DEBUSHER L’AMERIQUE

DEBUSHER L’AMERIQUE



 Par Paul KLOBOUKOFF

 

            De très nombreux citoyens des Etats-Unis avaient une volonté affirmée, parfois farouche : débusher. Pas seulement tirer un trait acéré sur Georges W. Bush, Président sortant, mais aussi se débarrasser de ses fidèles, des Républicains qui l’avaient soutenu et qui auraient pu le perpétuer s’ils avaient gagné les élections du 4 novembre. Cela a été un handicap lourd pour le candidat John McCain. C’est une des explications majeures du succès de son adversaire désigné par le parti démocrate, Barack Hussein Obama… et de la victoire historique d’un « jeune » Noir, ou Métis, selon ses propres appellations, celles de ses militants et celles des médias, qui devient le Président de l’hyperpuissance mondiale… jusque là réputée hautaine, égoïste, dominatrice, impérialiste, guerrière, ultralibérale, asociale et raciste. Mais, la magie d’un «Yes we can !» fervent a fait jaillir l’espoir. Le jour s’est levé en pleine nuit. Tout a changé en un instant. Le noir est devenu blanc, lumineux, éblouissant. L’Amérique s’est muée en modèle de démocratie et de mixité multiraciale. Historique, indubitablement !

 

Les élections américaines ne pouvaient d’ailleurs que déboucher sur un évènement historique. Si Hillary Clinton avait battu Barack Obama en demi-finale, aux primaires démocrates, elle aurait également défait John McCain lors de la finale présidentielle. Transitivité oblige. Première Dame Présidente de la première puissance du monde, porteuse ou prometteuse de changements espérés, nouvelle Statue de la Liberté et de la Démocratie du Nouveau Monde, elle aurait été adulée par son peuple. Un autre rêve américain, plus féministe, aurait submergé et fait pleurer (de joie) les Etats-Unis et la planète entière, ou presque. Chez nous, avant le congrès de Reims, les motions de Ségolène Royal et de Martine Aubry auraient alors sans doute recueilli plus que les tristes 29,1% et 24,3% des suffrages des militants socialistes. La parité hommes femmes aurait bondi au sommet de nos priorités nationales. Comme quoi, la victoire de BO sur HC n’est déjà pas sans conséquences considérables en France.

 

            Elle aura été une clef de ces élections américaines qui, vues à posteriori, se sont jouées entre une postulante blanche démocrate et un candidat noir ou métis (à lui de décider) démocrate. Après l’overdose républicaine (28 ans de présidence pendant les 40 dernières années, dont 8 ans de Ronald Reagan) couronnée par huit ans de présidence Bush fils à laquelle ont été attribués tous les malheurs qui frappent les Etats-Unis et les Américains, il n’est pas très surprenant que l’alternance reprenne la main et le parti démocrate le pouvoir. On pourrait presque s’étonner que McCain ait recueilli autant de suffrages (46,5%, contre 52,6%, en nombre de voix). En France, Nicolas Sarkozy a fait aussi bien contre Ségolène Royal en 2007, en usant avec talent d’un alléchant « Avec vous, tout est possible !». « Together, we can ! », entendu d’Amérique. BO n’avait plus qu’à suivre la flèche.

 

            Il est clair, également, que l’âge respectable de McCain (72 ans) n’était pas un argument percutant de vente du renouveau que des électeurs attendaient. Sur des terrains glissants, comme ceux des conflits au Moyen Orient, de la crise financière ou de la récession économique, son agilité n’a pas égalé celle de son concurrent. Elle a pu être prise en défaut et lui faire perdre des points. Son appréciation de la situation économique et financière des Etats-Unis, de leur capacité à surmonter la crise, l’a trahi. Or, pour 62% des électeurs, l’économie a été le principal motif du choix, l’Irak n’intervenant que pour 10% et le terrorisme pour 9% (sondage CNN – La Tribune du 12 novembre). Notons que nos gouvernants et dirigeants français et européens ne manquent pas de répéter, dans des circonstances analogues, que « les fondamentaux de notre économie, de notre système bancaire, sont bons, sont solides… voire enviables ». Un tel leitmotiv ne trompe plus personne ici. Outre-atlantique aussi, visiblement.

 

Notons aussi que les médias français nous ont nourris ces derniers temps d’infos spectaculaires et flatteuses sur l’économie américaine. Et, pas mal de gens pensent ou espèrent que la fin de la crise viendra avec la reprise de la croissance en Amérique. Malgré son déclin, le dollar reste la première monnaie des échanges internationaux et une grande monnaie de réserve. La confiance de l’étranger est tenace. Le PIB US (13 800 milliards de dollars en 2007) représente 20% du PIB mondial. Soutenue ou non, l’agriculture est performante et concurrentielle. Les industries et les services plient sous la concurrence extérieure, se replient et tentent de se redéployer. Témoignage de leur puissance, parmi les dix groupes les plus gros du monde, cinq (Exxon Mobil, Wal-Mart, Microsoft, General Electric et Berkshire Hataway) sont américains. Pour nos fanas ou fadas du gigantisme, c’est une référence ! Malgré l’effondrement des cours, leurs capitalisations boursières cumulées approchent (au 29 octobre 2008) 12 000 milliards de dollars. Pour sa part, le « Small Business Act », que la France voudrait imiter, garantit des débouchés publics aux PME, réputées pour leur créativité et leur allant. Le budget total (public et privé) de la Recherche-développement est supérieur de 100 milliards de dollars à celui de l’Europe des 27, les universités, très cotées, prises aussi comme modèles, attirent de plus en plus d’étudiants étrangers, etc.              

           

Evidemment, par ce gros temps de crise, d’énormes nuages noirs obscurcissent le ciel. Au-delà du plan de sauvetage Paulson, la recherche de solutions par le candidat élu a commencé. Frappé au cœur, mortellement pour beaucoup de banques, le système bancaire réagit, le paysage de la première place financière mondiale se recompose vite, mais l’épuration n’est pas achevée. Et le Secrétaire au Trésor, Henry Paulson (HP), qui avait prévu de mobiliser 700 milliards de dollars en grande partie pour racheter les créances douteuses et les produits toxiques des banques, vient de changer de stratégie. L’Etat interviendra pour recapitaliser (en prenant des participations) des institutions financières menacées (banques, assurances…) et renforcer leurs ressources propres. Il a déjà engagé 290 milliards d’une première tranche de 350 milliards votée en octobre par le Congrès (Le Figaro économie du 12 novembre). Il suit en cela les exemples britannique et européens. Malgré les pressions  des professionnels et des syndicats, ainsi que les demandes des Démocrates, HP ne s’est pas encore décidé à secourir les trois géants de l’automobile à l’agonie (General Motors, Ford, Chrysler). GM, seul, emploie 250 000 personnes. Sa disparition pourrait provoquer la perte de 2,5 millions d’emplois directs et induits. C’est presque autant que la menace qui pèse sur l’ensemble du secteur automobile en Europe. Même Toyota, devenu premier mondial, est dans la tourmente. 50 milliards d’aide sont espérés par les trois constructeurs américains, avant le 20 janvier 2009 (FE précité). Des crédits d’impôts pour les acheteurs des véhicules hybrides et des primes à la casse sont aussi envisagés. Un accord de l’Etat ouvrira inévitablement la porte à des demandes d’autres secteurs.

 

Il va bien falloir que Bush et Obama s’entendent sur cette question incendiaire pendant les deux mois de cohabitation transitionnelle restant à courir. Sur d’autres urgences aussi.  D’abord sur les aides à apporter aux 7,3 millions de foyers qui ne pourraient pas rembourser leurs emprunts d’ici 2010 et, parmi elles, aux 4,3 millions qui pourraient perdre leur maison (FE, source Moody’s). Un plan est en discussion, qui combine des possibilités de renégociation des contrats, des remises de dettes, des garanties de l’Etat aux emprunteurs, des allongements de durées des prêts, des baisses des taux d’intérêt… Toutes ces aides plomberont, bien sûr, davantage les dépenses publiques, le dantesque déficit (chiffré à 1 000 milliards – Le Monde du 07 novembre) et l’énorme dette de l’Etat.

 

 Il ne faut pas trop songer à une compression du budget de la défense (720 milliards de dépenses militaires). BO considère que l’Irak n’est pas une cible stratégique décisive dans la lutte contre le terrorisme islamique (que la grande majorité des Américains jugent toujours nécessaire) ; il prévoit d’alléger la présence militaire en Irak et d’en retirer les soldats dans 16 mois. En revanche, il veut renforcer les troupes opérant en Afghanistan, sécuriser le pays en rendant la frontière avec le Pakistan moins « perméable » aux intrusions et aux replis des Talibans, et détruire les sanctuaires d’Al-Qaida au Pakistan. Et, il entend bien solliciter les bonnes volontés européennes. A côté de cela, l’espace et le nombre de terrains de conflits, de menaces larvées ou ouvertes, dans lesquels les Etats-Unis sont actifs (directement, via l’OTAN ou d’autres alliés), ou pourraient l’être, sont impressionnants.

 

 Cet espace s’étend à l’Amérique latine, trop délaissée par les USA, selon BO (nouveau flirt du Nicaragua avec Moscou, soutien US à la Colombie dans sa lutte antiterroriste, extension de l’influence du Président vénézuelien Hugo Chavez…), à l’Europe et à ses confins, aux relations avec la Russie (contestations de l’OTAN, bras de fer sur les entrées de l’Ukraine et de la Géorgie – toujours sous occupation partielle russe, bouclier antimissile américain et menace russe de déployer des missiles dans l’enclave de Kaliningrad), au Moyen Orient, que BO voudrait stabiliser (nucléaire iranien, conflit israélo-palestinien et statut de Jérusalem, occupation de l’Irak, guerre d’Afghanistan et frictions avec le Pakistan, conflit libano-syrien, protectorat de pays pétroliers du Golfe…), la ceinture tellurique, pétrolière et gazière du sud de l’ex URSS (du Kazakhstan et du Kirghizistan à la Géorgie, en passant par la Mer Caspienne et par Bakou, sans faire de détour par la Tchétchénie où des enfants, des femmes et des hommes ont perdu leurs droits et leurs protections), l’Asie (nucléarisation de la Corée du Nord, soutien à Taiwan, opposition à la répression contre les manifestants pacifistes au Myanmar (ex Birmanie), timidité à l’égard de la Chine sur le respect des libertés, des droits de l’homme, et sur le drame tibétain) et l’Afrique, où les Etats-Unis ont perdu pas mal de terrain depuis les années1990 et de crédibilité après l’échec en Somalie, les hésitations prolongées face au génocide perpétré au Darfour avec la connivence du Gouvernement du Soudan, ainsi qu’avec la guerre fratricide en cours au Nord Kivu, ses massacres et les souffrances des réfugiés congolais et rwandais.

 

L’hyper puissance a de quoi s’égarer et se perdre (militairement, financièrement, éthiquement ou moralement). Elle pourrait donc se poser les questions d’éventuels désengagements, de changement de posture, de moins d’unilatéralisme, dans ce monde nouveau devenu multipolaire, dans lequel il est de plus en plus mal vu d’exercer sa propre police, de gendarmer, même avec des buts nobles et/ou altruistes, et dans lequel beaucoup de gouvernants poussent aux recours aux instances des Nations Unies… et non des Etats-Unis. Barack Obama et Hillary Clinton pourraient-ils refonder la politique étrangère de leur pays afin de défendre et promouvoir différemment les idées et les intérêts des américains, ceux de la « famille occidentale », la paix sur la planète et l’environnement ? Les observateurs prévoient plutôt la continuité. La compétition qui va sans doute s’intensifier avec la Chine, la volonté de la Russie de reconstituer ses forces et de se faire respecter, l’antagonisme entre les géants que sont l’Inde et le Pakistan, avec la pomme de discorde qu’est le Cachemire, ainsi que l’instabilité en Indonésie, ajoutés à la prolifération des armes nucléaires et à la propagation du terrorisme international, ne sont pas des facteurs poussant irrésistiblement à relâcher les efforts de défense.

 

            La campagne de Barack Obama a révélé qu’il était moins porté sur la politique extérieure que sur les préoccupations internes, qui sont aussi celles de ses concitoyens, prioritairement. A côté des aides d’urgence à l’habitat et à l’automobile, il a mis en avant résolument des objectifs sociaux. Beaucoup comptent sur lui pour faire bénéficier de l’assurance santé une grande partie des 47 millions de personnes qui n’ont pas d’assurance collective (très liée à l’emploi salarié) et ne peuvent souscrire que d’onéreux contrats individuels ou familiaux. Entre les incitations fiscales aux PME et les aides personnelles aux plus pauvres, notamment, le coût d’une réforme importante a été évalué à 110 milliards de dollars. La promesse faite de ne relever les impôts que de 5% des foyers fiscaux, les plus riches, soulève des doutes. BO vient aussi d’annoncer un vaste programme de grands travaux, d’infrastructures, en particulier, pour lutter contre le chômage. Or, de nombreux Américains des classes moyennes, voire modestes, croient (plus que nous) en leurs valeurs, en leur économie, en leur dynamisme et en leur capacité de rebondir… sans interventions massives de l’Etat fédéral. Ils sont libéraux. Et, si le « modèle » européen (tant est qu’on puisse mettre dans le même sac les « modèles » français et britanniques, par exemple) intéresse une partie d’entre eux, ils ne semblent pas disposés à consommer du « socialisme », même avec modération. Entre un taux de prélèvements obligatoires de 28% (leur taux) et de 44% (le nôtre), pour la majorité des Américains, il n’y a pas photo. Bill Clinton avait pu l’éprouver lorsqu’il avait essayé d’étendre la couverture du risque santé. Des promesses électorales devront être réexaminées, différées ou oubliées Avec la profondeur et la gravité de la crise financière et économique, les contraintes budgétaires seront encore plus fortes. Et la campagne, ainsi que les vingt premiers jours de novembre, ont montré que le candidat vainqueur n’avait pas plus de plan B que le candidat vaincu. Les bourses de New York et du monde n’ont pas caché leur scepticisme en rechutant au lendemain de l’élection. Au 20 novembre, elles sont toujours en berne. En ce qui concerne le règlement international de la crise mondiale, il ne faut pas perdre de vue que l’Administration américaine est libérale. A un peu plus d’une semaine de la réunion à Washington du G20, un article du International Herald Tribune titrait : « U.S. resists creation of global regulator ». Traduction inutile. Pas de commentaires… de B. Obama, entre autres. On a vu les avancées du G20.

 

            Barack Obama, une « icône ambiguë », ou encore, il « devra lever les ambiguïtés qui ont marqué sa campagne » ont pu être écrits au sujet du nouveau Président (cf. Le Figaro du 07/11). Des précisions ou des compléments d’informations sur ses intentions et sur ses futures actions, intérieures et extérieures, ne seront, en effet, pas inutiles. Attendons ! Mais l’interpellation porte aussi, sinon surtout, sur sa présentation et ses positions sur les questions raciales ainsi que sur les minorités, qui ont tenu une place de choix dans la campagne et dans la détermination des résultats de l’élection présidentielle. Après le remarqué discours de Philadelphie « De la race en Amérique », du 18 mars 2008, dans lequel il proposait de « sortir de l’impasse raciale », BO a voulu se présenter plus comme un candidat défenseur ou promoteur de la mixité, du métissage, du mélange des races. Le métissage progresse, mais lentement, les métis hésitant à se déclarer officiellement comme tels (moins de 10 millions de personnes) et à ne pas être comptés, de ce fait, dans les effectifs des « Noirs » ou des « Latinos », par exemple. Un rien dépassé par le rythme de l’immigration, le solde migratoire ayant été deux à trois fois plus élevé qu’en Europe au cours des vingt dernières années, le célèbre « melting pot » américain s’essouffle et le multiculturalisme gagne.

 

Mais les propos de BO et son attitude, puis les résultats de l’élection, l’ont fait apparaître également, et  plus encore, comme le candidat des minorités. Les « Noirs », ou « Afro-américains », auraient voté pour lui à 95 ou 96% (selon plusieurs enquêtes « à la sortie des urnes »). Ils avaient voté démocrate à peu près dans les mêmes proportions en 2004, mais, leur nombre a crû. Les votes des « Latinos », toujours plus nombreux aussi, se seraient portés entre 66 et 69% sur BO. Une augmentation estimée à + 14% par rapport à 2004. Chez les « Asiatiques », le score serait de 61% (+ 9% par rapport à 2004). Chez les « Juifs », ce serait 78%. Prises ensemble, les minorités représentent près du tiers de la population totale des Etats-Unis. Elles auraient voté entre 75 et 80% pour BO (selon les taux de participation dans chaque « minorité »), donnant ainsi un avantage de l’ordre de 15 à 18 % du total des voix à leur candidat contre McCain. Déjà en partie comptées dans les voix précédentes, les voix de nombreux « jeunes » de 18 à 29 ans (66 à 68%), de nouveaux votants (69%), de « sans diplômes » et d’électeurs aisés se sont portées sur Barack Obama . Il ne devra pas décevoir les attentes de ces minorités (ainsi que de ses électeurs « Blancs »), malgré la crise et les contraintes budgétaires, et continuer à les faire espérer, surtout à l’approche des élections de 2012 pour lesquelles il est déjà quasiment candidat… tout comme Nicolas Sarkozy en France.

 

Barack Obama n’a pas fait de percée décisive chez les « Blancs ». Le score républicain de McCain, n’aurait cédé que - 3% par rapport à celui de 2004. John McCain aurait obtenu 55% des suffrages, contre 43% pour son adversaire démocrate. Cet écart consistant de + 12% de voix blanches lui a permis de prendre un avantage de l’ordre de 7 à 10% (selon le taux de participation des Blancs) du total des voix. Ces informations éclairent le résultat final de l’élection (52,6% pour Obama / 46,5% pour McCain) d’une lumière assez différente de celle qu’ont projetée les médias en enjolivant, en angélisant la réalité ou en laissant dans l’obscurité ce qui leur déplaisait ou les contrariait. Sans aller jusqu’à dire que ces chiffres montrent une Amérique très divisée, on peut tout de même relever que les questions des races et des minorités sont encore présentes, complexes, pesantes, déterminantes sur la scène politique. Compte tenu des perspectives démographiques, elles pourraient le devenir plus encore dans l’avenir. Le candidat élu les a largement évoquées. Il ne devra pas ménager ses efforts pour rapprocher des blocs qui semblent encore bien séparés.

 

Paul KLOBOUKOFF                                         Académie du Gaullisme                                        26 novembre 2008           

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

08.12.2008       Réagir à l'article :
 

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