par Luc BEYER de RYKE
Il y a longtemps déjà René Dumont, l’homme au pull-over rouge
proclamait « l’Afrique noire est mal partie ». Ce n’était pas une prophétie
mais une analyse et un constat.
Ma vie professionnelle et ma carrière politique m’ont conduit
dans de nombreux pays d’Afrique. Je ne les énumérerai pas préférant au vu de
l’actualité évoquer le plus grand d’entre eux, le Congo Kinshasa ou la
République – bien mal nommée – Démocratique du Congo. La dernière fois que je
m’y suis rendu c’était en 2006, année où se tinrent sous les yeux de la
communauté internationale des élections. J’y allai en tant qu’observateur
accrédité au nom du Gouvernement belge et de la fondation Carter. Comme on le sait
c’est Joseph Kabila, fils présumé selon certaines rumeurs de Désiré Kabila, qui
l’emporta. Largement à l’Est mais pas à Kinshasa et dans le Bas-Congo. Là c’est
Jean-Pierre Bemba qui sortit triomphant.
Mais comme il n’y en a pas un pour racheter l’autre il s’est
retrouvé bientôt devant la Cour internationale de La Haye où il est toujours
incarcéré pour crimes contre l’Humanité. Quant à Kabila, l’appétit venant en
mangeant, il se trouve tellement bien à la Présidence qu’il entend y rester !
Ce qui s’avère aussi inconstitutionnel que possible. L’Église a joué les
médiateurs. Elle a eu recours à des trésors de diplomatie vaticane. Le primat
du Congo s’est personnellement investi. Un accord fut trouvé. L’exercice
présidentiel fut un peu prolongé mais après quelques mois, il en fut convenu,
Joseph Kabila laisserait sa place. Et que vit-on ?
Rien. Jouant les Mac-Mahon en moins débonnaire, Kabila laissa entendre « j’y
suis, j’y reste ».
Une colère noire
Ce qui n’est pas du goût des populations qui se font
entendre. Les foules africaines sont nombreuses et passionnées. Et la
répression ne se fait pas attendre. Au cœur du mois d’août plusieurs villes se
sont embrasées. Tandis que Kinshasa se trouvait paralysée par une et même deux
journées « ville morte ». Certains quartiers autour de la prison de Makada connurent des affrontements. Ils opposèrent les
hommes de Kabila à ceux de Ne Muanda Nsemi, un chef tribal du Bas-Congo incarcéré. Les insurgés
l’emportèrent. Non seulement ils réussirent à le libérer mais Nsemi ne prit pas seul la clef des champs. Quatre mille
détenus en firent autant.
Beaucoup avaient le front ceint d’une bandelette rouge, signe
distinctif des miliciens de la secte Bundu dia Congo.
Lors des affrontements un commissaire de police a été tué. En 2006, lors de la
mission accomplie au Congo, précisément à Matadi et Boma dans le Bas-Congo,
j’avais beaucoup entendu parlé de la secte.
Organisée militairement, portant des uniformes, ses membres revendiquent
l’indépendance du Bas-Congo. Exigence déjà ancienne qui n’était pas pour
déplaire à Kasa-Vubu, le premier président du Congo
indépendant. J’avais rencontré en tête-à-tête en 2006 l’évêque de Matadi. En
gardant en mémoire ses propos. « Je n’approuve pas les méthodes de Bundu dia Congo, ses manières d’agir mais sachez que tous
ici estimons que la secte exprime le sentiment général. »
Les événements actuels témoignent que le brasier loin de
s’éteindre dévore les esprits. Ils ne sont pas les seuls. À l’Est, dans la
province de Maniema, les Maï-Maï, autre secte, font
reparler d’eux. Après de durs combats ils ont pris le contrôle de Kambare infligeant après six heures d’affrontements une
défaite cinglante à l’armée.
Le Congo tel qu’il est devenu
Des travaux à propos du Congo me conduisent ces temps-ci à
rencontrer des personnalités diverses, tant africaines que belges. parmi elles Herman De Croo. Le nom
dira peu de choses aux lecteurs français. Mais cet homme politique libéral,
ministre d’État et ancien président de la Chambre, est un des hommes qui
connaît le mieux l’histoire du Congo, qu’il s’agisse du passé ou du présent.
L’an prochain il fêtera le cinquantième anniversaire de sa vie parlementaire.
Il s’agit d’un vieil ami, ce qui facilite entre nous une grande liberté de
propos. Pour nous limiter au présent, il m’apprend que ces dernières semaines
dans le seul Kasaï, province elle aussi depuis longtemps tentée par la
sécession, il y eut trois mille quatre cents tués. Kabila et son régime font
venir des tueurs pour régler leur compte aux tueurs et ensuite chargent l’armée
de les liquider. Évoquant la corruption mon interlocuteur relate qu’elle
atteint des sommets. Le régime lui-même est devenu faux-monnayeur. Il tire les
mêmes billets en double. « Ce sont les pays les plus pauvres où la
corruption est la plus grande. »Bien entendu il
existe corrompus et corrupteurs. Les Occidentaux ont joué ce rôle. Longtemps
les Belges mais aussi Giscard et Chirac le furent auprès de Mobutu. Aujourd’hui
dans l’ensemble du Congo il y a encore cinq mille Belges. C’est l’heure des
Chinois. « Des délinquants » comme les a appelé devant
moi un professeur africain de l’université de Kinshasa. Et Herman De Croo de craindre que poussés à bout les Congolais finissent
« par en égorger quelques milliers ». La colonisation a eu ses pages
sombres, de ténèbres même, pour reprendre le mot de Joseph Conrad. Avec les
Chinois il n’est de colonisation qui vaille. Il s’agit de spoliation pure et
simple.
Dernières barrières
Le Congo est un immense réservoir prêt à exploser. Ce qui
retient encore le déferlement sur nos côtes de ses populations ce sont ses
églises et ses « liliputations ethniques ». À
Kinshasa, qui est passée de 400.000 habitants du temps des Belges à 12 millions
au bas mot, il n’y a pas moins de 250 églises catholiques, protestantes, kibanguistes et autres. pour
paraphraser la formule maurassienne, la religion joue le rôle « d’un
instrument d’ordre et de tradition incomparable ». Comme les divisions
ethniques qui dissuadent – de moins en moins – les villageois à s’expatrier
vers les villes. Ces villes où 80 % des jeunes sont au chômage. Où le salaire
moyen est de moins d’un euro. Le prix de quelques minutes de parking dans un
des beaux quartiers de Bruxelles ou de Paris.
C’est le tableau que brosse ce vieux routier de l’Afrique et
du Congo qu’est mon ami De Croo. Inexorablement il
rappelle cet autre interlocuteur que j’eus il y a tant d’années. Visionnaire de
l’apocalypse. Il s’appelait Jean Raspail. Son livre-culte s’intitulait Le camp
des saints. Il y décrivait l’arrivée sur nos rivages des légions de la misère.
C’est en large partie le cas.
Sauf ceux qui ont pour linceul les flots de la Méditerranée.
Apocalypse Now...