INDOCHINE - ALGÉRIE : COMPTE-RENDU DU DÎNER-DÉBAT DU 14 DÉCEMBRE 2005

EN PRÉSENCE DU GÉNÉRAL PAUL RENAUD

par Christine ALFARGE

C'est avec honneur que nous avons reçu le général Paul Renaud, une des personnalités militaires françaises les plus héroïques notamment en exerçant des fonctions dans le renseignement au grade le plus élevé ainsi que le commandement du régiment « Missions extérieures » inconnu du public.

Ce dîner-débat commence par une intervention de M. Jean-Claude Brouard qui nous guide à travers une succession de dates historiques sur la très vieille nation de l'Indochine. En effet ce rappel d'événements historiques est crucial si l'on veut tenter de comprendre et d'expliquer les guerres d'Indochine entre des peuples antagonistes, chacun désireux de soumettre l'autre au nom de l'unité nationale.

Indépendamment de l?invasion chinoise qui occupera le Viêtnam pendant deux siècles, la première présence occidentale fut portugaise à partir de 1540.

Dès le XVIIe siècle la France entretient d'excellents rapports avec la Cochinchine, région du sud riche et très peuplée dont la principale ville est Saïgon et la région de l'Annam au centre plus boisée avec une population plus rude dont leur capitale Hué avait des appétits de domination sur les autres régions notamment le Tonkin au nord vassal de la Chine. En 1776, le roi de Hué ne tarda pas de faire appel au roi Louis XVI pour mater la révolte des Tay-son. Grâce aux volontaires armés envoyés par le roi de France, Nguyen Anh reprend son trône et conquiert à la fois la Cochinchine et le Tonkin. Nguyen Anh devenu empereur sous le nom de Gia-Long continua lui et ses successeurs une politique cordiale avec la France jusqu'au second empire. Mais l'obstination de l'empereur Tu-Duc de vouloir imposer comme religion le confucianisme chinois à tous ses sujets, fit décider Napoléon III à mettre un terme aux persécutions. Saïgon tomba et la France à travers le traité de Pnom-Pen en 1863 repris l'administration de la partie ouest de la Cochinchine majoritairement chrétienne. Quelques années après, « les Pavillons noirs », célèbres pirates du Tonkin attaque la région voisine l'Annam, ce qui entraîne l'armée française à prendre Hanoï en attendant l'ordre d'évacuation par Mac-Mahon. Des troupes plus importantes sont à nouveau envoyées, ce qui conduira à une guerre contre la Chine. Finalement, les traités de Tien-Tsin en 1885 feront abandonner la Chine de ses ambitions et permettront à la France de contrôler toute la région. Quant au Tonkin il continuera d'être terrorisé par ses pirates pendant bien longtemps.

De 1891 à 1893 fut créée la confédération indochinoise composée d'une colonie la Cochinchine et de quatre protectorats, à savoir :

- le Cambodge et le Laos sous protection de la France ;

- l'Annam où l'administration des mandarins hésitait entre collaborer ou se révolter contre les autorités coloniales ;

- le Tonkin jamais pacifié.

En 1897, Paul Doumer exerce une « politique d'association » des populations a. n de moraliser la société et de la développer économiquement et socialement. Cette initiative fut reconnue officiellement en 1905 par le gouvernement français. L'Annam et le Cochinchine continuèrent de prospérer contrairement au Tonkin qui devait être maintenu militairement.

Après 1929 trois forces entreprirent de déstabiliser la région :

- le Japon d'abord qui voulait dominer toute l'Asie et chasser les Européens ;

- les Soviétiques et la Chine communiste ;

- enfin les Etats-Unis intéressés de contrôler à leur tour toutes les ressources de cette région.

Le coup de force japonais du 9 mars 1945 visant à éliminer l'armée et l'administration françaises d'Indochine a permis au Vietminh de s'installer au Tonkin.

En août 1945, après la capitulation du Japon, le Vietminh s'empare du pouvoir à HanoÏ, son chef Hochi Minh proclame l'indépendance de la République Démocratique du Viêtnam. La France sur ordre du Général de Gaulle tente de reprendre pied en Indochine par la nomination en octobre 1945 de l'Amiral Thierry d'Argenlieu en qualité de haut-commissaire ainsi que l'envoi d'un corps expéditionnaire français commandé par le général Leclerc. Mais Hochi Minh se trouve bloqué entre les chinois au nord et les troupes du général Leclerc. Il accepte de négocier lors de la conférence de Fontainebleau le 6 juillet 1946 où la France envisage l'indépendance du Tonkin mais elle s'oppose à ce que le Vietminh domine l'Annam et la Cochinchine. Comme le souligne le général Renaud, « la France voulait garder la Cochinchine face à un ennemi communiste qui a accaparé la notion d'indépendance », il pense que c'est une guerre perdue parce que nous avons été trop exigeants. En considérant le Tonkin comme partie intégrante de l'Indochine, les Français devraient occuper tout le terrain ce qui était militairement impossible à cause du terrain difficile et de l'hostilité des populations.

Fin 1949, lors d'une deuxième occasion les Français vont tenter de restaurer un semblant de protectorat en installant à sa tête l'ancien empereur de l'Annam Bao-Daï. Mais devant les difficultés de lutter sur les territoires sino-indochinois, l'armée française se retire. La solution par les armes ne peut pas être obtenue et l'opération se termine à Cao-Bang en octobre 1950 après de lourdes pertes. Le moral des troupes est au plus bas et le 6 novembre 1950 est nommé haut-commissaire et commandant en chef le général de Lattre de Tassigny qui reprend les choses en main et redresse la situation pour une courte durée car il disparaît le 11 janvier 1952 par suite d'une maladie.

À Paris les dirigeants politiques parlent « d'opérations de pacification » et souhaitent un succès militaire sur le terrain pour être en position de force pour régler le sort de l'Indochine. Le 20 mai 1953, le général d'état-major Henri Navarre est nommé pour en finir avec l'ennemi. Ce sera le piège de Dien Ben Phu et une fin tragique pour l'armée française lors de l'assaut final du 7 mai 1954. L'ouverture de la conférence de Genève mettra un terme à la guerre d'Indochine et conduira au partage du Viêtnam entre deux gouvernements antagonistes de Viêtnam Nord et du Viêtnam Sud.

Pour la France, débarrassée du poids indochinois, le répit sera de courte durée car le 1er novembre 1954 débutera la guerre d'Algérie. Mais auparavant il faut rappeler qu'au moment où la France fête la victoire du 8 mai 1945, le nord constantinois dans les régions de Sétif et de Guelma se soulève quadrillé par l'armée. Cette période sera considérée comme le début de la guerre algérienne d'indépendance. Dans la vie politique algérienne on voit peu à peu dominer un mouvement national basé sur l'espoir de réunir les conditions de réformer le système colonial ou libérer l'Algérie. À Sétif, dans des manifestations indépendantistes des jeunes musulmans brandissent le drapeau algérien. De nombreux leaders indépendantistes seront arrêtés comme Messali Hadj, chef du Parti du peuple algérien (PPA). La guerre a incontestablement donné l'espoir que l'ordre colonial pouvait être renversé. Le sentiment du général Renaud est que pour lui « une chose est certaine, le peuple algérien a ressenti ce sentiment national que nous n'avons pas perçu, les populations ont été abandonnées à elles-mêmes, mais notre responsabilité n'était pas totale car l'ambiance internationale ne nous a pas fait reconnaître que le monde évoluait ».

Les conséquences de ces événements conduiront à la fin de l'union du camp nationaliste et le 1er novembre 1954 les activistes du Parti du peuple algérien se retrouveront à la tête d'une nouvelle organisation, le Front de libération nationale (FLN), l'insurrection algérienne commencera. En mai 1958, après quatre années l'armée sera victorieuse, les frontières seront fermées.

 « Avec le recul, est-ce que l'on a manqué des occasions ? se demande le général Renaud. Il est diffcile de trouver deux guerres plus différentes pour si peu de moyens contre un adversaire communiste en Indochine qui se termine par une défaite sur le terrain, quant à l'Algérie avec un million de résidents français donnant des moyens plus importants face à un adversaire qui n'était ni communiste, ni islamiste mais arabe, la victoire fut obtenue sur le terrain mais la suite fut désastreuse ». Dien Ben Phu restera le symbole de la reconquête de l'indépendance nationale, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

 

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