par
Christine Alfarge
“Ce qui se passe en Belgique, se
passe ailleurs.”
Ce sont les premiers mots évoqués par
Luc Beyer de Ryke, Flamand
francophone né à Gand, qui à travers son livre La Belgique en sursis axé sur
toutes les fractures des différentes communautés, veut nous faire connaître la
situation de son pays, par un détour historique permettant d'expliquer les
causes profondes des divergences linguistiques de la Belgique jusqu'à
aujourd'hui. Paradoxalement, notre proximité avec la Belgique ne nous permet pas
de comprendre toutes les subtilités de son royaume. Que pouvons-nous dire sur sa
situation, les Belges eux-mêmes étant empreint de doute sur la survie de leur
pays après l'adoption d'une motion d'origine flamande prônant la scission de
l'arrondissement central bilingue de Bruxelles et de ses environs. Ce vote n'a
pas encore le pouvoir d'une loi, cependant la moitié des francophones y voient
l'annonce d'une séparation. En Flandre, une personne sur deux envisage avec
sérénité la disparition de la Belgique.
Les deux principales
communautés linguistiques.
À part deux cantons germanophones, la
Belgique se compose de deux grandes communautés linguistiques, les
néerlandophones ou Flamands situés géographiquement dans la moitié nord du pays,
la Flandre, ainsi qu’une petite partie à Bruxelles et les francophones qui
vivent dans le sud du pays, la Wallonie dont une part représentative habite à
Bruxelles.
L’histoire de la
formation des territoires en Belgique.
À l’origine, la Belgique naît de la
réunion des Pays-Bas autrichiens et de la principauté de Liège. Sous la Ire République, les territoires seront rattachés à la
France en 1795 et les structures de l’Ancien régime seront abolies. La création
de l'État belge, en 1830 mettra en place un nouveau type d'administration dont
la langue officielle sera le français.
Dès 1830, il existe
une opposition marquée sur le plan linguistique.
La moitié des Flamands de Belgique ne
se retrouvent pas dans l'utilisation de la langue officielle française. De
surcroît, il existe un contraste linguistique tant sur le plan territorial que
social. Les habitants des provinces du Nord parlent des dialectes proches du
néerlandais alors que ceux du Sud s'expriment en wallon, en picard, en
champenois en lorrain et bien sûr en français. On constate cependant que l'on
parle très bien le français dans certains cercles en Flandre, c'est la langue
des élites politiques et sociales. L'usage du français se répand chez tous ceux
qui sont épris d'idées nouvelles et désireux de promotion
sociale.
En 1840, début du
nationalisme flamand pour imposer sa langue, le
néerlandais.
Le combat du mouvement flamand
portera sur la reconnaissance à l'égalité de droits entre le néerlandais et le français et l'affirmation de l'identité du
peuple flamand face aux élites dont la pratique du français correspond à une
forme de domination sociale. Le processus de la reconnaissance du néerlandais
sera lent et il faudra attendre le suffrage universel en 1919 qui permettra à la
majorité flamande forte en nombre, d'obtenir une majorité politique afin
d'imposer ses revendications linguistiques.
Quels sont les points
importants qui pèsent sur les enjeux actuels ?
Si l'on veut comprendre les enjeux
actuels, il faut rappeler notamment le contentieux entre le mouvement flamand et
les francophones ces derniers ne voulant pas entendre parler de problèmes
linguistiques ainsi que de la domination qu'ils exerçaient, éprouvant le
sentiment inverse que les Flamands en prônant l'égalité des droits voulaient
parvenir à l'éradication de la langue française en Flandre et la contrôler à
Bruxelles. La frontière linguistique et la pratique d'une seule langue sur tout
le territoire flamand est devenue un phénomène
irréversible en Flandre avec des conséquences inévitables sur le statut de
Bruxelles.
L'évolution de la
situation linguistique à Bruxelles.
Déjà capitale sous les Pays-Bas
autrichiens, Bruxelles par sa situation géographique centrale le restera lors de
la création du nouvel état belge en 1830, bien que la ville soit d'origine
flamande, elle ne cessera de voir progresser le français symbole de réussite
sociale et aussi par l'installation d'une population non négligeable venue de
Wallonie. Aujourd'hui, on peut estimer que près de 90 % de la population
bruxelloise pratique l'usage de la langue française, quant à la partie
minoritaire les succès du nationalisme flamand ont notamment permis l'usage du
bilinguisme français/néerlandais dans la vie administrative et également
d'obtenir une représentation flamande de la vie publique.
Un fédéralisme belge
controversé.
La principale caractéristique du
fédéralisme belge est d'être construit sur une
différenciation interne portant sur des divergences linguistiques profondes et
répond à deux revendications importantes. D'une part, les Flamands désireux de
mener une politique autonome en Flandre et à Bruxelles dans de nombreux secteurs
liés à la vie associative, la culture, l'enseignement, d'autre part, les Wallons
qui après avoir occupé une place dominante sur le plan industriel reprochent à
la Flandre de vouloir mettre en place des politiques économiques qui la
favorise. Ils revendiquent leur autonomie pour mener leur propre politique
économique et sociale. Les particularités du fédéralisme belge. Deux sortes
d'entités fédérées existent en Belgique chacune étant répartie sur le territoire
national et se partageant le pouvoir législatif avec l'autorité fédérale. Il y a
d'un côté trois communautés, flamande, française et germanophone chargées de
l'enseignement, la culture et la politique sociale, de l'autre trois régions,
flamande, wallonne et bruxelloise chargées de l'économie, du logement et de
l'environnement. Cette complexité visant à satisfaire chaque partie, soulève
cependant d'autres questions concernant notamment le statut de Bruxelles tant
sur le plan géographique car la ville est située au sud de la Flandre que sur le
plan démographique parce que Bruxelles et les communes qui l'entourent
connaissent une forte concentration de francophones. C'est l'origine du combat
du mouvement flamand qui obtiendra à partir de 1960 la limitation pour Bruxelles
à dix neuf communes bilingues.
Où en sommes-nous
aujourd'hui ?
Selon Luc Beyer de Ryke « La Belgique risque
de disparaître, mais nous ne sommes pas au bord de la guerre civile, il existe
un problème d'hommes et de structures. Il n'y a pas de vue nationale et c'est à
celui qui sera le plus Wallon ou le plus Flamand ». Quoiqu'il en soit, Wallons
et Flamands sont condamnés à s'entendre, car toute évolution institutionnelle
doit avoir l'accord des deux grandes communautés. Mais le scénario de la rupture
ne peut être exclu puisque certains milieux le souhaitent. Lors d'un entretien
le 10 novembre 1965 avec Alain Peyrefitte, le Général de Gaulle déclarait au
sujet de la Belgique : « Des Wallons m'avaient déjà demandé de les annexer à la
fin de la guerre. Je n'ai pas voulu donner suite à leur démarche. En 45, il
fallait respecter les frontières que nous a léguées l'Histoire, sauf les
frontières des pays vaincus. C'est ce qui a été fait. La Belgique, il ne faut
pas y toucher. Mais que les Wallons s'organisent pour défendre leur langue et
leur culture, pour éviter que les Flamands ne leur marchent sur les pieds, nous
n'y voyons aucune espèce d'inconvénient... Ou alors il faudrait que les Flamands
rendent la vie impossible aux Wallons et qu'alors les Wallons se jettent dans
nos bras. Mais nous n'avons surtout pas à bouger. Ce serait trop facile de nous
accuser de vouloir nous arrondir aux dépens de la Belgique.
»