par Luc BEYER de RYKE
Attention ! Danger ! D’un bout à l’autre de l’Europe, c’est ce
qui ressort du résultat des élections allemandes.
Même s’il convient de nuancer et d’affiner l’analyse, un
tabou est tombé.
Nous avons désormais une Allemagne décomplexée. Si l’on
excepte dans les années 50 une petite formation nationaliste et conservatrice,
le Deutshe Partei,
c’est la première fois que l’extrême droite effectue un retour en force. Avec
94 sièges l’AFD (Alternative pour l’Allemagne) devient la troisième force du
pays. L’une de ses figures de proue, Alexander Gauland, durant la campagne
électorale eut ce mot très commenté : « Il nous faut être fiers de ce qu’ont
fait nos soldats pendant les deux guerres mondiales. ».
De là à trancher en présentant l’AFD comme la résurrection de
parti nazi serait un pas trop vite franchi.
Tout comme le Front National en France, l’AFD est parcourue de
sensibilités diverses. À telle enseigne qu’au lendemain du scrutin Frauke Petry une des principales dirigeantes du parti
annonce qu’elle ne siégerait pas au Bundestag sous cette étiquette. Les
observateurs évaluent à plus ou moins un tiers les membres et électeurs de
l’AFD qui nourrissent des nostalgies ramenant à la dernière guerre mondiale.
Les gros bataillons de l’AFD seraient constitués de mécontents, de
protestataires, de laissés-pour-compte.
Ne me contentant pas des médias j’ai interrogé des proches,
des amis allemands. Sans relever de distorsions majeures il est des notations,
des perceptions qui peuvent être ressenties davantage sur place qu’elles le
sont chez nous.
Le « mur » pas tout à fait démantelé
Ainsi le « rideau de fer » subsiste virtuellement. Le mur
n’est pas entièrement tombé. Ce qui veut dire que la réunification offre
toujours des failles.
C’est à
l’Est, dans l’ancienne RDA que l’AFD a engrangé ses résultats les plus
spectaculaires. Elle s’est inscrite comme deuxième force politique mordant les
basques de la CDU et en Saxe, d’un fifrelin, elle a coiffé le parti d’Angela
Merkel. Une situation que l’Histoire aide à comprendre.
Le communisme et le
post communisme s’additionnent pour nourrir l’aigreur et le ressentiment. Au
temps de la RDA pour acquérir une voiture, même une motocyclette, il fallait
s’inscrire sur des listes d’attente. Il fallait des années pour obtenir
satisfaction. Alors que des Vietnamiens, des Angolais ou d’autres étrangers
venus étudier ou travailler en RDA repartaient après cinq ans, ayant obtenu ces
avantages tant convoités.
La chute du mur apporta la liberté et… le chômage. Sous le
communisme chacun avait son travail. On vivait mal mais on vivait. Une fois le
mur tombé nombre d’usines n’étaient plus aux normes. Tuées par la concurrence,
les unes après les autres ont fermé. Le chômage s’est installé.
Ce qui explique
pourquoi un parti d’extrême gauche comme Die Linke, héritier des « Rouges »
s’est durablement installé. Avec 69 sièges au Bundestag il précède de peu les «
Grün », c’est-à-dire les Verts ou Écolos.
L’alchimie d’Angela Merkel
La tâche d’Angela
Merkel sera ardue. Victorieuse mais très affaiblie, elle n’a pas le choix. Le
SPD (les Socialistes) se retirent dans l’opposition. Leurs 20 % sont un
désastre. Comment Walter Schulz, descendu du perchoir du Parlement européen en
gladiateur sûr de lui, a-t-il pu briser son glaive aussi rapidement ?
Alors que les medias ne tarissaient pas d’éloges à son propos, en
Allemagne son auréole se ternit après quelques semaines. L’un de mes
interlocuteurs m’a parlé de « l’arrogance et même de la vulgarité du
personnage ». On lui reprocha des « magouilles bruxelloises » et ses
fanfaronnades en se présentant comme le futur chancelier.
Reproches fondés ou non, le résultat est là. Il ne peut plus
prétendre qu’à disputer à l’AFD le rôle d’opposant. Dès lors Angela Merkel
engagera de difficiles négociations pour mettre en place une « jamaïcaine ».
Nom attribué à la coalition envisagée parce qu’elle allierait le noir de la
CDU/CSU, le jaune du FDP (libéral) et le vert des Écolos, soit les couleurs du
drapeau de la Jamaïque. Numériquement la majorité serait assurée. Politiquement
ce sera une autre affaire.
Les trois formations sont aussi diverses qu’elles peuvent
l’être à propos de l’Europe, des centrales au charbon et de la politique
migratoire. Désaccords qui ne sont pas exhaustifs.
CSU « L’Inconnue dans la maison »
Parmi ceux énoncés, la politique migratoire n’est pas le
moindre. Il ne s’agit pas ici de l’approche différente ou divergente entre les
trois partis. Il s’agit aussi du coin enfoncé au sein même de la CDU/CSU
d’Angela Merkel. Là encore revenons sur le terrain et voyons comment le scrutin
s’est déroulé en Bavière. La CSU a freiné des quatre fers en matière de
migration. Après le « geste » de la chancelière (l’entrée du million de
réfugiés), elle l’a contrainte à resserrer les rênes.
La CSU espéra après cela limiter les dégâts et freiner
l’ascension de l’AFD. Ce fut l’échec. La CSU perdit dix points et demi sur le
résultat des précédentes législatives de 2013. Et cela bien qu’en Bavière on
enregistre seulement un peu plus de 3 % de chômage.
Inutile de dire
combien la CSU apprécie peu les vastes hésitations auxquelles Erdogan contraint
la chancelière. Mais les faits sont têtus. Les intérêts économiques allemands
en Turquie sont importants et Erdogan menace d’ouvrir les frontières si on
l’irrite trop. En un mot comme en cent la quadrature du cercle.
« Wir Schaffen
das » (« Nous le ferons ») clamait la
chancelière paraphrasant Obama. Comment ? C’est pour l’heure une interrogation
sans réponse.