PROCÈS À CHARGE

par Luc BEYER de RYKE

Heureux celui ou celle qui éprouve de la fierté à exercer une profession. C’est mon cas. Tout journaliste, fut-ce modestement, a le sentiment d’être les yeux et les oreilles du monde. Même si son champ de vision et d’écoute est limité.

Pour exercer sa profession il est nécessaire d’observer une éthique. Quand bien même l’objectivité est chose relative, nous sommes tenu d’y tendre et d’observer rigueur autant qu’honnêteté. Beaucoup des nôtres y souscrivent. Pas tous.

Sans nullement vouloir m’ériger en moraliste et donneur de leçons, j’avoue me sentir mal à l’aise de la manière dont certains agissent à la faveur des élections présidentielles. Loin de moi l’idée d’exonérer par exemple François Fillon de ses indélicatesses ou malhonnêtetés, fussent-elles « légales » comme il le répète à satiété. Mais, entre le fait de les relever et de l’interroger et la véritable chasse à l’homme déclenchée, il y a, me semble-t-il, de la marge.

J’écris ces lignes au lendemain de l’émission où François Fillon était l’invité de David Pujadas. Lequel, très certainement en connaissance de cause, avait en « invitée surprise » Christine Angot, romancière de talent. Mais aussi femme de haine, fermée à tout dialogue, murée dans un réquisitoire portant en lui une condamnation sans appel. Sans être journaliste elle-même elle était là pour être le portevoix et la « diseuse » de ce qu’on était pas autorisé à dire aussi haineusement.

François Fillon n’est certes pas la seule victime – car il l’est – d’un tel acharnement. On a cité, il a cité luimême, l’exemple de Pierre Beregovoy. Il se fait que je me trouvais à ses funérailles. Que j’ai entendu François Mitterrand s’indigner qu’il eut été « jeté aux chiens ». La question a été posée à François Fillon. A-t-il songé au suicide ? Lorsqu’il répondit que le soutien des siens l’en avait préservé, il y eut de la moquerie à peine dissimulée auprès de ceux qui l’interrogeaient. Qu’on m’entende bien. Autant suis-je choqué par ce déferlement de haine, par ses propos de «guerre civile», autant je me sens consterné par l’inconséquence de François Fillon. La destruction recherchée d’un homme, la volonté de sa mise à mort succèdent à l’autodestruction de son image.

On pouvait approuver ou désapprouver le programme politique avancé. Du moins l’impétrant revêtait une attitude responsable, exigeante. S’il appelait au sacrifice, on pouvait supposer que lui-même donnait l’exemple. Certes, il avait été le Premier ministre d’un président aveuglé par l’éclat de l’argent comme on l’est par celui d’une boule de cristal dans une fête foraine. Mais lui s’avançait drapé d’une austérité provinciale de bon aloi et vertueuse. L’image s’est atomisée Tout le monde en a conscience. De là à piétiner un homme, à le lyncher, ce n’est pas à cette extrémité qu’on attend le journaliste.

Qui est « populiste »

Tant que j’en suis aux reproches il en est un autre que j’émettrai en particulier à l’égard des journalistes français. Le mot « populisme » est avancé avec complaisance et détestation lorsqu’on parle de Marine Le Pen. Je n’en disconviens pas. Mais ne pourrait-on en dire autant de Jean-Luc Mélenchon tout en admirant sa culture et son talent de tribun ? J’irai plus loin. Qui n’est un peu, beaucoup, passionnément « populiste » dans une campagne électorale ? Pour séduire l’électeur le candidat n’est-il pas enclin à faire la roue et à l’instar du paon à déployer sa parure ... verbale. Il y a bien sûr nécessité de raison garder.

Mais à l’écoute d’Emmanuel Macron, ne peut-on sans sacrilège s’amuser à relever l’enthousiasme de ses fidèles à s’ébrouer et gesticuler avec ferveur à l’enfilade des lieux communs qu’il égrène ? Lorsqu’on invoque le populisme on entonne les grandes orgues en prédisant tous les cataclysmes. Il arrive que cela s’avère exact. Trump aux Etats-Unis en porte témoignage. Dire qu’il inquiète est user d’un terme diplomatique pour parler de la peur qu’il suscite.

La peur de Geert Wilders

Par contre dans la presse française, avant les élections législatives aux Pays-Bas, on a sonné le tocsin. Le populiste Geert Wilders, l’homme aux cheveux de paille, menaçait de débouler au pouvoir. Le Monde fit appel à son correspondant belge, Jean-Pierre Stroobants, pour lui consacrer un portrait d’ailleurs bien enlevé d’une page entière. Geert Wilders était en marche, il arrivait. Et voilà que, divine surprise, Mark Rutte, le Premier ministre libéral, emportait la mise. Jean-Claude Junker, le président de la Commission, exprimait à Bruxelles son soulagement. Tout ceci mérite une analyse un peu plus affirmée.

Contrairement à la France, les Pays-Bas connaissent des élections à la proportionnelle. Dès lors qu’a-t-on vu ? Des libéraux vainqueurs mais qui passent de 41 sièges à... 33. Un Geert Wilders qui, lui, de 15 sièges monte à 20. Un succès indéniable mais bien en-deçà de ses espérances. Pour former un gouvernement le Premier ministre Mark Rutte n’a pas besoin de lui. D’autant que personne ne veut s’asseoir à ses côtés dans un gouvernement. Ainsi le PVV, parti de Wilders, est-il désormais la deuxième formation du pays. Mais à un siège près il est suivi des démocrates-chrétiens. Les libéraux de gauche de D66 ont pris des sièges au PVDA (socialistes) qui se sont « pasokrisés » à la grecque, c’est-à-dire effondrés.

À côté de cela il y a des verts qui ont pris du muscle sans oublier des petites formations calvinistes, un parti des « seniors » mais aussi deux petits partis d’extrême-droite. Bref, une floraison de partis avec lesquels certains, après négociations, permettront à Mark Rutte de reformer un gouvernement qu’il dirigera. De toute manière nous voilà loin, très loin, d’une «trumpérisation » qui n’a jamais – en tout cas jusqu’ici – menacé les Pays-Bas.

Rappel à l’ordre

Ce qu’aurait dû savoir des « spécialistes » de la politique internationale dans la presse française.

Voilà, au terme de cette chronique, ce qui peut être instruit à charge contre certains journalistes. Le harcèlement sans mesure qui entache des investigations légitimes et nécessaires. La légèreté qui déforme la réalité des situations soumises à analyse.

Ce sont là, à mes yeux, des défaillances graves dans l’exercice d’une profession indispensable à la démocratie.

 

© 03.04.2017