EN MARCHE, VERS LA FIN D’UN RÉGIME

QUI SE VOULAIT DÉMOCRATIQUE

(Quatrième partie)

par Paul KLOBOUKOFF

Fait unique pendant la Ve République, le premier tour des Présidentielles de 2017 a vu arriver en tête, dans un mouchoir de poche, quatre candidats… dont deux de partis « d’extrême » gauche et « d’extrême » droite. Premier, Emmanuel Macron a obtenu 18,2 % des votes des 47,582 millions (Mi) d’électeurs inscrits. Marine Le Pen en a recueilli 16,1 %, François Fillon, 15,2 %, et Jean-Luc Mélenchon, 14,8 %. Avec les autres candidats présentés comme tels, les « extrêmes » ont obtenu environ la moitié des suffrages. Impensable quelques mois auparavant, et trop vite oublié. Au second tour, avec l’aide d’un Front républicain moins motivé, E. Macron l’a emporté avec seulement 43,6 % des votes des inscrits devant M. Le Pen, qui a raté la fin de sa campagne et a recueilli 10,638 Mi de votes. 

Malgré le score médiocre du président élu, bénéficiant de la « dynamique présidentielle » coutumière en France, son parti La République en marche (LREM), associé au Modem de François Bayrou, a pris les devants au premier tour des législatives de juin. Celui-ci a été caractérisé par une participation électorale plus faible que jamais et une abstention record, avec 51,3 % d’abstentions et de votes blancs ou nuls. LREM + Modem ont recueilli 17,5 % des votes des inscrits. Compte tenu du mode de scrutin majoritaire à deux tours et de l’émiettement des autres candidatures, cela a suffi pour que les « sondagistes » fassent état d’intentions de votes au second tour donnant une  majorité présidentielle écrasante de 400 à 450 sièges. Répétée en boucle avec délectation par les médias cette « information » a réveillé, un peu tard, une partie des électeurs qui n’ont pas voulu donner à Macron une aussi forte majorité. Au second tour, l’abstention et les votes blancs ou nuls ont été encore plus forts qu’au premier, atteignant 61,6 %.

Ce n’est donc que par 38,4 % des électeurs inscrits que les députés ont été élus au second tour. Avec 18,9 % des votes des inscrits, LREM + Modem ont mis la main sur 350 sièges à l’Assemblée, soit 60,7 % des 577 sièges de l’hémicycle. Une confortable majorité présidentielle, pour pas cher… au détriment des partis « d’opposition », sous-représentés. Pour nombre d’observateurs, la très faible participation entache la « légitimité » de la majorité présidentielle. Elle indique aussi une « usure », une inadéquation de notre système électoral et, pour ceux qui considèrent aussi que la composition de l’AN n’est pas « représentative » de la population du pays, elle sonne le glas de la Ve République. 

Cela n’a pas empêché la nouvelle « majorité présidentielle » d’accaparer, contrairement aux usages en vigueur, les postes clés à l’AN, et de disposer ainsi des moyens de maîtriser, de verrouiller les débats et les décisions de l’Assemblée, garantissant ainsi un pouvoir sans précédent au président et à son exécutif. Un président omniprésent, méfiant, qui concentre les pouvoirs à l’Élysée et veut contrôler les paroles et les actes des ministres de son Gouvernement, ceux des députés de son parti, des directions des Administrations publiques, et qui, chef des armées, désire que la « grande Muette » le reste. Un danger pour la démocratie et nos libertés ? En tout cas, le caractère du président se révèle un peu plus chaque jour et les désillusions percent.

 Le présent article est d’abord consacré à un bref retour sur le parcours qui, après l’abandon du régime parlementaire de la IVe République, a vu notre système politique évoluer et dériver vers le pouvoir absolu présidentiel jusqu’en 2017. Puis vient une revue de « spécificités » des élections présidentielles et législatives qui ont abouti à l’interruption du bipartisme, à l’éclatement des partis « modérés » de gauche et de droite, à l’hyper-présidentialisation et à l’amorce d’une importante recomposition politique, avec des conséquences déjà visibles dans un contexte très instable.  

Dans mon prochain article, nous verrons que Macron a lancé une attaque en règle contre le parlementarisme et la Ve République, voulant aussi laminer d’autres contrepouvoirs et institutionnaliser l’hyper présidence.

 Sous les IIIe et IVe Républiques, entre 1871 et 1958, le président était élu par les deux chambres, la Chambre des députés et le Sénat, soit par 800 à 1.000 parlementaires selon les époques. Dernier président de ce régime parlementaire, René Coty avait été élu en décembre 1953 au treizième tour de scrutin. 

En 1958, en pleine guerre d’Algérie, alors que le putsch d’Alger faisait redouter un coup d’État militaire et que la tension politique était à vif, le président Coty a fait appel au Général de Gaulle. Malgré l’opposition de la gauche, majoritaire à l’Assemblée nationale (AN), il l’a nommé président du Conseil le 1er juin et l’a chargé de former un nouveau Gouvernement. Le 4 octobre, la Constitution de la Ve République peaufinée par Michel Debré était promulguée. Elle établissait un régime « semi-présidentiel » en instaurant le scrutin majoritaire à deux tours aux élections parlementaires et en élargissant le collège des électeurs du président. Ainsi, c’est par un collège comprenant 81.764 « grands électeurs » (parlementaires, conseillers généraux et représentants de conseils municipaux) que le Général de Gaulle a été élu président le 21 décembre 1958, en recueillant 78 % des suffrages au premier tour de scrutin (1). Et René Coty lui a cédé sa place le 8 janvier 1959, abrégeant son mandat septennal.

L’élection du président au suffrage universel n’a été introduite par le Général de Gaulle qu’en 1962. Il avait 71 ans, et il venait d’échapper à l’attentat du Petit-Clamart organisé par l’OAS. Il désirait renforcer la légitimé du président (et la sienne, en particulier) et, en même temps, le libérer de toute « tutelle » parlementaire partisane. 

La première élection présidentielle au suffrage universel a eu lieu en décembre 1965. Le Général a été élu au second tour, contre François Mitterrand, avec 45,3 % des voix des électeurs inscrits (au premier tour). Un régime totalement présidentiel est alors entré en vigueur.

La Constitution de 1958 voulait prémunir le pays de l’instabilité gouvernementale, favoriser le bipartisme et écarter les aléas et les combinaisons pouvant résulter d’un foisonnement désordonné de partis plus ou moins éphémères. C’est à cette fin, en particulier, qu’a été institué le scrutin majoritaire à deux tours aux élections législatives.

Revirement en 1985. Sans crier gare, Mitterrand a alors décidé de réintroduire la « proportionnelle intégrale » aux législatives de 1986… pour limiter l’ampleur attendue du succès de la droite. Résultat : le RPR et l’UDF ont obtenu 286 sièges à l’Assemblée nationale (tout juste 50 %), le PS, 196 sièges, le Parti Communiste, 32, et le Front national, 32. Inadmissible pour Chirac, qui, aussitôt Premier ministre, a fait rétablir le scrutin majoritaire à deux tours. 

Puis, la Ve République a survécu. Mais elle a été dévoyée. La cohérence initiale de sa Constitution a été piétinée. Les atteintes les plus graves sont intervenues entre 2000 et 2002, lorsque la majorité de droite a entrepris d’abandonner le septennat au profit du quinquennat, de porter la durée du mandat des députés à cinq ans et de fixer la date des élection législatives dans le mois suivant celui de l’élection présidentielle. J’ai déjà insisté sur ces choix néfastes et rappelé leurs motivations dans mon article précédent « Législatives : Attention aux vrais enjeux et aux dangers. Ne votons pas les yeux fermés ».  

Le pouvoir présidentiel est devenu absolu en 2002. La « majorité présidentielle » à l’Assemblée nationale acquise en début de quinquennat est devenue « indéboulonnable » pendant cinq ans. L’expérience des trois quinquennats passés nous a montré les comportements « godillots » des députés « majoritaires » et l’impuissance de l’opposition. 

La réforme constitutionnelle de juillet 2008 a limité à deux mandats consécutifs l’exercice de la présidence. Elle a encadré les pouvoirs de nomination du président, la mise en œuvre des pouvoirs spéciaux en cas de crise grave et celle du droit de grâce. Elle a mis fin à la présidence du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) par le président de la République. Elle a ouvert la possibilité au président, « irresponsable devant l’Assemblée », de s’expliquer devant le Parlement réuni en Congrès. Ce qui a autorisé E. Macron de convoquer le Congrès à Versailles le 3 juillet.  

Elle a un peu rehaussé le pouvoir du Parlement, notamment en matière de « contrôle » de l’ordre du jour et des projets de lois, ainsi qu’en limitant l’usage du 49-3 par le Premier ministre à une fois par session parlementaire.

Mais les thérapies prescrites n’ont eu qu’une portée assez limitée (2).

Aujourd’hui, quoi qu’en dise le Premier ministre Philippe, il n’y a pas vraiment de contrepouvoirs politiques dans le pays. Les sénateurs peuvent espérer, éventuellement, faire adopter des amendements (mineurs ?) aux lois proposées par l’AN… à condition que la majorité de l’AN les accepte, car le dernier mot lui revient… que cela plaise ou non. Aux niveaux régional, départemental et communal, les pouvoirs sont limités et les moyens pour exercer les responsabilités sont rognés d’année en année pendant que l’Etat « transfère » sans état d’âme les charges (éducatives, de prestations sociales, d’infrastructures…) aux collectivités locales. Et la « réforme » annoncée de la taxe d’habitation (TH) va réduire leurs ressources. Elle va aussi accroître leur dépendance vis-à-vis de l’État et de ses subsides (sensés compenser leurs pertes de recettes de TH). La décentralisation recule. Le jacobinisme technocratique avance. Au détriment des petites villes et des campagnes, surtout… ainsi que de la démocratie. 

 De Gaulle voulait que le président de la République soit « au-dessus des partis ». À cet égard, les choses ont beaucoup changé depuis les années 1970. Le président est devenu un chef de parti, de plus en plus attaché à défendre les idées et les intérêts de son clan et de ses électeurs. Il est lui-même devenu prisonnier de son parti. Au point qu’à partir de 2012 au PS, et de 2017 chez LR, les candidats à la présidence ont dû se soumettre à des « primaires », organisées par leurs partis, pour se départager. En cela aussi la Ve a été dénaturée.

 *

C’est d’autant plus grave que le régime a dérapé vers une « hyper présidentialisation » et que l’Exécutif a tendance à accaparer tous les pouvoirs, à se saisir du législatif et à peser sur l’autorité judiciaire. 

En réalité, en face du pouvoir absolu présidentiel, les seuls vrais contrepouvoirs politiques ne sont pas français. Ils sont européens, à Bruxelles et à Francfort et « mondialistes » par tous les accords et traités internationaux passés qui priment sur nos lois et les volontés des citoyens.

Des signes alarmants du changement de régime en cours

La fin du bipartisme ? Pour quoi ?

La « légitimité » du président, à laquelle de Gaulle tenait tant, et qui avait déjà été menacée sous Chirac, a pris l’eau au printemps 2017. Aux présidentielles de mai 1995, Jacques Chirac. avait réalisé un très faible score, pénalisé au premier tour par la rivalité de « son ami de trente ans » Edouard Balladur, Premier ministre de François Mitterrand pendant la cohabitation de mars 1993 à juin 1995. Sept ans plus tard, en mai 2002, Jacques Chirac, confronté à Lionel Jospin et à Jean-Marie Le Pen à un premier tour miné par une abstention record, n’avait obtenu que 13,8 % des voix des inscrits. Mais au second tour, contre Jean-Marie Le Pen, il avait « fait le plein » avec 62 % des voix des inscrits. Pour sa part, Emmanuel Macron n’a obtenu que 18,2 % des voix des inscrits au premier tour des présidentielles, et seulement 43,6 % au second tour, face à Marine Le Pen… avec l’aide du « Front républicain ». Un front de moins en moins populaire, d’ailleurs. 

En mai 2017, au premier tour des présidentielles, les suffrages se sont portés, à parts presqu’égales, sur quatre candidats : 18,2 % pour Emmanuel Macron, 16,1 % pour Marine Le Pen, 15,2 % pour François Fillon et 14,8 % pour Jean-Luc  Mélenchon. Ce type de configuration, peu propice pour « légitimer » celui de ces candidats qui serait élu, n’avait pas été imaginé lors de l’instauration du suffrage universel en 1962 et des réformes ultérieures qui ont donné le pouvoir absolu au président de la République. Il est étonnant que cela ait fait l’objet de si peu de commentaires. 

En cause, la très longue campagne électorale a connu des événements inhabituels, «  dérangeants », déstabilisants. La tenue de Primaires pour élire « démocratiquement » le candidat de la droite, d’un côté, et celui de la gauche, en face, n’est pas inscrite dans la Constitution… qui prévoit un scrutin majoritaire à deux tours et non à trois ou plus. Ces exercices ont été ravageurs. Ils ont divisé et affaibli les partis concernés. Ils ont sonné le tocsin du bipartisme gauche-droite (modérées), que la Ve République a conservé pendant six décennies, en usant « jusqu’à la corde » les ficelles de son système électoral. À droite, le candidat sélectionné, François Fillon, a aussitôt été happé dans un tourbillon d’affaires d’emplois « présumés » fictifs qui l’a emporté. À gauche, contre toute attente, c’est Benoît Hamon, de la gauche du PS, qui a été choisi, alors que dans le parti et chez ses alliés la fraction social libérale, incarnée par Manuel Valls, semblait majoritaire. Dans les deux camps, le « dégagisme » (volonté de renouvellement et/ou de changement de têtes) a fait son œuvre. Contagieux, et habilement exploité, il est devenu un véritable mot d’ordre national. Avec lui, la moralisation de la vie publique (ou politique) a pris la dimension d’un objectif prioritaire, au point de reléguer à l’arrière-plan (au moment de l’élection présidentielle) le terrorisme islamique, le chômage et le pouvoir d’achat.

Ces primaires et leurs résultats ont été du pain béni, si j’ose dire, pour Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon, qui s’étaient dispensés de telles sélections pièges. Très « soutenus » par les médias grand public, qui ont joué un rôle partisan excessif, ils se sont présentés comme les candidats du renouvellement. Mélenchon a ratissé des voix à la gauche du PS et a concurrencé le FN auprès d’une frange de l’électorat. Macron, avec En marche et sa coalition, de droite et de gauche ou ni de droite, ni de gauche, a copieusement puisé dans les rangs sociaux libéraux de la gauche et a séduit un certain nombre de politiciens « constructifs » de la droite. 

« Le Français a le cœur à gauche, mais le portefeuille à droite » avait déjà diagnostiqué un vétéran (oublié) de la IIIe République, Anatole de Mongie. Un « dangereux multirécidiviste » qui, à partir de 1909, a été député, sénateur et sept fois ministre entre 1925 et 1940. Alors, un nouvel équilibre politique peut-il s’établir durablement, dominé par un parti unique élargi autour du centre ? L’avenir le dira. Sans doute en moins de cinq ans. 

En attendant, au lendemain de la présidentielle de 2017, le bipartisme a été remplacé par un quadripartisme dans lequel les partis d’extrême droite et d’extrême gauche (certains analystes comptant dans ces derniers ce qui reste du PS) mobilisent des millions de voix d’électeurs… mais sont réduits à la portion congrue à l’AN. 

Dans la foulée des présidentielles, les législatives ont accentué les divisions à droite et à gauche. Elles ont débouché sur la formation de sept groupes parlementaires à l’AN. En rupture avec des traditions « républicaines » bien établies, elles ont fortement ébranlé le système électoral.

Les dérives du système présidentiel et l’abstention ont mis les législatives à genoux

Sous la Ve, jusqu’à la fin des années 1970, les élections législatives ont suscité un grand intérêt. Le taux de participation a été de 80 % en 1968, et même un peu supérieur en 1973 et en 1978. Trois années sans élections présidentielles, il faut le noter. Après avoir baissé à 70,3 % en juin 1981, juste après l’élection de François Mitterrand, un soubresaut l’a fait remonter à 78,5 % en 1986 au cours d’élections qui ont ouvert la première cohabitation de la première présidence de la gauche. Les quatre législatives suivantes ont vu la participation diminuer, jusqu’à 64,4 % en juin 2002, à la suite de l’élection de Jacques Chirac à la Présidence pour un second mandat ramené à cinq ans. Le taux a encore baissé au début des deux quinquennats suivants pour n’être que de 57,2 % en juin 2012.

Depuis une trentaine d’années déjà, de plus en plus d’électeurs sont mécontents de l’Assemblée et de sa « valeur ajoutée » dans la prise de décision politique et l’élaboration des lois. On ne peut s’empêcher de rapprocher cette attitude critique du fait que nos lois dépendent de plus en plus des choix de la Commission de Bruxelles et du Parlement européen (PE). Cette limitation de la souveraineté nationale a été maintes fois dénoncée. Sans effet.  

 

Au contraire, le principe de subsidiarité est tombé aux oubliettes et, sous couvert de « normalisation », le PE a tendance à se mêler de tout, même d’éléments de confort comme les sièges des toilettes. Et la ponte d’articles et de directives est telle que leur transcription dans le droit français prend beaucoup de temps à nos « législateurs ». 

L’abstention s’est surtout aggravée au fur et à mesure de la prise de conscience du peu d’utilité du vote, consécutive à l’impuissance de toute opposition face au pouvoir du président et du comportement godillot de « sa majorité présidentielle ». À cet égard, 2002 a marqué un tournant décisif. Le président étant élu, dans la foulée, « il faut lui donner une majorité à l’Assemblée lui permettant de tenir ses engagements, de faire les réformes, de remplir son programme… ». Certains analystes considèrent même qu’en élisant le président, les Français lui donnent un blanc-seing pour mettre en œuvre toutes les mesures précises ou vagues qu’il a évoquées pendant la campagne. 

Des explications particulières  de l’abstention aux législatives de 2017

Toutefois, ces observations sont insuffisantes pour expliquer totalement pourquoi aux législatives de juin 2017 la chute de la participation a été aussi abyssale. D’autres facteurs ont concouru à cette débâcle.

Le renouvellement à l’aveugle. Les résultats du second tour ont montré qu’une grande partie des Français n’ont pas été convaincus qu’il fallait « renouveler » l’AN dans d’aussi fortes proportions que les sondages l’avaient « suggéré », que  les députés avaient tous démérité et que des novices, inconnus d’eux, feraient mieux que leurs prédécesseurs.  

Remplacer des députés si vils par des candidats vierges « issus de la société civile » ! Une trouvaille payante qui a aussitôt séduit les médias et, pendant des semaines, bercé d’illusions une partie du bon peuple…. un peu réveillé depuis. « Dégager » des politiciens de haut vol qui ont été aux commandes, et qu’on peut éventuellement, accuser d’avoir mis la France et les Français dans la panade, peut se comprendre. Sans oublier, alors, que Macron a été le principal conseiller économique et financier de Hollande du 15 mai 2012 au 10 juin 2014, puis qu’il a occupé le poste de ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique du Gouvernement de Valls pendant deux ans jusqu’au 30 août 2016. Par contre, la furia « aveugle » contre les députés sortants paraît injuste et s’avérera peut-être contreproductive. Sur le plan professionnel, on peut surtout leur reprocher (pas à tous) d’avoir été des godillots et d’avoir délaissé les engagements pris envers leurs électeurs locaux. Peu d’entre eux ont été concernés par des affaires. En faire des boucs-émissaires était peut-être de la haute stratégie, mais n’avait pas de raison de plaire à tous leurs sympathisants. Des indices concordants laissent, en outre, penser que la formation (le 25 juin) des nouveaux députés LREM  a visé à en faire des godillots qui n’auront rien à envier aux précédents.

La surdose médiatique partisane. Macron peut remercier les médias audiovisuels laudateurs pour l’assistance soumise et dévouée qu’ils lui ont apportée aux présidentielles et aux

législatives, abusant trop souvent de la désinformation, de l’intox et de la propagande pour soutenir leur favori ainsi que son parti, et torpiller leurs adversaires politiques. Le 23 juin, un article de Natacha Polony  a  parlé de « Macron et l’amnésie bienveillante des médias » (3). Une litote ironique ! De nombreuses critiques plus rugueuses leur sont adressées. Beaucoup de Français ne sont pas dupes et sont lassés des pubs quotidiennes de promomacron.com. Ils attendent du concret.

Aux législatives, ces médias ont poussé le bouchon très loin en repassant en boucle des résultats de sondages « d’intentions de votes » donnant une très large (démesurée) victoire aux candidats de LREM, assurant à ce parti une majorité présidentielle énorme à l’AN. De quoi stimuler les partisans de LREM et décourager, démotiver leurs adversaires. Un stratagème efficace, surtout au premier tour. Avec un gros bémol, cependant. L’abstention a atteint un niveau inégalé, supérieur à 50 %. Au second tour, le résultat a été encore plus mauvais. Au point que le scrutin majoritaire « intégral » à deux tours a été mis en question par certains observateurs politiques et que la proposition d’introduire une dose de proportionnelle est revenue sur le tapis, avec plus d’insistance. Le quinquennat et le calendrier électoral ont aussi été mis en cause, mais avec moins de conviction. Effectivement, notre système électoral est en déroute. Des réformes « réfléchies » s’imposent. Sans précipitation.

Une surabondance de candidats « repêchés »  pour figurer au second tour des législatives

Pour pouvoir se présenter au second tour des élections législatives, un candidat doit normalement avoir recueilli au premier tour au moins 12,5 % des voix des électeurs inscrits de sa circonscription. Cela ne paraît pas énorme. Cependant, un dispositif de « repêchage » est prévu pour garantir que quels que soient leurs scores, les deux candidats arrivés en tête pourront accéder au second tour (4). Un dispositif d’exception pour cas rares ?   

Stupéfait, j’ai découvert le 18 juin sur contrepoints.org qu’au premier tour des législatives « dans 68 % des circonscriptions, un seul candidat a franchi le seuil de 12,5 % et l’autre a été repêché. Dans 14 % des circonscriptions, ce sont même les deux candidats qui ont été repêchés ». Et, finalement les deux candidats n’ont été qualifiés normalement que dans 18 % des cas. L’auteur de l’article (5), dont je recommande la lecture, apporte des précisions sur les pourcentages, très élevés de repêchés (80 % et plus) des Républicains (LR), du FN et de LFI. Les médias nous ont jalousement caché cette glorieuse particularité de ce scrutin.

Dans notre troisième circonscription du 93, l’exception a aussi été la règle : le 11 juin, les quatorze candidats en concurrence se sont partagé les votes exprimés par 34,7 % des inscrits. 17,68 % des inscrits ont voté pour le candidat LREM et 5,98 %, seulement, ont opté pour le candidat de la FI, second. À l’appel du 18 juin, 65,3 % d’abstentions et de votes blancs ou nuls ont été décomptés. L’heureux élu a recueilli 19,8 % des voix des inscrits. Quelle popularité, quelle représentativité de notre électorat local !

Une faiblesse de la participation « active » jamais vue

De telles situations se sont retrouvées dans la majorité des circonscriptions électorales. Les députés élus et leurs opposants ont le plus souvent obtenu des scores très faibles en termes de pourcentages des inscrits.

Pour la France entière, au premier tour, l’abstention s’est élevée à 51,3 % des inscrits. Sachant que 0,513 million (Mi) d’électeurs, sur les 47,570 Mi d’inscrits ont voté blanc ou nul, le pourcentage des votes exprimés, de la participation « active » aux choix des candidats, n’a été que de 47,6 %. Du jamais vu !

Pire, au second tour, l’abstention est montée à 57,4 % des 47,293 Mi d’inscrits. Et 1,989 Mi de votes blancs ou nuls ont été décomptés. En définitive, seulement 16,187 Mi d’électeurs, soit 34,2 %  des inscrits ont choisi les députés (6).

Les jeunes et les pauvres préfèrent le FN et LFI,  les « aisés » et les « riches », LREM

Au premier tour des présidentielles, la moitié des jeunes de moins de 35 ans ont voté pour Le Pen ou pour Mélenchon.

Au premier tour des législatives, 64 % des jeunes de 18 à 34 ans se sont abstenus. Et parmi les abstentionnistes se trouvaient plus de la moitié des jeunes qui avaient voté Le Pen ou Mélenchon au premier tour des présidentielles. Cette déperdition a fait reculer les partis « extrêmes » aux législatives (7). Mais, il ne faut pas se nourrir d’illusions, ce repli n’est que circonstanciel et temporaire. Tant que chômage sera aussi élevé, le rejet des partis de gouvernement persistera et l’attrait des jeunes pour le FN, pour LFI ainsi que pour les idées de Hamon ne diminuera pas. 

Le tiers des personnes de 45 ans ou plus ont choisi LREM, et parmi elles, les retraités, qui risquent fort d’être les principales victimes expiatoires des réformes fiscales annoncées. Paradoxal ? Ce sont aussi les seniors qui ont le plus voté. Une discipline traditionnelle ! Leurs choix ont donc pesé sur les résultats.

Malgré un nombre de voix supérieur à ceux des autres partis, l’alliance LREM + Modem n’a recueilli que 17 % des suffrages des personnes des foyers aux revenus inférieurs à 1.250 € par mois. Elles ont préféré le FN, pour 25 % d’entre elles, LFI, pour 13 %, et le PS avec ses partenaires, pour 10,2 % (8). Au contraire, parmi les électeurs dont les revenus sont supérieurs à 3.000 €, 43 % ont voté pour LREM… contre 7 % pour le FN et 10 % pour LFI.

Il est à noter aussi que le profil socioéconomique des députés de la majorité présidentielle issue des élections ressemble à celui de l’électorat de LREM + Modem. Elle compte dans ses rangs bien plus de députés faisant partie des élites et des milieux aisés que d’élus venant des milieux populaires et modestes. Cela ne redresse pas sa représentativité de la population française. 

Une majorité présidentielle  de 60,7% à l’AN pour 18,9% des votes des inscrits

Au premier tour, les partis de la « majorité présidentielle », LREM et Modem, ont recueilli 8,323 Mi de voix, soit 17,5 % des 47,591 Mi d’inscrits (voir le tableau ci-dessus). 

Seulement quatre candidats ont été élus (dont deux de LREM). En 2012, il en avait eu 25, en 2007, 109, et en 2002, 58. 

Au second tour, le mode de scrutin majoritaire a donné au parti LREM 306 sièges, soit 53,0 % des 577 sièges de l’AN, pour 7,826 millions (Mi) de votes recueillis, correspondant au choix de 16,6 % des 47,293 Mi d’électeurs (inscrits). Le Modem, allié du LREM, a bénéficié d’une même « générosité », avec 42 sièges pour 2,3 % des votes des inscrits. Ainsi une « large majorité parlementaire présidentielle », de 60,7 %, a récompensé les choix de 18,9% de l’électorat.

Un « indice d’illégitimité » record

Le rapport : % de députés élus/% de voix obtenues au premier tour de scrutin des législatives est un indicateur intéressant de « légitimité » ou « d’illégitimité », lorsqu’il est anormalement élevé.  Celui de la « majorité » de juin 2017 est de 60,7/17,5 = 3,82. C’est, de très loin, le plus élevé de la Ve République.

Cet indice s’était établi à 2,90 aux législatives de mars 1993, au crépuscule du mitterrandisme. Edouard Balladur avait alors obtenu 81,8 % des sièges à l’AN avec 28,2 % des voix ; il avait remplacé Pierre Bérégovoy et ouvert une deuxième cohabitation. L’indice avait atteint 2,53 en novembre 1958. La droite avait alors « gagné » 84,1 % des 546 sièges de l’AN avec 33,3 % des voix. Michel Debré avait alors pris la direction du Gouvernement.

En fait, au cours de la Ve République, au premier tour des législatives, les pourcentages des votes en faveur des « majorités présidentielles » de droite et du centre ont été supérieurs à 28 % des inscrits. Par contre, le pourcentage des votes pour la majorité de gauche aux législatives de juin 1988 n’a été que de 24,7 %. En 2012, ce pourcentage a reculé à  22,4 %. En 2017, ce même pourcentage, « de gauche et de droite », s’est abîmé à 17,5 %. 

La magie du vote en faveur du parti du président venant d’être élu a perdu de sa vigueur. En cela aussi, nous sommes à la fin d’un cycle. Le désenchantement de la population se double de la méfiance croissante envers les gouvernants. Envers Macron aussi, avec ses Philippe, Bayrou, Ferrand, de Sarnez, Goulard, Pénicaud, Mercier et autres aujourd’hui touchés ou effleurés par des affaires « présumées ». Ils sont eux-mêmes objets de la suspicion envers les « professionnels » de la politique qu’ils ont instillée et exploitée pour faire « dégager » des concurrents dangereux aux présidentielles puis aux législatives. Des députés ayant exercé « trop de mandats » et des candidats ayant une expérience politique ont du faire de la place à de nouveaux entrants, des novices.

  Les autres partis paient cher la générosité  du système envers la majorité présidentielle.

Ensemble, tous les autres partis et candidats ont obtenu 39,3 % des sièges pour 67,7 % des suffrages exprimés au premier tour des législatives. Sans surprise, c’est le FN qui a été le plus mal traité par le scrutin majoritaire à deux tours (renforcé par le Front républicain). Il a obtenu 8 sièges (pas assez pour former un groupe parlementaire) pour 2,990 millions de voix au premier tour. Rappelons que LREM en a obtenu 308 pour 6,391 Mi de voix. Et le Modem a récolté 42 sièges pour 0,932 Mi de voix. cinq fois plus de sièges que le FN pour trois fois moins de voix ! Bonjour tristesse ? Pour consoler ses militants et ses électeurs, le FN peut dire qu’il a tout de même quatre fois plus de députés que dans la Chambre précédente. LFI de Mélenchon n’a pas été gâtée, non plus. Elle s’en est toutefois tiré un peu moins mal que le FN avec 17 sièges pour 2,497 Mi voix au premier tour. Sans perdre de temps, le mouvement n’en a pas moins commencé à s’opposer dans la rue au projet de loi sur le travail. Le PS n’a pu sauver que 30 sièges, pour 1,686 Mi de voix. Quant aux Républicains, pour 3,573 Mi de voix, ils ont conservé 112 sièges. Mais, ces deux derniers partis n’ont pas encore bu le calice jusqu’à la lie. Ils sont en proie à des querelles internes et des divisions, notamment entre les « constructifs » qui se disent prêts à « collaborer » avec la majorité présidentielle , et des « réservés », des « méfiants » ou des opposants déterminés qui ne font pas confiance au gouvernement. Au-delà de ces partis, c’est aussi l’effervescence. La situation à l’Assemblée nationale, et hors de cette enceinte, est loin d’être stabilisée.    

7 groupes parlementaires  et très peu de place pour l’opposition

Depuis le 27 juin, l’AN compte officiellement 7 groupes parlementaires. C’est un record. Il y en a eu 5 pendant les deux législatures de 1993 à 2002, et 4 pendant celles de 2002 à 2012. Mais elle en connu 6 sous le mandat de François Hollande marqué par les divisions au sein de la gauche.  

Avec ses apparentés, le groupe LREM comprend 314 députés. Son allié, le MoDem en a 47. Un nouveau groupe, Les Constructifs a été constitué par 35 députés LR, UDI, indépendants, réputés « Macron compatibles », prêts à soutenir le gouvernement auquel, à priori, ils accorderont la « confiance ». Ainsi, c’est sur 396 députés, soit 68,6 % de l’hémicycle que Macron et Philippe peuvent compter en tout début de quinquennat. 

Un groupe de 100 députés LR et apparentés forme l’opposition de droite. Ses membres ne s’interdisent pas de voter des textes en accord avec leurs propres propositions. 

La gauche est représentée par trois plus petits groupes : - la Nouvelle Gauche, ex PS, qui comprend 31 députés ; - LFI, qui a 17 députés ; - la Gauche démocrate et Républicaine (communistes et ultramarins), qui en compte 16.

17 députés sont « non-inscrits ».  8 élus du FN espèrent la constitution d’un groupe associant d’autres partenaires. 

La majorité présidentielle et ses alliés monopolisent aussi les postes clés de l’AN. Sans parler de la présidence et de la vice-présidence de l’Assemblée, ils se sont attribué les trois postes de questeurs, des députés chargés des finances de l’AN, ainsi que sept des huit postes de présidents de commissions parlementaires permanentes : commission des Lois, Affaires étrangères, Développement durable, Défense, Affaires sociales, Affaires économiques et Affaires culturelles. En guise d’aumône, la présidence de la commission des Finances a été concédée au Républicain, ancien ministre, Éric Woerth. La « distribution » des questures n’a pas respecté l’usage établi depuis 1973 de nommer directement deux questeurs de la majorité et un de l’opposition. Ce dernier poste est revenu à Thierry Solère, du groupe macron compatible Les Constructifs, au grand dam des Républicains… ainsi que d’autres groupes d’opposition. Christian Jacob a estimé que « Les droits de l’opposition ont été bafoués comme jamais » (9). Quant aux commissions parlementaires,  Olivier Faure, chef de file de la Nouvelle Gauche, avait demandé des ajustements afin que chaque groupe parlementaire soit représenté dans les bureaux des commissions, tandis que Jean Luc Mélenchon avait revendiqué une vice-présidence pour chacun des sept groupes parlementaires. Ils n’ont pas été entendus. 

Les comportements et la « rapacité » du parti de Macron et Philippe ont choqué. Pour Guillaume Tabard (10), « les premiers pas à l’Assemblée montrent un parti au pouvoir qui ne veut rien laisser aux autres », et « Quel spectacle ! Si l’entrée dans l’ère macronienne était censée réconcilier les Français avec la politique, montrer que le temps des vieilles pratiques et des petites combines était révolu, c’est raté ! » Dans un article sur contrepoints.org intitulé « Tollé à l’Assemblée : Macron veut-il les pleins pouvoirs » (11), Frédéric Mas dénonce la nomination de Thierry Solère. Il aborde aussi des points cruciaux que nous verrons plus loin. 

L’opposition est réduite à la portion congrue, aussi bien dans le pourcentage des voix lors des votes à venir que dans les temps de parole et (plus encore) pour les subventions publiques aux partis. En effet, selon Le Monde, les suffrages obtenus lors des législatives procurent 1,42 € par voix (parité exigée et au moins 1 % des suffrages exprimés obtenus dans au moins cinquante circonscriptions), et chaque député élu rapporte 37.280 €. 

Comment les partis d’opposition feront-ils entendre les voix et défendront-ils les intérêts des millions de citoyens qui votent pour eux ? De premières réponses à cette question viendront sans doute après la rentrée. 

Accessoirement, un des reproches adressés aux oppositions, impuissantes depuis 2002, est d’avoir bloqué ou ralenti des discussions de projets de lois en présentant de très nombreux amendements « sans intérêt ». Il parait douteux que la configuration de l’AN et la tournure prise par les évènements soient porteurs de progrès en la matière. 

Faut-il en finir avec la Ve République ? 

Les médias audiovisuels n’ont pas cessé de déverser des louanges sur Macron et la réussite éclatante de son mouvement. Sur la « toile » et véhiculés par les réseaux sociaux, foisonnent des jugements moins complaisants mêlés à des inquiétudes sur l’adéquation et la survie de notre système politique.  

« Après l’imposture En Marche, en finir avec la Ve République », a titré un article d’un chroniqueur de Contrepoints (12) qui a constaté à la mi-juin l’effondrement de la participation au premier tour et le faible nombre  de voix en faveur  du parti « majoritaire »… à la veille d’obtenir une majorité écrasante à l’AN. Pour lui, « la Ve République atteint ses limites », et « la victoire d’Emmanuel Macron porte donc les ferments d’une profonde crise du régime ». 60 ans après le remplacement du régime parlementaire, il risque de mourir de « l’hyperprésidentialisation ». 

Après le second tour, Jérôme Jaffré, directeur du Centre d’études et de connaissance sur l’opinion publique, a estimé que « Pour Macron, c’est une victoire totale sans élan populaire », et a fait part de ses préoccupations (13). L’abstention spectaculaire « traduit une crise grave du système politique et de son organisation ». Il a rappelé que « le Parlement fait la loi et il contrôle le gouvernement ». C’est en tout cas ce qui est attendu de lui. Quant à la réalité… « La démocratie ne peut pas se réduire à un corps électoral aussi étroit ». Pour lui, « il y a une réflexion à mener sur le tempo des législatives et notamment le fait de les mener en même temps que la présidentielle », le moment de l’élection compte plus que le mode de scrutin, et « la proportionnelle, souvent invoquée, ne répondrait pas à ce taux d’abstention énorme, même si une dose serait éminemment souhaitable… ». 

Pour Frédéric Mas (14) la question du régime et des institutions est essentielle. « Petit à petit, l’exécutif monarchique, qui pesait déjà beaucoup plus que l’organe législatif ou l’autorité judiciaire, est devenu le centre de sa légitimité populaire : peu importe le texte, les arguties… ». Et « La séparation des pouvoirs disparait sans bruit, dans l’indifférence des citoyens et des élus ». Il déplore que l’adoption du quinquennat ait fait du président un candidat permanent à sa réélection cherchant à renforcer sa majorité parlementaire. « D’un côté le président devient un homme de parti, de l’autre le parti devient tributaire d’un seul homme ». Plus que jamais, nous sommes dans cette situation. Avec un président tout puissant. Sous Sarkozy les médias étaient « en embuscade, prêts à dégainer au moindre soupçon de dérive autoritaire », rappelle-t-il. Se réveiller ont-ils sous Macron ?  

« Macron concentre les pouvoirs à l’Élysée » (14). Il est difficile d’en douter. Les critiques se sont libérées après l’incident Solère à l’AN et depuis que Macron a décidé de « brûler la politesse » à son Premier ministre en convoquant le Congrès à Versailles le 3 juillet, veille du jour où Philippe devait tenir son discours de politique générale. Du coup, d’autres attitudes suspectes et/ou négatives du président et de ses proches sont évoquées sur Internet. Ainsi, Pascal Perrineau  remarque qu’une douzaine de conseillers sont « mutualisés » entre l’Élysée et Matignon, « ce

qui donne les moyens d’éviter une autonomie excessive du Premier ministre ». Et « l’Élysée a suivi très attentivement la mise en place des pouvoirs à l’Assemblée ». J’ai indiqué dans mon précédent article que Macron avait essayé d’imposer un de ses hommes comme directeur du cabinet de Philippe. Sans succès.

Ces points de vue ne sont pas isolés. Ils sont assez concordants avec ce que j’ai voulu faire ressortir dans le présent article et dans le suivant, en m’appuyant, notamment, sur les informations et les statistiques présentées ici. 

Une clarification  sur les objectifs majeurs et les priorités s’impose

Une réflexion en profondeur s’impose, partant d’une clarification sur les points principaux sur lesquels un accord, un consensus très largement partagé entre les Français est possible, et ceux sur lesquels des positions inconciliables persisteront. Les campagnes des présidentielles et des législatives ont tourné le dos à ces questions préalables à la définition clairvoyante des objectifs majeurs à retenir pour le pays, du rôle que doit jouer l’État dans sa gouvernance et son développement, ainsi que des ressources et des moyens qu’il peut mobiliser dans ce but. Pour fixer un cap à la Nation, il n’est pas sain de rester dans l’incertitude et le vague sur l’avenir de la France dans l’Europe et face à la mondialisation. Que justifie réellement une dépendance accrue de l’UE et de la BCE ? Que pourrait redonner au pays et aux citoyens plus de souveraineté nationale ? Esquivé, le débat n’est pas clos. Il est majeur au plan institutionnel également. Si le président est un monarque absolu en France, il est aussi soumis à la tutelle de Bruxelles, de Francfort et de Berlin. La prépondérance donnée au respect des exigences de l’équilibre budgétaire par le nouveau président et le gouvernement, avec ses impacts fiscaux et sociaux, notamment, le montre sans équivoque.

Une telle réflexion, participative, autant que possible, est aussi un préalable nécessaire à toute tentative raisonnée d’organisation durable de notre vie politique et de réforme de nos institutions. 

L’expérience a montré qu’il est improductif de se lancer tête baissée dans les « réformes », comme il a été fait à presque chaque alternance. Si des problèmes ou des « défaillances » nécessitent des réformes législatives, d’autres proviennent d’une exploitation néfaste des lois et du cadre institutionnel existant. Ainsi, l’excès d’hyper présidence est « autorisé » par la Constitution et les autres textes, organiques ou non, mais il n’est pas conforme à l’esprit des textes fondateurs. Il résulte de l’usage qui est fait des possibilités ouvertes, ainsi que de son acceptation par la « classe » politique… et nettement moins par le peuple. Par le suffrage universel, De Gaulle a voulu « légitimer » le président. Il voulait un président « au-dessus des partis » et non à la tête d’un parti, qui cherche à s’approprier tous les pouvoirs. Il voulait rompre avec l’instabilité gouvernementale, dans une période particulièrement troublée, il faut le rappeler. Mais il n’a pas méprisé le Parlement et cherché à réduire à néant le pouvoir parlementaire.

Le 4 juillet, le « vote de confiance »  a montré que le doute commençait à percer

J’ai écouté de bout en bout le long discours du président Macron devant le Parlement le 3 juillet. Avec quelques épisodes de somnolence, je le confesse. Je suis admiratif des brillants esprits qui ont trouvé un « cap » dans l’enchevêtrement des plaidoiries pour la « cause de l’homme », des déclarations de bonnes intentions, des coups de pieds à ses prédécesseurs et à ses opposants, des affirmations sur l’efficacité de son programme, des promesses… Dans « l’obscure clarté » tombée de l’étoile jupitérienne, nombre de Français ont pu se demander où se trouvait « le cap de bonne espérance ». Ivan Rioufol a parlé de « fatras » (15). Pour lui « Ce n’est pas l’homme providentiel qui manque à la France, mais le courage de la vérité ». 

Macron n’a apparemment pas aidé les citoyens à placer les pièces du puzzle des mesures « concrètes » égrenées par le Premier ministre le 4 juillet à l’AN. On pouvait, en effet, lire sur le Net dès le 5 juillet « Seul un Français sur 4 convaincu par les discours de Macron et Philippe » (16). C’est pourquoi la clarification est indispensable. 

Comme la plupart des Français j’ai du respect pour la fonction présidentielle, ainsi que pour celle de chef du Gouvernement. Même lorsqu’il est sous-chef. Mais, l’histoire nous a appris que « l’habit ne fait pas le moine », et il n’est pas nécessaire de se pencher très en arrière pour s’en souvenir. Les Français sont contents que le nouveau président porte mieux l’habit que le précédent. Ce n’est pas très étonnant. Jusqu’à présent, nous avons surtout vu des postures, des photos, et entendu des discours. Pas forcément conformes à nos vœux. La soif de pouvoir montrée et certains agissements commencent à inquiéter. Même chez des députés macron compatibles, le doute semble s’installer comme l’indiquent les résultats du vote de confiance qui a suivi les débats du 4 juillet. 

Pour des médias qui « positivent », cela a été une « victoire indiscutable »: 370 votes pour et 67 contre. En effet, les députés LREM et Modem, 361 au total, ont voté la confiance comme un seul homme. Mais, ils ont été presque les seuls. 150 abstentions ont fortement relativisé la « victoire ». 75 sont venues des rangs des Républicains, 23, de la Nouvelle gauche, 12, de la Gauche démocrate et Républicaine, 4, des Communistes ultramarins, 4, des non-inscrits, et 23 sont venues également de 23 « constructifs », des UDI surtout, plus quelques Républicains compatibles.  

  En juillet, « les Français  en désaccord avec l’exécutif ». Déjà !

C’est ce qu’indique un sondage réalisé les 5 et 6 juillet (17). 54 % des Français jugent que le cap fixé par le chef de l’Etat n’améliorera pas la situation (économique, en particulier) de la France. 58 % n’approuvent pas globalement les mesures annoncées par E Philippe. « C’est loin de l’écho positif rendu par les médias… ». 64 % des sondés sont même opposés à « Augmenter la CSG pour tous afin de baisser les cotisations salariales ». L’exécutif peut, néanmoins, se consoler avec l’adhésion des Français à des réformes d’envergure, de première urgence : 72 % sont favorables à la diminution des épreuves au bac et à l’introduction d’une part de contrôle continu, et 6 sur 10 sont favorables à la hausse du prix du tabac.Ouf !?Ce sondage est aussi un indicateur de la fragilité de l’exécutif. L’état de grâce n’a pas fait long feu ! Alors, des réformes précipitées contestées auront du mal à passer « à la hussarde ». 

Les revirements et les voltefaces de juillet sur les questions budgétaires et la fiscalité ont aussi porté atteinte au crédit du président. Après la déclaration de la découverte (!) d’une importante « ardoise » héritée du gouvernement précédent, 4,5 milliards de restrictions budgétaires ont aussi été annoncées (18) afin de limiter le déficit public à 3 % du PIB en 2017. L’amputation de 850 millions € du budget du ministère des Armées a provoqué des remous. 

En Commission de la défense de l’AN, à huis clos, le général Pierre de Villiers, chef d’état-major des armées (CEMA) a déclaré qu’avec cette nouvelle baisse, « le grand écart entre les objectifs assignés à nos forces et les moyens alloués n’est plus tenable » (19). En alertant la Représentation nationale sur le danger encouru, le CEMA était bien dans son rôle. Tous les experts en conviennent. Le 13 juillet, à la réception du ministère de la Défense, « de façon ostentatoire et publique », Emmanuel Macron a exprimé sa colère contre les propos de Pierre de Villiers, qu’il a jugés « indignes » et rappelé aux militaires « je suis votre chef ». Ce « recadrage » injustifié de leur CEMA a été vécu par les militaires comme une humiliation. Il a provoqué une vive polémique et de nombreuses condamnations. Le CEMA a démissionné et a aussitôt été remplacé. Un tel événement n’était jamais intervenu sous la Ve République. « Une affaire d’Etat », « la première crise du quinquennat », « un chef ne devrait pas dire ça », « indigne, mesquin et vexatoire », «  n’est pas de Gaulle qui veut », « l’obéissance ne se décrète pas, le respect non plus », « Emmanuel Macron, chef désarmé »… a-t-on pu lire (20). La population a ouvert les yeux sur des traits de caractère du président qu’elle n’a pas appréciés. Soif d’autorité et de pouvoir, arrogance et suffisance sont des défauts qui lui ont été reprochés.    Quelques jours avant que j’achève la rédaction du présent article, le 23 juillet, une enquête réalisée du 17 au 22 juillet par l’IFOP auprès de 1947 personnes a indiqué qu’en un mois Macron a perdu 10 points de popularité et que Philippe en a perdu 8. La cote de Macron est descendue à 54 % de satisfaits, dont 7 % de très satisfaits et 47 % de plutôt satisfaits. La chute de popularité est attribuée principalement à l’excès de communication et à l’autoritarisme (cf. affaire de Villiers) du président. « Certains sondés critiquent à haute voix une présidence fondée sur la com. » (21).  La cote du Premier ministre est descendue à 56 % de satisfaits, avec seulement 4 % de très satisfaits.

Le 24 juillet, des médias ont affiché : « À la République en marche, la fronde de certains militants » et « Des adhérents de la République en marche saisissent la justice » (22). Le mouvement n’est pas marginal, puisqu’il est porté par une trentaine de plaignants qui représenteraient 600 comités locaux sur les 3.200 que compte LREM. Ils contestent en justice la validité des nouveaux statuts du parti, soumis au vote des premiers militants (adhérents à EM avant le 9 avril 2017) du 23 au 30 juillet. Sans tenir compte du délai légal prévu par les textes du parti. Ils tentent de faire reporter à décembre le vote des statuts. Sur le fond, « nous faisons tous le même constat : les extraits ou synthèses des statuts que l’on daignait nous communiquer n’avaient plus rien à voir avec l’esprit d’En Marche ! ». Et les premiers témoignages de députés sur le fonctionnement du groupe à l’Assemblée ne nous rassuraient pas vraiment… » a rapporté un des participants. Les requérants estiment que LREM penche vers les travers des « vieux » partis et que « Les statuts proposés cantonnent en effet les adhérents à un rôle de

supporteur et les excluent de la gouvernance, aussi bien locale que nationale ». Ils ont parlé de « verrouillage », de manque de démocratie au sein du parti. « La majorité des cadres du mouvement étant désignés ou membres de droit ». La représentation des adhérents aux instances dirigeantes du parti, fixée à 25 %, leur paraît insuffisante et non conforme aux promesses. Ils réclament 50 %. Le « besoin de s’exprimer devant le tribunal traduit un malaise ». On ne saurait dire moins !   Cinquante jours après l’investiture du président, l’euphorie n’est plus de mise. La désillusion gagne. Nos chefs ont très vite dévoré leur pain blanc. Il leur faut maintenant s’astreindre à un régime qui convient mieux aux Français.

Sources et références

 

(1) « Comment étaient désignés les présidents de la République avant 1965 », politique.net/2007/080501-… + « Election française de 1953 », Wikipédia + « René Coty », Wikipédia.

 (2) Vie publique, « La réforme constitutionnelle de 2008 a-t-elle provoqué un changement de République ? » + « Le président de la République : quels pouvoirs depuis la réforme de 2008 ? ».

 (3) Natacha Polony, « Macron et l’amnésie bienveillante des médias », lefigaro.fr/vox/politique/2017/06/23/31001…

 (4) « Le seuil des 12,5 % : sur une étrange règle électorale », huffingtonpost.fr/dominique-chaquillard/seuil-premier-tour-legislatives  09/02/2015.

 (5) « Poids de l’abstention record : quand il n’y a plus le choix », contrepoints.org/2017/06/18/292362…

 (6) « L’abstention aux législatives 2017 ternit le succès d’Emmanuel Macron », lemonde.fr/elections-legislatives-2017/article/2017/06/19…

 (7) « Législatives : pourquoi ils se sont abstenus », lefigaro.fr/elections/legislatives/2017/06/15/38001… + « En votant pour les extrêmes, les jeunes se sont trompés de colère », contrepoints.org/201/06/17/192282…

 (8) « Législatives : jeunes, seniors, ouvriers, chômeurs, riches… Qui a voté quoi au premier tour ? », francetvinfo.fr/elections législatives… le  12/06/2017 + « Législatives : cinq chiffres pour relativiser la victoire de La République en marche au premier tour ».  

 (9) Christian Jacob, « Les droits de l’opposition viennent d’être bafoués comme jamais », BFMTV, le 28/06/2017.

 (10) Guillaume Tabard, « La « bienveillance » trompeuse de la majorité », lefigaro.fr/politique/2017/06/29/01002…

 (11) « Tollé à l’Assemblée : Macron veut-il les pleins pouvoirs ? », contrepoints.org/2017/06/30/293475…

 (12) « Après l’imposture En Marche, en finir avec la Ve République », contrepoints.org/2017/06/14/292078…

 (13) Jérôme Jaffré, « Pour Macron, c’est une victoire totale sans élan populaire », lefigaro.fr/vox/politique/2017/06/19/310001… 

 (14) « Tollé à l’Assemblée : Macron veut-il les pleins pouvoirs ? », contrepoints.org/2017/06/30/293475… + « Macron concentre tous les pouvoirs à l’Élysée, ébauche de ‘’macronisme’’ », actu.orange.fr/France/macron-concentre…  le 29/06/2017.

 (15) Ivan Rioufol, « La Macronie, ou le syndrome de l’autruche », le figaro.fr/vox/societe/2017/07/06/31003…

 (16) « Seul un Français sur 4 convaincu par les discours de Macron et Philippe », actu.orange.fr/France/seul-un…  le 05/07/2017.

 (17) « Sondage : les Français en désaccord avec l’exécutif », lefigaro.fr/politique/2017/07/07/01002…

 (18) « Restrictions budgétaires en France, la Défense impactée », fr.euronews.com/2017/07/11/restrictions…

 (19) « Emmanuel Macron versus Pierre de Villiers, chef d’état-major des armées (CEMA) : recadrage ? Non, une affaire d’Etat ! »,   communiqué de presse de Jacques Myard, maire de Maisons-Laffitte, président du Cercle Nation et République, 17/07/2017 + « Le budget des armées met Macron sur la défensive », liberation.fr/France/2017/07/14/le-budget…

 (20) « Démission de Villiers ; la première crise du quinquennat, estiment les éditorialistes », actu.orange.fr/France/demission… , le 20/07/2017 + « Passe d’armes Macron/Villiers : un chef ne devrait pas dire ça… », lefigaro.fr/vox/politique/2017/07/17/31001… + « Armées : Dupont-Aignan juge ’’indigne, mesquin et vexatoire’’ le rappel à l’ordre de Macron », actu.orange.fr/politique/armee-dupont…, le 14/0/2017 + « Passe d’armes Macron/Villiers : n’est pas de Gaulle qui veut ! », lefigaro.fr/vox/politique/2017/07/17/31001… + « Emmanuel Macron, chef désarmé », contrepoints.org/201/07/19/295095…

 (21) « Emmanuel Macron perd 10 points de popularité en juillet », francetvinfo.fr/politique/emmanuel… , le 23/07/2017

 (22) « Des adhérents de la République en marche saisissent la justice », leparisien.fr/politique/des-adhérents…, le 23/07/2007 + « À la République en marche, la fronde de certains militants », actu.orange.fr/politique/a-la-republique… , le 24/07/2017 + « La REM dévoile ses statuts, en attendant le vote des adhérents », actu.orange.fr/politique/la-rem-devoile…, le 17/07/2017.

 

 

 

© 27.08.2017