Chronique

de temps suicidaires

par François Lardeau

Les médias n’en finissent pas de commenter avec une jouissance évidente les mauvais sondages dont les instituts spécialisés accablent le président de la République. C’est évidemment le résultat le plus probant de leur capacité de nuisance quand ils prétendent « faire l’actualité » et plus certainement l’opinion. Naturellement, la gauche fossile qui les a soigneusement noyautés quand elle était au pouvoir s’empresse d’empocher la mise. Cette complicité éclate aujourd’hui sur les chaînes de télévision nationale, France2 et France 3 en particulier, et l’on se demande bien, à écouter certains propos plus que partisans, plus que tendancieux, pourquoi aucun rappel à l’ordre n’a encore été fait par les autorités compétentes, le CSA en particulier, d’autant que le procès qui est fait à Nicolas Sarkozy vise souvent moins son exercice du pouvoir que sa personne, et de préférence en dessous de la ceinture ! C’est dire que le journalisme d’aujourd’hui manque à l’évidence d’une obligation d’éthique. Il appartient au gouvernement d’y réfléchir et cela relève d’une certaine urgence.

 

Il est d’autre part bien déplaisant de voir certains gaullistes participer à cette campagne de dénigrement dont la fonction présidentielle elle-même ne sortira pas indemne. En fait, pour des considérations partisanes et politiciennes, tout le monde oublie l’enjeu : la France, son peuple et leur avenir. En particulier, à scier ainsi la branche sur laquelle ils sont encore confortablement assis, nos politiques que caractérise une commune médiocrité – bien peu ont la carrure d’hommes et de femmes d’État – vont droit au suicide, ce qui ne serait pas très grave s’ils ne nous y entraînaient avec eux.

 

Contrairement aux idées reçues, le peuple français, pourtant réputé de bon sens, n’a pas montré une grande maturité politique aux dernières élections municipales et cantonales en suivant les faiseurs d’opinion. Incités à sanctionner un soi-disant manque aux promesses de la campagne présidentielle de la part de Nicolas Sarkozy, les Français ont refusé de voir que ce mouvement d’humeur électoral conduisait à une nouvelle forme de cohabitation, peut-être encore plus perverse que la précédente entre président et premier ministre.

 

En donnant le pouvoir à la gauche dans les régions, dans les départements et dans une majorité de grandes villes, ils ont créé les conditions d’une opposition ouverte au pouvoir central que cette gauche, dans toute sa négativité, entend bien mobiliser, de sorte qu’il y a là tous les moyens – si l’on peut dire – de l’immobilisme et de l’impuissance. Bon sens populaire perdu et malhonnêteté intellectuelle d’une gauche à la recherche de sa propre refondation ont déboussolé l’électorat. La perte de confiance affichée par

 

les Français dans le président élu par eux au printemps 2007 relève sans doute en partie d’une communication insuffisante sur l’exécution du programme présidentiel, ses priorités et son calendrier. Une mauvaise conjoncture a de plus compliqué la tâche, notamment en ce qui concerne l’amélioration du pouvoir d’achat, mais les maladresses n’ont pas manqué. Les mesures de l’été 2007 n’étaient sans doute pas toutes des plus urgentes ; elles ont en tout cas été fort mal comprises. Le rapport de la commission Attali ne l’a pas mieux été, d’autant plus que la prétention et l’arrogance de son président – « c’est à prendre dans sa totalité ou à laisser » - ne pouvaient que dresser contre le pouvoir des gens parmi les plus à la peine comme les artisans, chauffeurs de taxis et coiffeuses entre autres.

 

En fait, nombre de Français croyaient que les engagements de la campagne présidentielle seraient porteurs d’effets immédiats. Notamment, d’une façon assez peu lucide, ils espéraient une amélioration de leur pouvoir d’achat dans la foulée de l’élection présidentielle, oubliant que cette amélioration dépendrait nécessairement d’un taux de croissance favorable, alors que, l’état des finances publiques, de la balance des paiements et de la conjoncture en général étant ce qu’il était, le président avait d’entrée besoin de toute la durée de son mandat pour parvenir à remplir son contrat, c’est-à-dire à en dégager et réunir les conditions. Il faut beaucoup de mauvaise foi pour nier ces évidences, mais la gauche a fait tout ce qu’il fallait pour que le malentendu s’installe et perdure, en premier lieu en dénaturant le projet de TVA sociale au moment des législatives et en dénonçant aujourd’hui une politique de rigueur encore à venir.

 

L’ensemble des réformes auxquelles s’attaque l’équipe présidentielle s’accompagnera nécessairement de la remise en cause de dépenses improductives avec des redéploiements des crédits budgétaires correspondants pour financer les dites réformes. Ce n’est pas cela une politique de rigueur ; c’est plutôt une politique de bonne gestion. Au-delà des consternantes nostalgies idéologiques, personne ne peut pourtant nier la nécessité de réformer profondément l’État, y compris dans sa décentralisation, et d’en attendre une diminution sensible des dépenses publiques dont le montant est devenu l’obstacle majeur aux redressements recherchés, la maîtrise de l’endettement entre autres, si l’on veut relancer l’économie par la recherche et l’innovation ainsi qu’assurer une meilleure justice sociale.

 

D’une façon ou d’une autre, cela passera par une réduction des effectifs de la fonction publique – qu’elle soit d’État ou territoriale – et des coûts de fonctionnement qu’ils entraînent. Le nonrenouvellement partiel des départs à la retraite n’est pas suffisant en soi. Le recentrage des missions de l’État et des collectivités territoriales, régions et départements, qui sont également concernées, est la condition incontournable d’un partage cohérent des compétences entre eux. Le premier doit se recentrer clairement sur ses missions régaliennes et, d’une manière générale, pour lui et les secondes, il s’agit d’éliminer les élargissements incontrôlés des interventions publiques (démembrement de la puissance publique sous des formes souvent injustifiables : établissements publics, associations, ONG, etc.) et en particulier les doublons qu’ils entraînent fréquemment. Des effectifs pléthoriques de fonctionnaires détachés et de contractuels en découlent qui sont davantage liés à la « fonctionnarisation » bienveillante de militants politiques ou syndicaux qu’à l’exercice d’une réelle et positive intervention.

 

Il est hors de doute que de telles réformes demanderont du temps, qu’un effort d’explication doit les accompagner, et que, contrairement aux engagements politiciens de tout résoudre à la prochaine alternance, y compris satisfaire aux obligations des traités européens imprudemment souscrites, il y faudra sans doute plus qu’un quinquennat. On mesure là toute la stupidité de la modification de la Constitution qui a instauré ce dernier, mais bien évidemment il s’agissait de passer à une utopique VIe République ! On voit en revanche qu’aujourd’hui il serait nécessaire d’instaurer une nouvelle forme de planification pour éclairer ce qui relève du long terme, c’est-à-dire une planification plus qualitative en termes d’objectifs que dirigiste sur le plan économique comme autrefois. Si, par une sorte d’alignement européen sur le modèle libéral imposé aux pays en voie de développement par le FMI et la Banque mondiale dans les années 80, on ne pouvait revenir à ce mode d’encadrement de l’action publique, il faudrait au moins une mise en perspective nationale faisant ressortir les priorités et la cohérence des objectifs poursuivis, c’est-à-dire en fait leur aboutissement à un type de société qui réponde aux aspirations des Français. Cette cohérence n’est pas perceptible aujourd’hui, et ce n’est pas au peuple de la trouver mais aux gouvernants de la démontrer. Il est clair en effet que le rétablissement de la confiance passe par une « recontractualisation » du programme présidentiel, à négocier directement avec les agents économiques plutôt qu’avec les partis politiques qui ne sont plus faits en majorité que de politiciens sans envergure, à droite comme à gauche, ainsi que le parti socialiste en donne

 

l’exemple dans ses luttes intestines. Mais ce qui paraît le plus préoccupant, ce qui n’apparaît dans aucun commentaire des politologues et ce qui interroge pourtant peut-être le plus, c’est le refus de prendre en considération les obligations réelles découlant des traités européens. Pour autant que l’appartenance à la zone euro nous ait épargné jusqu’ici le recours aux dévaluations classiques du temps du franc, tout le monde politicien fait semblant d’ignorer le risque majeur que représente sur le plan social l’intégration de plus en plus poussée dans le système supranational et ultralibéral européen. Il est pourtant chaque jour plus évident que nous approchons d’une échéance incontournable. Les déficits budgétaires français, s’ils ne sont pas durablement réduits, conduiront tôt ou tard nos partenaires européens à exiger une mise sous tutelle de notre pays.

 

Les signes d’impatience se multiplient et ces manquements aux règles communautaires ne faciliteront pas la prochaine présidence française de l’Union européenne alors que, sous la pression de certains de nos « partenaires », la Commission de Bruxelles pourrait être rapidement amenée à mettre en oeuvre les procédures contraignantes prévues par les traités et à menacer la France de lui imposer réforme administrative et plan d’ajustement structurel, sur le modèle des réformes exigées par le FMI et la Banque mondiale dans les pays sous-développés. On sait à quelle misère celles-ci ont conduit les pays concernés et leurs populations dites « vulnérables ». Comme s’en félicitaient les médecins de Molière, « le malade mourra guéri » !
 

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