L’UNION
EUROPÉENNE EST UNE AFFAIRE
INTÉRIEURE
DE LA FRANCE
par
Paul Kloboukoff
Le
NON irlandais sonne le réveil et le branle-bas dans
l’UE
L’Union
des Européistes est sortie brutalement de la félicité et de la torpeur dans
lesquelles elle avait été plongée, engloutie, abîmée, corps et âme, avec
l’accord conclu entre les chefs d’États et de gouvernements à la suite des
initiatives de notre président, Nicolas Sarkozy (NS). Un accord scellé à
Lisbonne sur le fameux « mini traité simplifié » et sur la façon de le faire «
ratifier » dans les États membres, par la voie parlementaire. Surtout pas en
donnant la parole aux populations par référendum. L’unique peuple appelé à voter
a dit NON ! La robuste Constitution de la petite Irlande a, jusque là, été le
seul rempart devant ce déni de démocratie, malheureusement trop facilement
accepté par les « représentants » politiques des citoyens des vingt-sept de
l’Union européenne (UE). Les explications du NON irlandais trouvées sur le lieu
du crime de lèse union et les observations qu’il a suscitées ont remis sous une
lumière crue des vérités que tous les Européens n’avaient pas complètement
perçues ou sur lesquelles, de guerre lasse, ils s’étaient résignés à fermer les
yeux. NON, le traité de Lisbonne n’est pas un mini traité ; il compte 267 pages,
seul, et 3.000 pages avec ses annexes, ainsi que de nombreux renvois à d’autres
textes (Libération
des
14 et 15 juin 2008). Il est illisible par le commun des mortels. Le commissaire
européen Charlie McCreevy aurait même laissé entendre
qu’il fallait être fou pour lire le traité entièrement (Le
Figaro des
14 et15 juin 2008). Encore fallait-il trouver un texte intégral, car dans de
très nombreux points de vente (presque tous ?) en France, il n’y avait que des «
mini résumés » visant à accréditer la fiction du mini traité simplifié. En
outre, le traité de Lisbonne rejeté par les Irlandais reprend95 %
(Libération
précité)
des dispositions du traité constitutionnel européen refoulé en France et aux
Pays- Bas par référendums en 2005. Encore plus nettement qu’en2005, apparaît
maintenant le fossé qui s’est creusé sur des questions fondamentales de l’UE
entre les opinions des populations d’États membres et les actes de ceux qui sont
censés les représenter et les défendre, les chefs d’États et de gouvernement
ainsi que les parlements nationaux, en premier lieu.
La
Commission de Bruxelles, elle, cherche à imposer ses propres
objectifs jour après jour. Toujours plus fédéraliste, malgré les
élargissements sans limites définies ou avouées, toujours plus mondialiste et
porte-drapeau de la concurrence et du grand capitalisme privé poussés par les
lobbies qui pullulent et grenouillent à Bruxelles. Le Parlement européen reste
faible, impuissant. Aussi, des Irlandais considèrent-ils qu’ils ont voté aussi
au nom des citoyens européens qui ont été privés de référendum. Du courage et de
la détermination, il en a fallu pour ne pas céder aux pressions extérieures. Il
en faudra encore, car les « dirigeants » de l’UE se sont réveillés de fort méchante humeur. Félonie ! Le Premier
ministre irlandais a aussitôt été sommé de s’expliquer, de s’excuser, de
s’aplatir (à Bruxelles le 19 juin, devant ses pairs). NON inacceptable !
Dare-dare, il faut refaire voter les insoumis Irlandais. OUI, cette fois, comme
en 2001 et en 2002. Ces girouettes ingrates auxquelles l’UE a tant donné
n’attendent qu’un petit coup de vent, un coup de pouce : dérogations, allègement
des futures contributions à l’UE, engagements de ne pas forcer (harmoniser) leur
fiscalité, leurs libertés de croyance et de mode de vie, leurs choix en matière
de défense… Des promesses qui n’engagent que ceux qui veulent bien y croire.
N.S. n’a pas attendu d’être président de l’UE pour annoncer qu’il irait vite à
Dublin. Et il l’a fait. Pour tenter de comprendre… l’incompréhensible.
Les
autres « grands » d’Europe, Angela Merkel, Gordon
Brown, José Luis Zapatero… ont-ils été comblés d’aise par cet empressement qui
pousse plus en avant NS sur cet épineux dossier qui prend l’allure d’une affaire
personnelle ? Les avis sont partagés en Europe sur la légitimité des
ratifications par voie parlementaire. « Fallait-il organiser un référendum en
France sur le minitraité européen ? » A cette question
posée par Le
Figaro, 21.649
votants ont répondu OUI à 58 % et NON à 42 % (Le
Figaro du
16 juin). Du coup, des politiciens partisans du NON en 2005 ont repris du poil
de la bête. Au Royaume-Uni, la Cour Suprême devait se pencher sur la validité de
la ratification parlementaire. En Pologne et en République Tchèque, des
réticences à poursuivre le processus de ratification ont été exprimées. Des
voyages de NS et des tractations supplémentaires sont à prévoir pour que les
opposants et les sceptiques prennent les décisions qui s’imposent : celles qui
leur sont imposées, bien sûr. C’est aussi cela l’UE… et son « unanimité
».
La
réforme constitutionnelle en France discrédite la prise de décision à la
majorité qualifiée
« Ah, si on pouvait décider à la majorité
qualifiée, ce type de problème ne se poserait pas » insistent des européistes
qui ne sont pas très surs que les Irlandais s’agenouilleront et feront
repentance aux pieds des grands prêtres de l’UE. Il est pourtant facile
d’imaginer comment se prépareront et se prendront les décisions à la majorité
qualifiée, à quels marchandages, à quelles pressions elles donneront lieu, et
comment elles seront appliquées par les États des « minorités disqualifiées »
vaincues. Un exemple remarquable de la méthode vient de nous être donné en
France avec la soumission au Parlement le 21 juillet2008, de la « réforme
constitutionnelle ». Pour atteindre la « majorité qualifiée » de 60 % des votes
nécessaire à l’adoption, qui était loin d’être assurée à quelques jours du
scrutin, les gouvernants et leurs affidés ont usé de menaces, d’intimidations,
de promesses de sanctions et/ou
de récompenses… afin de forcer les récalcitrants, faisant partie ou proches de
l’UMP, notamment, à rectifier leur position et à filer droit. Le OUI a été
obtenu de justesse (61 %), mais à quel prix ! Au fil des marchandages et des
atermoiements, la « réforme » a été déformée et vidée d’une grande partie de sa
substance (cumul des mandats inchangé, possibilité de l’usage de l’article 49.3
maintenue pour le budget et la Sécurité Sociale, pas de mini dose de
proportionnelle dans les élections, conservatisme sur les fonctions et les
élections du Sénat, abandon du référendum pour les élargissements de l’UE à
venir, conditions rédhibitoires pour initier un « référendum d’initiative
populaire »…). Une démarche et des résultats tout à fait dans la lignée des
pratiques dans l’UE, somme toute, qui assombrit la perception que nous pouvons
avoir des bienfaits tant vantés de la majorité qualifiée.
Le
traité constitutionnel ne résoudra pas les problèmes majeurs de
l’UE
Il
ne suffit pas de se doter d’un texte ouvrant la possibilité à une partie des
États membres d’imposer leurs volontés, leurs intérêts et/ou leurs vues à
d’autres pour être en mesure de décider avec plus d’aisance, de sérénité, moins
de contraintes, puis d’agir avec efficacité. Attention aux leurres, aux
médicaments miraculeux contre l’impuissance vendus avec le traité
constitutionnel ! Le nombre, la nature et la complexité des problèmes auxquels
est confrontée l’UE, sans frontières et sans orientations basiques, augmentent.
Ils se diversifient et s’épaississent à chaque élargissement. Une démarche
fondée sur les tractations et les pressions, sinon les magouilles, que le traité
consolide, ne peut être à la hauteur des difficultés et des enjeux ! Pourquoi
persister à ignorer les faits, s’acharner et s’embourber dans l’institutionnel,
le constitutionnel et le juridisme ? Mieux vaut se consacrer à juguler la crise
économique et financière, relancer la croissance, l’emploi et les pouvoirs
d’achat. C’est difficile ! Mais c’est ce que les citoyens des vingt-sept
attendent le plus de l’Union. Avec la protection… contre la mondialisation. «
Profond pessimisme des Français face à l’Europe » titrait Le
Figaro
du 25 juin en présentant le sondage TNS-Sofres selon lequel moins d’un Français
sur deux (48 %) estime que l’appartenance à l’Union européenne est une bonne
chose pour le pays. En Allemagne, le score est de 60 %. En Grèce (47 %), en
Italie (39 %), en Autriche (36 %) et en Grande Bretagne (30 %), les scores sont
pires qu’en France. Vive l’unanimité et la majorité qualifiée ! La création de
l’Union pour la Méditerranée (UPM), poussée par NS, récupérée par Angela Merkel et l’UE, replacée dans le cadre du processus de
Barcelone initié en 1995, élargie à l’ensemble des membres de l’UE, riverains ou
éloignés de la Méditerranée, comme la Finlande, la Pologne et le Royaume-Uni,
par exemple, apporte essentiellement des interrogations. Projets, financement ?
Et puis, UE (encore élargie à l’est) + UPM préfigurent-elles l’UE future ?
Notons, avec inquiétude et/ ou contrariété que la Turquie a toujours droit aux
chapitres. Oui, les négociations d’adhésion à l’UE se poursuivent, les chapitres
s’enchaînent et le Gouvernement turc ne considère pas l’UPM comme une solution
de remplacement, mais comme un complément à l’adhésion. D’autres Sudistes de
l’UPM espèrent aussi adhérer. Les dirigeants de l’UE, divisés sur le sujet turc,
laissent enfler l’ambiguïté.
L’UE,
une affaire intérieure de la France et de ses
citoyens*
Conscients
du désamour des français à l’égard d’une Europe « qui se fait sans eux, loin
d’eux », cinq exécutifs de premier plan (Xavier Bertrand, Jean-Pierre Jouyet, Valérie Létard, Nadine
Morano et Martin Hirsch) se
prononcent dans un article du Figaro
du
07 juillet 2008 « Pour une Europe concrète et plus sociale ». La méthode
préconisée est la pédagogie. Mieux expliquer les avancées de l’UE, les enjeux,
les décisions européennes. Dénoncer les mythes et les fantasmes. Ne plus laisser
s’installer dans l’imaginaire collectif les fausses vérités et les peurs sur
lesquelles jouent les « eurosceptiques de tous bords »… Dans ce premier volet,
rien de bien nouveau, sinon qu’il faut s’attendre à un redoublement de la «
communication » élyséenne et gouvernementale. Plus inquiétante est la volonté
affichée de faire entrer en force l’UE dans l’orientation, la direction et la
mise en oeuvre des politiques sociales. « La
présidence française doit d’abord s’employer à relancer l’activité législative
en matière sociale », peuton lire ! Se trouvent citées
les conditions de travail, le retour à l’emploi, le congé parental, la lutte
contre la pauvreté, la réduction des inégalités sociales, économiques,
territoriales, la formation professionnelle, la lutte contre les
discriminations, la conciliation entre vie familiale et professionnelle… Or,
jusque là, l’UE et ses instances ont mis la main sur une grande partie des
prérogatives économiques et financières des États membres, mais ont laissé à
ceux-ci plus « d’autonomie » dans les domaines sociaux. C’est donc le
déclenchement d’une nouvelle invasion des États par l’UE que prônent les cinq
exécutifs maximalistes (et qui derrière eux ?). Parmi ses corollaires et ses
conséquences, il est difficile de cacher des visées sur le contrôle par l’UE de
la fiscalité et des charges sociales, qui servent à financer les dépenses
sociales, notamment. C’est grave. Insidieux et dangereux ! Étrangement, les
auteurs ne proposent pas d’accroître la participation des citoyens à
l’identification, à la préparation, à la mise au point, à l’application et au
contrôle des décisions et des mesures qui les concernent, à la vie de l’Union,
qui est aussi la leur. Car, sans même attendre que l’UE ait envahi les domaines
sociaux, celle-ci est omniprésente dans l’orientation et le contrôle de nos
politiques intérieures économiques, sociales, énergétiques, environnementales…
Visiblement, la pratique qui consiste à planquer dans le rayon « affaires
étrangères » l’UE et ce qui s’y rapporte a la peau
dure. Elle permet de garder l’UE dans les terrains de chasse réservés du
président et du Gouvernement. Avec l’approbation des partis dominants qui se
succèdent au pouvoir. L’Assemblée nationale, le Sénat et/ou le Parlement ne sont
sollicités qu’à titre exceptionnel. Pour ratifier un traité, par exemple. Les
élections législatives, sénatoriales et municipales ne donnent pas lieu à la
présentation par les candidats de leurs choix ou préférences relatives à l’UE,
son avenir et ses actions. Les débats sur ces sujets sont écourtés, détournés ou
bannis par les partis dominants qui craignent de voir leurs adeptes se diviser,
se déchirer. Comme si les questions et les décisions européennes n’avaient
aucune importance pour les électeurs, pas d’influence sur leur devenir.
Les
élus ne peuvent donc prétendre « représenter » les citoyens ou tenir d’eux une
quelconque légitimité sur les questions européennes. Quant aux dernières
présidentielles, elles ont vu mettre en avant surtout la « relance » de l’UE et
le mini traité simplifié. Assez précis pour justifier un blancseing généralisé ? Sur les élargissements et l’adhésion
de la Turquie, les questions posées ont reçu des réponses partielles qui se
voulaient rassurantes, dans le sens du poil. Le mini traité et la réforme
constitutionnelle ont jeté un froid et rappelé les citoyens aux réalités
politiciennes. Oui, les affaires européennes sont aussi, et avant tout des
affaires intérieures françaises (idem pour les autres États). Elles doivent donc
entrer au coeur des débats nationaux, des campagnes et
des élections politiques en France. Cela dépend en premier lieu du Président de
la République. Les partis dominants doivent aussi changer d’attitude et ne plus
botter en touche. Il appartient aux candidats d’expliquer et de défendre leurs
idées et leurs propositions, de montrer dans quelle Union nous sommes, vers où
et comment faire avancer l’Europe.
L’Assemblée
nationale (AN) et le Sénat doivent s’emparer de ces affaires et ne pas se
contenter d’être consultés par raccroc ou de traduire les lois et les directives
de l’UE. Oui, il faut donner plus d’importance à leurs élus sur les questions
européennes… en attendant d’eux que leurs positions et leurs votes tiennent
compte des préférences, des volontés et des choix des citoyens sur ces
questions. Un parlement qui refuse d’inscrire dans notre Constitution le recours
au référendum pour la ratification des élargissements de l’UE, y compris à la
Turquie et, pourquoi pas, à l’Ukraine ainsi qu’aux pays du Caucase, ouvre, ce
faisant, notre porte à n’importe quoi. Il dénie au peuple de France le droit de
s’exprimer directement le moment venu sur ces sujets déterminants pour l’Union,
pour la France et pour sa population. Il vote contre une majorité des citoyens.
Attention, la démocratie et la participation font cruellement défaut chez nous
sur les questions européennes. Il est vital aujourd’hui de les renforcer et non
de les enterrer au profit de la technocratie et de politiciens non
représentatifs. L’adhésion des Français à l’UE en dépend.
*
« Les affaires européennes sont des affaires intérieures » a titré un article de
Jacques Biancarelli et Flore Pulliero dans Le Figaro du20 juin 2007. Après le constat
résumé dans le titre, les auteurs ont surtout plaidé pour une meilleure
coordination interministérielle et le renforcement des capacités d’arbitrage des
divergences croissantes entre ministères dans les affaires européennes. Des
questions toujours d’actualité, semble-t-il.