UNE FRANCE MALMENÉE

 

 

par Luc BEYER de RYKE

L

e gong a raisonné. On attendait le vainqueur. Les bookmakers, les parieurs ne se sont pas trompés. Les duettistes n’étaient pas de même niveau. L’ultime confrontation en apporta la démonstration bien au-delà de ce qu’on attendait. La sanction infligée en découlait. Reste que ces mots et ces images ne seraient pas venus à l’esprit pour évoquer d’autres débats ayant pour enjeu l’Élysée. En particulier au temps où le Général de Gaulle présidait aux destinées de la France.

Que demeure-t-il de lui ?

Un épisode récent a pu m’offrir un élément de réponse. Une association m’a sollicité pour que je vienne parler à ses membres de de Gaulle. C’était à Virton, en Belgique, à quelques kilomètres de la frontière française. Pour la petite histoire le lieu se situe non loin des vestiges de la forteresse de Montmédy. C’est là qu’auraient dû parvenir Louis XVI et Marie-Antoinette mais il y eut Varennes... La parenthèse refermée, je m’interrogeai à propos du souhait de mes futurs auditeurs.

Comment parler de de Gaulle alors que tout avait été dit et écrit. Lorsque j’arrivai il y avait salle comble. Loin d’une vision hagiographique j’ai voulu resituer le Général dans son époque, la rectitude et la vision d’un homme d’exception qui sut rassembler mais aussi divisa. L’intérêt du public, des Ardennais proches de la France géographiquement et sentimentalement, reflétait le désarroi dans lequel les Français sont plongés.

La France déboussolée

Le nom de de Gaulle a été cité, avancé de nombreuses fois lors de ces présidentielles. Même, sinon surtout, par ceux dont on peut contester les titres pour s’en prévaloir. Une journaliste belge, flamande, de renom, baronifiée par le roi Albert II vient de publier un ouvrage dont le titre est révélateur, La France déboussolée. Le nom de Charles de gaulle apparaît comme un sextant. Mais, avouons-le, il n’est pas évident qu’il suffise à retrouver la voie que devrait emprunter le pays.

Ces présidentielles sont à l’origine d’un véritable séisme politique. Elles ont été émaillées d’une répétition d’électrochocs. Des raisons multiples ont emporté des femmes, des hommes et des partis politiques. Sans me vouloir exhaustif rappelons les principaux.

On y a probablement moins prêté attention mais le cortège et la farandole des détrônés a été ouvert par une femme. Cécile Duflot fut désavouée par ses amis écologistes. On ne s’y attarda pas excessivement sachant les écologistes versatiles et imprévisibles. N’avaient-ils pas lors des présidentielles précédentes préféré Éva Joly et ses obsessions rocailleuses à l’image de son accent à Nicolas Hulot. À l’époque Daniel Cohn-Bendit m’avait confié toute sa commisération pour « cette pauvre Éva ». Le désastre fut consommé. Cette fois Duflot dut céder la place à un Jadot bien inconnu du grand public rallié, in fine, à Benoît Hamon.

Tout cela n’était qu’un prologue. On s’en soucia peu. Les jeux semblaient faits. Des primaires devaient sans surprise en apporter confirmation.

Au « Républicains » la victoire promise avec Alain Juppé en marche vers l’Élysée. Les primaires allaient leur apporter le Capitole. ce fut la Roche Tarpéienne. François Fillon ceint de lauriers était l’élu que rien ni personne ne pouvait désormais arrêter. Nicolas Sarkozy lui-même n’avait pu dresser barrage contre son ancien Premier ministre. Ce François Fillon qui, drapé d’une probité austère s’était exclamé «Imagine-t-on le Général de Gaulle mis en examen ? ». Et l’y voilà à son tour ! S’en suivi une campagne où les interrogations et les mises en cause nécessaires et légitimes cédèrent le pas à un lynchage lui aussi contraire à l’éthique. De plan B il n’y eut point parce que la division des Républicains le rendait impossible. Ténacité remarquable ou obstination réprouvée selon les uns ou selon les autres, François Fillon échoua à se qualifier.

Côté PS l’embrouillamini ne fut pas moindre. On attendait Valls, ce fut Hamon. Aussitôt désavoué par nombre de hiérarques socialistes. Et voilà que Manuel rejoint Emmanuel. La coupe est pleine. Elle déborde. De Gaulle avait prévu. Après lui ce ne serait pas le vide mais le tropplein ! Les deux France sont devenues au moins quatre. Celle de Macron et celle de Mélanchon, celle de Marine et celle de Fillon. Avec l’appendice Hamon. Sans parler de cette France, celle des Raisins de la colère de Steinbeck, qui a voté blanc, nul ou s’est abstenue.

La France fracturée

Les fractures s’accumulent, se recoupent et s’entrecroisent entre la France d’en bas et celle d’en haut, l’urbaine et la rurale et, à l’intérieur de la France urbaine, le chancre des banlieues.

À l’exception de quelques pays du sud tels l’Espagne, le Portugal et la Grèce, la France est donc sinon la seule, du moins un des rares pays de l’Union européenne – et de l’Europe tout simplement – à connaître un chômage en hausse ou endémique. « Un pays failli » avait lâché François Fillon quand il était Premier ministre. Quant à la finance, « l’ennemie » de François Hollande, face à elle, « la politique ne peut pas tout », avouait un autre Premier ministre, Lionel Jospin. Enfin la France comme tous nos pays – et même un peu plus – est en proie au terrorisme et à une mondialisation mettant à mal sa souveraineté... ou ce qui en reste.

La voici, avec Emmanuel Macron, engagée dans la voie d’une mondialisation assumée mais mal tolérée. Qu’attendre du nouveau président ? L’homme est brillant, conscient de sa valeur, annonce ses intentions et trahit une autorité qui pourrait l’entraîner vers un autoritarisme excessif. Il bénéficie d’un préjugé favorable parmi ses pairs et offre le gage d’une stabilité internationale. Le « parrainage » d’Obama, l’attente à peine dissimulée d’Angela Merkel et j’en passe – disaient et disent à suffisance qu’il n’avait qu’à s’installer à l’Élysée pour être reçu partout.

Que l’Europe dont il se fait le chantre et celle que nous souhaitons soit la même est une autre chose. Comme je l’entendais l’autre jour dans un langage imagé et populaire chez mon marchand de journaux : « l’Europe va continuer à tenir la France par les cornes ». Vision tauromachique pleine de saveur mais lourde d’appréhensions.

En dépit de celles-ci rien n’est comparable à ce qui se serait si Marine Le Pen eut accédée à la plus haute marche du podium.

La France comparée à ses voisins nourrit une culture d’affrontements et non de compromis. L’arrivée de Marine Le Pen entraînait un risque de guerre civile suscitée par le choc de deux

Intolérances, celle d’extrême-droite et celle d’extrême-gauche.

Ce qui ne veut pas dire qu’à la stabilité probable qui régira les relations internationales de la France réponde une stabilité intérieure.

On ne pourra faire reproche à Emmanuel Macron d’avoir dissimulé les orientations de sa politique économique et sociale. Jean6Luc Mélanchon déjà échaudé par un succès insuffisant « bout comme une urne trop pleine » – ou pas assez. Il se voyait à l’Élysée. Le voici ferraillant avec les Communistes pour les sièges à conquérir aux législatives.

Aucun geste n’est venu du candidat Macron à propos de la loi El Khomery pour amadouer son ire et rabattre vers lui les suffrages des mélanchonistes (1).

Ce qui laisse présager pour le Président Macron une opposition sociale qui s’exprimera dans la rue. Même désunis les syndicats feront entendre leurs voix.

Tant de contradictions, tant d’incertitudes, tant de fractures laissent mal augurer du proche avenir.

Pour conclure sur un point d’humour je songe à cette vieille paysanne charentaise qui, il y a quelques années, s’en allait dans les champs en bougonnant et se lamentait à la pensée de cette « pauvre France malmenée ».

Une sagesse populaire qui, en ce moment, trouve ou retrouve toute son actualité.

 

 

(1) Exception faite d’une audition à Mediapart le dernier soir de la campagne.

 

 

 

© 10.05.2017