RL hors série

 

 

LA DIVERSITÉ CULTURELLE

EST UNE ARME

par Yvonne Bollmann

 

 

 

La France avait la notion d’ « exception culturelle », pour dire que les biens culturels ne sont pas des marchandises comme les autres. Elle l’a troquée, imprudemment, contre celle de « diversité culturelle », qui est devenue en un rien de temps synonyme de « diversité ethnique ». Le passage de l’une à l’autre semble avoir tenu à peu de chose, mais il a d’énormes conséquences.

 

Intermède franco-mexicain

 

En 2000, Hubert Védrine a publié un livre d'entretiens avec Dominique Moïsi, Les cartes de la France à l’heure de la mondialisation. Un passage en est consacré à l’ « exception culturelle », qui désignait à l’origine « une technique de négociation, une mesure de protection » dans le cadre des négociations commerciales internationales, et signifiait que les biens culturels ne peuvent être « traités, produits, échangés, vendus comme les autres ». Hubert Védrine raconte dans quelles circonstances cette notion a été abandonnée par la France : « Hors de France, l’expression et l’attitude qu’elle recouvre ont une connotation défensive : rien de très mobilisateur. Je m’en suis rendu compte un jour en en discutant avec Rosario Green, la ministre des Affaires étrangères du Mexique. C’est elle qui m’a dit : « Personne ne comprend rien à votre histoire d’exception. Si vous parliez de diversité, vous auriez un tout autre écho. » Or, sur ce terrain en particulier, nous avons absolument besoin d’alliés. »[1]. La France a suivi ce conseil et changé son vocabulaire. Quand les médias ont annoncé en novembre 2004 qu’elle avait obtenu le ralliement officiel du Mexique en matière de défense de la diversité culturelle, c’était comme une ironie de l’Histoire.

Pourquoi Rosario Green a-t-elle proposé le mot « diversité », ce vecteur de malentendus involontaires ou voulus ? Etait-ce un effet de la pensée … unique ? D’un parallèle injustifié qui était dans l’air, et qu’énoncera en novembre 2001 la Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle : « Source d’échanges, d’innovation et de créativité, la diversité culturelle est, pour le genre humain, aussi nécessaire qu’est la biodiversité dans l’ordre du vivant » ? Ou bien était-ce le résultat de contacts avec des représentants de milieux européens favorables à un ordre ethnique dans l’Union européenne et dans le monde ?

 

Le 1er décembre 1999, le Mexique a obtenu le statut d’observateur auprès du Conseil de l’Europe, ce qui suppose un rapprochement bien avant cette date, et donc aussi une adhésion à l’action de l’organisme européen en matière de politique culturelle. Dans un discours qu’elle a prononcé à cette occasion devant le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, Rosario Green a évoqué la « grande diversité culturelle mexicaine, alimentée par la situation géographique de ce pays, qui le conduit naturellement à multiplier ses relations avec l’étranger », et affirmé que « le Mexique (…) sera aussi partie prenante des réflexions menées à bien par les 41 pays membres du Conseil de l’Europe ». Elle a ajouté que « le statut d’observateur permanent du Mexique le sensibilisera aux nouvelles politiques en vigueur et aux interrogations en cours, dans l’ensemble du continent européen »[2]. Il est donc probable que le Mexique a intégré dans sa réflexion la charte européenne des langues régionales ou minoritaires, et la convention cadre pour la protection des minorités nationales, toutes deux promulguées par le Conseil de l’Europe, la première en 1992, l’autre en 1995, et dans l’élaboration desquelles la Föderalistische Union Europäischer Volksgruppen / Union Fédéraliste des Communautés Ethniques Européennes /Federal Union of European Nationalities (FUEV/UFCE / FUEN) a joué un rôle essentiel.

 

Dans la feuille d’information Bayern-intern de la Sudetendeutsche Landsmannschaft, l’Association des Allemands des Sudètes (section bavaroise), on apprend que le Mexique, entre autres pays, est représenté à la présidence de l’Internationales Institut für Nationalitätenrecht und Regionalismus (INTEREG)[3]. C’est le nom qu’a pris en 1991 le Verein zur Förderung der Volksgruppen- und Minderheitenrechte, une association que la Bavière avait créée en 1977 pour « la promotion des droits des Volksgruppen (communautés ethniques) et des minorités » ; le changement de dénomination permet d’ailleurs de voir que droit des minorités et régionalisme vont ensemble, au service d’une Europe des régions à caractère ethnique voulue par l’Allemagne.

L’INTEREG a été pionnier en la matière. Il a ainsi lancé en 1988 le projet d’une région transfrontalière germano-tchèque, la Regio Egrensis, qui a vu le jour dès 1991. Des dizaines d’autres régions transfrontalières ont ensuite été créées ; à toutes ses frontières, l’Allemagne a de la sorte prise sur le territoire et la politique de ses voisins. L’INTEREG a également proposé, en 1992, la Magna Charta Gentium et Regionum, dont l’article 8 prévoit que « dans la perspective de l’Union européenne, chaque région devra se développer comme un État régional autonome », et l’article 11 que « la diversité culturelle de l’Europe (…) devra être garantie par le droit à l’autodétermination et le fédéralisme ethnique ». C’est en bonne voie.

 

Rosario Green a été le dernier ambassadeur du Mexique en RDA. A-t-elle occupé ce poste en raison d’affinités préexistantes avec l’Allemagne, ou s’est-elle imprégnée sur place de la pensée politique allemande inspirée par Herder ? D’une phrase, elle a en tout cas convaincu des responsables politiques de faire basculer la France dans la reconnaissance du principe ethno-culturel, étranger à son essence, mais que l’Allemagne, elle, par tradition historique et dans un sens bien compris de son intérêt national, défend sur tous les fronts. Et l’écho, comme elle l’avait prévu, a bien été immense.

 

 

La France au pilori

 

La Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle, adoptée le 2 novembre 2001, montre que « diversité culturelle » n’est pas synonyme d’ « exception culturelle ». Seul son article 8, sous la rubrique « Diversité culturelle et créativité », traite nommément du fait que « les biens et services culturels » sont « des marchandises pas comme les autres » : « (…) une attention particulière doit être accordée à la diversité de l’offre créatrice, à la juste prise en compte des auteurs et des artistes ainsi qu’à la spécificité des biens et services culturels qui, parce qu’ils sont porteurs d’identité, de valeurs et de sens, ne doivent pas être considérés comme des marchandises ou des biens de consommation comme les autres. »

Pour le reste, la Déclaration de l’UNESCO proclame des principes relatifs à « Identité, diversité et pluralisme », à « Diversité culturelle et droits de l’homme », à « Diversité culturelle et solidarité internationale ». Tout cela n’a évidemment rien de répréhensible.  Sauf que, dans cette Déclaration, ce ne sont pas seulement les individus, les personnes, qui ont droit de cité. Des entités collectives y figurent elles aussi. L’article 1 mentionne ainsi « l’originalité et la pluralité des identités qui caractérisent les groupes et les sociétés composant l’humanité ». L’article 2 affirme que « dans nos sociétés de plus en plus diversifiées, il est indispensable d’assurer une interaction harmonieuse et un vouloir vivre ensemble de personnes et de groupes aux identités culturelles à la fois plurielles, variées et dynamiques » - avant, il est vrai, de dissoudre ces « groupes » pour en revenir aux individus, par la reconnaissance « des politiques favorisant l’inclusion et la participation de tous les citoyens ». A mi-chemin entre les  individus et les groupes apparaissent les « personnes appartenant à des minorités ». Cette formule semble écarter la possibilité d’instaurer des droits collectifs, tout en posant l’existence de « minorités », et donc la possibilité théorique de leur en accorder.

 

Les adversaires de l’État-nation France, sans « minorités nationales », se servent de la diversité culturelle comme d’une arme pour l’obliger à en reconnaître sur son territoire. Ainsi, en 2003, l’ONU  a été appelée à intervenir auprès de la France par la Gesellschaft für bedrohte Völker (Peuples en détresse), dont le siège est à Göttingen, et qui définit les « peuples » ethniquement. Cette association s’était alors manifestée auprès de la Commission des droits de l’homme, à Genève, pour prendre la défense des « 26% de citoyens français parlant une autre langue que le français », et représentant donc des « minorités » non reconnues par la France. Dans sa revue Pogrom (sic), la Gesellschaft für bedrohte Völker n’hésite pas à l’accuser pour cela d’ « ethnocide », en l’occurrence envers les Occitans, Alsaciens-Mosellans, Basques, Bretons, Corses, Flamands et Catalans, la langue étant considérée comme un marqueur de l’ethnie. La Clef, un atlas collectif « ethno-linguistique » publié en 1998, avec préface et conclusion du peintre Ben, est d’inspiration analogue. Parmi les solutions que Ben y propose pour régler les « tensions et conflits ethniques actuels, passés et à venir », la rectification des frontières vient en premier (p. 5).

 

L’ONU encore : Dans le cadre du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) est paru un Rapport mondial sur le développement humain 2004, consacré à « La liberté culturelle dans un monde diversifié » ; une équipe de l’UNESCO y a collaboré. L’ensemble a été rédigé « à partir de sujets thématiques relatifs à l’identité, la diversité et la liberté de culture ». L’objectif en était de « bâtir des démocraties multiculturelles », suivant le principe que « démocratie, développement équitable et cohésion étatique sont essentiels », mais que « sont également nécessaires des politiques multiculturelles qui reconnaissent explicitement les différences culturelles ». La France y figure pour non respect de la diversité culturelle.

Un chapitre de ce rapport traite des « défis posés à la liberté culturelle », en particulier des « exclusions politique, économique et sociale fondées sur l’identité culturelle » ; il contient un tableau sur la « représentation politique des minorités ethniques dans une sélection de parlements au sein de l’OCDE », qui indique pour la France (élections de 2002) : « Nombre dans la chambre basse : 0/577 ; part dans la chambre basse : 0,0 % ; part dans la population : 8,0 % ; rapport dans la chambre comparé au rapport dans la population : 0,0 % ». Il est fait référence, précise-t-on, « aux minorités ethniques visibles sur la base de recensements ou d’études universitaires. Les immigrés non visibles (de descendance européenne) ne sont pas inclus »[4]. Cette analyse confond diversité culturelle et diversité « ethnique », et fait d’ailleurs comme s’il y avait des « statistiques ethniques » en France. La mention préalable de la « cohésion étatique » est de pure forme.

 

La Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles,  un avatar de la « diversité culturelle », a été adoptée par l’UNESCO le 20 octobre 2005. La France se prévaut d’en avoir été un, sinon le maître d’œuvre, mais l’Allemagne y a travaillé de son côté. Il se trouve que cette convention fut adoptée à la fin du mandat de l’Allemand Hans-Heinrich Wrede, qui a été pendant deux ans le président du Conseil exécutif de l’organisation. A mi-parcours, interrogé sur le fait que, pour la première fois, un citoyen de la RFA occupait ce poste, il a répondu que cela reflétait la haute estime dans laquelle son pays était tenu à l’Unesco, et correspondait à l’importance de la contribution de l’Allemagne à ses programmes depuis son adhésion en 1951. Il a rappelé qu’avant 2003, date du retour en son sein des États-Unis, c’est l’Allemagne qui en a été le second contributeur, juste après le Japon[5]. Hans-Heinrich Wrede a profité de sa position à la tête du Conseil exécutif pour « entamer rapidement et à bon escient les négociations relatives à une convention sur la diversité culturelle ». Fin 2004, il lui paraissait réaliste d’en envisager l’adoption lors de la Conférence générale d’octobre 2005 ; quelques mois auparavant, l’entreprise lui semblait encore « extrêmement difficile », en raison des pressions exercées par les gouvernements et les entreprises pour défendre « des intérêts bien tangibles »[6].

Peu après la fin de son mandat, dans un entretien accordé à la Frankfurter Allgemeine Zeitung, Hans-Heinrich Wrede est revenu sur cette convention de l’UNESCO ; pour lui, « les États et les nations ont le droit, et le devoir, de protéger activement leur identité à travers les biens culturels, la langue, les traditions »[7]. Il a bien dit « les États et les nations », ce qui implique que les uns ne coïncident pas forcément avec les autres, ni les frontières politiques avec les frontières « ethno-linguistiques » ; lui semble en tout cas trouver son compte dans ce texte, où la culture et la langue sont reconnues comme des indicateurs de la « nation », dans l’acception allemande de la chose.

Pour l’Allemagne, l’adoption de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles a été l’aboutissement provisoire d’un long parcours. L’une de ses étapes en montre l’enjeu ethnique. Parmi les propositions allemandes relatives au programme et au budget 1973-1974, ainsi qu’aux projets à plus long terme de l’UNESCO, il y en avait une qui a été saluée par la revue Europa Ethnica : « De nombreuses guerres ayant été suscitées, dans les décennies et siècles passés, par le fait que le droit des minorités nationales à une vie culturelle et sociale autonome n’a pas été suffisamment pris en compte par les États voisins ou les pays hôtes, nous suggérons (…) que, dans le cadre de son travail sur les questions raciales et sur les problèmes de la paix, l’UNESCO s’occupe aussi des questions propres aux minorités ethniques »[8]. Avec persévérance, l’Allemagne fait progresser l’ordre ethnique à l’échelle européenne et mondiale.

 

 

Charte des droits fondamentaux : made in Germany

 

D’ores et déjà, la France est malmenée au nom de la diversité culturelle. Il est facile d’imaginer les conséquences qu’aurait pour elle l’adoption du nouveau traité européen. La Charte des droits fondamentaux n’y est plus incluse, mais l’article 6 la rend juridiquement contraignante : « L'Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux du 7 décembre 2000, telle qu'adaptée le [... 2007, à …], laquelle a la même valeur juridique que les traités. »

 

La charte des droits fondamentaux a été voulue par l’Allemagne, et par elle seule. En janvier 2000, au moment où la « convention » chargée de l’élaborer sous la présidence de Roman Herzog a entamé ses travaux, Herta Däubler-Gmelin, qui était alors ministre fédéral de la Justice, l’a rappelé dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung. Personne, a-t-elle écrit, n’aurait pu imaginer une telle avancée un an plus tôt, lorsqu’un gouvernement rouge-vert à peine installé a pris en charge la présidence de l’Union européenne, et décidé de produire cette charte. Elle confirme qu’il n’y avait pas eu de travaux préliminaires à ce sujet dans le gouvernement précédent, ni d’entretiens préalables avec les gouvernements partenaires en Europe. En prenant cette initiative unilatéralement, l’Allemagne ne pouvait avoir en vue que ses intérêts propres. Lors de sa présidence à elle, Angela Merkel a fait le nécessaire pour sauver cet héritage.

 

Le député allemand Peter Altmaier (CDU) a représenté le Bundestag dans la Convention pour l’avenir de l’Europe. Il en avait déjà été le représentant dans la Convention qui a produit la charte des droits fondamentaux. En novembre 2000, il a déclaré à ce propos : « Partout où il y avait des articles comparables dans la Convention européenne des Droits de l’homme, nous avons formulé la charte européenne des droits fondamentaux en reprenant presque mot pour mot ce que dit la convention des Droits de l’homme. » Tout est dans le « presque ».

Ainsi, dans la Convention européenne des Droits de l’homme, l’interdiction de discrimination est énoncée comme suit : « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. » (Article 14). L’article 21 de la charte a repris ce texte, en ajoutant aux critères de non-discrimination les caractéristiques génétiques, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle. Mais à « l’origine nationale ou sociale » se sont substituées « les origines ethniques ou sociales ». Cette modification, qui définit la nation comme ethnie, est la signature de l’Allemagne.

La formulation de cet article diffère aussi de celle qui avait été adoptée dans le Traité d’Amsterdam pour l’article 13. Celui-ci prévoit que « le Conseil peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle ». Dans la charte des droits fondamentaux, l’origine ethnique est dissociée de la race, et acquiert une existence autonome, de même valeur que l’origine sociale.

 

Le ministre des Affaires fédérales et européennes de Thuringe, Jürgen Gnauck, qui représentait le Bundesrat dans la Convention chargée de rédiger la Charte des droits fondamentaux, a déclaré en 2000 que « par son préambule et son article 22 », elle « ancre des éléments du droit des minorités ». On peut supposer qu’il savait de quoi il retourne. Le préambule en affirme le « respect », par l’Union, « de la diversité des cultures et des traditions des peuples de l’Europe ». Quant à l’article 22, il énonce que « l’Union respecte la diversité culturelle, religieuse et linguistique ». Cette triple diversité doit donc, pour le moment, tenir lieu de diversité ethnique, et d’amorce pour un droit exhaustif des minorités. L’Allemagne aurait préféré voir inscrits dans la Charte des droits fondamentaux de véritables droits collectifs pour les minorités, mais la France, la Grande-Bretagne et l’Espagne s’y sont opposées. Ce qu’elle contient est pourtant déjà bien lourd de menaces, et doit être refusé à tout prix.

 

 

Bataillons allemands d’aujourd’hui

 

La revue Europa Ethnica a publié en 1989 la proposition de résolution « sur un droit européen des Volksgruppen » présentée en juillet 1984, au Parlement européen, par quarante-deux députés. Sous leur plume, le Parlement européen s’y disait « partisan du droit à l’autodétermination des peuples », et « demandait à la Communauté européenne de faire le nécessaire pour que tous les Européens puissent l’exercer ».

Parmi les signataires, il y avait Hans-Gert Pöttering, député au Parlement européen depuis 1979, et son président depuis le 16 janvier 2007. Un autre était Ingo Friedrich, élu au Parlement européen depuis 1979, qui a été l’un de ses vice-présidents, et qui est actuellement l’un de ses six questeurs, et membre de la Commission des affaires constitutionnelles. Karl von Wogau, lui aussi eurodéputé depuis 1979, et aujourd’hui président de la Commission parlementaire Sécurité et défense, était l’un de ces signataires, tout comme Elmar Brok. Ce dernier, eurodéputé depuis 1980, a été rapporteur principal sur l'élargissement (1999-2004). Mais il est surtout impliqué dans l’élaboration de différents traités européens. C’est ainsi qu’il a été représentant du Parlement européen au groupe de réflexion du Conseil pour la préparation de la réforme du traité de Maastricht, son représentant dans les conférences intergouvernementales pour les traités d'Amsterdam (1996-97) et de Nice (2000), président du groupe PPE à la Convention européenne, et encore représentant du Parlement européen à la conférence intergouvernementale sur le traité constitutionnel de l'UE (2003-2004). C’est aussi l’un des trois eurodéputés présents au Sommet européen de Lisbonne (18-19 octobre 2007). Tout cela ne l’empêche pas d’être en sus  « Senior Vicepresident Media Development » dans le groupe Bertelsmann. Il est peu probable que ces eurodéputés allemands aient renoncé aux convictions qui étaient les leurs en 1984. Dans leurs fonctions respectives, ils continuent donc sans doute d’œuvrer pour un « droit européen des Volksgruppen ».

 

Pour son projet d’une réorganisation de l’Europe suivant des critères ethniques, l’Allemagne a un autre soutien de poids, en la personne de Benoît XVI. Celui-ci est un acteur politique à sa façon. Dans l’avion qui l’emmenait vers l’Autriche le 7 septembre 2007, pour un voyage de trois jours, il s’est entretenu avec les journalistes, et leur a dit qu’il ne s’agissait pas d’un « voyage politique », mais d’un pèlerinage. Il leur a annoncé qu’ « uniquement au début, lors de la rencontre avec le monde politique », il voudrait « parler un peu de cette réalité qu'est l'Europe, des racines chrétiennes de l'Europe, du chemin à prendre. ». Lors de sa rencontre avec le Corps diplomatique, il a en effet encouragé « à faire avancer l’actuel processus d’unification sur la base de valeurs s’inspirant du patrimoine chrétien commun ».

Mais au cours de ce voyage, le pape s’est exprimé sur l’Europe d’une autre façon encore, en évoquant les cultures et les langues. Pendant la cérémonie d’accueil à l’aéroport de Vienne, il a ainsi brièvement parlé de l’Autriche comme d’un « espace culturel au centre de l'Europe », qui « dépasse les frontières et relie les élans et les forces de diverses parties du continent ». Mais l’Allemagne se sert aujourd’hui, justement, de cette notion d’ « espace culturel », avec le marqueur particulier qu’est la langue, pour restructurer l’Europe et lui imposer l’ordre ethnique. Du bon usage de la diversité culturelle !

 

A Vienne, première étape de son « pèlerinage », le pape s’est rendu devant la « Mariensäule », une statue de la Vierge, sur la place « Am Hof ». Depuis le balcon de l’église voisine, il s’est adressé à la foule, pour lui dire qu’ « aujourd’hui aussi, dans son sentiment maternel, Marie accueille sous sa protection des personnes de toutes langues et cultures, afin de les conduire toutes ensemble, unies dans la diversité, vers le Christ ». Cette « unité dans la diversité » peut certes s’interpréter comme un ciment de la catholicité, mais la formule est par trop semblable à la devise de l’Union européenne pour être fortuite.

La Frankfurter Allgemeine Zeitung a rappelé que, le 6 août 1806, la fin du Saint Empire romain germanique fut annoncée à ce même endroit, depuis le balcon de la « Kirche am Hof ». A la fois romain et germanique, Benoît XVI incarne en quelque sorte le retour du Saint Empire. Cela n’est sans doute pas pour déplaire à l’actuel président de l’Union européenne. Interrogé sur la nature impériale de l’Europe par un journaliste de Welt Online, à la veille du Sommet de Lisbonne, José Manuel Barroso a repris une formule du philosophe allemand Peter Sloterdijk, qu’il dit apprécier beaucoup, et qui a une fois défini l’UE comme « non-imperial empire ».

 

 

Conclusion

 

Dans son discours du 17 janvier 2007 au Parlement européen, Angela Merkel a parlé de la diversité comme « âme de l’Europe », mais dans sa première déclaration gouvernementale, elle avait dit plus crûment que « la politique extérieure et européenne de l’Allemagne est basée sur des valeurs et sert nos intérêts », qu’il s’agit d’ « une politique d’intérêts ». La France doit en tirer les conséquences, et refuser le traité de Lisbonne.

 

 

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[1] Hubert Védrine, Les cartes de la France à l’heure de la mondialisation, pp. 40-41.

2 Le Mexique aujourd’hui, bulletin d’information de l’ambassade du Mexique à Paris, numéro 1, janvier-février 2000.

3 Bayern-intern, 27-3-2004.

4 PNUD - Rapport mondial sur le développement humain 2004, La liberté culturelle dans un monde diversifié, p. 47 et pp. 34-35.

5 Unesco heute online, Online-Magazin der Deutschen UNESCO-Kommission, novembre-décembre 2004.

6 Institut Pierre Werner, Luxembourg, mai 2004.

7 Frankfurter Allgemeine Zeitung, 24-10-2005.

8 Europa Ethnica, 1972, pp. 44.

 

 

 

 

 



 

 

 

 

 

 

 

 

 
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