par Paul KLOBOUKOFF
Le présent article prolonge « En marche vers la fin d’un régime qui se voulait
démocratique » et porte principalement sur des réformes
institutionnelles désirées par le président Macron et sur leurs implications.
Il attire l’attention sur des menaces pesant sur notre démocratie qui sont en
partie liées à une primauté trop exclusive donnée à la réduction du déficit
budgétaire par une baisse indistincte des dépenses publiques. Ceci, au
détriment d’autres priorités (comme la sécurité nationale) et de valeurs
fondamentales de notre société.
Notre système politique a beaucoup dérivé
depuis l’instauration de la Ve République et est livré à des assauts visant à
accroître un pouvoir présidentiel déjà démesuré et à désarmer des
contrepouvoirs défenseurs de la pluralité des opinions et de la démocratie.
Sous couvert de changement, de réformes, les cibles et les procédés sont
divers. Depuis le début de la campagne présidentielle, le
parlementarisme est dans le viseur. C’est pourquoi il est au cœur du sujet ici, avec une focalisation
sur l’Assemblée nationale d’abord, plus fragilisée que le Sénat qui représente
les collectivités locales et leurs populations. Il faut aussi s’inquiéter de
démarches en cours, sans vision d’ensemble et dessein explicites, qui
conduisent à restreindre le nombre des collectivités locales et celui de leurs
élus, leurs ressources et leurs prérogatives…. ainsi
qu’à les rendre plus dépendantes de l’Etat, de l’Administration centrale qu’il
contrôle. Bref, à faire reculer la décentralisation
et les pouvoirs locaux.
Des observateurs mettent directement en cause
Macron et ce que l’un deux appelle « la tentation de
l’hégémonie aristocratique » (1), avec le refus par le pouvoir de la
contradiction et des divergences d’opinion, ainsi qu’avec la domination sans
partage d’une technostructure présumée plus
efficace que les élus traditionnels. L’observation des faits accrédite une
telle analyse. En outre, la
déstabilisation politique actuelle, accompagnée d’un vide idéologique, qui
affecterait le parti majoritaire lui-même (2), ainsi que les premiers pas du
président « jupitérien » qui essaie de tout chambouler en un temps record,
incitent à prôner la prudence, la patience et non la précipitation.
L’article comprend
deux parties rédigées avant le 24 septembre. La première est centrée sur
l’Assemblée nationale. La seconde porte sur le Sénat et les collectivités
territoriales. Le 25, j’ai ajouté une page sur les
résultats des élections sénatoriales, qui peuvent être décisifs quant au
destin des réformes institutionnelles projetées et au chemin qu’elles
emprunteront.
I. - Redonner vie et vigueur au Parlement et non le mener à
l’abattoir
Quelques mots
sur l’essentiel
« Macron souhaite
‘’une réduction d’un tiers’’ du nombre des parlementaires et une dose de
proportionnelle » aux élections législatives, a-t-on pu lire le 3 juillet à la
suite du discours devant le Parlement à Versailles. Le nombre des députés
baisserait alors de 577 à 380 et celui des sénateurs de 348 à 232. L’ex
ministre Jacqueline Gourault a déclaré le 4 juillet
que la discussion, le débat politique et les consultations ne sont pas
engagées, « mais on peut penser qu’un minimum de 20 à 25 % serait quelque chose
de raisonnable » (3). En réalité, dans la configuration actuelle des forces
politiques, une telle dose n’aurait qu’un impact minime sur la composition de
l’Assemblée nationale (AN) en faveur des partis « sous-représentés » tels le
PS, La France insoumise (LFI) et le Front national (FN). Et la réduction
drastique désirée du nombre de députés aurait l’effet inverse, celui de les
affaiblir, de renforcer les positions des partis les plus représentés à l’AN,
et La République en marche (LREM) au premier chef.
Ces intentions
impliquent de diminuer de moitié le nombre de circonscriptions et de redessiner
totalement la carte électorale du pays. Or, « … redécouper les circonscriptions
n’est jamais une mince affaire.
Cette mission demande
énormément de temps et est parfois le fruit de calculs politiciens » (4).
Pourquoi un tel silence sur ce sujet ?
Jusqu’à quel point
peut-on décrier le parlementarisme, les députés et les sénateurs, et diminuer
la représentation des citoyens à l’AN et au Sénat ? « La réduction du nombre de
députés [et de sénateurs] n’est pas conciliable avec la démocratie et le
pluralisme », pour l’un de leurs défenseurs, un éminent spécialiste du droit
public (5). « Elle relève d’une pâle logique de gestionnaire » qui conduit à
une « obsession réductionniste » à l’égard des instances politiques. « Outre la
diminution du pluralisme des opinions, c’est à une déterritorialisation que
l’on risque d’assister tant tout est mis en œuvre pour couper le député de sa
circonscription électorale ». C’est aussi diminuer l’expertise liée à la
connaissance des problèmes locaux et des citoyens. « C’est surtout ignorer la
fonction locale du parlementaire dans les zones périurbaines comme rurales ». «
Bref, il s’agit avant tout de renforcer la majorité en place afin d’accélérer
l’adoption des réformes par la diminution d’une potentielle contestation
parlementaire. Or, c’est moins la procédure et le nombre de parlementaires qui
sont critiquables en France que le contenu même des réformes qui, pour la
plupart, sont insuffisantes ou mal faites ». C’est pourquoi il en pleut comme à
Gravelotte !