, aux équipements rustiques mais capable
de faire exploser un missile nucléaire à une altitude de quarante kilomètres (la
Corée du Nord ou l’Iran par exemple) pourrait neutraliser l’ensemble des
systèmes d’armes amis d’un théâtre d’opérations qui sont bourrés d’électronique,
rétablissant ainsi un rapport de forces en sa faveur.
2.6.4.7.Autre préoccupation, l’armée de Terre connaît des
difficultés pour le recrutement
des militaires du
rang (1,2 candidat pour 1 poste
budgétaire) au moment même où elle se trouve confrontée à des besoins
grandissants en effectifs du fait de la durée des Opex engagées dans des phases de stabilisation. Serait en
cause le manque d’attractivité des carrières offertes à ces personnels. Une
solution serait recherchée dans un recrutement des jeunes des minorités vivant
sur le territoire national. Si l’intégration de ceux-ci est hautement
souhaitable, il n’est pas sûr que leur recrutement pour combler les manques
d’effectifs de l’armée de Terre réponde aux exigences de comportement de plus en
plus judiciarisées qu’implique toute intervention dans des pays en
crise.
Il faut rappeler
qu’il s’agit ici des armées de la République et que dans le rapport de ses
troupes à la Nation réside une composante fondamentale de la cohésion nationale.
Lors de son audition par la Commission du Livre Blanc, l’expert du parti socialiste Louis Gautier
soulignait à juste titre que, si les militaires n’étaient pas des fonctionnaires
comme les autres du fait de leurs sujétions, ils devaient être des citoyens
comme les autres. C’est bien en tant que citoyens représentants de la République
française que leur comportement en Opex doit être finalement apprécié puisqu’il s’agit
toujours d’intervenir au nom de nos valeurs républicaines.
2.6.5. La Marine
nationale (composante navale)
2.6.5.1. Moyens
et missions
Comme pour l’armée
de Terre, le Livre Blanc redéfinit les
objectifs opérationnels de la Marine nationale dans une perspective renforcée et
quasi unique de projection des forces, hors la dissuasion, et les moyens
correspondants :
- 18 frégates de
premier rang (dites de haute mer) ;
- 4 bâtiments de
projection et de commandement (bpc).
Les missions des
forces navales se dédoublent en celles de la force océanique stratégique (les
quatre snle) qui doit garantir en
permanence la « capacité de frappe en second de la dissuasion» et en les
autres, frégates notamment, chargées de surveiller et de contrôler les approches
maritimes du territoire national, métropole et outre-mer, de faire respecter la
souveraineté française dans les eaux territoriales et leurs extensions, de
sécuriser les voies de communication contre toute action terroriste et contre
toute forme de trafic. Cependant, comme pour les armées de Terre et de l’Air, la
mission principale dans le contexte international actuel, sera, compte tenu des
moyens importants réalisés à cette fin (porte-avions, bpc), de contribuer à la résolution
d’une crise en déployant le groupe aéronaval, avec son escorte de frégates et de
sna, et/ou un ou deux groupes
amphibies, avec leur soutien logistique, au profit d’une Opex.
2.6.5.2. Partage
de rôles dissuasifs entre fremmavt et sna
Barracuda
La réalisation de
ces deux programmes est indispensable pour assurer l’escorte des grands
bâtiments d’intervention comme le porte-avions et les bpc et, s’agissant plus spécialement
des frégates,pour « tenir la
mer » dans les zones sensibles et pour assurer la sécurité de nos routes
maritimes. L’amiral Mérer estimait récemment dans Le Figaro qu’une trentaine de frégates de haute mer étaient
nécessaires à ces fins.
La flotte existante,
qui était à renouveler en quasi totalité en raison de son ancienneté et del’obsolescence de ses systèmes
d’armes, a cependant fait l’objet d’une réduction sensible des remplacements
antérieurement programmés (21), pourtant déjà inférieurs à l’estimation des
besoins évoqués par l’amiral Mérer. C’est ainsi qu’on a ramené à 18 le nombre
des frégates de premier rang dont disposer (frégates antiaériennes
indispensables à la défense des groupes aéronavals et amphibies, frégates
multimissions ou
fremm).
La cible
initialement fixée en 2002 par la loi de programmation militaire pour les années
2003 à 2008, c’est-à-dire le nombre d’unités à acquérir, était en effet de 4
frégates antiaériennes, « format minimal pour assurer la permanence de
la protection du groupe aéronaval ou d’un groupe amphibie »(rapport de M. Guy Tessier, président de
la Commission de la Défense de l’Assemblée nationale), et de 17 fremmd’un tonnage de 5.000 tonnes, en remplacement de 2 frégates type f 67
admises au service dans les années 70, de 5 frégates type 70 admises au service dans les années 80 et de 9 avisos
type a 69 admis au service également dans les années 80, soit
21 frégates de premier rang prévues autotal.
Les 17 fremmconstituant le programme français se répartissaient
en 9 frégates avt « action
vers la terre » (frappe dans la profondeur, appui et soutien des opérations
de projection) et 8 frégates asm
de protection anti-sous-marine au profit du groupe aéronaval et du groupe
amphibie.
Les Italiens ayant
eux-mêmes besoin d’acquérir 10 frégates de nouvelle génération, un accord était
intervenu en novembre 2002 pour que les deux pays réalisent ensemble ce
programme afin d’en réduire le coût. Ce genre d’arrangement conduit souvent à
des mécomptes, c’est le cas ici. Pour équilibrer la répartition des travaux
entre les deuxindustries
nationales, les Italiens ont imposé une motorisation sous-performante des
bâtiments (turbines lm
2500
+ga
fabriquées en Italie n’assurant qu’une vitesse maximale de 27 nœuds), ce qui
posera des problèmes à la fois dans l’emploi des frégates et lors de leurs
compléments d’armements prévus à mi-vie qui les ralentiront
encore.
De plus, des
difficultés de financement ont conduit dès 2005 à limiter à 2 unités le nombre
de frégates anti-aériennes de nouvelle génération et à envisager de remplacer
les deux manquantes, reconnues indispensables, par 2 fremmadaptées à la défense antiaérienne. Le financement du
programme qui devait être assuré par des « financements innovants »
fera en définitive l’objet d’un financement budgétaire classique, son coût
global estimé étant passé entre temps de 5,3 milliards à 8,5 milliards
d’euros !
La réduction du
programme imposée aujourd’huiest
d’autant plus mal venue que la Marine nationale avait fait l’impasse sur
certains équipements pour disposer rapidement d’un maximum de
« coques ». Un important saut capacitaire sera cependant obtenu
par l’équipement des bâtiments en systèmes de lancement vertical de missiles de
croisière Scalp navals, soit 2 systèmes
Sylver A 70 par unité, approvisionnés de
16 missiles Scalp navals ou d’un mélange
de missiles Scalp navals et de missiles
surface-air Aster 15 selon la mission et
les risques encourus.
Toutes les fremm seront en mesure d’effectuer
des frappes en profondeur contre des cibles terrestres, avec toutefois la
restriction importante que les frégates asm (action anti-sous-marine) ne
pourront tirer leurs missiles qu’avec l’assistance des avt (action vers la terre) pour la
préparation et la planification des tirs. La Marine nationale pourra ainsi
effectuer des frappes massives en profondeur, associées éventuellement à des
frappes côtières (fortifications, batteries côtières, ports et navires à quai)
avec des missiles mm
Exocet Blockii
d’une portée de 180 kilomètres (8 missiles par navire). L’ensemble de ces
capacités constituera pour tout adversaire potentiel, population comprise, une
menace de frappes destructrices contre ses organes gouvernementaux et de
commandement ainsi que contre ses infrastructures vitales dès l’arrivée sur zone
d’un ou de plusieurs de ces bâtiments qui aura alors valeur de signal politique
et militaire dissuasif.
Une commande
globale pour 8 frégates a été passée en novembre 2005 : 6 en version asm et 2 seulement, sur une cible
initiale de 9, en version avt, le
choix stratégique donnant la priorité aux sna. La livraison des frégates devrait
s’échelonner de 2011 à 2016, au rythme de 1,5 à 2 bâtiments par
an.
L’hypothèse
d’emploi principal des avt au service d’une politique de « gesticulation »
visant à dissuader un ou plusieurs pays de poursuivre une politique d’agression
ou de déstabilisation régionale semble instaurer une concurrence avec la
mission, plus discrète, voire plus expéditive, qui serait confiée aux 6 sna, à savoir débarquement de
forces spéciales et tirs des mêmes missiles de croisière.
Ce partage des
rôles pourrait poser un problème de
disponibilité et de répartition des missiles de croisière entre fremmet SNA pour une quantité ciblée relativement
réduite : 250 missiles, dont seulement 50 commandés, alors que les
Britanniques en ont tiré 70 en une seule salve lors de leur intervention en Irak
en 2003. La dotation française serait-elle suffisante dans le cas de la
participation à un conflit de haute intensité, contre l’Iran par exemple ?
La réduction du
nombre de fremm aurait pu
d’autre part conduire à une redéfinition des capacités nécessaires s’agissant du
remplacement des anciens avisos.Certains d’entre eux, qui assureront des missions d’escorte ou de
surveillance, pourraient peut-être être remplacés par des corvettes de moindre
déplacement et de moindre coût, telles les corvettes
« GoWind »proposées à l’exportation par la dcn (3 versions de déplacement 1.250,
1.700 et 1.950 tonnes, vitesse supérieure à 30 nœuds, système de combat
conçu pour assurer la défense et la sauvegarde des approches maritimes en toutes
circonstances, hélicoptère organique).
2.6.6. L’armée de
l’air (composante aérienne)
2.6.6.1. La
modernisation des forces aériennes de combat sera poursuivie en vue de
disposer d’un parc de 300 chasseurs-bombardiers de type Rafale f 3 et
Mirage 2000 d modernisés, incluant les avions de l’aéronautique
navale, auxquels sera associée une flotte d’avions de ravitaillement (14
mrtt) et de transport stratégique et tactique (environ 70
appareils dont 50 Airbus a
400 m).
Deux escadrons de
Rafale f 3 et la capacité de ravitaillement correspondante
seront affectés à la dissuasion.
Les forces aériennes
disposeront en outre de 4 Awacs chargés
de la détection et du contrôle des opérations.
2.6.6.2. Les
missions imparties à l’armée de l’Air et à l’aéronavale seront en premier
lieu, hors la composante de la dissuasion, d’assurer en permanence la
surveillance et le contrôle des approches aériennes du territoire national
(métropole, dom-tom et
spécialement le champ de tir de Kourou). C’est un minimum. La mission principale
cependant sera, comme pour l’armée de Terre et la Marine, de participer aux
Opex et, dans le cas d’un conflit
majeur, d’être en mesure de projeter jusqu’à 70 avions de combat sur un théâtre
d’opérations situé jusqu’à 8.000 kilomètres de la métropole.
2.6.6.3. Une autre
mission de l’armée de l’Air concerne ses capacités de transport tactique et
stratégique qui sont devenues notoirement insuffisantes. Leur rétablissement
passe par le remplacement du parc de ses avions de transport tactique
Transall c
160 et Hercules c130 à
bout de souffle et d’un manque de moyens dans le domaine du transport aérien
stratégique.L’A 400 m de
eads qui doit les remplacer et
dont 50 appareils ont été commandés par la France en 2003, avec deux années de
retard du fait des palinodies allemandes, n’effectuera son premier vol que cette
année. Sa production en série connaîtra un retard d’au moins un an, ce qui
reporte à 2010 la livraison du premier appareil à la France. Ce retard est
d’autant plus préoccupant que l’armée de l’Air, qui maintient avec difficulté
ses Transall en condition
opérationnelle, le dernier devant être retiré du service en 2015, est contrainte
de pallier l’insuffisance de ses capacités en moyens de transport par le recours
à la location d’appareils étrangers, en l’occurrence en particulier ceux de
l’Aeroflot russe. Il est inutile
d’insister sur les conséquences de cette perte de souveraineté si le conflit
géorgien conduit à des difficultés majeures avec la
Russie !
2.6.6.4.Les avions de combat
(Rafale et Mirage
2000 d)
La cible des
livraisons visée par la lpm
2003-2008 était de 234 Rafale pour l’armée de l’Air et de 60 pour l’Aéronavale (294
avions au total). Fin 2007, après un long et difficile démarrage de la
production, 112 appareils avaient été commandés dont 76 pour l’armée de l’Air et
36 pour l’Aéronavale. 8 appareils
supplémentaires devaient être commandés en 2008, soit 120appareils commandés au total. Les livraisons prévues à fin 2008 sont
de 68 avions (42 pour l’armée de l’Air et 26 pour l’Aéronavale), qualifiés au
standard f 3 (système d’armes complet). Un premier escadron a été
constitué à Saint-Dizier ; un second à vocation stratégique devrait l’être
cette année si les 7 appareils prévus sont effectivement
livrés.
Les annuités de
réalisation du programme Rafale
(autorisations d’engagement et crédits de paiement) sont de l’ordre de 1,2
milliard d’euros au rythme actuel de production (1,5 appareil/
mois).
Une nouvelle
commande globale de 60 appareils était envisagée en 2009 pour ne pas compromettre la gestion concomitante de
mise en service des Rafale et de retrait
d’autres appareils du parc parvenus en fin de vie. Le nombre de Mirage
2000 d - sur lesquels reposera jusqu’en 2020, après
modernisation, l’essentiel des capacités opérationnelles - étant de l’ordre de
60 appareils, la cible globale du programme Rafale (armée de l’Air, y compris les deux escadrons de la
force de dissuasion, et Aéronavale) devrait être ramenée à 240 appareils, dont
la moitié resterait à commander si l’on s’en tient aux 300 avions de combat
inscrits au le Livre Blanc.
2.6.6.5. Une
autre approche opérationnelle apparaissait possible qui pouvait être par
ailleurs moins coûteuse, s’agissant en particulier des frappes à distance et en
profondeur. Il n’est pas certain en effet que projeter un grand nombre de
chasseurs-bombardiers soit la garantie d’une frappe tactique efficace. En Irak,
de vieux b 52 américains, en attente individuelle sur zone
d’intervention à 13.000 mètres d’altitude, se sont substitués efficacement à
ceux-ci et aux hélicoptères antichars qui saturaient l’espace aérien et qui,
s’agissant des hélicoptères, se montraient particulièrement vulnérables. En
France, une étude récente dont Air et Cosmos s’est fait l’écho a montré que l’équipement d’une
dizaine de a 380 en appareils multirôles
ravitaillement-transport-bombardier (a 380-mrtb),
permettrait, après mise en soute de deux barillets rotatifs lance-missilesd’une contenance de 32 missiles de
croisière Scalp (portée : 1.000
km), d’aller frapper n’importe où en Méditerranée, au Moyen-Orient et en Afrique
subsaharienne depuis la France ou en Asie à partir de La Réunion ou de la
Nouvelle-Calédonie. L’avion disposerait dans cette configuration d’un rayon
d’action de 8.000 km, ramené 5.000 km s’il doit rester plusieurs heures en
attente sur zone.Une telle
solution remettrait nécessairement en cause le nombre de Rafale à acquérir par l’armée de l’Air dont les formes
d’intervention seraient radicalement transformées. Elle disposerait ainsi d’une
capacité de transport stratégique de 6.000 soldats ou de 1.500 tonnes
d’équipements en même qu’une capacité de frappe supérieure d’au moins un tiers à
celle de la dotation en Rafale
initialement prévue. Si ces données se trouvent confirmées, cela mériterait
certainement d’être pris en considération, la dépense équivalant en gros à
l’acquisition d’une centaine de Rafale.
Il faut d’ailleurs se demander si, de toute façon, cet avion sortant d’usine au
rythme d’une quinzaine d’appareils par an, le programme se poursuivra jusqu’à sa
réalisation complète.
On ne peut ignorer
enfin que les États-Unis entendent conserver pour ce type d’interventions leurs
« vieux » b
52h
pendant encore plusieurs dizaines d’années et que le Royaume-Uni (programme
Future Offensive Air System – foas –
lancé à la fin des années 90) et l’Australie envisagent de se doter d’un même
moyen d’intervention à partir d’Airbus a 400 m.
2.6.7. Les
capacités spatiales (connaître et anticiper)
L’exécution de la
lpm 2003-2008 avait permis le
renforcement des capacités spatiales de défense avec l’entrée en service du
satellite d’observation optique Helios ii a
et du satellite de télécommunications Syracuse iii,
mais dans le budget 2008, en l’absence de nouveaux programmes, les autorisations
d’engagement ont été diminuées de 70 %, soit seulement un montant de 155
millions d’euros.
Muni de caméras de
très haute résolution à capacité infrarouge pour la vision de nuit, le satellite
Helios ii a permet de reconnaître la totalité des objectifs
d’intérêt militaire. Entré en service en avril 2005 pour une durée de vie
évaluée à cinq ans, il devra être remplacé au plus tard en 2010 par le second
satellite du programme, Helios ii
b, dont le lancement devrait intervenir
en 2009 pour éviter tout risque de rupture capacitaire.
Il s’ensuit qu’il
est indispensable, pour des raisons non seulement d’enjeux stratégiques mais
également d’enjeux de souveraineté, qu’on lance dès à présent, pour les mêmes
raisons, les études en vue de concevoir un satellite optique successeur du
système Helios.
Le Livre Blanc annonce à cet effet que la France
entreprendra dès cette année la réalisation de la composante optique du système
européen musis
(Multiuser Satellite Imagery System) de capteurs
spatiaux, l’Allemagne et l’Italie développant de leur côté la composante radar.
Un effort budgétaire correspondant est prévu.
3.De quelques conclusions et autres
considérations
Certaines conclusions devraient s’imposer d’elles-mêmes,
mais elles ne semblent pas avoir été entièrement prises en considération dans le
nouveau Livre Blanc. Ses rédacteurs ont manifestement voulu continuer de
privilégier les interventions extérieures en coalition contre un ennemi
malheureusement souvent désigné hors des instances nationales.
On réfute les thèses de Samuel Huntington sur le déclin de
l’Occident face à la montée en puissance de l’Islam et de la Chine et le choc
des civilisations où cela peut conduire, mais la diabolisation constante de ces
deux adversaires potentiels conduit en fait tout droit au conflit évoqué. Il en
résulte pour la France, si elle s’engage elle aussi sur cette voie, le risque
d’être entraînée dans des actions contraires à ses intérêts fondamentaux et aux
valeurs dont elle se réclame. Au niveau de l’Union européenne, il est urgent de
fixer des règles du jeu et de s’y tenir, surtout quand on voit certains pays
membres comme la Pologne provoquer sans cesse le puissant voisin russe avec le
soutien évident des Américains.
3.1. La légitimité d’une intervention des armées françaises
dans un pays étranger, quel qu’en soit le bien-fondé, ne peut être trouvée que
dans un mandat délivré par les Nations Unies à la suite du vote d’une résolution
par le Conseil de sécurité ou par l’Assemblée générale de
l’institution,cela d’autant
plus que la charte institue l’interdiction de toute ingérence dans les affaires
intérieures d’un pays membre. Il est bien évident que cet argument de droit sera
invoqué par les opposants à une telle intervention et qu’il permettra à la
partie adverse de faire valoir cette clause devant l’opinion internationale.
Outre le risque d’enlisement que
comporte toute intervention armée et l’impossibilité qui en résulterait
d’aboutir par la force à une solution politique satisfaisante, c’est-à-dire en
premier lieu à une normalisation de la situation au profit des populations
concernées. L’absence de légitimité d’une intervention « hors mandat de
l’onu » aboutit à
disqualifier durablement le pays qui l’a entreprise, tant en ce qui concerne son
recours à la force que pour sa participation ultérieure à la
négociation.
Les opérations menées dans le
cadre de l’Otan, ou encore dans celui d’une initiative
européenne ou nationale basée sur le fameux droit d’ingérence
kouchnérien, n’échappent pas à cette « malédiction », car elles
apparaîtront directement liées aux ambitions américaines, ou, d’une façon plus
générale, comme une nouvelle forme de colonialisme occidental. C’est une raison
suffisante pour que la France veille à rester à l’écart de telles interventions,
et plus spécialement de celles initiées par l’Otan dont il conviendrait de se
retirer définitivement plutôt que de courir après un strapontin au niveau
décisionnel qui, de toute façon, relèvera exclusivement du bon vouloir des
Américains.
On le vérifiera en
Afghanistan qui va devenir le principal théâtre d’opérations pour l’Otan. Loin
de se dénouer comme les Occidentaux l’espéraient, la situation y échappe à leur
contrôle, le gouvernement mis en place s’avérant impuissant à juguler une
opposition armée qui trouve ses financements dans le commerce de l’opium,
redevenu la principale production du pays. Peu à peu s’y développe une situation
qui n’est pas sans rappeler les guerres coloniales d’Indochine et d’Algérie.
De même que le
Viet-minh s’appuyait sur la Chine et que le fln s’appuyait sur les pays arabes à
partir du Maroc et de la Tunisie, la résistance pachtoune bénéficie de l’appui
d’une part grandissante de l’appareil politique et militaire pakistanais, ce qui
la met pratiquement à l’abri de toute élimination, hors l’exercice d’un droit de
suite sur le territoire pakistanais, réclamé par Kaboul mais qui ne sera pas
accordé.
3.2. La défense et la sécurisation du territoire
national, étendues s’agissant d’intérêts fondamentauxaux dom-tom,constituent la première des priorités.
3.2.1. Un constat
s’impose. En voie de marginalisation dans les affaires de l’Europe, spécialement
depuis le traité de Nice et l’entrée dans l’Union Européenne des pays
ex-communistes de l’Europe de l’Est, menacée d’un démembrement préparé par
Berlin et Bruxelles, la France n’a guère le choix des moyens pour demeurer une
puissance de dimension mondiale. Plus ou moins contrainte de limiter ses
ambitions de partage du leadership en
Europe, malgré les efforts de son actuel président, elle doit s’affirmer
davantage à l’extérieur du continent. Après la décolonisation, ce sont les
dom-tom qui lui ont permis, pour
une bonne part, de conserver cette dimension mondiale.
Or il faut
souligner le caractère îlien de ces derniers, hors la Guyane qui représente avec son champ de tir
de satellites de Kourou un autre pôle d’intérêt stratégique. Ces îles offrent à
la France un élargissement considérable des fonds marins sous sa
souveraineté : 11 millions de kilomètres carrés, dont l’exploitation
industrielle, pour être encore hypothétique en ce qui concerne les nodules
minéraux (nickel, cuivre, cobalt), pourrait devenir rapidement une nécessité du
fait d’une offre mondiale insuffisante de ces métaux et de l’envolée
correspondante de leurs coûts. Il est donc plus nécessaire que jamais d’assurer
la défense et la protection de ces zones maritimes, ce qui doit logiquement se
traduire par un renforcement des moyens de la Marine nationale affectés à cette
mission. S’y ajoute bien entendu la même nécessité de défendre et protéger les
voies de navigation commerciales qui relient la métropole et les Dom-Tom, entre
eux et avec leurs sources d’approvisionnement en denrées et
matières.
3.2.2. D’une manière générale,
même si cela peut déplaire, une des premières tâches des forces armées de
l’intérieur devrait être de contribuer à rétablir l’ordre républicain sur la
totalité du territoire national, dom-tom compris. La constitution de
communautés ethniques ou religieuses, d’origine étrangère ou sous contrôle
étranger, présente un réel danger potentiel dès lors qu’à la coordination de
leurs propres actions subversives pourrait s’ajouter la menace d’un soutien
extérieur.
Le risque existe effectivement
que la France n’échappe pas à ce genre d’affrontement dans les années qui
viennent si elle continue d’afficher une faiblesse coupable, en particulier face
à l’immigration, comme au temps des gouvernements socialistes. Il faut être
conscient que les immigrés clandestins constituent à cet égard une masse de
manœuvre pour les partis extrémistes qui favorisent impunément leur venue et qui
voientdans leur participation
réclamée aux élections locales le moyen de prendre et de garder le pouvoir
« démocratiquement ».
La référence aux droits de
l’homme et le dévoiement juridique de leur défense ne doivent pas faire
illusion. Il s’agit d’une entreprise de déstabilisation de l’État dans laquelle
les intérêts des immigrés clandestins pèsent nettement moins lourd que les
volontés de s’emparer du pouvoir.
3.2.3. D’autres risques à ne
pas négliger
Les menaces terroristes associées à la possession
potentielle d’armes de destruction massive (adm) et de leurs vecteurs balistiques
par les pays islamiques obsèdent la majorité des dirigeants occidentaux. Elles
sont largement instrumentalisées par les Américains qui s’en servent pour
convaincre les pays européens de participer à leurs interventions les plus
aventureuses. Ces menaces sont certes potentiellement réelles mais elles
relèvent pour une bonne part du domaine de l’hypothèse, et l’expérience tendrait
à montrer que la meilleure façon d’en éviter la concrétisation ne réside pas
dans le seul usage de la force armée.
Elles conduisent d’autre part à négliger des risques
plus classiques qui résultent notamment de contentieux historiques
non encore dénoués, telles, par exemple, en Afrique les frontières artificielles
qui ont été héritées de la colonisation et qui furent fixées par méridiens et
parallèles. Plus près de l’Europe, le conflit qui oppose les Ossètes aux
Géorgiens relève de même pour une large part d’un tracé frontalier qui ne tenait
pas compte des droits à l’autonomie des premiers. Etc.
À ces risques de déstabilisation
s’ajouteront inévitablement les incidences dramatiques sur les rapports Nord-Sud
des grandes tendances de fond qui sont dès maintenant à l’œuvre,
désordres climatiques, déséquilibres démographiques, migrations, etc. Elles
poseront de plus en plus des problèmes humanitaires, notamment dans les
domaines de la suffisance alimentaire et d’autres besoins vitaux, tel l’accès à
l’eau. Il y a de plus en plus à craindre que ces problèmes ne puissent se
résoudre pacifiquement…
Enfin, dans un monde certes
globalisé mais surtout de plus en plus soumis à toutes les formes de violence,
on assistera à l’émergence de pouvoirs occultes (mafias, triades, sectes,
etc.) fondés sur des trafics en tous genres (grand banditisme, crime organisé,
drogue, prostitution, etc.), et, de ce fait, à la multiplication des zones
dites grises, c’est-à-dire celles qui échappent à toute régulation étatique
et qui sont autant de lieux d’affrontements potentiels.
3.2.4. Les incertitudes
américaines
À l’horizon d’une génération
(2030/35), soit à un temps à peine plus long que celui couvert par le nouveau
Livre Blanc, il est quasi certain que, d’une part, la multipolarisation
résultant de la montée en puissance des pays émergents, ceux du bric (Brésil, Russie, Inde et Chine),
enlèvera aux États-Unis et aux pays européens associés le monopole de la
direction des affaires mondiales, et que, d’autre part, ceux-ci perdront
progressivement la supériorité militaire qui les met actuellement à l’abri d’une
défaite irréparable s’agissant de leur propre défense.
Si cette tendance se confirmait
et s’accélérait, elle conduirait vraisemblablement et assez rapidement à un
retour des Américains à l’isolationnisme, hypothèse qui ne manque pas de
(re)poser de façon incontournable le problème de la défense du continent
européen et, à défaut de sa mise sur pied, celui de la défense et de la sécurité
du territoire, des populations et des intérêts vitaux de la
France.
4.La
problématique française
4.1. Les ambitions françaises
sont plus présidentielles que nationales.L’absence de ces dernières est la triste conséquence
d’un misérabilisme intellectuel qui se complaît depuis quelques décennies dans
d’interminables repentances.
Le président
ambitionne légitimement de laisser sa marque dans l’Histoire. Ses propositions
concernant la défense de l’Europe seront présentées et si possible discutées à
l’occasion de sa présidence de l’Union Européenne, dans l’espoir d’obtenir un
accord des autres pays membres pour augmenter l’effort de réarmement du
continent, mais la conjoncture économique et financière, alibi commode, ne s’y
prête guère.
Le président
poursuit, à sa manière, un rêve de grandeur pour la France. Il se voudrait
gaullien, mais l’ambition est trop personnelle pour servir vraiment ce rêve. La
contradiction principale réside dans la substitution d’un engagement
supranational - désormais caractérisé par une allégeance de fait aux États-Unis
- aux responsabilités nationales qui découlent de son mandat, tout du moins
selon la Constitution de 1958 dans sa version première.
Sur le plan interne,
cependant, la société française étant ce qu’elle est devenue, il y a un certain
mérite à rechercher les conditions d’un retour à une plus grande cohésion
nationale, qui apparaît aujourd’hui remise en cause et qui est pourtant
indispensable pour résister aux menaces de l’époque dont le reformatage des
armées est censé mieux protéger. Ce dernier n’aura en effet de portée que s’il
peut s’appuyer sur les forces morales du peuple français.
4.2. Cela étant, on ne peut nier
les effets « mécaniques » des réductions décidées. En bref, la
peau de chagrin s’est une fois de plus rétrécie, d’où la question :à quoi va-t-on aboutir en appliquant les mesures inscrites dansle nouveau Livre
Blanc ?
À la pleine adaptation
attendue des armées françaises aux missions que décidera l’autorité politique
dans le cadre prioritaire de la lutte contre le terrorisme islamiste, menée
aux côtés des Américains entre océan Atlantique et océan Indien et sous leur
commandement ?
Ou bien - comme s’en
inquiètent bon nombre de chefs militaires - ne s’agit-il pas, exclusivement,
d’une compression d’ordre budgétaire, habillée pour la forme d’arguments de
circonstance ?
Bien que le gouvernement le
conteste, il se peut que les auteurs du manifeste « Surcouf » aient
raison et que cette deuxième interprétation soit effectivement la bonne. De
fait, quand on examine les grands équipements et systèmes d’armes retenus pour
chaque armée, on voit rapidement qu’il s’agit des mêmes programmes que ceux
engagés précédemment, à la seule différence que les cibles (nombre d’unités à
acquérir) ont été sensiblement diminuées, d’où inévitablement - ce que l’on ne
dit pas, mais ce qui rognera les économies affichées - des coûts unitaires qui
seront sensiblement relevés et un ratio budgétaire capacités/coûts
dégradé qu’il faudra encore corriger du ratio opérationnel
effets/capacités, lui-même dépendant des conditions d’emploi des dites
capacités et du nombre d’équipements pouvant être mis en œuvre…
Pour autant qu’il corresponde à
des effets recherchés et mesurés sur le terrain, dans la durée et auprès des
populations concernées, le rapprochement des deux ratios devrait conduire les
responsables politiques à s’interroger sur la pertinence de choix militaires
exclusifs au regard d’autres formes d’intervention, diplomatiques, économiques,
etc. qui peuvent être évaluées avec le même souci d’efficacité. Il est certain
que, pour éviter de courir le risque de nouveaux enlisements, ces responsables
ne devraient pas se limiter d’entrée à faire de l’usage de la force armée leur
unique mode d’action, maisrechercher s’il en existe d’autres, éventuellement tout aussi coercitifs,
avant de s’y résoudre.
4.3. Le pouvoir se félicite –
peut-être imprudemment – des résultats d’un sondage qui a fait état d’une
forte majorité populaire favorable aux armées. Cependant, quand on
interroge les gens, la réponse est plutôt du genre « armons-nous et
partez ! ».
En revanche, ce sondage
entretient un malentendu qui date de la professionnalisation des armées. Une
population vieillissante en est restée à l’armée de conscription qui pouvait
fournir une main d’œuvre de secours abondante lors des catastrophes naturelles
ou des grandes pollutions industrielles.
Il est bien évident qu’avec des
effectifs réduits les militaires d’aujourd’hui, qui servent par ailleurs des
équipements de plus en plus sophistiqués exigeant une formation des plus
coûteuses, ne devraient pas logiquement être utilisés pour des tâches qui sont
normalement du ressort de la Protection civile (ministère de l’Intérieur). Il
conviendrait d’ailleurs de renforcer cette dernière en instaurant un service
civique obligatoire.
Enfin et surtout, la société
française paraît toujours mal armée pour faire face à une situation de crise qui
la concernerait directement. Depuis une trentaine d’années elle a renoncé à
toute ambition nationale, s’adonnant sans restriction aux « joies » de
l’hyperconsommation et à la pratique d’un hédonisme fuyant toute responsabilité
collective et individuelle. Dans ces conditions, la concrétisation d’une menace
de grande envergure pourrait ne trouver en face d’elle qu’une population prête à
tous les abandons et incapable de la moindre solidarité. Chacun pour soi !
Il est grand temps d’inclure ce
handicap majeur dans les réflexions sur la défense et la sécurité. La
cohésion nationale est la condition première de la capacité de résistance d’un
peuple. Elle passe par la consolidation permanente du contrat social qui
doit donc être considéré comme étant lui-même une composante majeure de la
politique de défense et de sécurité nationale.
4.4. L’heure des choix n’est pas celle de la langue
de bois
Il faut beaucoup
d’aplomb pour déclarer qu’ainsi diminuée dans ses moyens opérationnels la France
demeurera encore la quatrième puissance militaire au monde. Ses armées
reformatées comparées à celles des autres puissance nucléaires, huit avec
l’Inde, le Pakistan et Israël, auxquelles il faut ajouter le Japon dont les
forces d’autodéfense n’ont cessé de se renforcer, la France n’est pas loin de
rétrograder au dernier rang, malgré tout le professionnalisme dont sont capables
ses personnels et le niveau de ses armements, ces derniers sous réserve d’un
mco
effectif.
Cela ne signifie pas que les
choses auraient pu être autrement. Tout le monde était d’accord pour considérer
qu’il fallait remettre les pendules à l’heure, le modèle d’armée 2015 étant
devenu hors de portée. Le reformatage décidé aujourd’hui était inévitable, mais
certains des choix qu’implique le renforcement de la priorité donnée aux Opex
restent très discutables et ils posent clairement la question – qui semble
avoir été éludée en raison des ambitions présidentielles – de l’élaboration,
maintenant, d’une stratégie nationale qui ne sorte pas du cadre de nos moyens,
ce qui implique de redéfinir des règles strictes d’engagement des
Opexqu’il ne sera jamais possible de multiplier
indéfiniment - et surtout de s’y tenir, cela en ne négligeant pas
par ailleurs les obligations de caractère national. Comme tout État, la France
a, on ne le souligne jamais assez, des obligations spécifiques en matière de
défense et de sécurité à l’égard de sa population et des intérêts vitaux du pays
qui doivent primer sur toute autre considération.
Les nouvelles compétences
offertes au Parlement devraient permettre de verrouiller un domaine régalien qui
tend à s’élargir inconsidérément en dehors du contexte national.Les débats de l’automne qui se
dérouleront à l’occasion de la présentation de la future Loi de programmation
militaire devront apporter, sauflangue de bois, les éclaircissements, voire les garanties, les plus
souhaités. ¡