par Paul KLOBOUKOFF
Des exigences pour ouvrir
les portes à d'indispensables changements
Les trajectoires que l'Union européenne (UE) et la zone euro (ZE) ont
empruntées (mot approprié, vu leur addiction au surendettement) sont alarmants.
Nous le vérifierons ici, avec des chiffres peu contestables. Sans changements
radicaux, « nous allons dans le mur ». Pourtant, nos médias audiovisuels
grand-public ne nous alertent pas, préférant se consacrer à des affaires, des
ragots, des faits divers et des spectacles politiques qui font valoir, en toute
impartialité, leurs talents et leurs compétences... et poussent à rechercher
les informations sur Internet, où il est possible de faire son tri sélectif soi-même.
Parmi les candidats à la Présidence, presque seuls les « souverainistes » et les « populistes » s'inquiètent ouvertement et critiquent les
dérives européennes. Avec peu d'écho. Car « l'Europe » est un sujet tabou dès qu'il s'agit de sortir
des généralités, telles « Des réformes
sont nécessaires pour rendre l'UE plus efficace, plus ‘’protectrice’’, mais
sans nous refermer sur nous-mêmes, nous isoler du reste du monde, plus
démocratique, moins technocratique et bureaucratique...». Bref, il pourrait suffire de baigner ses
membres inférieurs dans un pédiluve pour qu'elle reparte d'un bon pied vers un
avenir encore plein de promesses (auxquelles plus personne ne croit). Hélas,
c'est très insuffisant. Il faut rénover en profondeur la bâtisse, sans oublier
de remplacer des syndics qui la régissent et la dégradent depuis trop longtemps.
La position que défendra la France
sur des réformes jugées indispensables et prioritaires de « l'Europe » est suspendue aux résultats des élections
présidentielles et législatives à venir, ainsi qu'à la composition et aux
orientions du nouveau gouvernement qui en résultera. Pour avoir quelques
chances de faire entendre sa voix sur la
« nouvelle Europe» à édifier, il faudra
d'abord que ses propositions soient claires, précises et, autant que possible,
conformes à la volonté du peuple de France. Il sera nécessaire que les
représentants de la Nation soient en mesure de parler d'une voix assurée et
résolue, que seul pourra autoriser et rendre crédible l'appui sur une majorité
parlementaire solide et durable.
Les électeurs devront faire de « bons choix », à la présidentielle d'abord.
En n'ignorant pas que dans le contexte actuel, comme en 2002, cela risque fort
d'être une élection à un seul tour, si les sondages ne se (nous) trompent pas
grossièrement. À gauche, on n'a pas attendu pour appeler au « vote utile ». Il
serait aussi éminemment souhaitable que le choix des électeurs ne conduise pas
la France en marche arrière vers une réplique de la Quatrième République avec
ses lots d'indécision, d'instabilité et de combinaisons politiciennes. Ceci ne
vaut, évidemment, pas uniquement pour la question européenne, à laquelle je me
limite ici. L'heure n'est peut-être pas, non plus, la plus propice pour se
livrer à des « expérimentations » aux
buts et aux contours imprécis ou indéfinis. Un gouvernement fort et déterminé
sera nécessaire pour « renégocier l'Europe ».
Quelques points à souligner, en résumé
Après la parution du livre de Joseph E. Stiglitz, L'euro comment la monnaie unique menace l'avenir de
l'Europe, j'avais rédigé un article pour La Lettre de novembre 2016 intitulé «
Un pavé du Nobel Stiglitz dans la mare de l'euro ». À côté de l'analyse des
critiques et des suggestions de Stiglitz, j'avais fait le point sur les
principaux instruments, souvent mal connus, de la politique monétaire et financière
mis en œuvre ou à l'étude ces dernières années, et sur leurs limites : l'Union
bancaire, les bas taux, le « quantitative easing »,
QE, ou « programme d'assouplissement
quantitatif » (= la planche à billets),
le mécanisme européen de stabilité, le plan Junker (de prêts à
l'investissement) et la tentative avortée d'instaurer une « mutualisation
» des dettes des États.
Dans la première partie du présent article, je reviens avec des infos
récentes sur les principales politiques conduites, surtout pour en décrire les
résultats et les impacts, globalement négatifs. En fait, les interventions
majeures ont consisté à faire inonder les marchés par la Banque centrale
européenne (BCE) avec des liquidités créées ex nihilo, et à pratiquer des taux
d'intérêt très bas. Ces mesures n'ont pas obtenu les résultats visés quant à la
relance de la croissance, très « modeste », et à la remontée des prix, qui ont
à peine frémi, sans se dégeler. Par
contre, elles ont stimulé la prolifération d'entreprises « zombies », à la
productivité et à la rentabilité chancelantes, ainsi que d'États « vampires »,
qui ont abusé des possibilités d'emprunt à bas prix. Dès son annonce, au
printemps 2014, le QE a provoqué une forte dévaluation (compétitive), de
l'ordre de 20 %, de l'euro, plus dévastatrice que bénéfique. Mais la
dévalorisation de l'euro ne date pas d'hier. Elle se lit dans les taux de
change depuis les sommets atteints au printemps et à l'été 2008 par l'euro par
rapport aux grandes monnaies. Depuis, en neuf ans, l'euro « fort » a perdu un
tiers de sa valeur en dollars américains, en yuans chinois... et en francs de
la Suisse, notre voisine lilliputienne. Une « concurrence déloyale » qui irrite
Donald Trump et nuit à l'économie de la Suisse, qui
ne cache pas son mécontentement.
Cette plongée de l'euro est aussi celle du franc français, qui lui est
rattaché par un taux de parité fixe. Elle est passée complètement inaperçue en
France. Car la dévaluation de 25 % à 30 % d'une monnaie n'implique pas ipso
facto le déclenchement d'une inflation délirante et la contraction drastique du
pouvoir d'achat des ménages. L'expérience de la dévaluation de l'euro vient de
le démontrer. Cela mérite d'être expliqué aux Français (et aux citoyens
européens), qu'on assaille en permanence de menaces des pires catastrophes si
la France abandonnait l'euro pour revenir à un nouveau franc. Elle subirait
immédiatement une dévaluation de 10 % à 15 %, la destruction de centaines
de milliers d'emplois, et cela lui coûterait des centaines de milliards «
d'euros », d'après des économistes et des « think-tanks
» autorisés. De tels chiffres sont très peu crédibles, car une sortie de la
France de la zone euro, ne se limiterait pas à des conséquences « néfastes »
pour la France seule. Toute « l'Europe », pour le moins, serait brutalement
secouée. Après le Brexit, la survie de l'UE actuelle
serait menacée. Or, je n'ai vu aucune évocation d'un tel scénario accompagner
les estimations des énormes dégâts à redouter qui ont fleuri. La dévalorisation de l'euro a accéléré le
déclin de la ZE, de l'UE et de la France dans le monde. Entre 2008 et 2016, mesuré
en dollars courants (première monnaie de réserve mondiale), le produit
intérieur brut (PIB) de la ZE a reculé de - 15,4 %, et ceux de tous les pays de
la zone ont chuté. Pendant ce temps, le PIB de la Suède (10 millions
d'habitants) n'a pas baissé, celui de la Suisse a crû de + 20 %. Il est
peut-être temps de revenir sur cette idée « révolue » que plus on est gros,
plus on est puissant et dynamique. Actuellement, l'UE est un grand corps
malade. Les États-Unis (d'Obama),
protégés, ont mieux résisté à la montée asiatique. Leur PIB a progressé de + 26
% (+ 48 % de plus que celui de l'UE). Mais le PIB de l'Inde est monté de + 84
%, et celui de la Chine s'est envolé de + 147 %.
Dans la « mondialisation heureuse », la ZE et l'UE, ouvertes à tous vents
et sans projets communs d'envergure, ont perdu beaucoup de terrain en neuf ans.
De 30,8 % du montant du PIB mondial en 2008, la part de l'UE est descendue à 22
% en 2016. Si on retire le Royaume-Uni (RU), c'est 18,4 %. En dollars courants, les États-Unis
restent la première puissance, avec un PIB représentant 24,6 % du PIB mondial.
Celui de la Chine atteint déjà celui de la ZE (avec le RU) et dépasse 15 % du
PIB mondial. Ceux qui classent les pays
selon leur PIB mesuré « à parité de pouvoir d'achat » (voir explications plus
loin), placent la Chine en première position sur la planète. Et la Chine montre
un appétit dévorant envers des entreprises qui lui permettent de pénétrer le
grand marché européen et/ou d'accéder à de hautes technologies à l'aide
desquelles ils visent à faire « monter en gamme » leurs productions. À cet
égard, les États-Unis se montrent méfiants et regardants. En France, les «
investisseurs », d'où qu'ils viennent et quoi qu'ils « achètent », sont
accueillis à bras ouverts, comme des sauveurs de l'emploi.
Dans la deuxième partie de l'article, mon regard, triste, désabusé et
inquiet se déplace à l'intérieur de l'UE. Il s'attarde, moult chiffres à
l'appui, sur les multiples disparités entre les pays, les inégalités et les
disproportions, qui s'accroissent, qui rendent incompréhensible l'acharnement
de dirigeants à vouloir faire marcher tous les membres de l'UE au même pas
cadencé. Sous la haute autorité bienveillante d'un couple franco-allemand, qui,
en cette fin de quinquennat, fait presque irrésistiblement penser, sauf respect
dû aux fonctions des personnages, au couple fétiche du célèbre dessinateur
humoriste Albert Dubout lors des années 1960-1970. Ce n'est pas drôle !
Au sein de l'Union, le poids de l'Allemagne est devenu écrasant. En 2016,
son PIB est de 40 % plus lourd que celui de la France. Il représente un peu
plus de 21 % de celui de toute l'UE et 29 % de celui de la ZE. On comprend que
F Fillon juge nécessaire d'inverser le cours des choses, de restaurer la
compétitivité et la puissance de la France. Dans les échanges
intracommunautaires de biens, l'Allemagne tient aussi le premier rang, très
au-dessus des autres pays. Derrière les Pays-Bas et la Belgique, spécialisés et
performants dans le « commerce de proximité », elle fait partie des grands gagnants
qui dégagent de confortables excédents au sein de l'UE. Pour sa part,
déficitaire, comme le Royaume-Uni et l'Espagne, le coq gaulois fait partie des
dindons de la farce. Et, la France doit redoubler d'efforts à l'exportation
hors de l'UE pour parvenir à limiter son déficit commercial.
Au moins trois des candidats à la présidence, MM. Hamon, Macron et Fillon
ont inscrit dans leurs programmes une «
harmonisation fiscale et sociale »
dans l'Union, et ils ne sont pas les seuls à la « demander ». Une question
préalable majeure, à ce propos, est : qu'entendent-ils par harmonisation ? Le
nivellement ? Nous savons que les avis sont très divisés sur les niveaux,
souhaitables ou acceptables, des dépenses publiques et des fiscalités (très
liés entre eux), notamment entre la gauche et la droite en France. Mais,
surtout, les proposants sont-ils bien conscients des disparités actuelles au
sein de l'UE ? Ont-ils « imaginé » de
quelle façon cette « convergence », ces harmonisations pourraient être
conduites ? Il leur appartient de l'expliquer. Juste pour illustrer la «
difficulté » de l'équation à résoudre,
et sans entrer dans le détail des impôts et des cotisations sociales, voici les
montants globaux annuels des prélèvements obligatoires par habitant (PO/h) de
quelques-uns des 28 pays en 2014 :
37.700 euros au Luxembourg, 23.500 euros au Danemark, 18.300 € en
Allemagne, 16.000 € en France, 7.700 € en Espagne, 6.300 € en Grèce, 4.100 € en Hongrie, 3.500 €
en Pologne, 3.200 € en Lettonie, 2.100 € en Roumanie, et 1.600 € en Bulgarie. De
leur côté, en 2015, les « dépenses publiques par habitant » sont de : 39.700 € au Luxembourg, 26.200 € au
Danemark, plus de 22.000 € en Suède et en Finlande, 19.300 € en Irlande et en France (dont 8.300
pour la Protection sociale), 8.900 € en Grèce, 4.700 € en Pologne, 2.900 € en
Roumanie, et 2.500 € en Bulgarie. « No
comment » ! Sinon, que les statisticiens de l'UE et de la France ne jugent pas
utile d'afficher ces « indicateurs »
édifiants, qu'on peut, cependant, calculer à l'aide de données du FMI et
d'Eurostat. Les statistiques « courantes », elles, montrent des écarts beaucoup
plus faibles avec des données plus lénifiantes, « consensuelles » : les
pourcentages des PO et des dépenses publiques des pays rapportées à leurs PIB.
Ainsi, l'hétérogénéité « démesurée » au
sein de l'UE ne saute pas aux yeux des « observateurs » pressés, des médias et des politiciens.
Les écarts précédents sont directement liés aux différences entre les
niveaux de développement économique et les « richesses nationales» (PIB) des pays. À leurs dimensions
démographiques, également. Ils se sont accrus et diversifiés avec les
élargissements précipités auxquels l'UE s'est livrée, et qui l'ont fait
grossir... non sans fierté. Mais, les gestions de l'euro et de l'UE ont aussi accentué
les écarts entre des pays de la « vieille Europe » inégalement dotés et armés. Le sort de la
Grèce, souffre-douleur prisonnier de l'euro, en est un témoignage. Des écarts
considérables existent aussi dans les pauvretés des habitants des pays membres.
Ils sont complètement « évacués» des
statistiques « officielles » diffusées.
Celles-ci montrent, par exemple, un taux de pauvreté (TP) de 16,7 % de la
population en Allemagne en 2014, et de
25 % (taux de pauvreté le plus élevé de l'UE) en Roumanie... sans
préciser que le seuil au-dessous duquel on est pauvre est de 11.840 € en
Allemagne, et qu'il est de moins de 2.000 € en Roumanie. Et, « ça change tout »
!
Pour mieux voir de l'intérieur ce qu'est réellement « l'Europe », et
comparer des pays, il n'est plus possible de se fier seuls aux indicateurs
officiels. Il serait bon d'avoir recours aussi à de plus crédibles. Aux cœurs
de l'UE et de la ZE, le surendettement se développe, se propage et s'étend avec
volupté. Maastricht avait fixé à 60 % du PIB le pourcentage de la dette
publique à ne pas dépasser par les pays. En 2015, le taux de la zone euro
atteint 90,7 %. La France est à 96 % et la Grèce, à 177 %.
Pour ceux qui gouvernent l'UE, l'endettement est un « moteur» indispensable à la croissance. L'abondance
des liquidités créées et les taux d'intérêt bas n'ont, évidemment, pas incité
les États à « contenir » les dettes. Au
contraire. Des pressions s'exercent même pour augmenter les « capacités » d'endettement des pays en « mutualisant
» au niveau européen une partie de leurs
dettes, celle qui est au-delà des 60 % initialement autorisés. Sans succès,
jusque-là. La « solidarité » de
l'Allemagne, garant potentiel en dernier ressort, semble avoir atteint ses
limites. Parmi nos candidats à la Présidentielle, B Hamon s'est déclaré
favorable à cette mutualisation. Comment
l'UE et l'euro pourront-ils sortir de la tourmente et de l'impasse dans
laquelle la politique suivie et l'endettement les (nous) enferment ? Prolonger
indéfiniment l'inondation monétaire et des taux d'intérêt aussi bas n'est pas
possible.
Et, cependant, un sevrage (tardif) pour réduire la dépendance à la drogue
ne semble pas à l'ordre du jour. Alors, en tant que citoyen français, je
pose ici solennellement à Mario Draghi (le patron de la BCE) la question : « Governatore, quo vadis ? ». Après ce long résumé, on pourrait presque
considérer le corps de l'article qui suit comme une annexe explicative et
détaillée. Il comporte, toutefois, également, des précisions et des observations
complémentaires instructives que je n'ai pas casées dans les trois pages
précédentes.
I. - Politique monétaire
et financière : panique et
malencontreuses conséquences
Planche à billets, laminage des taux
d'intérêt et dévaluation de l'euro, des armes « fatales »... épuisées en vain L'UE
et la BCE s'autorisent ce qui a été formellement interdit aux États membres. La
BCE inonde « le marché » de liquidités,
maintient les taux d'intérêt à des niveaux très anormalement bas et « déprécie
» ainsi l'euro... pour «
encourager » l'investissement et redonner de la « compé-
titivité » à
la zone euro, car il s'agit bien de« déva luation compétitive ». Le mythe de « l'euro fort » a fait long feu.
La politique
monétaire très expansive de la BCE en
échec
À fin 2016, le bilan de la BCE « explose
» à 3.663 Mds € (1), contre 2.360 Mds au
printemps 2015, avant le lancement du programme d'achat de dettes de pays de la
ZE dans le cadre du QE. Par le QE, la BCE achète aux banques une partie de
leurs actifs financiers (obligations d'État ou d'entreprises), accroissant la
masse de monnaie en circulation. Ce programme vient d'être prolongé jusqu'à fin
2017, avec un plafond d'achats mensuels de 60 Mds €. Au besoin, il sera
prolongé davantage, a-t-il été décrété.
La BCE a déjà consacré 1.400 Mds € au
QE. Ce sera près de 2.000 Mds € à la fin 2017 ! Depuis des mois, des «
spécialistes » se demandent pour quels
résultats. Et l'UE elle-même est dubitative. Cependant, « Que ce soutien soit
réduit en efficacité ne change rien à l'affaire : il faut maintenir ce filet de
sécurité ». A noter que « ce soutien»
comprend aussi le « Plan Junker »
d'aide à l'investissement, trop modeste pour avoir un impact notable. Hantée
par la peur de voir s'aggraver le désintérêt des entreprises pour
l'investissement, la BCE ne lâche pas son autre « soutien », sa politique
d'argent gratuit. Elle maintient son taux directeur (de réescompte) à 0 %, son
taux de facilité marginale à 0,25 %, et son taux de dépôt à - 0,4% !
Le QE et les autres soutiens n'ont pas «
relancé » la croissance. La légère
reprise observée est attribuable en partie à la baisse des cours des matières
premières. Nous sommes loin des 2 % d'augmentation des prix visés. Or, sans
inflation, obtenir une croissance solide est considéré comme problématique. Les
salaires nominaux hésitent à repartir à la hausse. L'investissement productif
aussi. Les entreprises préfèrent utiliser leurs ressources propres et l'emprunt
pour réaliser des opérations financières (rachats de leurs actions, fusions,
absorptions...). En fournissant gratuitement de l'argent aux banques, le QE a ainsi plongé l'économie de la zone
euro dans une « trappe à liquidité », ou surabondance par rapport à la demande.
« Entreprises zombies et États vampires prolifèrent avec les taux bas
»
C'est le titre d'un article de
Contrepoints (2) qui fait état d'un rapport récent de l'OCDE, qui s'inquiète du
nombre croissant d'entreprises « zombies »
insuffisamment rentables qui ont du mal à rembourser leurs dettes. Il
attribue cette « prolifération » à
l'abondance de crédits bon marché qui permet à des entreprises à faible
rentabilité de se financer facilement et ne les oblige pas à hiérarchiser leurs
projets en fonction, précisément, de leur rentabilité... et qui dépensent plus
qu'elles ne devraient. Cette « mauvaise allocation des ressources » ralentit la progression de la productivité.
Un tableau présente l'évolution de 2005 à 2015 de la productivité dans vingt
pays. Pour l'Allemagne, après avoir baissé avec la crise, en 2008 et 2009, puis
retrouvé des taux de hausse de plus de + 2 % par an en 2010 et en 2011, la
productivité a ralenti pour progresser à un rythme voisin de + 0,6 %. Même type
de parcours pour la France, où le taux de progression a fléchi d'environ + 1 %
en 2010-2011 à moins de + 0,3 % de 2012 à 2015. Un tel affaiblissement est
observé aussi dans les 11 autres pays de l'UE du Nord et du Sud examinés.
L'impact de ce ralentissement de la productivité pèse lourdement sur
la croissance économique dans l'UE.
« Les États vampires se nourrissent
aussi de taux bas ». Ils peuvent emprunter à vil prix, sans se préoccuper
autant que nécessaire de la « rentabilité»
de la dépense publique. Vu les niveaux atteints par les dettes, gare aux
conséquences de l'inévitable remontée des taux d'intérêt, actuellement retardée
par tous les moyens.
Une austérité imposée aux
États membres, clivante, de plus en plus contestée
La politique monétaire n'a pas permis la
relance. Pour Mario Draghi, gouverneur de la BCE,
cela prouverait que la politique monétaire ne peut pas tout faire. En cela, il
est du même avis que Joseph Stiglitz, qui suggère « une politique budgétaire
plus active ». Comme nombre de dirigeants européens de partis de gauche,
surtout du Sud, et/ou « populistes », qui désirent libérer, désenclaver la
dépense publique. Pour eux, les restrictions imposées par le traité de
Maastricht sont trop et indûment contraignantes. L'austérité (un mot banni par
nos politiciens) qui en résulte nuit à la croissance et à l'emploi. C'est le
contraire pour les « patrons » de l'UE,
qui tentent d'accroître la pression pour faire baisser les déficits publics des
pays... en accord avec des dirigeants nationaux, plus souvent de droite et/ou
de pays du Nord, qui estiment que c'est une condition sine qua non pour sauver
l'euro et l'UE.
Une
forte dévaluation de l'euro plus dévastatrice que bénéfique
Une dévaluation «
compétitive », déloyale ?
Le QE a eu un fort impact sur le taux de
change de l'euro. L'annonce du QE au printemps 2014 a provoqué une anticipation
des investisseurs et la chute du cours de l'euro par rapport au dollar, qui est
tombé de 1,395 $ au début avril 2014 à 1,076 $ au 31 mars 2015. Cet
effondrement de plus de 20 % a stimulé les exportations de la zone (surtout
celles des pays qui étaient déjà les plus compétitifs) et soutenu un peu
l'activité. Ensuite, pendant la massive injection monétaire, le cours de l'euro
a fluctué pour se trouver à 1,066 $ le 13 mars 2017.
En fait, la chute du cours de l'euro a
commencé bien avant 2014. Le 30 août 2008, l'euro était à un « sommet », à
1,575 $. Depuis, au 13 mars 2017, l'euro a perdu 32 % par rapport au dollar
(3). Cela n'est pas bien grave, nous a-t-on rassuré, les États-Unis ne « pèsent
» plus que de l'ordre du 1/6 des
échanges extérieurs de biens de la ZE.
L'euro a perdu 34 % de sa valeur par rapport au yuan chinois (CNY) entre le 18 mars 2008 et
le 13 mars 2017, en tombant, avec des soubresauts, d'un sommet à 11,168 CNY
jusqu'au niveau de 7,369 CNY, après avoir heurté un plancher à 6,86 CNY en 2015
(4). Pas grave ? La Chine pèse entre 1/5 et 1/4 des échanges de biens de la ZE.
Même chose avec notre voisine lilliputienne, la Suisse (41 225 km² et 8,2
millions d'habitants), qui, à elle seule, pèse environ 7 % des échanges
extérieurs de la ZE. Le 14 juillet 2008, un euro valait 1,621 franc suisse
(CHF). Le 13 mars 2017, il ne valait que 1,074 CHF (5). Entre ces deux dates l'euro a perdu le tiers
de sa valeur en CHF. M. Trump fulmine contre cette « concurrence déloyale » et menace de sanctions les pays qui dévaluent
« artificiellement » leur monnaie. L'UE
est dans le viseur, l'Allemagne ainsi que la France étant les principales
cibles. Les Suisses se plaignent aussi.
Ils ont d'énormes difficultés à juguler la pression à la hausse exercée sur le
CHF par l'effondrement de l'euro, jugé néfaste pour les exportations et les
activités touristiques du pays (6).
Pendant ce temps, la BCE
présente une dépréciation «
allégée» de l'euro
La BCE n'ignore pas les évolutions
chaotiques des taux de change qui déprécient l'euro. Mais elle préfère «
amortir le choc » [qui pourrait être
salutaire] en présentant celle, moins abrupte, d'un taux de change effectif de
l'euro (« daily nominal effective exchange rate »).
Le 18 décembre 2008, ce taux était à son sommet, à une hauteur de 114,458. Le
10 mars 2017, il était descendu à 94,144. Une baisse de l'euro de - 17,4 %...
seulement. Ce taux est calculé à l'aide des taux de changes bilatéraux avec 19
partenaires commerciaux de la ZE, en tenant compte des poids respectifs de ces
échanges (7). Ensemble, ceux des États-Unis, de la Suisse, indiqués cidessus, « pèsent»
45 % du total. Parmi les partenaires se trouvent aussi l'Australie, le
Canada, le Japon, la Corée du Sud, la Norvège... ainsi que 9 pays de l'UE qui
n'ont pas adopté l'euro. Ils comptent le Royaume-Uni, la Pologne et, plus «
modestes », la Bulgarie et la Croatie. Le poids de ce groupe de 9 pays est de
37,4 %, et les échanges commerciaux de la ZE avec ces 9 pays constituent le
principal ralentisseur de la chute de l'euro. Merci à eux !
Pourquoi une dévaluation
de l'euro de cette ampleur passe
inaperçue en France
J'insiste un peu sur le sujet ici, car cette
dégringolade de l'euro est aussi celle du franc français, arrimé à l'euro par
un taux de change fixe de 6,55957 FRF pour 1 €. La forte dévaluation de l'euro
est passée quasiment inaperçue des citoyens d'abord parce que personne n'a jugé
utile de les alerter. « On » s'est
évertué à nous faire croire que c'était bon pour notre balance commerciale,
pour la croissance et l'emploi, sans chiffres ni explications. C'est surtout
parce que 25 % (par exemple) de baisse de la valeur de notre monnaie par
rapport à celles de nos partenaires commerciaux ne signifie pas dévalorisation
de 25 % du patrimoine des agents économiques et diminution de 25 % du pouvoir
d'achat des ménages. La plus grande partie de nos dépenses de consommation de
biens et de services ainsi que d'investissement ne dépendent pas d'importations
ou, pour certaines, indirectement, très partiellement. En France et dans la ZE,
l'impact baissier sur le pouvoir d'achat des ménages et sur celui des
administrations publiques a été beaucoup plus limité. Et l'impact haussier sur
les prix a été nettement inférieur à ce qui était espéré par Bruxelles et
Francfort.
Des conséquences d'une
éventuelle sortie de l'euro très mal « évaluées »
Cette méconnaissance des faits et de
leur impact réel explique grandement pourquoi nous sommes aujourd'hui devant un
mur de lamentations et de craintes de faillite généralisée dans l'hypothèse où
la France abandonnerait l'euro, comme plusieurs de « nos candidats» l'envisagent. Il est vrai que de telles
craintes sont nourries avec assiduité par des imprécations et des menaces des
pires catastrophes si le pays reprenait sa liberté monétaire.
L'institut Montaigne est un « think tank » qui se
dit « indépendant ». Il a été fondé par
Claude Bébéar, ex grand patron, d'AXA notamment. Il est dirigé par Laurent Bigorgne (8), qui soutient Emmanuel Macron à l'élection
présidentielle. Son Conseiller économique, Charles Nicolas, a été chef
économiste du groupe AXA, après l'avoir été à la Morgan Stanley Bank. Se
référant aux propositions du FN, à l'aide de son « modèle économique », il a
produit récemment une « estimation chiffrée de l'impact d'une sortie de l'euro
», exposée en mars dans un article intitulé « Sortir de l'euro et restaurer une
monnaie nationale, le franc » (9).
Une
des sanctions immédiates en serait une dépréciation de l'ordre de – 15 % de la
nouvelle monnaie. Un choc inflationniste de + 3% à + 4% frapperait le pouvoir
d'achat des ménages. La dévaluation n'aurait pas d'impact positif sur la
compétitivité des entreprises et sur les échanges extérieurs, au contraire
(!?). Le PIB diminuerait de - 0,6 % la première année, et de – 4 % à -13 % à
long terme, suivant des scénarios plus ou moins « favorables » ou « défavorables ». Les taux d'intérêt
s'envoleraient (de combien, vu la surabondance de liquidités et les fragilités
des autres pays du Sud ?), renchérissant le service de la dette privée et de la
dette publique. L'instauration du contrôle des changes n'empêcherait pas des
fuites de capitaux d'entreprises et aussi de ménages (!?), etc.
Les suites immédiates du Brexit, qui ont démenti toutes les prévisions du même type,
et ce que nous vivons avec la dévaluation de l'euro montrent que de telles
prévisions méritent, pour le moins, d'être réellement démontrées. En n'omettant
pas d'imaginer, d'expliciter et de tenir compte des bouleversements qui secoueraient l'Europe et déstabiliseraient
l'UE et l'euro. Sans ces « références », aucune évaluation ne peut être
crédible. Il serait temps que ces
sujets entrent de plein pied dans la campagne présidentielle et donnent lieu à
des argumentations claires et
compréhensibles. Sinon, nous resterons sur cette opposition caricaturale et
stérile entre des « intimes convictions »
mal fondées. « Sans « l'Europe », point de salut ; la France est trop
petite pour s'en sortir », du côté des euro béats, face à, « l'euro est une
catastrophe pour la France, les technocrates incompétents de Bruxelles sont à
la source de tous nos maux », du côté des euro critiques, qui « sont contre
l'Europe ». Il ne faudra pas s'étonner de voir le « populisme » continuer à
avancer dans l'UE, le méfiances se figer et les tensions se durcir.
Un déclin accéléré de l'UE
et de la zone euro
La grande crise de 2008 ainsi que la
gestion économique et financière de « l'Europe », avec la dépréciation de la
monnaie « unique », en particulier, ont accéléré le déclin de la zone euro (ZE)
et de l'UE dans le monde. Entre 2008 et
2016, mesuré en dollars courants, le PIB de la ZE a reculé de - 15,4 %. Les PIB
de tous les pays de la zone ont baissé. Même ceux de l'Allemagne, de - 6,3 % et
de l'Autriche, de - 9,8 %. Et, plus encore, ceux de la France, de - 15,3 %, des Pays-Bas, de -
18,1 %, de l'Italie, de - 22,9 %, de la pauvre Grèce, sous perfusion, de – 45
%. On peut observer que dans l'UE, hors zone, les baisses des PIB ont été
limitées : à - 14,2 % au « petit»
Danemark, à - 11,8 % en Pologne et, à - 8,8 % au Royaume-Uni (RU) de
2008 à 2016. Ce ne sera sans doute que de – 10 % de 2008 à 2017, impact du Brexit compris, selon le FMI. Le PIB de la Suède, pays de
10 Mi d'habitants, lui, n'a pas baissé. Hors de l'UE, le PIB de la Suisse a crû
de près de + 20 %. Plus loin de l'Europe, toujours entre 2008 et 2016, chez les
« Grands », le PIB du Brésil a augmenté de + 4,4 %, le PIB des États-Unis (où
est née la crise des « subprimes » en 2008,
« exportée » avec succès chez
nous), de + 26 %, celui de l'Inde, de + 84 %, et le PIB de la Chine, de + 147
%.