|
EN MARCHE, VERS LA FIN
D’UN RÉGIME
QUI SE VOULAIT
DÉMOCRATIQUE
(Quatrième partie)
par Paul KLOBOUKOFF
Fait unique pendant la Ve République,
le premier tour des Présidentielles de 2017 a vu arriver en tête, dans un
mouchoir de poche, quatre candidats… dont deux de partis « d’extrême » gauche
et « d’extrême » droite. Premier, Emmanuel Macron a obtenu 18,2 % des votes des
47,582 millions (Mi) d’électeurs inscrits. Marine Le Pen en a recueilli 16,1 %,
François Fillon, 15,2 %, et Jean-Luc Mélenchon, 14,8 %. Avec les autres
candidats présentés comme tels, les « extrêmes » ont obtenu environ la moitié
des suffrages. Impensable quelques mois auparavant, et trop vite oublié. Au
second tour, avec l’aide d’un Front républicain moins motivé, E. Macron l’a
emporté avec seulement 43,6 % des votes des inscrits devant M. Le Pen, qui a
raté la fin de sa campagne et a recueilli 10,638 Mi de votes.
Malgré le score médiocre du président élu, bénéficiant de la
« dynamique présidentielle » coutumière en France, son parti La République en
marche (LREM), associé au Modem de François Bayrou, a pris les devants au
premier tour des législatives de juin. Celui-ci a été caractérisé par une
participation électorale plus faible que jamais et une abstention record, avec
51,3 % d’abstentions et de votes blancs ou nuls. LREM + Modem ont recueilli
17,5 % des votes des inscrits. Compte tenu du mode de scrutin majoritaire à
deux tours et de l’émiettement des autres candidatures, cela a suffi pour que
les « sondagistes » fassent état d’intentions de
votes au second tour donnant une majorité présidentielle écrasante de
400 à 450 sièges. Répétée en boucle avec délectation par les médias cette «
information » a réveillé, un peu tard, une partie des électeurs qui n’ont pas
voulu donner à Macron une aussi forte majorité. Au second tour, l’abstention et
les votes blancs ou nuls ont été encore plus forts qu’au premier, atteignant
61,6 %.
Ce n’est donc que par 38,4 % des électeurs inscrits que les
députés ont été élus au second tour. Avec 18,9 % des votes des inscrits, LREM +
Modem ont mis la main sur 350 sièges à l’Assemblée, soit 60,7 % des 577 sièges
de l’hémicycle. Une confortable majorité présidentielle, pour pas cher… au
détriment des partis « d’opposition », sous-représentés. Pour nombre
d’observateurs, la très faible participation entache la « légitimité » de la
majorité présidentielle. Elle indique aussi une « usure », une inadéquation de
notre système électoral et, pour ceux qui considèrent aussi que la composition
de l’AN n’est pas « représentative » de la population du pays, elle sonne le
glas de la Ve République.
Cela n’a pas empêché la nouvelle « majorité présidentielle »
d’accaparer, contrairement aux usages en vigueur, les postes clés à l’AN, et de
disposer ainsi des moyens de maîtriser, de verrouiller les débats et les
décisions de l’Assemblée, garantissant ainsi un pouvoir sans précédent au
président et à son exécutif. Un président omniprésent, méfiant, qui concentre
les pouvoirs à l’Élysée et veut contrôler les paroles et les actes des
ministres de son Gouvernement, ceux des députés de son parti, des directions
des Administrations publiques, et qui, chef des armées, désire que la « grande
Muette » le reste. Un danger pour la démocratie et nos libertés ? En tout cas,
le caractère du président se révèle un peu plus chaque jour et les désillusions
percent.
Le présent article est
d’abord consacré à un bref retour sur le parcours qui, après l’abandon du
régime parlementaire de la IVe République, a vu notre système politique évoluer
et dériver vers le pouvoir absolu présidentiel jusqu’en 2017. Puis vient une
revue de « spécificités » des élections présidentielles et législatives qui ont
abouti à l’interruption du bipartisme, à l’éclatement des partis « modérés » de
gauche et de droite, à l’hyper-présidentialisation et à l’amorce d’une
importante recomposition politique, avec des conséquences déjà visibles dans un
contexte très instable.
Dans mon prochain article, nous verrons que Macron a
lancé une attaque en règle contre le parlementarisme et la Ve République,
voulant aussi laminer d’autres contrepouvoirs et institutionnaliser l’hyper
présidence.
Sous les IIIe et IVe
Républiques, entre 1871 et 1958, le président était élu par les deux chambres,
la Chambre des députés et le Sénat, soit par 800 à 1.000 parlementaires selon les
époques. Dernier président de ce régime parlementaire, René Coty avait été élu
en décembre 1953 au treizième tour de scrutin.
En 1958, en pleine guerre d’Algérie, alors que le putsch
d’Alger faisait redouter un coup d’État militaire et que la tension politique
était à vif, le président Coty a fait appel au Général de Gaulle. Malgré
l’opposition de la gauche, majoritaire à l’Assemblée nationale (AN), il l’a
nommé président du Conseil le 1er juin et l’a chargé de former un nouveau
Gouvernement. Le 4 octobre, la Constitution de la Ve République peaufinée par
Michel Debré était promulguée. Elle établissait un régime « semi-présidentiel »
en instaurant le scrutin majoritaire à deux tours aux élections parlementaires
et en élargissant le collège des électeurs du président. Ainsi, c’est par un
collège comprenant 81.764 « grands électeurs » (parlementaires, conseillers
généraux et représentants de conseils municipaux) que le Général de Gaulle a
été élu président le 21 décembre 1958, en recueillant 78 % des suffrages au
premier tour de scrutin (1). Et René Coty lui a cédé sa place le 8 janvier
1959, abrégeant son mandat septennal.
L’élection du président au suffrage universel n’a été
introduite par le Général de Gaulle qu’en 1962. Il avait 71 ans, et il venait
d’échapper à l’attentat du Petit-Clamart organisé par l’OAS. Il désirait
renforcer la légitimé du président (et la sienne, en particulier) et, en même
temps, le libérer de toute « tutelle » parlementaire partisane.
La première élection présidentielle au suffrage universel a
eu lieu en décembre 1965. Le Général a été élu au second tour, contre François
Mitterrand, avec 45,3 % des voix des électeurs inscrits (au premier tour). Un
régime totalement présidentiel est alors entré en vigueur.
La Constitution de 1958 voulait prémunir le pays de
l’instabilité gouvernementale, favoriser le bipartisme et écarter les aléas et
les combinaisons pouvant résulter d’un foisonnement désordonné de partis plus
ou moins éphémères. C’est à cette fin, en particulier, qu’a été institué le
scrutin majoritaire à deux tours aux élections législatives.
Revirement en 1985. Sans crier gare, Mitterrand a alors
décidé de réintroduire la « proportionnelle intégrale » aux législatives de
1986… pour limiter l’ampleur attendue du succès de la droite. Résultat : le RPR
et l’UDF ont obtenu 286 sièges à l’Assemblée nationale (tout juste 50 %), le
PS, 196 sièges, le Parti Communiste, 32, et le Front national, 32. Inadmissible
pour Chirac, qui, aussitôt Premier ministre, a fait rétablir le scrutin
majoritaire à deux tours.
Puis, la Ve République a survécu. Mais elle a été dévoyée. La
cohérence initiale de sa Constitution a été piétinée. Les atteintes les plus
graves sont intervenues entre 2000 et 2002, lorsque la majorité de droite a entrepris
d’abandonner le septennat au profit du quinquennat, de porter la durée du
mandat des députés à cinq ans et de fixer la date des élection législatives
dans le mois suivant celui de l’élection présidentielle. J’ai déjà insisté sur
ces choix néfastes et rappelé leurs motivations dans mon article précédent «
Législatives : Attention aux vrais enjeux et aux dangers. Ne votons pas les
yeux fermés ».
Le pouvoir présidentiel est devenu absolu en 2002. La «
majorité présidentielle » à l’Assemblée nationale acquise en début de
quinquennat est devenue « indéboulonnable » pendant cinq ans. L’expérience des
trois quinquennats passés nous a montré les comportements « godillots » des
députés « majoritaires » et l’impuissance de l’opposition.
La réforme constitutionnelle de juillet 2008 a limité à deux
mandats consécutifs l’exercice de la présidence. Elle a encadré les pouvoirs de
nomination du président, la mise en œuvre des pouvoirs spéciaux en cas de crise
grave et celle du droit de grâce. Elle a mis fin à la présidence du Conseil
supérieur de la magistrature (CSM) par le président de la République. Elle a
ouvert la possibilité au président, « irresponsable devant l’Assemblée », de
s’expliquer devant le Parlement réuni en Congrès. Ce qui a autorisé E. Macron
de convoquer le Congrès à Versailles le 3 juillet.
Elle a un peu rehaussé le pouvoir du Parlement, notamment en
matière de « contrôle » de l’ordre du jour et des projets de lois, ainsi qu’en
limitant l’usage du 49-3 par le Premier ministre à une fois par session
parlementaire.
Mais les thérapies prescrites n’ont eu qu’une portée assez
limitée (2).
Aujourd’hui, quoi qu’en dise le Premier ministre Philippe, il
n’y a pas vraiment de contrepouvoirs politiques dans le pays. Les sénateurs
peuvent espérer, éventuellement, faire adopter des amendements (mineurs ?) aux
lois proposées par l’AN… à condition que la majorité de l’AN les accepte, car
le dernier mot lui revient… que cela plaise ou non. Aux niveaux régional,
départemental et communal, les pouvoirs sont limités et les moyens pour exercer
les responsabilités sont rognés d’année en année pendant que l’Etat « transfère
» sans état d’âme les charges (éducatives, de prestations sociales,
d’infrastructures…) aux collectivités locales. Et la « réforme » annoncée de la
taxe d’habitation (TH) va réduire leurs ressources. Elle va aussi accroître
leur dépendance vis-à-vis de l’État et de ses subsides (sensés compenser leurs
pertes de recettes de TH). La décentralisation recule. Le jacobinisme
technocratique avance. Au détriment des petites villes et des campagnes,
surtout… ainsi que de la démocratie.
De Gaulle voulait que
le président de la République soit « au-dessus des partis ». À cet égard, les
choses ont beaucoup changé depuis les années 1970. Le président est devenu un
chef de parti, de plus en plus attaché à défendre les idées et les intérêts de
son clan et de ses électeurs. Il est lui-même devenu prisonnier de son parti.
Au point qu’à partir de 2012 au PS, et de 2017 chez LR, les candidats à la
présidence ont dû se soumettre à des « primaires », organisées par leurs
partis, pour se départager. En cela aussi la Ve a été dénaturée.
*
C’est d’autant plus grave que le régime a dérapé vers une «
hyper présidentialisation » et que l’Exécutif a tendance à accaparer tous les
pouvoirs, à se saisir du législatif et à peser sur l’autorité judiciaire.
En réalité, en face du pouvoir absolu présidentiel, les seuls
vrais contrepouvoirs politiques ne sont pas français. Ils sont européens, à
Bruxelles et à Francfort et « mondialistes » par tous les accords et traités
internationaux passés qui priment sur nos lois et les volontés des citoyens.
Des signes alarmants du changement de régime en
cours
La fin du bipartisme ? Pour quoi ?
La « légitimité » du président, à laquelle de Gaulle tenait
tant, et qui avait déjà été menacée sous Chirac, a pris l’eau au printemps
2017. Aux présidentielles de mai 1995, Jacques Chirac. avait
réalisé un très faible score, pénalisé au premier tour par la rivalité de « son
ami de trente ans » Edouard Balladur, Premier ministre de François Mitterrand
pendant la cohabitation de mars 1993 à juin 1995. Sept ans plus tard, en mai
2002, Jacques Chirac, confronté à Lionel Jospin et à Jean-Marie Le Pen à un
premier tour miné par une abstention record, n’avait obtenu que 13,8 % des voix
des inscrits. Mais au second tour, contre Jean-Marie Le Pen, il avait « fait le
plein » avec 62 % des voix des inscrits. Pour sa part, Emmanuel Macron n’a
obtenu que 18,2 % des voix des inscrits au premier tour des présidentielles, et
seulement 43,6 % au second tour, face à Marine Le Pen… avec l’aide du « Front
républicain ». Un front de moins en moins populaire, d’ailleurs.
En mai 2017, au premier tour des présidentielles, les
suffrages se sont portés, à parts presqu’égales, sur quatre candidats : 18,2 %
pour Emmanuel Macron, 16,1 % pour Marine Le Pen, 15,2 % pour François Fillon et
14,8 % pour Jean-Luc
Mélenchon. Ce type de configuration, peu propice pour « légitimer
» celui de ces candidats qui serait élu, n’avait pas été imaginé lors de
l’instauration du suffrage universel en 1962 et des réformes ultérieures qui
ont donné le pouvoir absolu au président de la République. Il est étonnant que
cela ait fait l’objet de si peu de commentaires.
En cause, la très longue campagne électorale a connu des
événements inhabituels, «
dérangeants », déstabilisants. La tenue de Primaires pour élire «
démocratiquement » le candidat de la droite, d’un côté, et celui de la gauche,
en face, n’est pas inscrite dans la Constitution… qui prévoit un scrutin
majoritaire à deux tours et non à trois ou plus. Ces exercices ont été
ravageurs. Ils ont divisé et affaibli les partis concernés. Ils ont sonné le
tocsin du bipartisme gauche-droite (modérées), que la Ve République a conservé
pendant six décennies, en usant « jusqu’à la corde » les ficelles de son
système électoral. À droite, le candidat sélectionné, François Fillon, a
aussitôt été happé dans un tourbillon d’affaires d’emplois « présumés » fictifs
qui l’a emporté. À gauche, contre toute attente, c’est Benoît Hamon, de la
gauche du PS, qui a été choisi, alors que dans le parti et chez ses alliés la fraction social libérale, incarnée par Manuel Valls,
semblait majoritaire. Dans les deux camps, le « dégagisme
» (volonté de renouvellement et/ou de changement de têtes) a fait son œuvre.
Contagieux, et habilement exploité, il est devenu un véritable mot d’ordre
national. Avec lui, la moralisation de la vie publique (ou politique) a pris la
dimension d’un objectif prioritaire, au point de reléguer à l’arrière-plan (au
moment de l’élection présidentielle) le terrorisme islamique, le chômage et le
pouvoir d’achat.
Ces primaires et leurs résultats ont été du pain béni, si
j’ose dire, pour Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon, qui s’étaient dispensés
de telles sélections pièges. Très « soutenus » par les médias grand public, qui
ont joué un rôle partisan excessif, ils se sont présentés comme les candidats
du renouvellement. Mélenchon a ratissé des voix à la gauche du PS et a
concurrencé le FN auprès d’une frange de l’électorat. Macron, avec En marche et
sa coalition, de droite et de gauche ou ni de droite, ni de gauche, a
copieusement puisé dans les rangs sociaux libéraux de la gauche et a séduit un
certain nombre de politiciens « constructifs » de la droite.
« Le Français a le cœur à gauche, mais le portefeuille à
droite » avait déjà diagnostiqué un vétéran (oublié) de la IIIe République,
Anatole de Mongie. Un « dangereux multirécidiviste »
qui, à partir de 1909, a été député, sénateur et sept fois ministre entre 1925
et 1940. Alors, un nouvel équilibre politique peut-il s’établir durablement,
dominé par un parti unique élargi autour du centre ? L’avenir le dira. Sans
doute en moins de cinq ans.
En attendant, au lendemain de la présidentielle de 2017, le
bipartisme a été remplacé par un quadripartisme dans lequel les partis
d’extrême droite et d’extrême gauche (certains analystes comptant dans ces
derniers ce qui reste du PS) mobilisent des millions de voix d’électeurs… mais
sont réduits à la portion congrue à l’AN.
Dans la foulée des présidentielles, les législatives ont
accentué les divisions à droite et à gauche. Elles ont débouché sur la
formation de sept groupes parlementaires à l’AN. En rupture avec des traditions
« républicaines » bien établies, elles ont fortement ébranlé le système
électoral.
Les dérives du système présidentiel et
l’abstention ont mis les législatives à genoux
Sous la Ve, jusqu’à la fin des années 1970, les élections
législatives ont suscité un grand intérêt. Le taux de participation a été de 80
% en 1968, et même un peu supérieur en 1973 et en 1978. Trois années sans
élections présidentielles, il faut le noter. Après avoir baissé à 70,3 % en
juin 1981, juste après l’élection de François Mitterrand, un soubresaut l’a
fait remonter à 78,5 % en 1986 au cours d’élections qui ont ouvert la première
cohabitation de la première présidence de la gauche. Les quatre législatives
suivantes ont vu la participation diminuer, jusqu’à 64,4 % en juin 2002, à la
suite de l’élection de Jacques Chirac à la Présidence pour un second mandat
ramené à cinq ans. Le taux a encore baissé au début des deux quinquennats
suivants pour n’être que de 57,2 % en juin 2012.
Depuis une trentaine d’années déjà, de plus en plus d’électeurs
sont mécontents de l’Assemblée et de sa « valeur ajoutée » dans la prise de
décision politique et l’élaboration des lois. On ne peut s’empêcher de
rapprocher cette attitude critique du fait que nos lois dépendent de plus en
plus des choix de la Commission de Bruxelles et du Parlement européen (PE).
Cette limitation de la souveraineté nationale a été maintes fois dénoncée. Sans
effet.
Au contraire, le principe de subsidiarité est tombé aux
oubliettes et, sous couvert de « normalisation », le PE a tendance à se mêler
de tout, même d’éléments de confort comme les sièges des toilettes. Et la ponte
d’articles et de directives est telle que leur transcription dans le droit
français prend beaucoup de temps à nos « législateurs ».
L’abstention s’est surtout aggravée au fur et à mesure de la
prise de conscience du peu d’utilité du vote, consécutive à l’impuissance de
toute opposition face au pouvoir du président et du comportement godillot de «
sa majorité présidentielle ». À cet égard, 2002 a marqué un tournant décisif.
Le président étant élu, dans la foulée, « il faut lui donner une majorité à
l’Assemblée lui permettant de tenir ses engagements, de faire les réformes, de
remplir son programme… ». Certains analystes considèrent même qu’en élisant le
président, les Français lui donnent un blanc-seing pour mettre en œuvre toutes
les mesures précises ou vagues qu’il a évoquées pendant la campagne.
Des explications particulières de l’abstention aux législatives de
2017
Toutefois, ces observations sont insuffisantes pour expliquer
totalement pourquoi aux législatives de juin 2017 la chute de la participation
a été aussi abyssale. D’autres facteurs ont concouru à cette débâcle.
Le renouvellement à l’aveugle. Les résultats du second tour
ont montré qu’une grande partie des Français n’ont pas été convaincus qu’il
fallait « renouveler » l’AN dans d’aussi fortes proportions que les sondages
l’avaient « suggéré », que
les députés avaient tous démérité et que des novices, inconnus
d’eux, feraient mieux que leurs prédécesseurs.
Remplacer des députés si vils par des candidats vierges «
issus de la société civile » ! Une trouvaille payante qui a aussitôt séduit les
médias et, pendant des semaines, bercé d’illusions une partie du bon peuple…. un peu réveillé depuis. « Dégager » des politiciens de haut
vol qui ont été aux commandes, et qu’on peut éventuellement, accuser d’avoir
mis la France et les Français dans la panade, peut se comprendre. Sans oublier,
alors, que Macron a été le principal conseiller économique et financier de
Hollande du 15 mai 2012 au 10 juin 2014, puis qu’il a occupé le poste de
ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique du Gouvernement de Valls
pendant deux ans jusqu’au 30 août 2016. Par contre, la furia « aveugle » contre
les députés sortants paraît injuste et s’avérera peut-être contreproductive.
Sur le plan professionnel, on peut surtout leur reprocher (pas à tous) d’avoir
été des godillots et d’avoir délaissé les engagements pris envers leurs
électeurs locaux. Peu d’entre eux ont été concernés par des affaires. En faire
des boucs-émissaires était peut-être de la haute stratégie, mais n’avait pas de
raison de plaire à tous leurs sympathisants. Des indices concordants laissent,
en outre, penser que la formation (le 25 juin) des nouveaux députés LREM a visé à en
faire des godillots qui n’auront rien à envier aux précédents.
La surdose médiatique partisane. Macron peut remercier les
médias audiovisuels laudateurs pour l’assistance soumise et dévouée qu’ils lui
ont apportée aux présidentielles et aux
législatives, abusant trop souvent de la
désinformation, de l’intox et de la propagande pour soutenir leur favori ainsi
que son parti, et torpiller leurs adversaires politiques. Le 23 juin, un
article de Natacha Polony a parlé de « Macron et l’amnésie bienveillante
des médias » (3). Une litote ironique ! De nombreuses critiques plus rugueuses
leur sont adressées. Beaucoup de Français ne sont pas dupes et sont lassés des
pubs quotidiennes de promomacron.com. Ils attendent du concret.
Aux législatives, ces médias ont poussé le bouchon très loin
en repassant en boucle des résultats de sondages « d’intentions de votes »
donnant une très large (démesurée) victoire aux candidats de LREM, assurant à
ce parti une majorité présidentielle énorme à l’AN. De quoi stimuler les
partisans de LREM et décourager, démotiver leurs adversaires. Un stratagème
efficace, surtout au premier tour. Avec un gros bémol, cependant. L’abstention
a atteint un niveau inégalé, supérieur à 50 %. Au second tour, le résultat a
été encore plus mauvais. Au point que le scrutin majoritaire « intégral » à
deux tours a été mis en question par certains observateurs politiques et que la
proposition d’introduire une dose de proportionnelle est revenue sur le tapis,
avec plus d’insistance. Le quinquennat et le calendrier électoral ont aussi été
mis en cause, mais avec moins de conviction. Effectivement, notre système
électoral est en déroute. Des réformes « réfléchies » s’imposent. Sans
précipitation.
Une surabondance de candidats « repêchés » pour figurer au
second tour des législatives
Pour pouvoir se présenter au second tour des élections
législatives, un candidat doit normalement avoir recueilli au premier tour au
moins 12,5 % des voix des électeurs inscrits de sa circonscription. Cela ne
paraît pas énorme. Cependant, un dispositif de « repêchage » est prévu pour
garantir que quels que soient leurs scores, les deux candidats arrivés en tête
pourront accéder au second tour (4). Un dispositif d’exception pour cas rares ?
Stupéfait, j’ai découvert le 18 juin sur contrepoints.org
qu’au premier tour des législatives « dans 68 % des circonscriptions, un seul
candidat a franchi le seuil de 12,5 % et l’autre a été repêché. Dans 14 % des
circonscriptions, ce sont même les deux candidats qui ont été repêchés ». Et,
finalement les deux candidats n’ont été qualifiés normalement que dans 18 % des
cas. L’auteur de l’article (5), dont je recommande la lecture, apporte des
précisions sur les pourcentages, très élevés de repêchés (80 % et plus) des
Républicains (LR), du FN et de LFI. Les médias nous ont jalousement caché cette
glorieuse particularité de ce scrutin.
Dans notre troisième circonscription du 93, l’exception a
aussi été la règle : le 11 juin, les quatorze candidats en concurrence se sont
partagé les votes exprimés par 34,7 % des inscrits. 17,68 % des inscrits ont
voté pour le candidat LREM et 5,98 %, seulement, ont opté pour le candidat de
la FI, second. À l’appel du 18 juin, 65,3 % d’abstentions et de votes blancs ou
nuls ont été décomptés. L’heureux élu a recueilli 19,8 % des voix des inscrits.
Quelle popularité, quelle représentativité de notre électorat local !
Une faiblesse de la participation « active »
jamais vue
De telles situations se sont retrouvées dans la majorité des
circonscriptions électorales. Les députés élus et leurs opposants ont le plus
souvent obtenu des scores très faibles en termes de pourcentages des inscrits.
Pour la France entière, au premier tour, l’abstention s’est
élevée à 51,3 % des inscrits. Sachant que 0,513 million (Mi) d’électeurs, sur
les 47,570 Mi d’inscrits ont voté blanc ou nul, le pourcentage des votes
exprimés, de la participation « active » aux choix des candidats, n’a été que
de 47,6 %. Du jamais vu !
Pire, au second tour, l’abstention est montée à 57,4 % des
47,293 Mi d’inscrits. Et 1,989 Mi de votes blancs ou nuls ont été décomptés. En
définitive, seulement 16,187 Mi d’électeurs, soit 34,2 % des inscrits ont choisi les députés
(6).
Les jeunes et les pauvres préfèrent le FN et LFI, les « aisés » et
les « riches », LREM
Au premier tour des présidentielles, la moitié des jeunes de
moins de 35 ans ont voté pour Le Pen ou pour Mélenchon.
Au premier tour des législatives, 64 % des jeunes de 18 à 34
ans se sont abstenus. Et parmi les abstentionnistes se trouvaient plus de la
moitié des jeunes qui avaient voté Le Pen ou Mélenchon au premier tour des
présidentielles. Cette déperdition a fait reculer les partis « extrêmes » aux
législatives (7). Mais, il ne faut pas se nourrir d’illusions, ce repli n’est
que circonstanciel et temporaire. Tant que chômage sera aussi élevé, le rejet
des partis de gouvernement persistera et l’attrait des jeunes pour le FN, pour
LFI ainsi que pour les idées de Hamon ne diminuera pas.
Le tiers des personnes de 45 ans ou plus ont choisi LREM, et
parmi elles, les retraités, qui risquent fort d’être les principales victimes
expiatoires des réformes fiscales annoncées. Paradoxal ? Ce sont aussi les
seniors qui ont le plus voté. Une discipline traditionnelle ! Leurs choix ont
donc pesé sur les résultats.
Malgré un nombre de voix supérieur à ceux des autres partis,
l’alliance LREM + Modem n’a recueilli que 17 % des suffrages des personnes des
foyers aux revenus inférieurs à 1.250 € par mois. Elles ont préféré le FN, pour
25 % d’entre elles, LFI, pour 13 %, et le PS avec ses partenaires, pour 10,2 %
(8). Au contraire, parmi les électeurs dont les revenus sont supérieurs à 3.000
€, 43 % ont voté pour LREM… contre 7 % pour le FN et 10 % pour LFI.
Il est à noter aussi que le profil socioéconomique des
députés de la majorité présidentielle issue des élections ressemble à celui de
l’électorat de LREM + Modem. Elle compte dans ses rangs bien plus de députés
faisant partie des élites et des milieux aisés que d’élus venant des milieux
populaires et modestes. Cela ne redresse pas sa représentativité de la
population française.
Une majorité présidentielle de 60,7% à l’AN pour 18,9% des votes
des inscrits
Au premier tour, les partis de la « majorité présidentielle
», LREM et Modem, ont recueilli 8,323 Mi de voix, soit 17,5 % des 47,591 Mi
d’inscrits (voir le tableau ci-dessus).
Seulement quatre candidats ont été élus (dont deux de LREM).
En 2012, il en avait eu 25, en 2007, 109, et en 2002, 58.
Au second tour, le mode de scrutin majoritaire a donné au parti
LREM 306 sièges, soit 53,0 % des 577 sièges de l’AN, pour 7,826 millions (Mi)
de votes recueillis, correspondant au choix de 16,6 % des 47,293 Mi d’électeurs
(inscrits). Le Modem, allié du LREM, a bénéficié d’une même « générosité »,
avec 42 sièges pour 2,3 % des votes des inscrits. Ainsi une « large majorité
parlementaire présidentielle », de 60,7 %, a récompensé les choix de 18,9% de
l’électorat.
Un « indice d’illégitimité » record
Le rapport : % de députés élus/% de voix obtenues au premier
tour de scrutin des législatives est un indicateur intéressant de « légitimité
» ou « d’illégitimité », lorsqu’il est anormalement élevé. Celui de la « majorité » de juin 2017 est de
60,7/17,5 = 3,82. C’est, de très loin, le plus élevé de la Ve République.
Cet indice s’était établi à 2,90 aux législatives de mars
1993, au crépuscule du mitterrandisme. Edouard Balladur avait alors obtenu 81,8
% des sièges à l’AN avec 28,2 % des voix ; il avait remplacé Pierre Bérégovoy
et ouvert une deuxième cohabitation. L’indice avait atteint 2,53 en novembre
1958. La droite avait alors « gagné » 84,1 % des 546 sièges de l’AN avec 33,3 %
des voix. Michel Debré avait alors pris la direction du Gouvernement.
En fait, au cours de la Ve République, au premier tour des
législatives, les pourcentages des votes en faveur des « majorités
présidentielles » de droite et du centre ont été supérieurs à 28 % des
inscrits. Par contre, le pourcentage des votes pour la majorité de gauche aux
législatives de juin 1988 n’a été que de 24,7 %. En 2012, ce pourcentage a
reculé à 22,4
%. En 2017, ce même pourcentage, « de gauche et de droite », s’est abîmé à 17,5
%.
La magie du vote en faveur du parti du président venant
d’être élu a perdu de sa vigueur. En cela aussi, nous sommes à la fin d’un
cycle. Le désenchantement de la population se double de la méfiance croissante
envers les gouvernants. Envers Macron aussi, avec ses Philippe, Bayrou,
Ferrand, de Sarnez, Goulard, Pénicaud, Mercier et
autres aujourd’hui touchés ou effleurés par des affaires « présumées ». Ils
sont eux-mêmes objets de la suspicion envers les « professionnels » de la
politique qu’ils ont instillée et exploitée pour faire « dégager » des
concurrents dangereux aux présidentielles puis aux législatives. Des députés ayant
exercé « trop de mandats » et des candidats ayant une expérience politique ont du faire de la place à de nouveaux entrants, des novices.
Les
autres partis paient cher la générosité du système envers la majorité
présidentielle.
Ensemble, tous les autres partis et candidats ont obtenu 39,3
% des sièges pour 67,7 % des suffrages exprimés au premier tour des
législatives. Sans surprise, c’est le FN qui a été le plus mal traité par le
scrutin majoritaire à deux tours (renforcé par le Front républicain). Il a
obtenu 8 sièges (pas assez pour former un groupe parlementaire) pour 2,990
millions de voix au premier tour. Rappelons que LREM en a obtenu 308 pour 6,391
Mi de voix. Et le Modem a récolté 42 sièges pour 0,932 Mi de voix. cinq fois plus de sièges que le FN pour trois fois moins de
voix ! Bonjour tristesse ? Pour consoler ses militants et ses électeurs, le FN
peut dire qu’il a tout de même quatre fois plus de députés que dans la Chambre
précédente. LFI de Mélenchon n’a pas été gâtée, non plus. Elle s’en est
toutefois tiré un peu moins mal que le FN avec 17 sièges pour 2,497 Mi voix au premier tour. Sans perdre de temps, le mouvement
n’en a pas moins commencé à s’opposer dans la rue au projet de loi sur le
travail. Le PS n’a pu sauver que 30 sièges, pour 1,686 Mi de voix. Quant aux
Républicains, pour 3,573 Mi de voix, ils ont conservé 112 sièges. Mais, ces
deux derniers partis n’ont pas encore bu le calice jusqu’à la lie. Ils sont en
proie à des querelles internes et des divisions, notamment entre les « constructifs
» qui se disent prêts à « collaborer » avec la majorité présidentielle
, et des « réservés », des « méfiants » ou des opposants déterminés qui
ne font pas confiance au gouvernement. Au-delà de ces partis, c’est aussi
l’effervescence. La situation à l’Assemblée nationale, et hors de cette
enceinte, est loin d’être stabilisée.
7 groupes parlementaires et très peu de place pour l’opposition
Depuis le 27 juin, l’AN compte officiellement 7 groupes
parlementaires. C’est un record. Il y en a eu 5 pendant les deux législatures
de 1993 à 2002, et 4 pendant celles de 2002 à 2012. Mais elle en connu 6 sous
le mandat de François Hollande marqué par les divisions au sein de la
gauche.
Avec ses apparentés, le groupe LREM comprend 314 députés. Son
allié, le MoDem en a 47. Un nouveau groupe, Les Constructifs a été constitué
par 35 députés LR, UDI, indépendants, réputés « Macron compatibles », prêts à soutenir
le gouvernement auquel, à priori, ils accorderont la « confiance ». Ainsi,
c’est sur 396 députés, soit 68,6 % de l’hémicycle que Macron et Philippe
peuvent compter en tout début de quinquennat.
Un groupe de 100 députés LR et apparentés forme l’opposition
de droite. Ses membres ne s’interdisent pas de voter des textes en accord avec
leurs propres propositions.
La gauche est représentée par trois plus petits groupes : -
la Nouvelle Gauche, ex PS, qui comprend 31 députés ; - LFI, qui a 17 députés ;
- la Gauche démocrate et Républicaine (communistes et ultramarins), qui en
compte 16.
17 députés sont « non-inscrits ». 8 élus du FN espèrent la constitution d’un
groupe associant d’autres partenaires.
La majorité présidentielle et ses alliés monopolisent aussi
les postes clés de l’AN. Sans parler de la présidence et de la vice-présidence
de l’Assemblée, ils se sont attribué les trois postes de questeurs, des députés
chargés des finances de l’AN, ainsi que sept des huit postes de présidents de commissions
parlementaires permanentes : commission des Lois, Affaires étrangères,
Développement durable, Défense, Affaires sociales, Affaires économiques et
Affaires culturelles. En guise d’aumône, la présidence de la commission des
Finances a été concédée au Républicain, ancien ministre, Éric Woerth. La «
distribution » des questures n’a pas respecté l’usage établi depuis 1973 de
nommer directement deux questeurs de la majorité et un de l’opposition. Ce
dernier poste est revenu à Thierry Solère, du groupe
macron compatible Les Constructifs, au grand dam des Républicains… ainsi que
d’autres groupes d’opposition. Christian Jacob a estimé que « Les droits de
l’opposition ont été bafoués comme jamais » (9). Quant aux commissions parlementaires, Olivier
Faure, chef de file de la Nouvelle Gauche, avait demandé des ajustements afin
que chaque groupe parlementaire soit représenté dans les bureaux des
commissions, tandis que Jean Luc Mélenchon avait revendiqué une vice-présidence
pour chacun des sept groupes parlementaires. Ils n’ont pas été entendus.
Les comportements et la « rapacité » du parti de Macron et
Philippe ont choqué. Pour Guillaume Tabard (10), « les premiers pas à
l’Assemblée montrent un parti au pouvoir qui ne veut rien laisser aux autres »,
et « Quel spectacle ! Si l’entrée dans l’ère macronienne
était censée réconcilier les Français avec la politique, montrer que le temps
des vieilles pratiques et des petites combines était révolu, c’est raté ! »
Dans un article sur contrepoints.org intitulé « Tollé à l’Assemblée : Macron
veut-il les pleins pouvoirs » (11), Frédéric Mas dénonce la nomination de
Thierry Solère. Il aborde aussi des points cruciaux
que nous verrons plus loin.
L’opposition est réduite à la portion congrue, aussi bien
dans le pourcentage des voix lors des votes à venir que dans les temps de
parole et (plus encore) pour les subventions publiques aux partis. En effet,
selon Le Monde, les suffrages obtenus lors des législatives procurent 1,42 €
par voix (parité exigée et au moins 1 % des suffrages exprimés obtenus dans au
moins cinquante circonscriptions), et chaque député élu rapporte 37.280 €.
Comment les partis d’opposition feront-ils entendre les voix
et défendront-ils les intérêts des millions de citoyens qui votent pour eux ?
De premières réponses à cette question viendront sans doute après la
rentrée.
Accessoirement, un des reproches adressés aux oppositions,
impuissantes depuis 2002, est d’avoir bloqué ou ralenti des discussions de
projets de lois en présentant de très nombreux amendements « sans intérêt ». Il
parait douteux que la configuration de l’AN et la tournure prise par les
évènements soient porteurs de progrès en la matière.
Faut-il en finir avec la Ve République ?
Les médias audiovisuels n’ont pas cessé de déverser des
louanges sur Macron et la réussite éclatante de son mouvement. Sur la « toile »
et véhiculés par les réseaux sociaux, foisonnent des jugements moins
complaisants mêlés à des inquiétudes sur l’adéquation et la survie de notre
système politique.
« Après l’imposture En Marche, en finir avec la Ve République
», a titré un article d’un chroniqueur de Contrepoints (12) qui a constaté à la
mi-juin l’effondrement de la participation au premier tour et le faible nombre de voix en
faveur du parti « majoritaire »… à la
veille d’obtenir une majorité écrasante à l’AN. Pour lui, « la Ve République
atteint ses limites », et « la victoire d’Emmanuel Macron porte donc les
ferments d’une profonde crise du régime ». 60 ans après le remplacement du
régime parlementaire, il risque de mourir de « l’hyperprésidentialisation
».
Après le second tour, Jérôme Jaffré, directeur du Centre
d’études et de connaissance sur l’opinion publique, a estimé que « Pour Macron,
c’est une victoire totale sans élan populaire », et a fait part de ses
préoccupations (13). L’abstention spectaculaire « traduit une crise grave du
système politique et de son organisation ». Il a rappelé que « le Parlement
fait la loi et il contrôle le gouvernement ». C’est en tout cas ce qui est attendu
de lui. Quant à la réalité… « La démocratie ne peut pas se réduire à un corps
électoral aussi étroit ». Pour lui, « il y a une réflexion à mener sur le tempo
des législatives et notamment le fait de les mener en même temps que la
présidentielle », le moment de l’élection compte plus que le mode de scrutin,
et « la proportionnelle, souvent invoquée, ne répondrait pas à ce taux
d’abstention énorme, même si une dose serait éminemment souhaitable… ».
Pour Frédéric Mas (14) la question du régime et des institutions
est essentielle. « Petit à petit, l’exécutif monarchique, qui pesait déjà
beaucoup plus que l’organe législatif ou l’autorité judiciaire, est devenu le
centre de sa légitimité populaire : peu importe le texte, les arguties… ». Et «
La séparation des pouvoirs disparait sans bruit, dans l’indifférence des
citoyens et des élus ». Il déplore que l’adoption du quinquennat ait fait du
président un candidat permanent à sa réélection cherchant à renforcer sa
majorité parlementaire. « D’un côté le président devient un homme de parti, de
l’autre le parti devient tributaire d’un seul homme ». Plus que jamais, nous
sommes dans cette situation. Avec un président tout puissant. Sous Sarkozy les
médias étaient « en embuscade, prêts à dégainer au moindre soupçon de dérive
autoritaire », rappelle-t-il. Se réveiller ont-ils sous Macron ?
« Macron concentre les pouvoirs à l’Élysée » (14). Il est
difficile d’en douter. Les critiques se sont libérées après l’incident Solère à l’AN et depuis que Macron a décidé de « brûler la
politesse » à son Premier ministre en convoquant le Congrès à Versailles le 3
juillet, veille du jour où Philippe devait tenir son discours de politique
générale. Du coup, d’autres attitudes suspectes et/ou négatives du président et
de ses proches sont évoquées sur Internet. Ainsi, Pascal Perrineau remarque qu’une douzaine de
conseillers sont « mutualisés » entre l’Élysée et Matignon, « ce
qui donne les moyens d’éviter une
autonomie excessive du Premier ministre ». Et « l’Élysée a suivi très
attentivement la mise en place des pouvoirs à l’Assemblée ». J’ai indiqué dans
mon précédent article que Macron avait essayé d’imposer un de ses hommes comme
directeur du cabinet de Philippe. Sans succès.
|
|
|
Ces points de vue ne sont pas isolés. Ils sont assez
concordants avec ce que j’ai voulu faire ressortir dans le présent article et
dans le suivant, en m’appuyant, notamment, sur les informations et les
statistiques présentées ici.
Une clarification sur les objectifs majeurs et les
priorités s’impose
Une réflexion en profondeur s’impose, partant d’une
clarification sur les points principaux sur lesquels un accord, un consensus
très largement partagé entre les Français est possible, et ceux sur lesquels
des positions inconciliables persisteront. Les campagnes des présidentielles et
des législatives ont tourné le dos à ces questions préalables à la définition
clairvoyante des objectifs majeurs à retenir pour le pays, du rôle que doit
jouer l’État dans sa gouvernance et son développement, ainsi que des ressources
et des moyens qu’il peut mobiliser dans ce but. Pour fixer un cap à la Nation,
il n’est pas sain de rester dans l’incertitude et le vague sur l’avenir de la
France dans l’Europe et face à la mondialisation. Que justifie réellement une
dépendance accrue de l’UE et de la BCE ? Que pourrait redonner au pays et aux
citoyens plus de souveraineté nationale ? Esquivé, le débat n’est pas clos. Il
est majeur au plan institutionnel également. Si le président est un monarque
absolu en France, il est aussi soumis à la tutelle de Bruxelles, de Francfort
et de Berlin. La prépondérance donnée au respect des exigences de l’équilibre
budgétaire par le nouveau président et le gouvernement, avec ses impacts
fiscaux et sociaux, notamment, le montre sans équivoque.
Une telle réflexion, participative, autant que possible, est
aussi un préalable nécessaire à toute tentative raisonnée d’organisation
durable de notre vie politique et de réforme de nos institutions.
L’expérience a montré qu’il est improductif de se lancer tête
baissée dans les « réformes », comme il a été fait à presque chaque alternance.
Si des problèmes ou des « défaillances » nécessitent des réformes législatives,
d’autres proviennent d’une exploitation néfaste des lois et du cadre
institutionnel existant. Ainsi, l’excès d’hyper présidence est « autorisé » par
la Constitution et les autres textes, organiques ou non, mais il n’est pas
conforme à l’esprit des textes fondateurs. Il résulte de l’usage qui est fait
des possibilités ouvertes, ainsi que de son acceptation par la « classe »
politique… et nettement moins par le peuple. Par le suffrage universel, De
Gaulle a voulu « légitimer » le président. Il voulait un président « au-dessus
des partis » et non à la tête d’un parti, qui cherche à s’approprier tous les
pouvoirs. Il voulait rompre avec l’instabilité gouvernementale, dans une
période particulièrement troublée, il faut le rappeler. Mais il n’a pas méprisé
le Parlement et cherché à réduire à néant le pouvoir parlementaire.
Le 4 juillet, le « vote de confiance » a montré que le
doute commençait à percer
J’ai écouté de bout en bout le long discours du président
Macron devant le Parlement le 3 juillet. Avec quelques épisodes de somnolence,
je le confesse. Je suis admiratif des brillants esprits qui ont trouvé un « cap
» dans l’enchevêtrement des plaidoiries pour la « cause de l’homme », des
déclarations de bonnes intentions, des coups de pieds à ses prédécesseurs et à
ses opposants, des affirmations sur l’efficacité de son programme, des
promesses… Dans « l’obscure clarté » tombée de l’étoile jupitérienne, nombre de
Français ont pu se demander où se trouvait « le cap de bonne espérance ». Ivan Rioufol a parlé de « fatras » (15). Pour lui « Ce n’est pas
l’homme providentiel qui manque à la France, mais le courage de la vérité
».
Macron n’a apparemment pas aidé les citoyens à placer les
pièces du puzzle des mesures « concrètes » égrenées par le Premier ministre le
4 juillet à l’AN. On pouvait, en effet, lire sur le Net dès le 5 juillet « Seul
un Français sur 4 convaincu par les discours de Macron et Philippe » (16).
C’est pourquoi la clarification est indispensable.
Comme la plupart des Français j’ai du respect pour la
fonction présidentielle, ainsi que pour celle de chef du Gouvernement. Même
lorsqu’il est sous-chef. Mais, l’histoire nous a appris que « l’habit ne fait
pas le moine », et il n’est pas nécessaire de se pencher très en arrière pour
s’en souvenir. Les Français sont contents que le nouveau président porte mieux
l’habit que le précédent. Ce n’est pas très étonnant. Jusqu’à présent, nous
avons surtout vu des postures, des photos, et entendu des discours. Pas
forcément conformes à nos vœux. La soif de pouvoir montrée et certains
agissements commencent à inquiéter. Même chez des députés macron
compatibles, le doute semble s’installer comme l’indiquent les résultats
du vote de confiance qui a suivi les débats du 4 juillet.
Pour des médias qui « positivent », cela a été une « victoire
indiscutable »: 370 votes pour et 67 contre. En effet,
les députés LREM et Modem, 361 au total, ont voté la confiance comme un seul
homme. Mais, ils ont été presque les seuls. 150 abstentions ont fortement
relativisé la « victoire ». 75 sont venues des rangs des Républicains, 23, de
la Nouvelle gauche, 12, de la Gauche démocrate et Républicaine, 4, des
Communistes ultramarins, 4, des non-inscrits, et 23 sont venues également de 23
« constructifs », des UDI surtout, plus quelques Républicains compatibles.
En juillet, « les Français en désaccord avec l’exécutif ». Déjà !
C’est ce qu’indique un sondage réalisé les 5 et 6 juillet
(17). 54 % des Français jugent que le cap fixé par le chef de l’Etat
n’améliorera pas la situation (économique, en particulier) de la France. 58 %
n’approuvent pas globalement les mesures annoncées par E Philippe. « C’est loin
de l’écho positif rendu par les médias… ». 64 % des sondés sont même opposés à
« Augmenter la CSG pour tous afin de baisser les cotisations salariales ».
L’exécutif peut, néanmoins, se consoler avec l’adhésion des Français à des
réformes d’envergure, de première urgence : 72 % sont favorables à la
diminution des épreuves au bac et à l’introduction d’une part de contrôle continu,
et 6 sur 10 sont favorables à la hausse du prix du tabac.Ouf !?Ce sondage est aussi un indicateur de la
fragilité de l’exécutif. L’état de grâce n’a pas fait long feu ! Alors, des
réformes précipitées contestées auront du mal à passer « à la hussarde ».
Les revirements et les voltefaces de juillet sur les
questions budgétaires et la fiscalité ont aussi porté atteinte au crédit du
président. Après la déclaration de la découverte (!) d’une importante « ardoise
» héritée du gouvernement précédent, 4,5 milliards de restrictions budgétaires
ont aussi été annoncées (18) afin de limiter le déficit public à 3 % du PIB en
2017. L’amputation de 850 millions € du budget du ministère des Armées a
provoqué des remous.
En Commission de la défense de l’AN, à huis clos, le général
Pierre de Villiers, chef d’état-major des armées (CEMA) a déclaré qu’avec cette
nouvelle baisse, « le grand écart entre les objectifs assignés à nos forces et
les moyens alloués n’est plus tenable » (19). En alertant la Représentation
nationale sur le danger encouru, le CEMA était bien dans son rôle. Tous les
experts en conviennent. Le 13 juillet, à la réception du ministère de la
Défense, « de façon ostentatoire et publique », Emmanuel Macron a exprimé sa
colère contre les propos de Pierre de Villiers, qu’il a jugés « indignes » et
rappelé aux militaires « je suis votre chef ». Ce « recadrage » injustifié de
leur CEMA a été vécu par les militaires comme une humiliation. Il a provoqué
une vive polémique et de nombreuses condamnations. Le CEMA a démissionné et a
aussitôt été remplacé. Un tel événement n’était jamais intervenu sous la Ve
République. « Une affaire d’Etat », « la première crise du quinquennat », « un
chef ne devrait pas dire ça », « indigne, mesquin et vexatoire », « n’est pas de Gaulle
qui veut », « l’obéissance ne se décrète pas, le respect non plus », « Emmanuel
Macron, chef désarmé »… a-t-on pu lire (20). La population a ouvert les yeux
sur des traits de caractère du président qu’elle n’a pas appréciés. Soif
d’autorité et de pouvoir, arrogance et suffisance sont des défauts qui lui ont
été reprochés. Quelques jours avant
que j’achève la rédaction du présent article, le 23 juillet, une enquête
réalisée du 17 au 22 juillet par l’IFOP auprès de 1947 personnes a indiqué
qu’en un mois Macron a perdu 10 points de popularité et que Philippe en a perdu
8. La cote de Macron est descendue à 54 % de satisfaits, dont 7 % de très
satisfaits et 47 % de plutôt satisfaits. La chute de popularité est attribuée
principalement à l’excès de communication et à l’autoritarisme (cf. affaire de
Villiers) du président. « Certains sondés critiquent à haute voix une
présidence fondée sur la com. » (21). La
cote du Premier ministre est descendue à 56 % de satisfaits, avec seulement 4 %
de très satisfaits.
Le 24 juillet, des médias ont affiché : « À la République en
marche, la fronde de certains militants » et « Des adhérents de la République
en marche saisissent la justice » (22). Le mouvement
n’est pas marginal, puisqu’il est porté par une trentaine de plaignants qui
représenteraient 600 comités locaux sur les 3.200 que compte LREM. Ils
contestent en justice la validité des nouveaux statuts du parti, soumis au vote
des premiers militants (adhérents à EM avant le 9 avril 2017) du 23 au 30 juillet.
Sans tenir compte du délai légal prévu par les textes du parti. Ils tentent de
faire reporter à décembre le vote des statuts. Sur le fond, « nous faisons tous
le même constat : les extraits ou synthèses des statuts que l’on daignait nous
communiquer n’avaient plus rien à voir avec l’esprit d’En Marche ! ». Et les
premiers témoignages de députés sur le fonctionnement du groupe à l’Assemblée
ne nous rassuraient pas vraiment… » a rapporté un des participants. Les
requérants estiment que LREM penche vers les travers des « vieux » partis et
que « Les statuts proposés cantonnent en effet les adhérents à un rôle de
supporteur et les excluent de la gouvernance,
aussi bien locale que nationale ». Ils ont parlé de « verrouillage », de manque
de démocratie au sein du parti. « La majorité des cadres du mouvement étant
désignés ou membres de droit ». La représentation des adhérents aux instances
dirigeantes du parti, fixée à 25 %, leur paraît insuffisante et non conforme
aux promesses. Ils réclament 50 %. Le « besoin de s’exprimer devant le tribunal
traduit un malaise ». On ne saurait dire moins ! Cinquante jours après l’investiture du
président, l’euphorie n’est plus de mise. La désillusion gagne. Nos chefs ont
très vite dévoré leur pain blanc. Il leur faut maintenant s’astreindre à un
régime qui convient mieux aux Français.
Sources et références
(1) « Comment étaient désignés les
présidents de la République avant 1965 », politique.net/2007/080501-… + «
Election française de 1953 », Wikipédia + « René Coty », Wikipédia.
(2) Vie publique, « La réforme
constitutionnelle de 2008 a-t-elle provoqué un changement de République ? » + «
Le président de la République : quels pouvoirs depuis la réforme de 2008 ? ».
(3) Natacha Polony,
« Macron et l’amnésie bienveillante des médias »,
lefigaro.fr/vox/politique/2017/06/23/31001…
(4) « Le seuil des 12,5 % : sur une étrange
règle électorale », huffingtonpost.fr/dominique-chaquillard/seuil-premier-tour-legislatives 09/02/2015.
(5) « Poids de l’abstention record : quand il
n’y a plus le choix », contrepoints.org/2017/06/18/292362…
(6) « L’abstention aux législatives 2017
ternit le succès d’Emmanuel Macron »,
lemonde.fr/elections-legislatives-2017/article/2017/06/19…
(7) « Législatives : pourquoi ils se sont
abstenus », lefigaro.fr/elections/legislatives/2017/06/15/38001…
+ « En votant pour les extrêmes, les jeunes se sont trompés de colère »,
contrepoints.org/201/06/17/192282…
(8) « Législatives : jeunes, seniors, ouvriers,
chômeurs, riches… Qui a voté quoi au premier tour ? », francetvinfo.fr/elections législatives… le 12/06/2017 + « Législatives : cinq
chiffres pour relativiser la victoire de La République en marche au premier
tour ».
(9) Christian Jacob, « Les droits de
l’opposition viennent d’être bafoués comme jamais », BFMTV, le 28/06/2017.
(10) Guillaume Tabard, « La « bienveillance »
trompeuse de la majorité », lefigaro.fr/politique/2017/06/29/01002…
(11) « Tollé à l’Assemblée : Macron veut-il
les pleins pouvoirs ? », contrepoints.org/2017/06/30/293475…
(12) « Après l’imposture En Marche, en finir
avec la Ve République », contrepoints.org/2017/06/14/292078…
(13) Jérôme Jaffré, « Pour Macron, c’est une
victoire totale sans élan populaire », lefigaro.fr/vox/politique/2017/06/19/310001…
(14) « Tollé à l’Assemblée : Macron veut-il
les pleins pouvoirs ? », contrepoints.org/2017/06/30/293475… + « Macron
concentre tous les pouvoirs à l’Élysée, ébauche de ‘’macronisme’’
», actu.orange.fr/France/macron-concentre…
le 29/06/2017.
(15) Ivan Rioufol, «
La Macronie, ou le syndrome de l’autruche », le
figaro.fr/vox/societe/2017/07/06/31003…
(16) « Seul un Français sur 4 convaincu par
les discours de Macron et Philippe », actu.orange.fr/France/seul-un… le 05/07/2017.
(17) « Sondage : les Français en désaccord
avec l’exécutif », lefigaro.fr/politique/2017/07/07/01002…
(18) « Restrictions budgétaires en France, la
Défense impactée », fr.euronews.com/2017/07/11/restrictions…
(19) « Emmanuel Macron versus Pierre de
Villiers, chef d’état-major des armées (CEMA) : recadrage ? Non, une affaire
d’Etat ! », communiqué
de presse de Jacques Myard, maire de
Maisons-Laffitte, président du Cercle Nation et République, 17/07/2017 + « Le
budget des armées met Macron sur la défensive »,
liberation.fr/France/2017/07/14/le-budget…
(20) « Démission de Villiers ; la première
crise du quinquennat, estiment les éditorialistes », actu.orange.fr/France/demission… , le 20/07/2017 + « Passe d’armes
Macron/Villiers : un chef ne devrait pas dire ça… »,
lefigaro.fr/vox/politique/2017/07/17/31001… + « Armées : Dupont-Aignan juge
’’indigne, mesquin et vexatoire’’ le rappel à l’ordre de Macron »,
actu.orange.fr/politique/armee-dupont…, le 14/0/2017
+ « Passe d’armes Macron/Villiers : n’est pas de Gaulle qui veut ! »,
lefigaro.fr/vox/politique/2017/07/17/31001… + « Emmanuel Macron, chef désarmé
», contrepoints.org/201/07/19/295095…
(21) « Emmanuel Macron perd 10 points de
popularité en juillet », francetvinfo.fr/politique/emmanuel… , le 23/07/2017
(22) « Des adhérents
de la République en marche saisissent la justice »,
leparisien.fr/politique/des-adhérents…, le 23/07/2007 + « À la République en
marche, la fronde de certains militants », actu.orange.fr/politique/a-la-republique… , le 24/07/2017 + « La
REM dévoile ses statuts, en attendant le vote des adhérents »,
actu.orange.fr/politique/la-rem-devoile…, le
17/07/2017.
|