L'UNION EUROPÉENNE ET L'EURO DANS LA TOURMENTE

par Paul KLOBOUKOFF

Des exigences pour ouvrir les portes à d'indispensables changements

Les trajectoires que l'Union européenne (UE) et la zone euro (ZE) ont empruntées (mot approprié, vu leur addiction au surendettement) sont alarmants. Nous le vérifierons ici, avec des chiffres peu contestables. Sans changements radicaux, « nous allons dans le mur ». Pourtant, nos médias audiovisuels grand-public ne nous alertent pas, préférant se consacrer à des affaires, des ragots, des faits divers et des spectacles politiques qui font valoir, en toute impartialité, leurs talents et leurs compétences... et poussent à rechercher les informations sur Internet, où il est possible de faire son tri sélectif soi-même. Parmi les candidats à la Présidence, presque seuls les « souverainistes » et les « populistes » s'inquiètent ouvertement et critiquent les dérives européennes. Avec peu d'écho. Car « l'Europe » est un sujet tabou dès qu'il s'agit de sortir des généralités, telles « Des réformes sont nécessaires pour rendre l'UE plus efficace, plus ‘’protectrice’’, mais sans nous refermer sur nous-mêmes, nous isoler du reste du monde, plus démocratique, moins technocratique et bureaucratique...». Bref, il pourrait suffire de baigner ses membres inférieurs dans un pédiluve pour qu'elle reparte d'un bon pied vers un avenir encore plein de promesses (auxquelles plus personne ne croit). Hélas, c'est très insuffisant. Il faut rénover en profondeur la bâtisse, sans oublier de remplacer des syndics qui la régissent et la dégradent depuis trop longtemps.

La position que défendra la France sur des réformes jugées indispensables et prioritaires de « l'Europe » est suspendue aux résultats des élections présidentielles et législatives à venir, ainsi qu'à la composition et aux orientions du nouveau gouvernement qui en résultera. Pour avoir quelques chances de faire entendre sa voix sur la « nouvelle Europe» à édifier, il faudra d'abord que ses propositions soient claires, précises et, autant que possible, conformes à la volonté du peuple de France. Il sera nécessaire que les représentants de la Nation soient en mesure de parler d'une voix assurée et résolue, que seul pourra autoriser et rendre crédible l'appui sur une majorité parlementaire solide et durable.

Les électeurs devront faire de « bons choix », à la présidentielle d'abord. En n'ignorant pas que dans le contexte actuel, comme en 2002, cela risque fort d'être une élection à un seul tour, si les sondages ne se (nous) trompent pas grossièrement. À gauche, on n'a pas attendu pour appeler au « vote utile ». Il serait aussi éminemment souhaitable que le choix des électeurs ne conduise pas la France en marche arrière vers une réplique de la Quatrième République avec ses lots d'indécision, d'instabilité et de combinaisons politiciennes. Ceci ne vaut, évidemment, pas uniquement pour la question européenne, à laquelle je me limite ici. L'heure n'est peut-être pas, non plus, la plus propice pour se livrer à des « expérimentations » aux buts et aux contours imprécis ou indéfinis. Un gouvernement fort et déterminé sera nécessaire pour « renégocier l'Europe ».

Quelques points à souligner, en résumé

Après la parution du livre de Joseph E. Stiglitz, L'euro comment la monnaie unique menace l'avenir de l'Europe, j'avais rédigé un article pour La Lettre de novembre 2016 intitulé « Un pavé du Nobel Stiglitz dans la mare de l'euro ». À côté de l'analyse des critiques et des suggestions de Stiglitz, j'avais fait le point sur les principaux instruments, souvent mal connus, de la politique monétaire et financière mis en œuvre ou à l'étude ces dernières années, et sur leurs limites : l'Union bancaire, les bas taux, le « quantitative easing », QE, ou « programme d'assouplissement quantitatif » (= la planche à billets), le mécanisme européen de stabilité, le plan Junker (de prêts à l'investissement) et la tentative avortée d'instaurer une « mutualisation » des dettes des États.

Dans la première partie du présent article, je reviens avec des infos récentes sur les principales politiques conduites, surtout pour en décrire les résultats et les impacts, globalement négatifs. En fait, les interventions majeures ont consisté à faire inonder les marchés par la Banque centrale européenne (BCE) avec des liquidités créées ex nihilo, et à pratiquer des taux d'intérêt très bas. Ces mesures n'ont pas obtenu les résultats visés quant à la relance de la croissance, très « modeste », et à la remontée des prix, qui ont à peine frémi, sans se dégeler. Par contre, elles ont stimulé la prolifération d'entreprises « zombies », à la productivité et à la rentabilité chancelantes, ainsi que d'États « vampires », qui ont abusé des possibilités d'emprunt à bas prix. Dès son annonce, au printemps 2014, le QE a provoqué une forte dévaluation (compétitive), de l'ordre de 20 %, de l'euro, plus dévastatrice que bénéfique. Mais la dévalorisation de l'euro ne date pas d'hier. Elle se lit dans les taux de change depuis les sommets atteints au printemps et à l'été 2008 par l'euro par rapport aux grandes monnaies. Depuis, en neuf ans, l'euro « fort » a perdu un tiers de sa valeur en dollars américains, en yuans chinois... et en francs de la Suisse, notre voisine lilliputienne. Une « concurrence déloyale » qui irrite Donald Trump et nuit à l'économie de la Suisse, qui ne cache pas son mécontentement.

Cette plongée de l'euro est aussi celle du franc français, qui lui est rattaché par un taux de parité fixe. Elle est passée complètement inaperçue en France. Car la dévaluation de 25 % à 30 % d'une monnaie n'implique pas ipso facto le déclenchement d'une inflation délirante et la contraction drastique du pouvoir d'achat des ménages. L'expérience de la dévaluation de l'euro vient de le démontrer. Cela mérite d'être expliqué aux Français (et aux citoyens européens), qu'on assaille en permanence de menaces des pires catastrophes si la France abandonnait l'euro pour revenir à un nouveau franc. Elle subirait immédiatement une dévaluation de 10 % à 15 %, la destruction de centaines de milliers d'emplois, et cela lui coûterait des centaines de milliards « d'euros », d'après des économistes et des « think-tanks » autorisés. De tels chiffres sont très peu crédibles, car une sortie de la France de la zone euro, ne se limiterait pas à des conséquences « néfastes » pour la France seule. Toute « l'Europe », pour le moins, serait brutalement secouée. Après le Brexit, la survie de l'UE actuelle serait menacée. Or, je n'ai vu aucune évocation d'un tel scénario accompagner les estimations des énormes dégâts à redouter qui ont fleuri. La dévalorisation de l'euro a accéléré le déclin de la ZE, de l'UE et de la France dans le monde. Entre 2008 et 2016, mesuré en dollars courants (première monnaie de réserve mondiale), le produit intérieur brut (PIB) de la ZE a reculé de - 15,4 %, et ceux de tous les pays de la zone ont chuté. Pendant ce temps, le PIB de la Suède (10 millions d'habitants) n'a pas baissé, celui de la Suisse a crû de + 20 %. Il est peut-être temps de revenir sur cette idée « révolue » que plus on est gros, plus on est puissant et dynamique. Actuellement, l'UE est un grand corps malade. Les États-Unis (d'Obama), protégés, ont mieux résisté à la montée asiatique. Leur PIB a progressé de + 26 % (+ 48 % de plus que celui de l'UE). Mais le PIB de l'Inde est monté de + 84 %, et celui de la Chine s'est envolé de + 147 %.

Dans la « mondialisation heureuse », la ZE et l'UE, ouvertes à tous vents et sans projets communs d'envergure, ont perdu beaucoup de terrain en neuf ans. De 30,8 % du montant du PIB mondial en 2008, la part de l'UE est descendue à 22 % en 2016. Si on retire le Royaume-Uni (RU), c'est 18,4 %. En dollars courants, les États-Unis restent la première puissance, avec un PIB représentant 24,6 % du PIB mondial. Celui de la Chine atteint déjà celui de la ZE (avec le RU) et dépasse 15 % du PIB mondial. Ceux qui classent les pays selon leur PIB mesuré « à parité de pouvoir d'achat » (voir explications plus loin), placent la Chine en première position sur la planète. Et la Chine montre un appétit dévorant envers des entreprises qui lui permettent de pénétrer le grand marché européen et/ou d'accéder à de hautes technologies à l'aide desquelles ils visent à faire « monter en gamme » leurs productions. À cet égard, les États-Unis se montrent méfiants et regardants. En France, les « investisseurs », d'où qu'ils viennent et quoi qu'ils « achètent », sont accueillis à bras ouverts, comme des sauveurs de l'emploi.

Dans la deuxième partie de l'article, mon regard, triste, désabusé et inquiet se déplace à l'intérieur de l'UE. Il s'attarde, moult chiffres à l'appui, sur les multiples disparités entre les pays, les inégalités et les disproportions, qui s'accroissent, qui rendent incompréhensible l'acharnement de dirigeants à vouloir faire marcher tous les membres de l'UE au même pas cadencé. Sous la haute autorité bienveillante d'un couple franco-allemand, qui, en cette fin de quinquennat, fait presque irrésistiblement penser, sauf respect dû aux fonctions des personnages, au couple fétiche du célèbre dessinateur humoriste Albert Dubout lors des années 1960-1970. Ce n'est pas drôle !

Au sein de l'Union, le poids de l'Allemagne est devenu écrasant. En 2016, son PIB est de 40 % plus lourd que celui de la France. Il représente un peu plus de 21 % de celui de toute l'UE et 29 % de celui de la ZE. On comprend que F Fillon juge nécessaire d'inverser le cours des choses, de restaurer la compétitivité et la puissance de la France. Dans les échanges intracommunautaires de biens, l'Allemagne tient aussi le premier rang, très au-dessus des autres pays. Derrière les Pays-Bas et la Belgique, spécialisés et performants dans le « commerce de proximité », elle fait partie des grands gagnants qui dégagent de confortables excédents au sein de l'UE. Pour sa part, déficitaire, comme le Royaume-Uni et l'Espagne, le coq gaulois fait partie des dindons de la farce. Et, la France doit redoubler d'efforts à l'exportation hors de l'UE pour parvenir à limiter son déficit commercial.

Au moins trois des candidats à la présidence, MM. Hamon, Macron et Fillon ont inscrit dans leurs programmes une « harmonisation fiscale et sociale » dans l'Union, et ils ne sont pas les seuls à la « demander ». Une question préalable majeure, à ce propos, est : qu'entendent-ils par harmonisation ? Le nivellement ? Nous savons que les avis sont très divisés sur les niveaux, souhaitables ou acceptables, des dépenses publiques et des fiscalités (très liés entre eux), notamment entre la gauche et la droite en France. Mais, surtout, les proposants sont-ils bien conscients des disparités actuelles au sein de l'UE ? Ont-ils « imaginé » de quelle façon cette « convergence », ces harmonisations pourraient être conduites ? Il leur appartient de l'expliquer. Juste pour illustrer la « difficulté » de l'équation à résoudre, et sans entrer dans le détail des impôts et des cotisations sociales, voici les montants globaux annuels des prélèvements obligatoires par habitant (PO/h) de quelques-uns des 28 pays en 2014 : 37.700 euros au Luxembourg, 23.500 euros au Danemark, 18.300 € en Allemagne, 16.000 € en France, 7.700 € en Espagne, 6.300 € en Grèce, 4.100 € en Hongrie, 3.500 € en Pologne, 3.200 € en Lettonie, 2.100 € en Roumanie, et 1.600 € en Bulgarie. De leur côté, en 2015, les « dépenses publiques par habitant » sont de : 39.700 € au Luxembourg, 26.200 € au Danemark, plus de 22.000 € en Suède et en Finlande, 19.300 € en Irlande et en France (dont 8.300 pour la Protection sociale), 8.900 € en Grèce, 4.700 € en Pologne, 2.900 € en Roumanie, et 2.500 € en Bulgarie. « No comment » ! Sinon, que les statisticiens de l'UE et de la France ne jugent pas utile d'afficher ces « indicateurs » édifiants, qu'on peut, cependant, calculer à l'aide de données du FMI et d'Eurostat. Les statistiques « courantes », elles, montrent des écarts beaucoup plus faibles avec des données plus lénifiantes, « consensuelles » : les pourcentages des PO et des dépenses publiques des pays rapportées à leurs PIB. Ainsi, l'hétérogénéité « démesurée » au sein de l'UE ne saute pas aux yeux des « observateurs » pressés, des médias et des politiciens.

Les écarts précédents sont directement liés aux différences entre les niveaux de développement économique et les « richesses nationales» (PIB) des pays. À leurs dimensions démographiques, également. Ils se sont accrus et diversifiés avec les élargissements précipités auxquels l'UE s'est livrée, et qui l'ont fait grossir... non sans fierté. Mais, les gestions de l'euro et de l'UE ont aussi accentué les écarts entre des pays de la « vieille Europe » inégalement dotés et armés. Le sort de la Grèce, souffre-douleur prisonnier de l'euro, en est un témoignage. Des écarts considérables existent aussi dans les pauvretés des habitants des pays membres. Ils sont complètement « évacués» des statistiques « officielles » diffusées. Celles-ci montrent, par exemple, un taux de pauvreté (TP) de 16,7 % de la population en Allemagne en 2014, et de 25 % (taux de pauvreté le plus élevé de l'UE) en Roumanie... sans préciser que le seuil au-dessous duquel on est pauvre est de 11.840 € en Allemagne, et qu'il est de moins de 2.000 € en Roumanie. Et, « ça change tout » !

Pour mieux voir de l'intérieur ce qu'est réellement « l'Europe », et comparer des pays, il n'est plus possible de se fier seuls aux indicateurs officiels. Il serait bon d'avoir recours aussi à de plus crédibles. Aux cœurs de l'UE et de la ZE, le surendettement se développe, se propage et s'étend avec volupté. Maastricht avait fixé à 60 % du PIB le pourcentage de la dette publique à ne pas dépasser par les pays. En 2015, le taux de la zone euro atteint 90,7 %. La France est à 96 % et la Grèce, à 177 %.

Pour ceux qui gouvernent l'UE, l'endettement est un « moteur» indispensable à la croissance. L'abondance des liquidités créées et les taux d'intérêt bas n'ont, évidemment, pas incité les États à « contenir » les dettes. Au contraire. Des pressions s'exercent même pour augmenter les « capacités » d'endettement des pays en « mutualisant » au niveau européen une partie de leurs dettes, celle qui est au-delà des 60 % initialement autorisés. Sans succès, jusque-là. La « solidarité » de l'Allemagne, garant potentiel en dernier ressort, semble avoir atteint ses limites. Parmi nos candidats à la Présidentielle, B Hamon s'est déclaré favorable à cette mutualisation. Comment l'UE et l'euro pourront-ils sortir de la tourmente et de l'impasse dans laquelle la politique suivie et l'endettement les (nous) enferment ? Prolonger indéfiniment l'inondation monétaire et des taux d'intérêt aussi bas n'est pas possible.

Et, cependant, un sevrage (tardif) pour réduire la dépendance à la drogue ne semble pas à l'ordre du jour. Alors, en tant que citoyen français, je pose ici solennellement à Mario Draghi (le patron de la BCE) la question : « Governatore, quo vadis ? ». Après ce long résumé, on pourrait presque considérer le corps de l'article qui suit comme une annexe explicative et détaillée. Il comporte, toutefois, également, des précisions et des observations complémentaires instructives que je n'ai pas casées dans les trois pages précédentes.
 

I. - Politique monétaire et financière : panique et malencontreuses conséquences

Planche à billets, laminage des taux d'intérêt et dévaluation de l'euro, des armes « fatales »... épuisées en vain L'UE et la BCE s'autorisent ce qui a été formellement interdit aux États membres. La BCE inonde « le marché » de liquidités, maintient les taux d'intérêt à des niveaux très anormalement bas et « déprécie » ainsi l'euro... pour « encourager » l'investissement et redonner de la « compé- titivité » à la zone euro, car il s'agit bien de« déva luation compétitive ». Le mythe de « l'euro fort » a fait long feu.

La politique monétaire très expansive de la BCE en échec

À fin 2016, le bilan de la BCE « explose » à 3.663 Mds € (1), contre 2.360 Mds au printemps 2015, avant le lancement du programme d'achat de dettes de pays de la ZE dans le cadre du QE. Par le QE, la BCE achète aux banques une partie de leurs actifs financiers (obligations d'État ou d'entreprises), accroissant la masse de monnaie en circulation. Ce programme vient d'être prolongé jusqu'à fin 2017, avec un plafond d'achats mensuels de 60 Mds €. Au besoin, il sera prolongé davantage, a-t-il été décrété.

La BCE a déjà consacré 1.400 Mds € au QE. Ce sera près de 2.000 Mds € à la fin 2017 ! Depuis des mois, des « spécialistes » se demandent pour quels résultats. Et l'UE elle-même est dubitative. Cependant, « Que ce soutien soit réduit en efficacité ne change rien à l'affaire : il faut maintenir ce filet de sécurité ». A noter que « ce soutien» comprend aussi le « Plan Junker » d'aide à l'investissement, trop modeste pour avoir un impact notable. Hantée par la peur de voir s'aggraver le désintérêt des entreprises pour l'investissement, la BCE ne lâche pas son autre « soutien », sa politique d'argent gratuit. Elle maintient son taux directeur (de réescompte) à 0 %, son taux de facilité marginale à 0,25 %, et son taux de dépôt à - 0,4% !

Le QE et les autres soutiens n'ont pas « relancé » la croissance. La légère reprise observée est attribuable en partie à la baisse des cours des matières premières. Nous sommes loin des 2 % d'augmentation des prix visés. Or, sans inflation, obtenir une croissance solide est considéré comme problématique. Les salaires nominaux hésitent à repartir à la hausse. L'investissement productif aussi. Les entreprises préfèrent utiliser leurs ressources propres et l'emprunt pour réaliser des opérations financières (rachats de leurs actions, fusions, absorptions...). En fournissant gratuitement de l'argent aux banques, le QE a ainsi plongé l'économie de la zone euro dans une « trappe à liquidité », ou surabondance par rapport à la demande.

« Entreprises zombies et États vampires prolifèrent avec les taux bas »

C'est le titre d'un article de Contrepoints (2) qui fait état d'un rapport récent de l'OCDE, qui s'inquiète du nombre croissant d'entreprises « zombies » insuffisamment rentables qui ont du mal à rembourser leurs dettes. Il attribue cette « prolifération » à l'abondance de crédits bon marché qui permet à des entreprises à faible rentabilité de se financer facilement et ne les oblige pas à hiérarchiser leurs projets en fonction, précisément, de leur rentabilité... et qui dépensent plus qu'elles ne devraient. Cette « mauvaise allocation des ressources » ralentit la progression de la productivité. Un tableau présente l'évolution de 2005 à 2015 de la productivité dans vingt pays. Pour l'Allemagne, après avoir baissé avec la crise, en 2008 et 2009, puis retrouvé des taux de hausse de plus de + 2 % par an en 2010 et en 2011, la productivité a ralenti pour progresser à un rythme voisin de + 0,6 %. Même type de parcours pour la France, où le taux de progression a fléchi d'environ + 1 % en 2010-2011 à moins de + 0,3 % de 2012 à 2015. Un tel affaiblissement est observé aussi dans les 11 autres pays de l'UE du Nord et du Sud examinés. L'impact de ce ralentissement de la productivité pèse lourdement sur la croissance économique dans l'UE.

« Les États vampires se nourrissent aussi de taux bas ». Ils peuvent emprunter à vil prix, sans se préoccuper autant que nécessaire de la « rentabilité» de la dépense publique. Vu les niveaux atteints par les dettes, gare aux conséquences de l'inévitable remontée des taux d'intérêt, actuellement retardée par tous les moyens.

Une austérité imposée aux États membres, clivante, de plus en plus contestée

La politique monétaire n'a pas permis la relance. Pour Mario Draghi, gouverneur de la BCE, cela prouverait que la politique monétaire ne peut pas tout faire. En cela, il est du même avis que Joseph Stiglitz, qui suggère « une politique budgétaire plus active ». Comme nombre de dirigeants européens de partis de gauche, surtout du Sud, et/ou « populistes », qui désirent libérer, désenclaver la dépense publique. Pour eux, les restrictions imposées par le traité de Maastricht sont trop et indûment contraignantes. L'austérité (un mot banni par nos politiciens) qui en résulte nuit à la croissance et à l'emploi. C'est le contraire pour les « patrons » de l'UE, qui tentent d'accroître la pression pour faire baisser les déficits publics des pays... en accord avec des dirigeants nationaux, plus souvent de droite et/ou de pays du Nord, qui estiment que c'est une condition sine qua non pour sauver l'euro et l'UE.

Une forte dévaluation de l'euro plus dévastatrice que bénéfique

Une dévaluation « compétitive », déloyale ?

Le QE a eu un fort impact sur le taux de change de l'euro. L'annonce du QE au printemps 2014 a provoqué une anticipation des investisseurs et la chute du cours de l'euro par rapport au dollar, qui est tombé de 1,395 $ au début avril 2014 à 1,076 $ au 31 mars 2015. Cet effondrement de plus de 20 % a stimulé les exportations de la zone (surtout celles des pays qui étaient déjà les plus compétitifs) et soutenu un peu l'activité. Ensuite, pendant la massive injection monétaire, le cours de l'euro a fluctué pour se trouver à 1,066 $ le 13 mars 2017.

En fait, la chute du cours de l'euro a commencé bien avant 2014. Le 30 août 2008, l'euro était à un « sommet », à 1,575 $. Depuis, au 13 mars 2017, l'euro a perdu 32 % par rapport au dollar (3). Cela n'est pas bien grave, nous a-t-on rassuré, les États-Unis ne « pèsent » plus que de l'ordre du 1/6 des échanges extérieurs de biens de la ZE. L'euro a perdu 34 % de sa valeur par rapport au yuan chinois (CNY) entre le 18 mars 2008 et le 13 mars 2017, en tombant, avec des soubresauts, d'un sommet à 11,168 CNY jusqu'au niveau de 7,369 CNY, après avoir heurté un plancher à 6,86 CNY en 2015 (4). Pas grave ? La Chine pèse entre 1/5 et 1/4 des échanges de biens de la ZE. Même chose avec notre voisine lilliputienne, la Suisse (41 225 km² et 8,2 millions d'habitants), qui, à elle seule, pèse environ 7 % des échanges extérieurs de la ZE. Le 14 juillet 2008, un euro valait 1,621 franc suisse (CHF). Le 13 mars 2017, il ne valait que 1,074 CHF (5). Entre ces deux dates l'euro a perdu le tiers de sa valeur en CHF. M. Trump fulmine contre cette « concurrence déloyale » et menace de sanctions les pays qui dévaluent « artificiellement » leur monnaie. L'UE est dans le viseur, l'Allemagne ainsi que la France étant les principales cibles. Les Suisses se plaignent aussi. Ils ont d'énormes difficultés à juguler la pression à la hausse exercée sur le CHF par l'effondrement de l'euro, jugé néfaste pour les exportations et les activités touristiques du pays (6).

Pendant ce temps, la BCE présente une dépréciation « allégée» de l'euro

La BCE n'ignore pas les évolutions chaotiques des taux de change qui déprécient l'euro. Mais elle préfère « amortir le choc » [qui pourrait être salutaire] en présentant celle, moins abrupte, d'un taux de change effectif de l'euro (« daily nominal effective exchange rate »). Le 18 décembre 2008, ce taux était à son sommet, à une hauteur de 114,458. Le 10 mars 2017, il était descendu à 94,144. Une baisse de l'euro de - 17,4 %... seulement. Ce taux est calculé à l'aide des taux de changes bilatéraux avec 19 partenaires commerciaux de la ZE, en tenant compte des poids respectifs de ces échanges (7). Ensemble, ceux des États-Unis, de la Suisse, indiqués cidessus, « pèsent» 45 % du total. Parmi les partenaires se trouvent aussi l'Australie, le Canada, le Japon, la Corée du Sud, la Norvège... ainsi que 9 pays de l'UE qui n'ont pas adopté l'euro. Ils comptent le Royaume-Uni, la Pologne et, plus « modestes », la Bulgarie et la Croatie. Le poids de ce groupe de 9 pays est de 37,4 %, et les échanges commerciaux de la ZE avec ces 9 pays constituent le principal ralentisseur de la chute de l'euro. Merci à eux !

Pourquoi une dévaluation de l'euro de cette ampleur passe inaperçue en France

J'insiste un peu sur le sujet ici, car cette dégringolade de l'euro est aussi celle du franc français, arrimé à l'euro par un taux de change fixe de 6,55957 FRF pour 1 €. La forte dévaluation de l'euro est passée quasiment inaperçue des citoyens d'abord parce que personne n'a jugé utile de les alerter. « On » s'est évertué à nous faire croire que c'était bon pour notre balance commerciale, pour la croissance et l'emploi, sans chiffres ni explications. C'est surtout parce que 25 % (par exemple) de baisse de la valeur de notre monnaie par rapport à celles de nos partenaires commerciaux ne signifie pas dévalorisation de 25 % du patrimoine des agents économiques et diminution de 25 % du pouvoir d'achat des ménages. La plus grande partie de nos dépenses de consommation de biens et de services ainsi que d'investissement ne dépendent pas d'importations ou, pour certaines, indirectement, très partiellement. En France et dans la ZE, l'impact baissier sur le pouvoir d'achat des ménages et sur celui des administrations publiques a été beaucoup plus limité. Et l'impact haussier sur les prix a été nettement inférieur à ce qui était espéré par Bruxelles et Francfort.

Des conséquences d'une éventuelle sortie de l'euro très mal « évaluées »

Cette méconnaissance des faits et de leur impact réel explique grandement pourquoi nous sommes aujourd'hui devant un mur de lamentations et de craintes de faillite généralisée dans l'hypothèse où la France abandonnerait l'euro, comme plusieurs de « nos candidats» l'envisagent. Il est vrai que de telles craintes sont nourries avec assiduité par des imprécations et des menaces des pires catastrophes si le pays reprenait sa liberté monétaire.

L'institut Montaigne est un « think tank » qui se dit « indépendant ». Il a été fondé par Claude Bébéar, ex grand patron, d'AXA notamment. Il est dirigé par Laurent Bigorgne (8), qui soutient Emmanuel Macron à l'élection présidentielle. Son Conseiller économique, Charles Nicolas, a été chef économiste du groupe AXA, après l'avoir été à la Morgan Stanley Bank. Se référant aux propositions du FN, à l'aide de son « modèle économique », il a produit récemment une « estimation chiffrée de l'impact d'une sortie de l'euro », exposée en mars dans un article intitulé « Sortir de l'euro et restaurer une monnaie nationale, le franc » (9).

Une des sanctions immédiates en serait une dépréciation de l'ordre de – 15 % de la nouvelle monnaie. Un choc inflationniste de + 3% à + 4% frapperait le pouvoir d'achat des ménages. La dévaluation n'aurait pas d'impact positif sur la compétitivité des entreprises et sur les échanges extérieurs, au contraire (!?). Le PIB diminuerait de - 0,6 % la première année, et de – 4 % à -13 % à long terme, suivant des scénarios plus ou moins « favorables » ou « défavorables ». Les taux d'intérêt s'envoleraient (de combien, vu la surabondance de liquidités et les fragilités des autres pays du Sud ?), renchérissant le service de la dette privée et de la dette publique. L'instauration du contrôle des changes n'empêcherait pas des fuites de capitaux d'entreprises et aussi de ménages (!?), etc.

Les suites immédiates du Brexit, qui ont démenti toutes les prévisions du même type, et ce que nous vivons avec la dévaluation de l'euro montrent que de telles prévisions méritent, pour le moins, d'être réellement démontrées. En n'omettant pas d'imaginer, d'expliciter et de tenir compte des bouleversements qui secoueraient l'Europe et déstabiliseraient l'UE et l'euro. Sans ces « références », aucune évaluation ne peut être crédible. Il serait temps que ces sujets entrent de plein pied dans la campagne présidentielle et donnent lieu à des argumentations claires et compréhensibles. Sinon, nous resterons sur cette opposition caricaturale et stérile entre des « intimes convictions » mal fondées. « Sans « l'Europe », point de salut ; la France est trop petite pour s'en sortir », du côté des euro béats, face à, « l'euro est une catastrophe pour la France, les technocrates incompétents de Bruxelles sont à la source de tous nos maux », du côté des euro critiques, qui « sont contre l'Europe ». Il ne faudra pas s'étonner de voir le « populisme » continuer à avancer dans l'UE, le méfiances se figer et les tensions se durcir.

Un déclin accéléré de l'UE et de la zone euro

La grande crise de 2008 ainsi que la gestion économique et financière de « l'Europe », avec la dépréciation de la monnaie « unique », en particulier, ont accéléré le déclin de la zone euro (ZE) et de l'UE dans le monde. Entre 2008 et 2016, mesuré en dollars courants, le PIB de la ZE a reculé de - 15,4 %. Les PIB de tous les pays de la zone ont baissé. Même ceux de l'Allemagne, de - 6,3 % et de l'Autriche, de - 9,8 %. Et, plus encore, ceux de la France, de - 15,3 %, des Pays-Bas, de - 18,1 %, de l'Italie, de - 22,9 %, de la pauvre Grèce, sous perfusion, de – 45 %. On peut observer que dans l'UE, hors zone, les baisses des PIB ont été limitées : à - 14,2 % au « petit» Danemark, à - 11,8 % en Pologne et, à - 8,8 % au Royaume-Uni (RU) de 2008 à 2016. Ce ne sera sans doute que de – 10 % de 2008 à 2017, impact du Brexit compris, selon le FMI. Le PIB de la Suède, pays de 10 Mi d'habitants, lui, n'a pas baissé. Hors de l'UE, le PIB de la Suisse a crû de près de + 20 %. Plus loin de l'Europe, toujours entre 2008 et 2016, chez les « Grands », le PIB du Brésil a augmenté de + 4,4 %, le PIB des États-Unis (où est née la crise des « subprimes » en 2008, « exportée » avec succès chez nous), de + 26 %, celui de l'Inde, de + 84 %, et le PIB de la Chine, de + 147 %.

Le PIB de l'UE représentait 30,3 % du PIB mondial en 2008. À 16.519 Mds $ (Royaume-Uni inclus), ce n'est plus que 22 % en 2016. Celui de la ZE est descendu de 22,4 % à 16 %, soit, à 11.991 Mds $. Et ces baisses vont se poursuivre. La part des États-Unis dans le PIB mondial a progressé de 23,2 % à 24,6 %. Leur PIB, de 18 562 Mds $, est ainsi de 33,8 % supérieur à celui de l'UE sans le RU. Par rapport à « l'Europe », ils ont pris le large. En dollars, ils sont la première « puissance mondiale », encore loin devant la Chine, dont le PIB est de 11 392 Mds $ en 2016 (10). Parenthèse : Il est devenu courant de comparer aussi les « puissances » ou les « richesses » des pays en se référant à leur PIB mesuré à parité de pouvoir d'achat (PPA), c'est à dire en tenant compte des différences entre les prix pratiqués dans les pays. En prenant en référence les prix pratiqués aux États-Unis, lorsqu'il s'agit de comparaisons mondiales. Cela a pour effet de relever les PIB exprimés en PPA des pays où les prix sont les plus faibles et d'abaisser les PIB des pays où les prix sont plus élevés... et d'aboutir ainsi à un autre classement des pays. De cette façon, en 2016 : le PIB des États-Unis reste à 18.562 Mds $ PPA, celui de l'UE, RU inclus, monte à 20.745 Mds $ PPA, tandis que celui de la Chine s'élève à 21.269 Mds PPA, et passe au premier rang mondial. Ces PIB exprimés en PPA ne traduisent pas les pouvoirs d'achats réels des pays dans le commerce international. Ils constituent, cependant, des repères, intéressants, complémentaires des évaluations monétaires classiques.

Une expansion et un appétit chinois inquiétants

Les toujours plus nombreux touristes asiatiques (lors des accalmies du terrorisme islamique et de l'insécurité « ordinaire ») sont accueillis à bras ouverts chez nous. Mais la dépréciation de l'euro et l'ouverture « déprotégée » de l'UE ont aussi fait de l'Europe, la « première cible de la Chine dans le monde » (11). Les investissements des groupes publics et privés chinois en Europe battent des records (12). En 2014, déjà, le groupe Dongfeng avait « renfloué » notre automobiliste PSA, alors en piteux état (actuellement sur le point de racheter OPEL), et mis la main sur 14 % du capital de PSA, soit autant que la famille Peugeot et que l'État français. Au cours des dernières années, les acquisitions se sont accélérées, faisant entrer, souvent totalement ou majoritairement, dans le giron chinois : le port du Pirée (acquis à 67 % par Cosco), l'industriel italien Pirelli (racheté par China Chemical Corporation), le Club Med (OPA de Fosun), l'aéroport de Toulouse Blagnac (par le consortium Symbiose), Kuka, un groupe allemand faisant partie des leaders mondiaux des robots, Servair, filiale restauration d'Air France-KLM, Louvre Hotels, et ses chaines Campanile et Kyriad, acheté par Jin Jiang, qui a aussi accéléré sa montée au capital d'ACCOR Hotels.

La Suisse a signé un accord de libre-échange avec la Chine en 2014. Elle y a établi « quelque 800 à 1.000 entreprises» et filiales (13). Libérale, mais pratiquant une protection sélective intelligente, elle accepte sans rechigner les acquisitions chinoises, telle celle du groupe aéroportuaire Swissport en 2015. Elle est favorable au rachat du fleuron de l'agronomie suisse Syngenta, n° 1 mondial des pesticides, pour lequel l'entreprise ChemChina offre 43 Mds $. Le groupe ainsi formé serait de poids, face au « mastodonte » Bayer-Monsanto. L'affaire pourrait n'être conclue que d'ici fin juin en raison de réticences d'autorités de la concurrence des États-Unis et de l'UE. « Avec 4.000 milliards de dollars de réserves de change », la Chine développe une politique d'expansion internationale en aidant ses entreprises publiques et privées à acheter des sociétés, européennes en particulier, car l'euro est faible et, selon nombre de chinois, les valeurs des actifs des entreprises ont été laminées. L'achat à l'étranger est aussi un moyen « légal » pour les patrons de groupes chinois de sortir des capitaux.

Autre avantage pour les Chinois, la concurrence entre les pays de l'UE, et des régions, à l'intérieur de ceux-ci, pour « bénéficier » d'investissements étrangers, quels qu'ils soient. Même s'il s'agit d'un aéroport, d'un port ou de terres agricoles fertiles. Ils se trouvent en position de force dans les négociations avec les vendeurs. La stratégie du gouvernement de Pékin vise à réorienter les entreprises vers des productions plus haut de gamme, qui font appel à des technologies plus complexes. Il est à la recherche d'un savoir-faire auquel il a davantage de difficultés à accéder aux États-Unis, plus méfiants et plus protectionnistes que les « Européens ». En 2015, la Chine aurait déboursé 25 Mds $ pour des acquisitions aux EU, contre 423 Mds $ de tentatives rejetées (11). À cet égard, l'Allemagne et l'UE sont bien disposées envers les « partenaires commerciaux » qui ouvrent leurs marchés à leurs exportations. Même si, en matière de protection et de prises de participations dans des entreprises locales, une « franche réciprocité » n'est pas observée. Ainsi, en Chine, l'armement, la poste, le tabac, l'information et l'Internet sont explicitement « tabou pour les étrangers » (13), et l'accès aux autres secteurs est contrôlée de près. Un telle attitude est reprochée à la Chine. Par les Américains d'abord. Mais, maintenant, aussi en Europe, où la peur de voir la Chine s'emparer de secteurs stratégiques commence à percer.

Malgré cela, il est de bon ton chez nos gouvernants, chez des économistes médiatisés, et, plus encore dans le milieu financier et à la tête de « nos » multinationales, de se lamenter parce que la croissance du PIB chinois (ainsi que d'autres gros Asiatiques) n'est plus à deux chiffres et ralentit, jusqu'à « n'être plus que» de + 5 %, + 6 % ou + 7 % par an. Elle « freine » la croissance mondiale, et la nôtre, par conséquent, qui patine entre + 1 % et + 2 % par an, récent « redressement » compris. Pourtant, ces chiffres montrent qu'entre la Chine et l'UE, l'écart est encore considérable. À ce rythme, si notre monnaie unique cesse de se déprécier, dans dix ans les PIB de l'UE et de la zone euro auront encore perdu un tiers de plus de leur valeur par rapport à celle du PIB chinois.

 

II. - À l'intérieur de l'UE, d'insoutenables déséquilibres et disparités

Domination allemande et pertes en ligne pour la France

Le poids de l'Allemagne est devenu écrasant

Le PIB de l'Allemagne « écrase » de plus en plus ceux des autres pays de la ZE. D'après les données du FMI, en 2016, il est de + 40,6 % supérieur à celui de la France, contre + 28,4 % en 2008. Il est de + 88,7 % supérieur à celui de l'Italie, contre + 57 % en 2008. Son montant est 4,5 fois celui des Pays-Bas, contre 4 fois en 2008. Ne parlons pas de la Grèce, dont le PIB ne vaut plus en 2016 que 5,6 % de celui de l'Allemagne, contre 9,4 % en 2008. Cette domination presque sans partage de l'Allemagne, due à sa sur-compétitivité et à un euro sous-évalué pour elle, se fait en partie au détriment d'autres pays de l'UE dont elle dégrade les comptes extérieurs. Des ressortissants de pays européens s'accrochent désespérément à « l'Europe » par peur que leur pays devienne « invisible » sur la carte du monde. C'est ce qui est en train de leur arriver à l'intérieur de l'UE et de la ZE... sans pour autant qu'ils soient plus visibles sur le globe. Vaut-il mieux être « petit », mais indépendant et dynamique, ou être absorbé, phagocyté par un plus grand corps malade qui ne peut survivre sans se bourrer d'amphétamines ? À leur façon, le Danemark et la Suède, vis à vis de l'euro, ainsi que le Royaume-Uni et aussi la Suisse, à l'égard de l'UE ont apporté leurs réponses à cette question. D'autres pays s'interrogent. Dans le cas de la Grèce, il y a urgence ! C'est rendre un très mauvais service au pays et à ses habitants que de la conserver dans la zone euro où elle est en train de rabougrir et de se désagréger. Je l'ai déjà écrit, il faut l'aider intelligemment et autant que nécessaire à en sortir. Sinon, il n'en restera que des ruines, et ce sera toujours un boulet pour l'euro et l'UE.

Commerce intracommunautaire : l'Allemagne, les Pays-Bas et la Belgique, grands gagnants ;

le Royaume-Uni, la France et l'Espagne, grands perdants

Avec un excédent commercial de + 176,3 Mds € en 2015, pour 388,8 Mds d'exports de biens dans l'UE, les Pays-Bas « profitent » le mieux du « grand marché uni- que » . À l'extérieur de l'UE, ils accusent un déficit de - 125,4 Mds €. Avec un montant de 692,8 Mds €, l'Allemagne est, de loin, le premier exportateur intracommunautaire. Cela lui vaut un excédent substantiel de + 71,2 Mds, qui vient s'ajouter aux + 177 Mds € d'excédent avec le reste du monde. La Belgique aussi profite bien du marché de l'UE. Elle y exporte pour 257,1 Mds € et dégage un excédent de + 44,8 Mds €. Moins heureuse à l'extérieur de l'Union, elle enregistre un déficit de - 25,2 Mds € hors de celle-ci. Pour le commerce intracommunautaire de biens, c'est le Royaume-Uni qui remporte la cuiller de bois, avec un déficit de - 118,6 Mds €. À l'extérieur de l'UE, elle perd encore - 51,2 Mds. Mais, avec la « City », première place d'Europe de la finance et de l'assurance, il regagne des points dans les échanges des services. Sur le podium des perdants, le coq gaulois est aussi l'un des dindons de la farce. Le montant des exportations de biens de la France dans l'UE, 268,1 Mds, est à peine supérieur à celui de la Belgique, et nous enregistrons un déficit de - 85,8 Mds €. Notre excédent commercial hors de l'UE, + 21,4Mds €, ne le compense que très partiellement. Merci à la désindustrialisation et à l'affaiblissement de l'agriculture qui sévissent dans notre pays.

Les déficits de l'Espagne sont de - 56,4 Mds € à l'intérieur de l'UE et de - 21,4 Mds avec l'extérieur.

L'Italie s'en sort mieux que la France, avec + 8,6 Mds d'excédent à l'intérieur de l'UE, et + 33,2 avec l'extérieur. De son côté, la Grèce souffre de déficits d'environ - 9 Mds à l'intérieur et à l'extérieur des frontières de l'UE. Grand pays de l'Est, la Pologne est bénéficiaire de + 17,1 Mds à l'intérieur de l'UE et perd -14,8 Mds à l'extérieur. Parmi les 28 pays membres (en 2015), on peut encore observer des écarts « gigantesques» entre les montants des exportations des premiers pays cités et celles des plus petits. Ensemble, les exports de Chypre et de Malte n'atteignent pas 2,5 Mds. Réunis, ceux de l'Estonie, de la Croatie et de la Lettonie sont inférieurs à 12 Mds € (14). Peut-on regarder de la même façon ces différents pays et exiger d'eux d'égales performances ? Trop d'hétérogénéité pour « plus d'intégration » et pour une « harmonisation fiscale et sociale » synonyme de nivellement Pour des raisons essentiellement de « haute politique », et avec la conviction que plus on est gros, plus on est fort, l'UE et la ZE ont été élargies dans la précipitation bien audelà du souhaitable. Aujourd'hui, l'UE et la ZE sont « pénalisées » par une très grande hétérogénéité, qui rend très hypothétique cette « harmonisation fiscale et sociale » souvent réclamée depuis des années. Sans même regarder les différences des mentalités, des orientations politiques et sociétales, des préoccupations prioritaires dans les pays, les seules conditions matérielles et économiques rendent difficile à comprendre l'acharnement de certains à vouloir faire marcher toute « l'Europe » au même pas cadencé en partageant une même vision politique, sinon une « pensée unique» . Le réalisme économique conduit, lui aussi, à préférer une vraie Europe des nations Populations : Sur les 508,2 millions (Mi) d'habitants des 28 pays de l'UE en 2015, à eux seuls, 4 pays, l'Allemagne, 81,2 Mi, la France, 66,4 Mi, le Royaume-Uni, 64,8 Mi, et l'Italie, 61,8 Mi, en hébergent 53,7%. Avec l'Espagne, 46,4 Mi, et la Pologne, 38,0 Mi, ces 6 pays comptent 70,4% de la population de l'Union (15).

Les 22 autres s'en partagent 30 %. Ensemble, les 7 plus petits n'hébergent que 10,1 Mi d'âmes : chacun des trois Baltes et la Slovénie en ont moins de 3 Mi, Chypre en compte, 0,85 Mi, le Luxembourg, 0,56 Mi, et Malte, 0,43 Mi. Disparité des puissances économiques (PIB) : C'est le FMI qui fournit les données les plus récentes et les plus complètes sur le sujet (10), aussi bien en dollars qu'en euros. En 2015, le PIB de l'Allemagne, 3.030 Mds €, représente près de 30 % du PIB de la zone euro. En ajoutant les PIB du Royaume-Uni et de la France, supérieurs à 2.000 Mds €, et ceux de l'Italie et de l'Espagne supérieurs à 1.000 Mds €, le PIB cumulé de ces 5 pays atteint 10 500 Mds €, soit 71,5 % du PIB total de l'UE, évalué à 16.300 Mds. Les 23 autres pays membres se partagent les 28,5 % restants. Le PIB moyen de ces 23 pays est de 182 Mds €. Et parmi eux, ceux de Malte, 8,8 Mds, de Chypre, 17,9 Mds et de la Lettonie, 24,3 Mds, sont inférieurs à 1 % de celui de l'Allemagne. Ceux de la Bulgarie et de la Croatie, proches de 44 Mds €, n'en atteignent pas 1,5 %. Des écarts considérables des PIB/habitant : Les données du FMI permettent aussi d'observer une échelle très « étirée » des PIB / habitant au sein de l'UE. En 2015, au sommet se trouvent le Luxembourg (ex ? paradis fiscal), à 95.600 €, l'Irlande, à 59.200 €, le Danemark, à 47.000 €, et la Suède, à 45.100 €. Dans une fourchette de 37.000 à 40.000 €, suivent les Pays-Bas, le RU, la Finlande, l'Autriche et l'Allemagne. La France en dixième position, avec un PIB/habitant de 34.000 €, est au-dessus de la moyenne de l'UE, de 28.200 €.

Sur les premières marches du bas de l'échelle, on trouve : la Bulgarie, à 6.100 €, soit 13 % du PIB/h du Danemark et 22 % de la moyenne de l'UE (mUE), devant la Roumanie (20 Mi d'habitants), à 8.100 €, soit à 29 % de la mUE. Un peu plus haut, se trouvent la Croatie, à 10.400 €, ainsi que la Pologne et la Hongrie (47,9 Mi h, ensemble), à 11.000 €, soit moins de 1/4 des PIB/h du Danemark et de la Suède, et moins de 30 % de celui de la France.

Compte tenu de l'ampleur de ces « inégalités » (dont on s'abstient de nous parler), l'UE préfère présenter les PIB et les PIB/habitant à « parité (ou standard) de pouvoir d'achat (SPA) » (16). De cette façon, le PIB/h du Danemark, qui est de + 67 % supérieur à la mUE en euros courants, ne l'est plus que de + 24 % en euros SPA. Dans le bas de l'échelle, en euros courants, les PIB/h sont inférieurs à la moyenne de l'UE de – 61 % pour la Pologne et la Hongrie, de – 71 % pour la Roumanie et de – 78 % pour la Bulgarie. Le passage en SPA ramène ces trois écarts à – 31 %, - 43 % et – 54 %. En SPA, le PIB/h du Danemark n'est plus que de + 80 % supérieur à celui de la Pologne et de la Hongrie, alors qu'il est 4 fois plus élevé en euros courants. L'UE tente ainsi de réduire les fortes inégalités dans l'Union. Hélas, pour les pays pauvres et leurs habitants, dans le commerce sur le Grand marché unique européen, ce sont les euros sonnants et trébuchants qui ont cours.

Faut-il et peut-on « niveler» les dépenses publiques des pays ?

Pour l'année 2015, Eurostat présente un tableau (habituel) des taux de dépenses publiques (DEPU) des pays de l'UE en % de leur PIB (17). La Finlande y est la plus forte dépensière, avec un taux DEPU/PIB de 58,3 %. Elle est talonnée par la France, à 57 %, le Danemark, à 55,7 %, et la Grèce, à 55,3 %. Dans le milieu du tableau, les Pays-Bas sont à 45,1 %, l'Allemagne, à 43,9 %, Malte et l'Espagne, à 43,3 %, et le Royaume-Uni, à 43 %. Les 4 pays les plus « économes » sont la Lettonie à 37,2 %, la Roumanie, à 35,5 %, la Lituanie et l'Irlande, à 35,1 %. La moyenne de l'UE est de 47,4 %. Et l'écart entre les taux extrêmes, 58,3 / 35,1, est de 66 % (du plus faible).

Si l'on s'en tient à ces chiffres, que peut signifier « harmoniser » les dépenses publiques ? Faire « converger » tous les pays vers la moyenne de l'UE ? Demander à la France de réduire sa DEPU de – 17 % pour amener son taux près de 47,4%. Demander à la Roumanie, à la Lituanie et à l'Irlande de dépenser beaucoup plus, de l'ordre de + 30 %, pour se rapprocher de la moyenne. En combien de temps, 20 ans, 50 ans ? Moyennant quels changements d'orientations politiques, sociales, stratégiques ? Avec quelles justifications et pour quels espoirs ? Jusqu'où peut-on pousser les pays « pauvres », à relever leurs prestations sociales, et les PO qui vont avec, afin de mettre fin aux « concurrences déloyales » ? Et d'éviter celles, liées à des directives inadaptées de l'UE concernant « les travailleurs détachés », par exemple, à sa directive Bolkestein et aux railleries méprisantes de la Commission et d'européistes devant la « peur du plombier polonais ». La présentation des taux DEPU/PIB est très insuffisante, sinon trompeuse, car elle ne tient pas compte des différences, parfois énormes, entre les PIB/habitant des pays. « ...Le montant de Dépense publique/habitant est un indicateur plus significatif et réaliste, surtout s'il s'agit ‘’d'harmoniser’’ ». Il révèle des écarts considérables (18).

 

En réalité, le premier dépensier public par habitant est évidemment le Luxembourg, au haut niveau de 39 700 €/h. Le second est le Danemark, à 26 200 €/h, et les suivants, la Suède, à 22.900 €, la Finlande, à 22.300 €, puis l'Autriche, à 19.600 € Comme l'Irlande, la France est à 19.300 €. Mais par rapport au PIB, le taux de DEPU de la France est de 57 %, tandis que celui de l'Irlande n'est que de 35,1 %. Dans l'ensemble de l'UE, la dépense publique moyenne par habitant est de 13.400 €. Parmi les pays aux dépenses faibles, se trouvent notamment : l'Espagne, à 10.000 €, la Grèce, à 8.900 €, la Hongrie, à 5.600 €, la Pologne à 4.700 €, la Lettonie, à 4.600 €, la Roumanie, à 2.900 € et la Bulgarie à 2.500 €... soit 10,5 fois moins que le Danemark et presque 8 fois moins que la France. Ces chiffres nous questionnent encore davantage sur ce que peut signifier « harmonisation »... tant que de tels écarts existeront entre les niveaux de développement et de « richesse national » des États membres. C'est par eux que l'harmonisation doit commencer... si on y croit encore !

Le même casse-tête pour une harmonisation fiscale.

Les mêmes questions se posent pour les prélèvements obligatoires (PO). Cependant, les taux des PO rapportés aux PIB des pays (TPO) les plus récents communiqués à l'Insee par Eurostat sont ceux de l'année 2014 (19). Au sommet, 3 pays sont nettement au-dessus des autres, le Danemark, avec un TPO de 50,8 %, la Belgique, à 48 % et la France, à 47,7 %. En dessous, entre 44 % et 43,5 %, 4 pays sont au coude à coude, la Finlande, l'Autriche, la Suède et l'Italie. Les TPO des 21 autres pays sont inférieurs au taux moyen de l'UE, de 40 %. L'Allemagne, le Luxembourg et la Grèce en sont très proches, entre 39,7 % et 39 %. Dans l'UE de l'Est, la Hongrie et la Slovénie se distinguent par des taux de PO de 38,4 % et 37 %, déjà bien éloignés du sommet de l'échelle. Les taux des 8 autres pays sont inférieurs à 34 %. Ceux de 4 d'entre eux sont en dessous des 30 % : la Lettonie, à 29,3 %, la Lituanie, à 27,9 %, la Bulgarie, à 28,4 %, et la Roumanie, à 27,7 %.

Ainsi, du sommet au bas de l'échelle, le TPO du Danemark est de + 83 % supérieur à celui de la Roumanie. Parenthèse : Les 10 TPO élevés précédents traduisent un haut niveau d'implication, d'engagement, voire de dirigisme, de la part de l'Etat dans ces 10 pays. Tout comme « le gouvernement de l'UE », qui piétine la subsidiarité et désire tout régenter. Il me parait inapproprié de qualifier les régimes de ces pays de « libéraux » ou « sociaux-libéraux », comme c'est la mode. Parmi les « riches » de l'UE, seuls les Pays-Bas, avec un taux de 38 %, le Royaume-Uni, à 34,4 %, et l'Irlande, à 30,5 %, peuvent justifier une telle appellation. L'examen des montants des PO par habitant (PO/h) montre une réalité beaucoup plus contrastée. Le montant du PO/h du Danemark est de 23.500 €. Celui de Roumanie est de 2.100 €, soit 11 fois moins. Encore plus faible, celui de la Bulgarie est de 1.600 €. C'est 10 fois moins que celui de la France, qui se monte à 16.000 €. Le PO/h de la Lettonie est de 3.200 €, celui de la Pologne n'est que de 3 500 €, et celui de la Hongrie, de 4 100 € (20). Dans la vieille Europe, le PO/h de la Grèce, 6.300 €, est un peu inférieur à celui de l'Espagne, 7.700 €, et près de 3 fois plus faible que celui de l'Allemagne, 18.300 €. Inutile d'évoquer celui du Luxembourg, de 37.700 €. Sans entrer dans le détail des PO, il est assez clair qu'avec des niveaux de « ressources fiscales » aussi différenciées, les possibilités d'investir pour se développer, de financer l'éducation, la protection sociale et le bien-être des citoyens ne sont pas comparables. Les partisans de « l'harmonisation fiscale et sociale » doivent y penser.

Comment l'UE réduit la pauvreté des plus pauvres européens, sur le papier

Un autre « leurre » réside dans les comparaisons des pauvretés des pays de l'UE. Des taux de pauvreté (après transferts sociaux), pourcentages de personnes pauvres dans la population, sont calculés pays par pays (et non au niveau de l'UE dans son ensemble). Le seuil de pauvreté au-dessous duquel les personnes d'un pays sont pauvres dans ce pays est, le plus souvent, fixé à 60 % du niveau de vie, ou revenu, médian dans ce pays. Un tableau de source Eurostat, présente ces taux de pauvreté pour 23 pays (sur les 28) en 2014 (21). Au plus bas de cette « pauvreté », la Roumanie compte 25 % de « pauvres ». Puis, dans une fourchette étroite de 22,5 % à 20 %, viennent 7 pays de l'Est et du Sud, la Lettonie, l'Espagne, la Bulgarie, la Grèce, l'Italie, le Portugal, et la Croatie. Ensuite, pointe la Pologne, à 17,6 %, à peine plus que la moyenne de l'UE, 17,3 %. Juste au-dessus, l'Allemagne et le Royaume-Uni comptent 16,7 % de « pauvres ». Puis entre les 15,6% de l'Irlande, et les 13,8% de la France, voisinent 3 pays du Nord, le Luxembourg, à 15,3 %, et la Suède, à 14,5 %... ainsi que la Slovénie, à 14,3 %. Dans un mouchoir de poche, à peine au-dessus de 12%, se serrent la Finlande, la Slovaquie, le Danemark et les Pays-Bas. Enfin (à la surprise générale ?), la République Tchèque a le pourcentage de pauvres, 9,2 % de sa population le plus bas, soit presque deux fois moins que celui de l'Allemagne !

Etonnant ce tableau, où s'entremêlent pays riches et pays pauvres ! En réalité, il n'est absolument pas représentatif de l'échelle de la pauvreté au sein de l'UE. Ce « taux de pauvreté » n'a pas été conçu pour de telles comparaisons internationales. Il devrait, « logiquement », être réservé à un « usage interne » aux pays. En effet, ce tableau ne dit pas qu'en 2014 les seuils de pauvreté vont de 1.293 € en Roumanie, 1.987 € en Bulgarie, 2.707 € en Hongrie, et montent à 3.380 € en Pologne, 4.573 € en République Tchèque, 4.608 € en Grèce, 7.961 € en Espagne, 11.840 en Allemagne, 12.780 en France, 16.272 en Suède, et 16.720 au Danemark... sans parler du Luxembourg, pour lequel le seuil de pauvreté est de 20.600 € (22) !

Ces derniers chiffres décrédibilisent l'usage comparatif entre pays des taux de pauvreté « officiels ». C'est pourquoi, ils sont plus difficiles à trouver que d'autres. L'UE s'est sans doute souciée de cette « politiquement incorrecte » disparité des niveaux de vie et des seuils de pauvreté. Aussi, peut-on trouver sur un de ses sites un graphique présentant pour chaque pays le seuil de pauvreté évalué à parité de pouvoir d'achat (SPA) en 2014 (23). Le procédé permet de « réduire les inégalités » en « relevant » les seuils des pays pauvres et en « abaissant » ceux des plus « riches ». Ainsi, le seuil de la Roumanie est de l'ordre de 2.400 € SPA, celui de la Bulgarie, de 4.500 € SPA, celui de la Grèce est proche de 5.000... tandis que celui de la France avoisine les 11.600 et celui du Danemark descend à 12.000 € SPA. Résultat : l'écart entre le seuil de pauvreté de la Roumanie et celui du Danemark est de 1 à 5 en euros SPA, contre presque de 1 à 13 en euros courants. Taquinerie non mise à part, la ZE n'aurait-elle pas intérêt à abandonner l'euro... au profit de l'euro SPA, si pratique pour « rapprocher » les pays... dans les statistiques ?

L'UE a desservi les pays de l'Est en facilitant l'émigration vers l'Ouest

Selon une étude de l'INED, au cours de la décennie 20002010, « En Europe de l'Est et du Centre, la migration a réduit la population en moyenne de près de 11 % dans 16 pays » anciennement socialistes (24). Le plus grave est que ce sont surtout des forces vives qui s'expatrient, affaiblissant les économies de ces pays ainsi que leurs structures démographiques. À l'expatriation définitive ou de longue durée s'ajoute, depuis des années, celle temporaire des « travailleurs détachés », évoqués plus haut. Des données plus récentes permettent d'observer que de 2000 à 2017, tandis que la population de la France a augmenté de + 9,4 %, celle de la Pologne est restée stationnaire (25). Une étude portant sur les « Migrations économiques des Polonais 2015 » (26) s'est intéressée aux destinations, aux profils et aux motivations des partants actuels et potentiels. Les destinations qui attirent le plus les Polonais sont : le Royaume-Uni, pour 27 % d'entre eux, l'Allemagne, pour 26 %, la Norvège, pour 11 %, les Pays-Bas, pour 9 %, et l'Autriche pour 4 %. Parmi ces 77 %, pas trace de la France. Par contre, le Brexit risque fort d'avoir un impact sur l'émigration polonaise en Angleterre.

1 Polonais actif sur 5 serait prêt à s'expatrier dans les prochains mois pour un meilleur travail. Près des 2/3 des candidats potentiels au départ ont moins de 35 ans, environ 1 sur 2 est sans emploi (étudiant ou chômeur) et 1 sur 4 est salarié à plein temps. Cette émigration, facilitée par les accords de Schengen, tend aussi à aggraver les inégalités des capacités de développement, au détriment des pays les plus « faibles », au profit des plus puissants, dynamiques et attractifs... très disposés à utiliser une main d'œuvre de qualité, souvent moins coûteuse et moins exigeante que leurs nationaux. Non sans soulever des oppositions dans les pays d'accueil où sévit le chômage, où les immigrants ne sont pas également bien accueillis par les populations locales. Les motivations du Brexit l'ont montré. Sensibilisés sur ce dernier point, nous pensons sans doute trop peu aux problèmes des pays qui perdent leurs travailleurs.

III. - Le surendettement plombe les possibilités de développement

Une surveillance assez stricte du solde des dépenses publiques

Les critères de convergence les plus observés sont le solde des finances publiques et la dette publique. Le déficit public ne doit pas dépasser 3 % du PIB. la dette publique ne doit, très théoriquement, pas excéder 60 % du PIB. En 2015, tous les pays du Nord respectent le seuil fatidique des – 3 %. L'Allemagne et la Suède dégagent même des excédents, respectivement de + 0, 7 % et + 0,2 %. L'Estonie est excédentaire aussi, de + 0,1 % de son PIB. En fait, tant bien que mal et non sans des grincements de dents, 23 des 28 membres de l'UE sont « dans les clous ». Au nombre des « mauvais élèves », la Croatie enregistre un déficit de - 3,3 %, la France, de - 3,5 %, le Royaume-Uni, de - 4,3 %, l'Espagne de - 5,1 %, et la Grèce, de - 7,5 % (27). Mieux vaut ne pas se trouver sur le banc des accusés de manque de rigueur, car après les remontrances, puis les menaces, ce sont les sanctions qui sont prévues sous formes d'amendes. Et elles commencent à tomber.

La surdose d'endettement public n'effraie pas l'UE, au contraire

Seulement 11 pays sur les 28 respectent le critère de convergence de 60 % du PIB. À côté du Luxembourg et des 2 riches scandinaves, le Danemark et la Suède, 9 pays de l'Est, nettement plus pauvres, n'ont pas (encore) été contaminés par le virus du surendettement. Dans leurs cas, l'adage « on ne prête qu'aux riches », ou à ceux « sous garantie », est sans doute assez bien vérifié. Leur friable solvabilité les a préservés. Entre les 60 % et les 85,2 % du PIB, taux moyen d'endettement public de l'UE, on trouve la Finlande, à 63,1 %, les Pays-Bas, et l'Allemagne, à 71,2 %, et encore deux pays de l'Est, la Hongrie, à 75,3 %, et la Slovénie, à 83,2 % (28). Le taux d'endettement de la zone euro est de 90,7 %. Ceux de l'Autriche, de la Croatie et du Royaume-Uni lui sont un peu inférieurs. Les taux de 8 pays lui sont plus élevés, dont ceux de la France, à 96,2 %, du Portugal, à 129 %, de l'Italie, à 132,7 %, et de la Grèce, à 176,9 %. Depuis 2015, l'endettement public s'est aggravé dans nombre de pays. Et on ne peut dire que l'UE a été regardante. Au contraire, la politique des taux d'intérêt très bas a pesé à la baisse sur les services des dettes des pays et n'a pas incité ceux-ci à redoubler d'efforts pour « contenir » leurs dettes. En fait, l'accroissement de l'endettement était sensé jouer un rôle majeur de soutien de la croissance. Sans obtenir les résultats escomptés.

Des tentatives de « mutualisation des dettes » encore dans les limbes

Prenant la suite du Fonds européen de stabilité financière et du Mécanisme européen de stabilité financière, le Mécanisme européen de stabilité (MES) est entré en vigueur en 2012. Il a pour but d'aider à répondre à la crise majeure de la dette en mobilisant des ressources des États de la ZE, solidaires, pour soutenir les États membres qui connaissent de graves problèmes de financement risquant de menacer la stabilité de la zone euro. Ceci, sous le contrôle strict de la « Troïka » (Commission de Bruxelles, BCE et FMI). qui peut aussi participer aux soutiens « techniques » et financiers. Depuis 2010, ces « mécanismes » ont financé, sous forme de crédits divers, des aides à l'Irlande, au Portugal, à la Grèce et à Chypre. Critiqué pour ses choix et les contraintes qu'il impose, le MES, n'est pas doté d'une capacité d'engagement (500 Mds €) suffisante pour faire face à une crise d'ampleur régionale. L'idée de « mutualisation des dettes » au niveau européen (actuellement limitée au MES) compte des partisans actifs qui avancent qu'elle permettrait, d'une part, de mobiliser des financements (notamment par l'émission des « eurobonds », ou euro-obligations, dont la presse a parlé) à des taux d'intérêt plus faibles (que ceux des États les moins solvables, en particulier), et, d'autre part, d'emprunter davantage pour relancer la croissance. La proposition la plus soutenue consisterait à « mutualiser » les parties des dettes des États excédant les 60 % de leurs PIB (seuil du critère de convergence). Mais, « Pourquoi les pays les plus vertueux accepteraient-ils d'abonder un fonds au bénéfice des États les plus ‘’laxistes’’ » ? Et, l'Allemagne ne désire pas pousser sa solidarité européenne jusqu'à devenir le principal garant des très hauts risques liés aux niveaux excessifs des dettes déjà atteints. Le « projet » reste donc dans les limbes. Le passage à l'acte ne semble pas pour demain.

Voilà une raison de plus de refroidir les élans intégrationnistes, fédéralistes et de vouloir reconstruire une véritable Europe des nations

Sources

( (1) « Le bilan de la BCE explose à près de 3.660 milliards », « Marchés financiers », lesechos.fr, le 16/02/2017 + « La BCE prolonge son programme de rachat d'actifs jusqu'à décembre 2017 », latribune.fr, le 08/12/2016 + « La BCE ne veut pas (encore) baisser la garde », latribune.fr, avant le 08/12/2016.

(2) « Entreprises zombies et États vampires prolifèrent avec les taux bas », contrepoints.org/2017/03/04/282865...

(3) Graphique EUR/USD SPOT, cours EUR/USD SPOT, Boursorama, le 13/03/2017.

(4) Graphique EUR/CNY - Taux Euro en Yuan ou renminbi chinois, le 13/03/2017.

(5 XE : Graphique EUR/CHF. Taux Euro en franc suisse, le 13/03/2017.

(6) « Cette menace de Trump qui peut annoncer la fin de l'Union européenne », contrepoints.org/2017/03/04282878...

(7) “Daily nominal exchange rate of the euro”, ecb.europa.eu/stats/balance_of_payments..., le 12/03/3013.

(8) wikipedia.org/Laurent_Bigorgne le 19/03/2017.

(9) institutmontaigne.org/presidentielle-2017/propositions/marine-le-pen-euro... , 09/03/2017. + « L'Institut Montaigne a encore frappé », Le vaillant petit économiste, le 11/03/2017.

(10) International Monetary Fund World Economic Outlook database, le 08/03/2017.

(11) « L'Europe, première cible de la Chine dans le monde », lesechos.fr/redirect_article.php?id=021995284457, juin 2016.

(12) « Forte augmentation des investissements chinois en Europe », taurillon.org , le 03/01/2017.

(13) « Entre la Suisse et la Chine, le malaise inavoué du rachat de Syngenta ,» letemps.ch/monde/2017/01/12... + « Syngenta se voit chinoise à fin juin », letemps.ch/economie/2017/02/08...

(14) « Eurostat - Data Explorer Commerce UE depuis 1988 », par NC8. Mise à jour du 15/02/2017.

(15) Eurostat : Population totale, données provisoires 2014 et 2015 en 2016.

(16) Insee Références, édition 2017- « Économie générale, principaux indicateurs économiques, PIB par habitant dans l'Union européenne », source Eurostat.

(17) Insee Références, édition 2017 - « Finances publiques : dépenses publiques au sein de l'UE en 2015 ».

(18) Données du FMI et d'Eurostat (cic4), calculs de PK.

(19) Insee Références, édition 2017 - « Finances publiques : poids des prélèvements obligatoires au sein de l'UE en 2014 ».

(20) Données du FMI et d'Eurostat (cic6), calculs de PK.

(21) Insee Références, édition 2017 - « Revenus - salaires : taux de pauvreté après transferts sociaux dans quelque pays de l'UE en 2014 ».

(22) ec.europa.eu/eurostat/fr/web/gdp-and-beyond/quality-of-life/median income, le 25/03/2017.

(23) ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/images/4/45/At-risk-of-poverty_rate_and_thresholdù2C_2014_YB16-fr.png.

(24) « Populations et tendances démographiques des pays européens 1980-2010 », Ined 2011.

(25) « Pologne, population », countrymeters.info/fr/poland, le 23/03/2017.

(26) Institut Millward Brown publié par Work Service, le 15/04/2015.

(27) Insee Références, édition 2017 - « Finances publiques : situation des pays de l'Union européenne au regard des critères de convergence ».

(28) Insee Références, édition 2017 - « Finances publiques : dette publique au sein de l'UE en 2015 ».

© 04.04.2017

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