Les nœuds coulants d’un simulacre de justice,

 par Mordicus

« L’exécution de Saddam Hussein est une faute politique majeure, a écrit avec raison, Robert Badinter… cette exécution précipitée a prévenu une condamnation pour les crimes majeurs contre l’humanité »

En réalité, c’est plutôt un tour de passe-passe qui relève de la haute politique internationale dans la mesure où il escamote les responsabilités occidentales dans bien des comportements reprochés à Saddam Hussein.

A cet égard, la parodie de ce procès a été conduite intelligemment : ne juger le personnage que sur le massacre de quelque 150 villageois à la suite d’un attentat manqué dont Saddam Hussein devait être la cible, affaire strictement irako-irakienne permettant d’écarter toutes les interventions étrangères du passé à commencer par celles de la puissance occupante.

Précipiter l’exécution présentait l’avantage de permettre aux dirigeants chiites d’assouvir, à coup sûr, leur vengeance, devançant par exemple un très hypothétique soulèvement populaire (sunnite) qui eût tenté de libérer le Raïs. (Quoique si pareille menace avait été matérialisée les gardiens de Saddam Hussein devaient avoir la consigne de mettre fin à ses jours). Ainsi que le constatait Robert Badinter : … « Jamais Saddam Hussein n’aura été condamné pour ses crimes majeurs contre l’humanité ». C’est qu’il y eut de nombreux « pousse au crime » et qu’ils préfèrent demeurer dans l’ombre.

Longues est l’énumération des comportements jugés inadmissibles et des crimes majeurs « reprochés à Saddam Hussein. Essentiellement ceux-ci :

Violences et meurtres pour affermir son pouvoir

Faire de l’Irak une puissance militaire (Saddam Hussein ayant compris que, riche en énergies fossiles, l’Irak devait avoir les moyens de défendre ses ressources nationales contre les prédateurs).

Quête d’armements de destruction massive.

Guerre contre l’Iran.

Recours aux gaz asphyxiants contre les populations chiites favorables à l’ennemi iranien (massacre d’Halabja en 1988).

Répression implacable du soulèvement chiites au sud de l’Irak (1991) à la suite de l’invasion du Koweït et de l’intervention armée des Etats-Unis et de leurs alliés.

Détournement des fonds fournis par le programme de l’ONU : « Pétrole contre nourriture » …. Ce réquisitoire incitant à quelques éclaircissements :

a) un pouvoir assuré par la violence.

C’est dans un milieu où régnaient la trahison et la violence que Saddam Hussein accéda au pouvoir. Il faut rappeler qu’après la victoire des Alliés, en 1918, l’Irak passa de la domination des Turcs à celles des Britanniques, par souverain affidé interposé : le roi Fayçal 1er. Les partisans de l’indépendance, les Kurdes, les Sunnites, les Chiites, les pro-occidentaux et les Communistes, les zélateurs et les adversaires du nasserisme, vont s’affronter en coups d’Etat, émeutes, assassinats, tueries collectives.

La Seconde Guerre mondiale ajouta une nouvelle cause de discorde avec l’intervention des Soviétiques soutenant la rébellion kurde. En 1948, Londres avait imposé à Bagdad la signature du traité de Portsmouth qui confirmait « l’indépendance » de l’Irak mais perpétuait le contrôle de Londres. D’où soulèvement populaire et répression. Durant la décennie 1948-1958 une vingtaine de ministères se sont succédé au pouvoir à Bagdad.

Le 14 juillet 1958, la population renversa la monarchie, le premier ministre pro-britannique Nouri Saïd est assassiné, sa dépouille mise en lambeaux. Meneur de l’insurrection le colonel Aref est arrêté et condamné à mort, le général Kassem croyant régner sans partage. Accédant au pouvoir par le coup d’Etat du 8 février 1963, le parti socialiste bassiste élimina physiquement les opposants. Mais une nouvelle révolution porta Abd Al Salam Aref au pouvoir. Tué dans un « accident » d’hélicoptère, son frère lui succéda. On évoquera par la suite le régime de « bain de sang » des frères Aref.

Et c’est en 1968 qu’un autre coup d’Etat porta les officiers bassistes au pouvoir : Al Bakr, Saddam Hussein et le clan des Takriti. Tel a été le contexte historique. Il explique le comportement de Saddam Hussein persuadé qu’une implacable sévérité peut, seule, maintenir l’unité du pays, la paix intérieure et l’exploitation du profit de l’Irak, de ses ressources naturelles.

Le monde occidental, mais aussi l’Union Soviétique et la Chine s’accommodèrent de pareilles ambitions comme des procédés utilisés pour atteindre ses objectifs. C’est qu’il était possible de tirer profit d’une telle politique. Elle ne commença à être critiquable que lorsque Saddam Hussein, faisant preuve d’un nationalisme jugé excessif, décida d’avantager son pays dans le commerce des richesses de son sous-sol.

b) Armement (conventionnel de l’Irak).

Consacrant une part importante de la rente prétrolière à l’achat d’armements traditionnels (canons, chars d’assaut, avions, engins offensifs et défensifs) Bagdad attira les démarcheurs de tous les pays ayant une industrie d’armement ou plus modestement, produisant des équipements militaires.

Chronologiquement, l’Union Soviétique figura en tête du palmarès des fournisseurs d’armements. Dès 1958, et pour quelques 25 milliards de dollars, l’URSS équipa la quasi-totalité des nouvelles forces armées irakiennes. (En 1959, un accord de coopérations nucléaires scellait l’entente irako-soviétique, Moscou fournissant un réacteur nucléaire qui serait monté à Tuwaitha, près de Bagdad. En 1978, les Soviétiques portèrent même sa puissance de 2 à 5 mégawatts thermiques).

C’est ainsi qu’avec l’URSS et la France, la Chine, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, les Etats-Unis, la Tchécoslovaquie, l’Espagne, l’Italie, le Brésil et même l’Egypte, conclurent des marchés d’armement avec Bagdad, l’Irak se trouvant en mesure d’aligner 7 Divisions blindées, 6 Divisions de la Garde Républicaine, près de 600 chars d’assaut, 500 hélicoptères de combat, 680 avions de défense et d’attaque.

Outre l’appât du gain et un ravitaillement assuré en pétrole, y avait-il un dessein politique derrière cet empressement à armer l’Irak ? Sans doute créer en milieu arabe – important énergétiquement et stratégiquement – un Etat puissant, capable d’y établir un ordre nouveau, voisin du marxisme, pour l’URSS et affichant un socialisme laïque de bon aloi, pour les Occidentaux. Ainsi, les puissances qui détenaient la force et celles qui entendent dire le droit s’accordaient à armer Bagdad.

c) Quête par l’Irak, d’armes de destruction massive, à commencer par les armes atomiques.

L’Allemagne a fourni à l’Irak les équipements des usines chimiques de Samarra et de Fallujda. Der Spiegel a révélé qu’une firme de Hambourg avait acheminé outillages et produits chimiques destinés à la production de gaz toxique. Près de 90 firmes allemandes ont livré à l’Irak armes et produits chimiques destinés à l’armement. De son côté la Belgique vendit 500 tonnes de thiodiglycol, ingrédient permettant de fabriquer de l’ypérite.

En janvier 1980, le Brésil signa un accord de coopération nucléaire –à des fins civiles officiellement – avec l’Irak. Les entreprises brésiliennes Avibras et Orbita avaient étudié les fusées destinées à l’étude de l’atmosphère mais aisément convertibles en missiles balistiques. Quant à l’Argentine, elle bénéficia d’un financement irakien pour mettre au point sa fusée Condor II et former des techniciens irakiens.

L’Italie vendit à l’Irak une usine pilote pour la fabrication du combustible des réacteurs à eau pressurisée tandis que les Etats-Unis fournissaient les ordinateurs nécessaires à l’équipement du Centre de Recherche irakien Saad 16. Pour sa part l’Espagne a exporté en Irak des projectiles chargés de gaz toxique (utilisés ultérieurement contre les Iraniens et les Kurdes). La société belge Sybetra filiale de la Société Générale fut chargée de construire un centre d’extraction et de traitement des phosphates, dans le nord-ouest irakien afin d’alimenter deux complexes chimiques produisant de l’acide phosphorique qui entre dans la composition du gaz toxique tabun. Ce sont encore les Belges, les sociétés Mechim et Wutz qui reçurent la mission de construire une usine de traitement des phosphates afin d’en extraire de l’uranium naturel.

Se tournant vers Moscou, Bagdad avait demandé, en 1974, une assistance scientifique permettant la maîtrise, sous toutes ses formes, de l’énergie nucléaire. Le Kremlin refusa de s’engager plus avant. Paris s’empressa de répondre à l’attente des Irakiens. Sur instruction de Giscard d’Estaing, le ministre de l’Industrie, Michel d’Ornano proposa de livrer à l’Irak la réplique d’une centrale nucléaire installée à Saclay, centrale qui fonctionnait à l’uranium 235 « enrichi » (93 %) et c’est ainsi qu’Osiris devint Osirak. Paris livrerait l’uranium nécessaire et formerait les scientifiques et techniciens irakiens. Invité à l’Elysée, en septembre 1975, le vice président irakien ne put s’empêcher de déclarer à un journal libanais que … « l’accord conclu avec la France était le premier pas concret vers la production de l’arme atomique arabe ». Et le premier ministre, Jacques Chirac, fit visiter les installations nucléaires de la vallée du Rhône et traita fastueusement son ami Saddam Hussein à Baumanière, aux Baux de Provence. La France venait d’engager l’Irak dans la voie de l’énergie nucléaire, et, indirectement, sous toutes ses formes. Un accord fit signé le 18 novembre 1975 selon lequel, initialement, la France fournirait deux réacteurs : Osirak (Tammouz 1) et Isis (Tammouz 2) de moindre puissance et une filiale du Commissariat à l’énergie atomique recevrait 1,45 milliard de francs pour l’édification, à Bagdad, d’un Centre de recherches nucléaires. Consommant environ 10 tonnes d’uranium naturel par an Osirak pourrait produire, annuellement, 7 à 10 kilos de plutonium militairement utilisable.

Le gouvernement d’Etat d’Israël protesta. Paris répondit que l’Irak ayant signé le traité de non prolifération, la collaboration nucléaire avec Bagdad n’était pas interdite.

Peu convaincu l’Etat d’Israël décida d’intervenir. Soucieux de ne pas gêner la campagne électorale de François Mitterrand, et sans doute avec son accord, les Israéliens, avec 8 avions F 16 protégés sur leur parcours par six F 15, détruisirent le site de Tuwaitha, tuant un scientifique français. Mais, au début de 1982, François Mitterrand proposa à Saddam Hussein de reconstruire à l’identique – moyennant finances, bien sûr – les réacteurs Tammouz.

Poursuivi, le procès de Saddam Hussein eût probablement conduit les avocats de la défense à évoquer l’implication de la France dans l’armement atomique de l’Irak. Et pas à l’avantage de notre pays.

d) Guerre Irak-Iran

Saddam Hussein a été coupable du déclenchement des hostilités contre l’Iran. Dénonçant les accords d’Alger relatifs au partage du Chatt al Arab, il mobilisa toutes ses forces armées contre celles de Téhéran. Un « fauteur de guerre » et une guerre qui fit plus d’un million de morts. C’est une fois encore escamoter le contexte ; les événements survenus en Irak à partir de la fin des années 70 ont été déterminants. L’ayatollah Khomeini, d’abord en Iran, puis en France où Giscard d’Estaing l’accueillit, en octobre 1978, prêchait la révolte et le renversement du Châh et du régime politique qu’il avait instauré (modernisation du pays, réforme agraire, avancées sociales, démarches sans doute prématurées). Après des mois de manifestations, d’émeutes, de rude répression, le Châh se réfugia en Egypte, gagna le Maroc et les Etats-Unis finalement l’Egypte où il meurt le 27 juillet 1979.

En avril la République islamique d’Iran avait été proclamée et Khomeini entreprit de réaliser un vaste programme de nationalisation peu apprécié à l’extérieur. A l’intérieur régnait l’instabilité due aux querelles religieuses et sociales. En novembre 1979 les étudiants firent irruption dans l’ambassade des Etats-Unis et y prirent 90 otages dont 60 de nationalité américaine.

On comprend aisément que les diplomaties occidentales, à la remorque de Washington, aient fait pression sur Bagdad pour que celui-ci s’attaque à l’Iran. Fournisseurs d’armes, ils avaient beaucoup à gagner. Même l’URSS qui, ravitailla à la fois les armées irakiennes et les formations armées iraniennes. Paris prit parti pour l’Irak, le gouvernement Mauroy allant jusqu’à prélever des avions Super Etendard sur les modestes disponibilités de l’Aéronavale pour les prêter à l’Irak afin d’attaquer le trafic maritimes iranien à l’aide des engins Exocet que pouvaient lancer ces avions. Et si, en mars 1985, le bombardement au gaz toxique de la population kurde d’Halabja suscita un malaise dans les relations Paris-Bagdad, celui-ci fut vite surmonté, M. Roland Dumas recevant chaleureusement le 16 mars, M. Tarek Aziz au Quai d’Orsay, les ventes d’armes à l’Irak n’étant pas interrompues.

Devant de tels témoignages de soutien, il est normal que Saddam Hussein, champion d’un certain socialisme laïque, ait estimé qu’il pourrait spéculer sur l’assistance des puissances occidentales auxquelles, indirectement dans le cas de conflit avec l’Iran, il rendait un éminent service.

e) Invasion du Koweït.

Ce fut là une impardonnable atteinte à l’ordre international. Pareille agression devait être sévèrement condamnée. Mais le contexte explique –sans l’excuser – un tel acte. Voici les faits.

En 1984, Ronald Reagan avait signé une directive présidentielle secrète précisant que l’Irak ayant pris l’initiative d’engager des hostilités contre l’Iran, il était de l’intérêt des Etats-Unis qu’il en sorte vainqueur, car à tout prix, il fallait éviter que l’Iran domine la zone du Golfe. Il fallait que les Alliés aident Bagdad dans son combat contre l’intégrisme religieux, à l’iranienne, - directive visant « la nécessaire amélioration des relations avec l’Irak et l’extension de la coopération avec ce pays ».

Alors qu’à Genève allait débuter une importante conférence de l’OPEP, le 25 juillet 1990, l’ambassadeur des Etats-Unis, Mme Avril Glaspie fut reçue par Saddam Hussein. Celui-ci lui fit part de ses griefs contre le Koweït qu’il accusait de mener une guerre économique - pétrolière – contre l’Irak. Mme Glaspie, prudente, répondit que … « Les Etats-Unis n’avaient pas d’opinion sur les conflits interarabes tels que les désaccords quant à la frontière du Koweït… en revanche les efforts extraordinaires déployés par Bagdad pour reconstruire l’Irak étaient appréciés aux Etats-Unis ».

Le 31 juillet Mme Tutwiller, porte-parole du Secrétaire d’Etat et l’adjoint de M. J. Baker pour les questions du Proche-Orient M. John Kelly déclarèrent lors d’une conférence de presse que … « si le Koweït ou les Emirats Unis étaient attaqués par l’Irak, les Etats-Unis n’étaient pas tenus de leur porter secours ». Jusqu’au 2 août Washington entendait entretenir de bonnes relations avec Bagdad et le laisser agir conformément à ses intérêts. Etait-ce un piège ? Ou une divagation verbale des représentants du Département de l’Etat ? Si le procès avait été mené à terme, les avocats de Saddam Hussein auraient eu beau jeu d’évoquer le piège, voire l’encouragement donné à Saddam Hussein comme il avait été encouragé à s’en prendre à l’Iran dix ans plus tôt. En faveur de l’hypothèse du piège, lisons la Prava : … Les Etats-Unis agissent au nom de la défense des victimes de l’agression. Mais il serait naïf de croire qu’ils avaient seulement des buts altruistes. Les intérêts réels de Washington reposent sur l’aide à l’Arabie Séoudite, mais avant tout sur le pétrole… ».

Aussi la parodie du procès de Saddam Hussein apparaît-elle être la manifestation de la vengeance : celle des Chiites contre les Sunnites. Alors tribunal international ? Ses membres, ressortissants des pays qui poussèrent au crime Saddam Hussein auraient fait preuve d’impartialité pour blanchir leurs gouvernements respectifs. La « justice » ne peut être que celle qui convient aux plus forts.

 

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