POUR UNE CONFÉDÉRATION

FRANCOPHONE MONDIALE

par Pierre Pascallon, professeur agrégé de faculté

Il est clair que le monde de demain est en train de se construire autour… des États-Unis, même si le déclin relatif  de l’hyperpuissance américaine a commencé, autour des « BRICs » (Brésil, Russie, Inde et Chine…), et plus spécialement, on le sait, la Chine. On voudrait plaider ici pour la construction plus active, sur les prochaines décennies, d'un pôle mondial francophone dans cet ensemble planétaire. On entend déjà rire et se gausser. Est-ce trop rêver, pourtant, que de croire aujourd'hui encore à « l'exceptionnalisme français »? Il est clair, en effet, que, de toujours, la quête « d'exception » est constitutive de l'identité française. Depuis ses origines, notre pays – pense-t-on – est doté d'une mission à laquelle il ne saurait déroger sous peine de se renier, à savoir proposer, incarner un modèle radicalement original, forgé sur et par une histoire exceptionnelle dans les avatars de la fraternité et de la laïcité du message révolutionnaire. Et on sent bien, aujourd'hui encore, la nécessité de maintenir, de préserver cette fonction messianique sans laquelle la France ne serait plus elle-même, en se posant, en particulier, en architecte d'un ordre mondial régulé par le multilatéralisme et la coopération internationale.

 

Cet exceptionnalisme français a aujourd'hui un nom, un visage : la Francophonie, l'ensemble francophone dans le monde. La Francophonie, c'est, ce doit être, en effet, une vision spécifique du monde. À l'heure de la mondialisation libérale qui arase les cultures et impose, au vrai, le dictat du marché ; à l'heure de la pensée unique, de l'unification et de l'uniformisation des modes d'être et d'agir sur le modèle américain, la Francophonie– qui n'est pas une simple institution linguistique axée sur le français – se veut et doit être un modèle d'organisation et de civilisation particulier qui privilégie le pluralisme et le dialogue des cultures.

 

La Francophonie, c'est encore – ce doit être encore – un espace de développement et de solidarité, un « espace solidaire pour un développement durable », selon le thème du Sommet de la Francophonie, à Ouagadougou au Burkina-Faso, les 26 et 27 novembre 2004. Dans cet esprit, la Francophonie apporte son soutien, notamment, à la proposition d'une taxe internationale en faveur du développement, initiative lancée par Jacques Chirac, à Genève, en décembre 2003, conjointement avec le Brésil, le Chili et l'Espagne. Dans la même perspective, la Francophonie plaide pour la reconnaissance et le renforcement de la micro-finance comme outil majeur d'un développement équitablement partagé au bénéfice des plus démunis.

 

Au total, avec, en arrière plan, en particulier et surtout, l'Afrique qui doit être « libre de la misère », selon la belle formule de Nelson Mandela, la Francophonie peut et doit contribuer à faire avancer significativement le développement au service des hommes et des femmes de ce formidable sous-ensemble mondial, outil d'émancipation et de dignité pour des millions d'êtres humains. La Francophonie encore comme une organisation au service de la liberté, des droits de l'homme et de la paix, une paix malmenée dans cet ensemble. On pense, bien sûr, plus particulièrement aux conflits en Afrique. Il convient donc, à l'avenir - puisque n'est pas pour demain « la fermeture du Temple de la guerre », chère à Alexandre Adler - de mieux organiser encore la sécurité de cet espace francophone et, à dire le vrai, plus spécialement de l'espace franco-maghrebo-africain, en se souvenant de ce que ces pays ont fait ensemble hier.

 

Ensemble hier ? On pense, bien sûr, à la formidable épopée de la libération de notre sol, durant la Seconde Guerre mondiale, avec des soldats venus de tous les horizons, des jeunes de l'Algérie, du Maroc et de la Tunisie, des fils de l'Afrique occidentale ou de l'Afrique équatoriale. Nous avons eu un très long passé commun, fût-il dramatique . Il nous oblige - sur le plan de la défense aussi – à inventer un avenir commun, avec une politique de sécurité commune. Au vrai, au-delà de cet espace franco-maghrebo-africain, il convient sans doute de mieux rassembler, demain, toute la francophonie de par le monde. Dans le cadre d’une « communauté » (avec l’esprit du projet caressé par le Général de Gaulle, au lendemain des indépendances africaines, pour ce continent), d’un « Commonwealth », selon la vision de Léopold Sédar Senghor ; « communauté », « Commonwealth » qui s’attache à « faire prévaloir une certaine vision de l’homme et de son rapport au monde » (Adbou Diouf, secrétaire général de l’Organisation Internationale de la Francophonie).

 

 

Il faut faire franchir à cette francophonie une nouvelle étape - par rapport à son organisation actuelle -, celle d’une « francophoniepuissance», sous forme d’une « confédération francophone mondiale ». Bien sûr, la construction que nous souhaitons de cet acteur et partenaire incontournable du système international de demain sera difficile. Ce n’est rien moins, en effet, qu’un autre modèle aussi de mondialisation qu’il faut concrétiser, modèle préservant la diversité - « humanisme de la différence » (Abdou Diouf) -, une diversité dynamique au service d’une aspiration universelle. Projet difficile, mais le seul vrai projet porteur d’espérance.

 

 

 

 

Cf. déjà, dans le même sens, D. Tillinac : entretien accordé à Géopolitique

africaine, n° 6, mai 2002.

On pense bien sûr plus particulièrement à la douloureuse épreuve de la "guerre

d'Algérie".

Guillou M. : Francophonie-puissance. L’équilibre multipolaire, Ellipses, 2005.

 

 

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