PRÉSIDENTIELLES EN QUESTIONS

par Paul MLOBOUKOFF

L’élargissement de l’Union de quinze à vingt-cinq et le référendum sur le traité constitutionnel de 2005 ont été deux sujets très liés depuis l’an 2000. Le second a donné lieu à près de cinq ans de préparatifs lourds, de réunions, de discussions, puis d’invectives et de polémiques dont la violence a pu surprendre. De profondes lignes de clivage fendent notre droite et plus encore notre gauche sur le traité rejeté en France et aux Pays- Bas. On pouvait donc s’attendre à ce que l’avenir de l’UE et les relations de la France avec elle soient au coeur des débats de 2007. D’autant plus que plusieurs candidats à la présidence entendent « relancer » l’Union, « en panne par la faute de la France ». Nouveau référendum constitutionnel ou voie parlementaire, sans doute moins aléatoire ? La question est déjà posée. Car une chose est sure : l’intention est de remettre le couvert jusqu’à ce que la France (ses citoyens ou ses parlementaires, ce qui est très différent) dise OUI et que l’UE ferme son clapet derrière la réponse imposée, comme elle l’a fait après le OUI à Maastricht. Les candidats du PS et de l’UMP savent que la présidence de l’UE reviendra à la France au second semestre 2008 et que la Commission et des membres piaffent d’impatience de remettre en marche le train institutionnel. Alors, il ne faudra pas traîner. Et dans le sens du vent, SVP, puisqu’on ne sait pas où aller ni comment ! La repentance et les compromis seront de mise. Le « troisième homme » des sondages biaise peu pour exprimer sa foi européiste, tandis que les deux candidats précédents se cachent derrière des slogans racoleurs abusant de l’identité nationale, du drapeau tricolore et de La Marseillaise. Ils se défilent.

Les partisans d’une Europe différente de celle, mondialiste, sans limites et sans frontières, fédéraliste et technocratique, qui se fait sans les citoyens concernés et qui prive la France de son indépendance, sont très dispersés. Comme lors du référendum de 2005. Les craintes et les critiques audibles sur l’Europe ont peu changé en moins de deux ans. Un peu plus d’interrogations protectionnistes devant l’immigration, les invasions de produits de pays émergents, les pertes d’emplois et les délocalisations, les concurrences fiscales et sociales déloyales, la mainmise étrangère sur notre appareil industriel, les capitaux baladeurs qui suivent ou précèdent et amplifient les mouvements erratiques des cours de l’euro et des autres monnaies ainsi que des soldes commerciaux. L’UE continue de s’étendre, de se répandre dans la précipitation, l’incohérence et l’hétérogénéité, et de perdre toute chance d’acquérir une personnalité lui permettant de prétendre devenir une entité politique consistante.

La Turquie a fini par entrer dans la campagne, par la petite porte, malgré les esquives et les fins de non recevoir des partis qui se sont succédés au pouvoir. On parle à nouveau d’un statut d’état ayant des liens privilégiés avec l’Europe. Mais, les négociations entre l’UE et la Turquie se poursuivent avec une volonté affirmée et affichée de membres influents de l’Union de les faire aboutir au moment propice. Et ce sont officiellement des négociations en vue de l’adhésion. Ni le candidat de l’UMP, ni celui du PS n’a déclaré qu’il demandera l’arrêt de ces négociations et leur remplacement par un autre dialogue avec la Turquie, en vue d’une entente autre que l’adhésion, et n’a indiqué quelle procédure il proposera pour entrer résolument et sans ambiguïté dans cette nouvelle voie. Sans plus tergiverser, faire traîner en longueur, bercer et berner les uns et les autres avant une grande désillusion.

Dès l’implosion de l’empire soviétique en 1991, personne n’a douté que les États enfin libres voudraient entrer dans l’UE. Treize ans pour les huit premiers, et plus pour la Bulgarie, la Roumanie et les autres qui attendent encore, n’ont pas suffi pour préparer efficacement le terrain. L’Union n’a pas su s’adapter au changement, cherchant à imposer sa même « logique » à tous les membres. Il eut été malséant de ne pas accueillir des peuples de l’Est que l’Europe de l’Ouest avait regardés de loin derrière les barreaux du rideau de fer pendant près de trente-cinq ans, non sans compassion pour les populations asservies, certes, mais avec la crainte de l’URSS et un grand respect des accords de Yalta. 1956 : insurrection de Budapest, écrasée par les chars soviétiques. 1968 : Printemps de Prague, arrêté brutalement en août. 1990 : grèves et naissance de Solidarnoscà Gdansk. Emeutes et instauration de l’état de guerre en Pologne par le général Jaruzelski, qui restera au pouvoir jusqu’en 1990. Ces dates et ces événements tragiques, parmi d’autres moins retentissants, devant lesquels l’Union en construction est restée « prudente » et impuissante, il faut bien le confesser, s’effacent de la mémoire ou sont ignorés de nombreux de nos concitoyens. Il n’en est pas de même des populations des ex « satellites » de l’URSS qui ont supporté la tyrannie, l’oppression et les répressions. Ceci suffit à expliquer leur circonspection envers la capacité réelle de l’Union européenne à garantir leur sécurité extérieure, notamment à l’égard du voisin russe, leur empressement à faire partie de l’OTAN qui bénéficie de la puissance militaire américaine, de son « parapluie », les engagements de certains d’entre eux parmi les « alliés » en Irak, et les projets d’installation de sites anti-missiles en Pologne et en République tchèque. J’en parle ici, car nous avons peu entendu nos candidats sur la Défense nationale et la Sécurité du territoire, pourtant domaines « réservés » du président de la République.

 Pour expliquer leurs choix leurs priorités, leurs « programmes » et leurs coûts, avec un ou avec deux nouveaux porte-avions, par exemple, il serait intéressant de connaître leurs perceptions des risques et des ennemis potentiels et/ou avérés ? En France, en Europe, en Asie, au Moyen Orient... Menaces nucléaires démultipliées, terrorisme international, séparatismes, drogue et grand banditisme, agressions meurtrières et génocides, comme au Rwanda ou au Darfour ? Quelle couverture nationale ? Quels moyens ?

Quels alliés ? Quels engagements avec l’UE, dans l’OTAN et en bilatéral ? Quelle stratégie industrielle dans les secteurs concernés, militaires et civils connexes, dont l’avionique, avec Airbus, et le nucléaire font partie ? Ces questions sont liées à celle de la politique étrangère que la France entend mener et impulser, d’une part, et des pouvoirs qu’elle accepte de concéder à des instances européennes en particulier, d’autre part. Les candidats doivent mieux faire connaître leurs vues synoptiques sur ces sujets primordiaux. Ce sont surtout les partis classés à gauche du PS qui parlent encore de leur désir d’Europe sociale et de la nécessité de renégocier au fond les traités de l’UE. Ils dénoncent l’incompatibilité d’objectifs sociaux élevés, de la progression de l’emploi, des pouvoirs d’achat et des acquis sociaux avec une France et une UE « mondialisées » livrées aux « multinationales et au grand capital », ainsi qu’à une concurrence débridée, nerf de la guerre que soutiennent l’UE et l’OMC. Comme des politiciens européens qui honorent toujours la stratégie de Lisbonne, les candidats du PS, de l’UMP et de l’UDF feignent de croire que des formules magiques combinant les mots éducation, recherche, innovation, technologies de pointe, haute valeur ajoutée, qualité, intelligence, excellence et productivité engendreront des progrès de compétitivité suffisants pour maintenir, voire accroître les rémunérations et les prestations sociales en Europe. Malgré la concurrence des pays émergents à bas salaires et à faibles niveaux de vie. Non, l’ajustement par le bas ne menace pas. Il suffit de regarder autour de soi pour s’en convaincre, n’est ce pas ! Certains laissent même entendre que l’Europe poussera les autres pays à s’aligner vers le haut, sur ses standards… qui diffèrent beaucoup d’un pays européen à l’autre, d’ailleurs. Cette question devrait interpeller des candidats présidentiables. La crédibilité des promesses sociales qu’ils prodiguent en dépend largement. Il n’est pas possible d’ignorer l’internationalisation de notre appareil de production, de nos sociétés et de nos groupes, industriels en particulier, qui se produit, hélas, pendant que notre économie se désindustrialise. Faut-il remonter aux sources, à la Communauté du charbon et de l’acier (CECA), que l’on vient encore d’encenser, pour constater que l’Europe ne produit presque plus de charbon, que le « joyau » sidérurgique que nous avons chèrement soutenu de fusions en alliances, et sur lequel l’Europe s’était finalement repliée, Arcelor, a été repris par la famille hindoue Mittal. Peuton oublier le fabuleux destin transatlantique de Péchiney, absorbé par le groupe Alcan ? Il y a peu, c’est le groupe Danone qui a échappé de justesse à une OPA américaine. Aujourd’hui, c’est la main mise de Lucent sur Alcatel, avec douze mille cinq cents suppressions d’emplois dans le monde à la clef ?

À qui le tour ensuite ? Nos automobilistes paraissent plus fragiles, et Toyota met les bouchées doubles pour dominer sans partage le secteur. Renaults’est associée depuis plusieurs année à Nissan.Le grand géant américain ATT, allié au mexicain America Movil, essaie de prendre le contrôle du géant Telecom Italia, pendant que Aeroflot ainsi qu’un consortium américain convoitent Alitalia.Bien sur, il y a des OPA et des mariages entre sociétés aux capitaux européens. Il n’y a pas de raisons que les règles européennes de la concurrence n’ouvrent pas aussi les services publics à l’étranger. Il faut donc se rendre à l’évidence : la proportion des entreprises multinationales, pas forcément à dominante européenne, augmente en France et en Europe. Et il n’y a pas de préférence communautaire en la matière, de stratégie commune. Quoi d’autre qu’Airbus, Eurotunnel et Eurodisney ?

L’Union n’est devenue qu’un grand marché, mal protégé. Cela veut aussi dire que, chez nous, les décisions, la production, la valeur ajoutée et les résultats échappent de plus en plus à la France. De leur côté, les investisseurs français vont à l’étranger où leurs mises sont plus rentables et les conditions plus attractives. Quelle politique de croissance et d’emploi nationale et/ou européenne, nos candidats préconisent-ils face à cette situation ? Pousser et aider les petites entreprises « créatrices d’emploi » ? Mieux vaut tard que jamais ! Mais cela répond très partiellement à la question. Il n’y aura pas de réduction réelle du chômage et de progrès sociaux si la croissance fuit ou reste trop molle. Depuis plusieurs années déjà, la monnaie unique (pour la moitié des états membres de l’UE) est mise en accusation. Ainsi, pour certains, le principal handicap d’Airbus serait la faiblesse du dollar par rapport à l’euro. Nombreux sont ceux qui en rendent la BCE responsable et prêchent avec insistance pour que la coupable diminue ses taux directeurs pour faire baisser l’euro. C’est devenu un leitmotiv, qui est souvent complété, par plusieurs candidats, entre autres, par la mise en cause de l’indépendance de la BCE et la volonté de placer celle-ci sous la tutelle « politique » de l’Union. Pour ma part, j’observe que la faiblesse du dollar tient moins à la manipulation des taux américains par la FED, qu’aux déficits abyssaux des échanges extérieurs et des comptes publics, auxquels les dépenses de guerre ne sont pas étrangères, ainsi qu’à la démesure de l’endettement public et privé américain. De son côté, le cours du yuan chinois est d’autant plus sous-évalué que la Chine dégage des excédents commerciaux colossaux, principalement parce les coûts de ses facteurs lui permettent d’exporter tous azimuts à bas prix et d’accumuler des réserves en devises considérables. Je veux souligner ici le fait que les cours respectifs des monnaies sont très dépendants des politiques économiques, commerciales et budgétaires poursuivies par les pays. Dans notre cas, les instruments de ces politiques ont été largement transférés à l’Union européenne depuis le traité de Maastricht. Et l’on a voulu alors faire un euro fort, basé notamment sur l’imposition de politiques budgétaires rigoureuses.

On ne peut donc poser la question de la « politique de l’euro de la BCE » sans poser aussi celle de l’ensemble du pacte de stabilité. Candidats, nous vous écoutons ! Il serait également utile de savoir ce que les candidats attendent de concret de l’UE sur les questions climatiques et de l’environnement, sur la protection de la nature, des espaces et des espèces ... et ce qu’ils considèrent comme devant rester du ressort des Autorités nationales ou locales. Plus largement, ils doivent exprimer leurs points de vue sur la signification à donner à un mot clé : « subsidiarité », car la liberté des nations s’arrête là où les empiétements des instances de l’UE commencent. Pour nous aider à voir le chemin qu’ils proposent, les candidats pourraient simplement indiquer aussi les principaux points forts de la construction européenne actuelle, sur lesquels il serait bon de s’appuyer, et ses plus gênants points faibles, auxquels ils voudraient remédier. Accords de Schengen élargis compris. Sans langue de bois, il va sans dire.

 

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